Bonjour à tous,
JEANNE MARIE
Rapport du capitaine
Je soussigné PELAY Louis, CLC, commandant le JEANNE MARIE, déclare avoir quitté la rade de Brest le 13 Mars 1918 à 10h00, ayant à bord un premier maître pilote de la Flotte.
Chef de file d’un convoi de 5 bâtiments escorté par UTILE et CHARDONNERET.
A 16h00, reçu ordre du chef d’escorte de passer au nord des Roches Douvres, un sous-marin étant signalé sur la route prescrite. Aperçu ensuite les feux de Guernesey.
A 04h35, forte explosion à l’avant du navire. Envoyé SOS et position, 2,5 milles au sud de Serk. Fait sonder peak avant, mais l’eau arrive déjà au niveau du panneau de la cale 1 et le navire s’incline sur tribord. Amené les embarcations et donné l’ordre d’abandon. Embarqué dans la baleinière tribord, après m’être assuré qu’il ne reste personne à bord. Débordé pour rejoindre les convoyeurs venus à notre secours. Deux canots sont recueillis par UTILE et deux par CHARDONNERET.
UTILE croise autour de JEANNE MARIE pour tenter un remorquage au lever du jour. Mais JEANNE MARIE coule à pic par l’avant à 06h20.
Je signale la belle conduite des officiers et de l’équipage, admirables de sang froid. Je signale particulièrement :
- PENELLE Claudius Chef mécanicien
- MATEL Zacharie Second mécanicien
Qui n’ont abandonné leur poste dans la machine qu’au dernier moment après avoir stoppé la turbine et fermé le registre des grandes chaudières.
- DELAHAYE Paul, second capitaine, qui m’a admirablement secondé
Je ne puis dire si l’explosion est due à une torpille ou à une mine.
Rapport du second capitaine
Je soussigné DELAHAYE Paul, CLC, 2e capitaine du vapeur JEANNE MARIE, déclare que le 14 Mars 1918 j’étais de quart de minuit à quatre, accompagné du premier maître pilote. Temps brumeux. Peu de visibilité.
A 03h30, aperçu un feu blanc à 35° tribord puis un feu vert au dessous du feu blanc. Je juge que ce navire est à très faible distance, mais n’en distingue rien. Je demande au pilote : « Ne serait-ce pas un sous-marin qui cherche à tromper des navires ? »
A 04h35, formidable explosion sur l’avant des haubans de misaine tribord, par le travers de la cale 1. Les panneaux de cale 1 et 2 sont projetés en l’air avec une forte gerbe d’eau. Tout est brisé sur le gaillard, la passerelle, les postes d’équipage et des chauffeurs. La cale 1 est immédiatement remplie d’eau.
Le chargement de la cale 1 se composait de saumons de cuivre et d’aluminium, futs d’huile, caisses machine et rouleaux de fil de fer barbelé.
L’officier des équipages Machefaux, commandant l’UTILE, avait modifié la route prescrite et nous avait donné l’ordre de passer au nord des Roches Douvres et au sud de Serk pour éviter un sous-marin signalé par avis de guerre à la position 49°12 N et 03°35 W.
Rapport du Premier maître pilote LE GALL
Embarqué le 13 Mars à 09h30 sur le vapeur français JEANNE MARIE possédant deux canons de 90 mm et la TSF, et allant de New York au Havre avec du divers.
Convoi :
- JEANNE MARIE en tête
- CHATEAU PALMER en n° 2 (nota : une autre source dit que c’était le vapeur anglais BATTENHALL)
- Vapeur anglais MALLARD en n° 3
- Convoyeurs UTILE et CHARDONNERET Vitesse 7 nœuds
Appareillé à 10h30. Sorti par chenal du Four. Temps brumeux. Petite brise de NNE.
Routes prescrites jusqu’aux Sept Iles. Zigzags de 16h00 à 18h00. Passé au nord des Roches Douvres et suivi les côtes sud de Guernesey et Serk.
Le 14 Mars à 04h25, à 2 milles au S25E de Serk, JEANNE MARIE est torpillé à l’avant, ou saute sur une mine.
- Stoppé
- Sifflé
- Lancé SOS par TSF
Le navire coulant par l’avant en s’inclinant sur tribord, mis les embarcations à la mer et évacué à 05h00, l’eau arrivant au niveau du pont. Embarqué sur UTILE qui tourne autour de JEANNE MARIE jusqu’à 06h00, heure à laquelle ce vapeur a coulé.
Débarqué à Cherbourg à 11h00.
Note du VA Préfet Maritime Cherbourg du 30 Mars 1918
La découverte de mines au voisinage du point où a coulé JEANNE MARIE porte à supposer que ce bâtiment s’est perdu en rencontrant une mine.
UTILE a tenté de prendre en remorque le bâtiment avarié, mais n’a pas pu le faire le pont étant arrivé au niveau de l’eau. L’équipage a été évacué dans l’ordre et transbordé sur UTILE et CHARDONNERET et débarqué à Cherbourg.
Enquête AMBC
Armement non utilisé, JEANNE MARIE n’ayant rien vu.
