Bonjour,
voici encore un texte tiré de l'almanach des anciens combattants de 1932 :
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Joséphine, Marianne et Louise (Souvenir de Crouy, dans l'Aisne)
Péquin n’était pas content, mais pas content du tout ! Il tirait nerveusement sa longue moustache ; ses gros yeux roulaient comme des billes d’agathe sous ses sourcils épais et embroussaillés ; son long nez crochu tremblait de colère et sa face maigre, qui le faisait un peu ressembler à un oiseau de proie, avait par places, de petites taches rouges, ce qui, chez lui, dénotait le maximum de colère contenue.
Le motif de son courroux, demanderez-vous ? Le voici ; le chef de bataillon commandant le secteur l’avait fait venir dans la tranchée de première ligne et là, sans mot dire, du bout de sa canne, lui avait désigné, délicatement et paresseusement posée, comme à la main, sur le revers de la tranchée, une bombe d’un de ses « crapouillots ». Officiers et fantassins avaient « rigolé » tout leur saoûl, envoyant sa mine déconfite.
Etait-ce sa faute, à lui, si on lui avait donné le commandement de cette « batterie » de trois vieux mortiers, tirés, ainsi que leurs antiques boulets, d’on ne savait quel arsenat conservateur d’antiquailles, avec laquelle il devait « bouleverser » les proches positions ennemies, alors que la poudre était de mauvaise qualité et les bombes…pas une du même poids ! Et lui, ex-maréchal des logis-chef du 1er cuirassiers, le premier régiment de cavalerie de France, aimai-il à dire, quelle idée avaient eu les bureaux, « ces sacrés bureaux », de le verser dans l’artillerie alors, que malgré ses quarante ans, il montait encore à cheval comme un jeune homme et n’avait rien perdu de sa sveltesse. Trois crapouillots, un brigadier et dix hommes à commander dans ce trou boueux qui constituait sa « batterie enterrée, alors qu’il ferait si bon, à la tête de son peloton de « gros frères » charger au grand galop, la latte au poing, la crinière du casque flottant au vent, ces canailles de Boches ! Deux régiments de cuirassiers avec leurs brillantes cuirasses, et l’on passerait, malgré les fils de fer et les mitrailleuses ! Que n’y pensait la haut commandement ! Et tous ces bougres de fantassins, qui se fichaient de lui, pourraient passer…par derrière, car ils se fichaient de lui, les milles-pattes !!! Ils savaient tous son nom, Péquin, et ce n’était pas leur moindre joie que de le prononcer en y ajoutant des épithètes et des plaisanteries fastidieuses : qu’est-ce qu’un « pékin » vient f…. ici, quel drôle de « pékin », une « pékin » militaire etc… Non, non, il en avait assez, jamais « ses » cuirassiers n’en avaient fait autant. Il allait demander sa mutation.
Et pourtant, il les aimait bien, ses trois vieilles « pétoires ». Il les avait baptisées, celle de droite Joséphine, le prénom de sa femme, celle du milieu, Marianne, parce qu’il était un bon républicain, et celle de gauche, Louise, parce qu’il était musicien et admirait l’opéra de Charpentier.
Or donc, il aimait Joséphine, Marianne et Louise et il les faisait entretenir et astiquer comme des bijoux, par ses hommes, qui auraient bien souvent préféré faire « la manille » ou une « belotte » dans leur abri voisin ; il n’était jamais plus fier que quand il commandait le tir : première pièce feu ! (c’était Joséphine, la première pièce : à elle revenait toujours l’honneur de commencer), criait-il d’une voix de stentor. C’était vraiment bien, et comme il fallait peser la poudre, il disait d’un air digne et connaisseur à l’artilleur-chargeur ; fous-y en deux de plus, à Joséphine, trois de plus à Louise…deux de plus, c’était deux grammes de poudre à ajouter à la charge normale.
