VOLTAIRE
Cargo mixte anglais lancé le 31 Janvier 1907 au chantier Henderson à Meadowside.
8406 t Longueur 148 m Largeur 17,7 m
95 hommes d'équipage
Armateur : Liverpool, Brazil & River Plate Ltd
Effectue une traversée Liverpool – New-York sur lest.
Le 27 Mars 1917, le service du renseignement naval et le 2e bureau de l'Etat-Major de l'armée interceptent, probablement à Copenhague si l'on en croit les mentions portées sur le document, une lettre envoyée à Liverpool. Le nom de l'expéditeur n'est pas mentionné, mais il s'agit très vraisemblablement du médecin du VOLTAIRE, à l'évidence de nationalité française. Le destinataire est sans doute l'armateur.
Texte de la lettre
« VOLTAIRE a été coulé le 2 Décembre 1916 à 650 milles dans l'ouest du Fastnet par le croiseur allemand PUYME (nota : il s'agit en réalité du MÖWE, commandé par le Capitaine de Corvette comte Nicolas zu Dohna-Schlodien).
Nous avons tenté d'envoyer un message, mais le croiseur a tiré 8 obus dont 5 nous ont atteints : 2 à l'arrière, 1 dans le fumoir, 1 dans la cabine n° 11 et 1 à l'avant. En 25 minutes, nous avons mis à la mer 6 de nos 8 embarcations. Tout l'équipage et les officiers ont pris place dedans, à l'exception du capitaine et du premier officier qui sont restés à bord jusqu'à l'arrivée des Allemands. Attitude des hommes et des officiers superbe. Pas d'accident.
Nous sommes restés trois heures dans les canots, puis avons reçu l'ordre de gagner le corsaire qui se tenait à 400 m. Nous avons, dans mon canot, été les premiers à monter à bord. Le médecin allemand est venu nous demander si nous avions besoin de lui. Sur notre réponse négative il a dit : « Je suis très content. Nous ne sommes pas là pour tuer. »
On a logé dans l'entrepont, les hommes dans une grande salle et les officiers dans une plus petite. Il n'y avait que deux couchettes qui furent attribuées au capitaine et à l'ingénieur en chef. Les hommes ont reçu un matelas et deux couvertures. Les officiers allemands ont été très aimables et ont fait tout ce qu'ils ont pu, en la circonstance, pour nous rendre le séjour confortable. Nous étions autorisés à monter deux heures sur le pont chaque matin. Mais nous étions enfermés si l'on croisait un navire. La nourriture était très mauvaise, mais nous pouvions nous approvisionner à la cantine en payant en argent ou en or. Les billets n'étaient pas acceptés.
Nous sommes restés 12 jours à bord et nous avons vu successivement capturer et couler les navires suivants :
GEORGIC
MOUNT TEMPLE
KING GEORGE
CAMBRIAN GRANGE
HALNUYRG (norvégien)
DUCHESS OF CORNWALL (goélette de Terre Neuve)
YARROWDALE
SAINT THEODORE
Ce dernier transportait 3000 tonnes de charbon et les Allemands ont dit qu'ils allaient le garder avec eux. Mais je ne sais ce qu'il ont fait car le 11 Décembre nous avons été transférés sur le YARROWDALE en deux heures trente. Nous nous sommes retrouvés à 482 sur un navire prévu pour 80. Nous étions encadrés par 17 Allemands armés.
Les officiers étaient dans le salon et couchaient par terre. Les hommes se répartissaient entre le gaillard et la poupe. Une cabine a été transformée en hôpital. Trois hommes y ont été installés, ainsi que moi et le docteur Curran, du MOUNT TEMPLE. En fait, nous allions dormir sur le pont.
Nous avons beaucoup souffert car beaucoup d'hommes n'avaient pas de vêtements d'hiver.
On manquait aussi de nourriture. Potage de gruau au petit déjeuner, ragoût quelconque au déjeuner, deux morceaux de pain, confiture et biscuit de mer au diner. A partir du 31 Décembre, nous avons longé la côte de Norvège, puis nous sommes passés par le Kattegat et le Skagerrak.