Veille insuffisante :
- Passerelle : officier de quart + pilote + 1 homme de bossoir
- Pièce avant : 1 canonnier
- Pièce arrière : 1 canonnier
Si les canonniers avaient fait la veille en deux bordées, on aurait pu renforcer la veille d’au moins un homme à la pièce avant.
A noter que JEANNE MARIE n’avait pas de poste de vigie.
Conduite de l’armement militaire irréprochable. Le personnel a gagné rapidement son poste de combat et ne l’a quitté que sur ordre du second capitaine.
Rapport de la Commission d’enquête
Ce rapport reprend dans les grandes lignes les divers rapports précédents.
La commission conclue :
Le 2e capitaine est le seul à penser qu’il a vu les feux d’un hypothétique sous-marin. Mais le capitaine du vapeur anglais MALLARD prétend que 3 minutes après l’explosion, il a heurté lui-même le sous-marin.
Nota : Il est à signaler que les dragueurs ayant opéré du 16 au 20 Mars sur les lieux de la perte du JEANNE MARIE ont découvert trois mines et rencontré deux épaves dont l’une pourrait effectivement être attribuée au MALLARD. L’armateur de ce navire demandera d’ailleurs des indemnités au gouvernement français en réparation des avaries causées à son navire par ce sous-marin. Ces indemnités seront refusées car le MALLARD ne naviguait pas, contrairement à ce que prétend son armateur, pour le compte de la Marine militaire française.
La commission estime que chacun à bord a fait son devoir. Elle s’associe aux éloges que contient le rapport de mer du capitaine. Ce dernier mérite des félicitations pour la bonne organisation du sauvetage. La faculté de commander doit lui être maintenue.
Récompenses
Témoignage Officiel de Satisfaction du Ministre
PELAY Louis Lieutenant de Vaisseau de Réserve
Pour les qualités dont il a fait preuve, tant dans l’organisation de son navire que pour l’évacuation lors de sa destruction par l’ennemi.
Vapeur JEANNE MARIE
Pour la discipline et le sang froid dont son équipage a fait preuve lors de sa destruction par l’ennemi.
Note de l’Etat Major Général au Ministre de la Marine Mars 1918
Nous attirons votre attention sur le cas du vapeur JEANNE MARIE qui a sauté sur une mine près de Serk en allant de Brest au Havre. Ce bateau a fait des voyages inutiles, qu’on aurait pu éviter.
Affrété par la Cie Gle Transatlantique à la Société Française d’Armement, il venait de New York et est arrivé à Nantes où l’on aurait du procéder à son déchargement. Mais il a été dirigé par convoi côtier sur Brest où il est arrivé le 11 Mars 1918. On a continué la promenade en l’envoyant de Brest sur Cherbourg, puis Le havre, le 13 Mars.
Le chargement perdu de ce vapeur se composait de 3100 tonnes de matériel : canons, fil de fer barbelé, aluminium, cuivre, coton, benzol, huile, machines, lard, dont 90% était destiné aux armées et 10% à des particuliers.
Il est regrettable que ce vapeur n’ait pas été déchargé à Nantes et il y a eu là un grave défaut d’organisation qui a des répercussions fâcheuses, comme ce fut le cas pour BARSAC, BAYVOL (??) et TCHAD.
Réponse du Ministre à l’Etat Major Général, 2e section
JEANNE MARIE est arrivé pour la dernière fois à Nantes le 30 Novembre 1917, venant d’Oran avec 3000 tonnes de vin, consigné par la Compagnie Générale Transatlantique. Il est reparti sur lest (600 tonnes de sable) directement pour New York, pour y charger des explosifs.
Depuis cette date, ni les services du port de Nantes ou Saint Nazaire, ni les agents de la CGT, ni le Front de Mer, ni la police de la navigation n’ont eu connaissance que ce bâtiment se soit présenté à l’embouchure de la Loire.
L’agent de la Transat a été informé que le navire avait quitté New York, non convoyé car il faut une vitesse supérieure à 8 nœuds pour être en convoi, le 20 Février pour Le Havre.
Je transmets votre dépêche au VA Préfet Maritime de Lorient pour qu’il contrôle dans quelles circonstances ce navire aurait été incorporé dans un convoi côtier pour Brest.
Note du Préfet Maritime Lorient Avril 1918
En arrivant de New York en Mars 1918, JEANNE MARIE n’a pas été à Nantes, ni même à Quiberon. Il s’est présenté devant Le Palais, à Belle Ile, et a alors été mis en convoi pour rejoindre le port de destination indiqué par son capitaine et qui était Le Havre.
J’ajoute que le 20 Décembre 1917, JEANNE MARIE était effectivement arrivé à Port Haliguen et avait été incorporé le même jour dans un convoi régulier pour Le Verdon, à destination de l’Amérique. Depuis, il n’est jamais repassé à Quiberon.
Nous ignorons pour quelle raison son commandant s’est présenté à Belle Ile.
Epilogue
Il est admis aujourd’hui que JEANNE MARIE a sauté sur une mine faisant partie d’un champ mouillé le 28 Juillet 1917 par l’UC 47 de l’OL Paul HUNDIUS.
Il semble bien qu’aucun sous-marin allemand ne se soit trouvé sur cette zone le 14 Mars 1918.
Cdlt