Les fantassins n’aimaient pas beaucoup ses tirs, d’abord parce que, parfois, il arrivait ce qui s’était produit le matin même, mais en pire, c’est-à-dire que les projectiles tombaient non pas chez les allemands, mais dans nos lignes et, par hasard, éclataient , ensuite parce que, dès que la batterie du « pékin » avait envoyé, par l’entremise de Joséphine, de Marianne et de Louise, deux ou trois bordées, la riposte de l’ennemi arrivait, brutale, par l’expédition de leurs fameux « tuyau de poêle » qui descendaient au-dessus de vous en zigzaguant, ayant l’air de choisir ironiquement l’endroit où ils allaient se poser…et éclater au plus grand dam des pauvres pitous. Péquin don était fort en colère et, ma foi, quand la colère vous tient, le mieux est de la faire passer sur quelqu’un. En l’occurrence, ce quelqu’un était tout indiqué ; le boche, et notre maréchale des logis-chef poussa la sacramentel « Artilleurs à vos pièces ! » Lesdits artilleurs, sans grand enthousiasme, répondirent à l’appel de leur chef et bourrèrent consciencieusement les gueules larges ouvertes de Joséphine et de ses sœurs. « Foutez-y leur en à ,chacune cinq de plus », commanda Péquin, et ainsi fut fait. Puis, successivement, ayant goulûment absorbé leurs charges et leurs lourds projectiles, les trois pièces tonnèrent. La riposte fut immédiate et, avant que les artilleurs aient eu le temps de nettoyer et recharger, une dégelée formidable, non seulement de « tuyaux de poêles » mais aussi d’obus de tous calibres s’abattit ; il était inutile d’insister : l’équipe, en hâte regagna son abri pour laisser passer la rafale.
Tout à coup, un fracas formidable et comme un bruit de cloches tombant de haut : un projectile avait tapé en plein dans la batterie de bronze. Comme un fou, Péquin se précipita et resta médusé devant le spectacle : Joséphine, Marianne et Louise gisaient, renversées, dans leur trou et l’infortunée Joséphine, atteinte en pleine gueule, était évasée, éventrée, bossmée, écartelée, inutilisable enfin.
Ah, les cochons, s’écria le « margi », ils m’ont démoli Joséphine ! Je vais aussi leur passer quelque chose ! Il appela ses hommes, fit remettre les deux mortiers intacts en position, en fit « foutre dix de plus » et n’arrête son feu que longtemps après l’arrêt de celui d’en face.
Sa colère était passée.
Deux jours après, des prisonniers, ramenés par une patrouille furent interrogés et dirent, entr’autres choses, que le tir de nos obusiers ne faisait en général pas grand mal, mais que, cependant, quarante-huit heures avant, alors que le général inspecteur de l’artillerie faisait exécuter, sur nos lignes, un tir d’ensemble dont il voulait juger la précision et l’effet depuis la tranchée, une de nos bombes était tombé au milieu du groupe qui l’entourait, l’envoyant « ad patres », ainsi que plusieurs officiers.
Le maréchal des logis-chef reçut la Médaille Militaire, les fantassins ne le raillèrent plus et Joséphine, Marianne et Louise furent remplacées par de la belle artillerie de tranchée moderne.
Péquin ne regretta plus l’arme des cuirassiers, qui maintenant, n’avait eu plus de cuirasses et combattaient à pied, malheur de malheur ! Il conserva plusieurs morceaux de Joséphine, dans lesquels il confectionna pour sa femme, la Joséphine en, chair et en os, en souvenir, de ces menus et multiples objets que les « poilus » rapportaient du front ; après des avoir travaillés et figniolés avec patience et amour…et voilà l’histoire des premiers crapouillots Joséphine, Marianne et Louise.
Par Albert SCHNEEGANS, Strasbourg
(4ème prix du Concours littéraire de l’Almanach des Anciens Combattants)
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Cdlt,
SCHEPPLER Cédric
Joséphine, Marianne et Louise (Souvenir de Crouy, dans l'Ais
Re: Joséphine, Marianne et Louise (Souvenir de Crouy, dans l'Ais
Bonsoir,
Merci pour cet amusant récit. Cela ressemble beaucoup aux "Collection Patrie". Ce qui métonne c'est que les Anciens Combattants aient pû cautionner de telles âneries.Pourquoi avoir choisi Crouy pour ce récit? L'auteur y était-il allé?
En tout cas je suis preneur sur tous les documents et témoignages concernant Crouy.
Cordialement,
Ferns
Merci pour cet amusant récit. Cela ressemble beaucoup aux "Collection Patrie". Ce qui métonne c'est que les Anciens Combattants aient pû cautionner de telles âneries.Pourquoi avoir choisi Crouy pour ce récit? L'auteur y était-il allé?
En tout cas je suis preneur sur tous les documents et témoignages concernant Crouy.
Cordialement,
Ferns
L'homme en campagne a les mêmes besoins qu'en temps de paix ; ces besoins deviennent même plus impérieux, étant exacerbés par une existence plus active et plus énervante.(Henry Mustière)