Le navire est resté stoppé 24 heures devant Helsingfors. Un torpilleur suédois est venu l'inspecter. Les Allemands nous avaient enfermés et s'étaient débarrassés de leurs armes. Ils se sont tous présentés sans armes sur le pont et les Suédois n'ont rien vu. Ils ont juste inspecté le pont pour voir s'il n'y avait pas de canon.
Ensuite, un patrouilleur allemand nous a escortés jusqu'à Swinemunde. En passant devant Halsingborg, deux marins ont sauté à l'eau et ont tenté de rejoindre la côte à la nage, mais il ont été récupérés et ramenés à bord.
A Swinemunde, nous avons été conduits dans un camp. Le capitaine, moi-même et quelques neutres avons été emmenés à l'hôpital. Nous avons été très bien traités.
Le 5 Janvier, nous avons pris le train pour Neu Strelitz, dans le Mecklenbourg, où nous sommes arrivés après un voyage de 15 heures. Nous y sommes restés jusqu'au 5 Février, ne mangeant que des pommes de terre, des navets, une boule de pain par jour et 40g de viande deux fois par semaine.
Puis les officiers ont été conduits dans un camp à Karlsruhe, où nous sommes arrivés le soir du 7 Février après 50 heures de train. Il faisait -18°c et les wagons n'étaient pas chauffés. Au départ de Neu Strelitz, nous avions reçu le cinquième d'une boule de pain et une saucisse. A Francfort, on nous a donné une boulette de viande et un ersatz de café. A Karlsruhe, nous avons expliqué au major commandant le camp comment nous avions été traités. Il nous a fait servir un bon repas.
Mais ici, la nourriture est la même qu'à Neu Strelitz; elle est toutefois mieux préparée et mieux servie. ½ livre de pain et 1 livre de pomme de terre par jour, 60g de viande deux fois par semaine, et surtout, des navets.
J'ai soigné les hommes sur le YARROWDALE, puis à Neu Strelitz, et ici je m'occupe de la situation sanitaire du camp. Les hommes endurent beaucoup de privations et de souffrances. Ils sont affamés. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas de maladies, mais si nous devons rester un an en Allemagne, ils seront vite atteint du mal de Bright. (nota : néphrite, maladie des reins due, entre autres raisons, à un manque de potassium et étudiée par le médecin anglais Bright vers 1840. Vu l'alimentation, on peut d'ailleurs aussi penser que le scorbut aurait fait son apparition)
Je vous serais reconnaissant si vous pouviez envoyer à Karlsruhe du savon, des biscuits, de la confiture, du thé et du tabac. »
Commentaire
Cette lettre est extrêmement intéressante. Outre les renseignements qu'elle donne sur le sort du VOLTAIRE, elle nous renseigne sur bien des points :
- sur le caractère du commandant zu Dohna-Schlodien et sur la conduite de ses hommes à bord du MOEWE. (« Nous ne sommes pas là pour tuer ») A ce sujet, voir la fiche du vapeur français MARONI et le récit de sa rencontre avec von Lückner pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... htm#t26257
- Sur l'extraordinaire pénurie alimentaire qui sévissait en Allemagne dès 1916 et qui frappait durement tant les prisonniers que la population civile. Ce fut une des causes, avec la prolongation du conflit, de l'effondrement psychologique de la population qui se manifesta en 1917 et conduisit l'Allemagne à la guerre sous-marine totale pour s'approprier les voies de communication maritimes.
Signalons enfin que l'officier qui commandait la garde allemande sur le YARROWDALE et qui le conduisit à Swinemunde était l'enseigne Badewitz. C'est celui-là même qui avait été exfiltré d'Espagne le 1er Octobre précédent, en même temps que le KL Wilhelm Canaris et l'OL Sievers, grâce à un audacieux coup de main du sous-marin U 35 commandé par le KL Lothar von Arnaud de la Perière.
Il avait aussitôt rembarqué sur le MOEWE qui avait appareillé d'Allemagne le 12 Novembre. Badewitz trouvera la mort avant la fin de la guerre. Voici sa photo.
Pour tous renseignements sur le MOEWE et les navires qu'il a capturés, voir ce lien
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas
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