Commission supérieure consultative du service de santé militaire
Conseil technique chirurgical
Rapport voté par le conseil technique sur une mission à la Vème Armée.
Rapporteur : Monsieur le Professeur Delbet.
Votre conseil technique ( Messieurs les professeurs Quenu, Hartmann, Delbet, Guiraud, Député) s’est rendu dans la Vème Armée pour étudier les causes du mauvais fonctionnement du service de santé pendant l’offensive du milieu d’avril et chercher les moyens d’y remédier).
Il a visité les trois H.O.E. de l’armée et l’ambulance chirurgicale 14/1. Des trois H.O.E., celui de Montigny, qui appartenait d’abord à la Vème Armée, est passé à la Xème lorsque celle-ci est venue s’intercaller entre la Vème et la VIème, puis, ouvert de nouveau aux blessés de la Vème pour parer à l’encombrement de Prouilly, il a été définitivement rattaché à la Xème. Nous nous sommes trouvés vis-à-vis de cet H.O.E. dans une situation embarrassante, car notre ordre de mission ne nous accréditait que près de la Vème Armée. Nous y sommes allés cependant.
A Bouleuse, plus éloigné du centre de l’action principale, la situation a été moins troublée qu’à Prouilly. Cependant certains blessés n’ont pu être opérés qu’après 48 heures d’attente, ce qui est trop.
Notre principale étude a porté sur l’H.O.E. de Prouilly; c’est là que l’encombrement a eu les conséquences les plus fâcheuses.
Il a eu en partie pour cause le rattachement de l’H.O.E. de Montigny à la Xème Armée. La Vème Armée s’est trouvée réduite à deux H.O.E. au lieu de trois. Cette cause échappe complètement à la compétence de la Commission.
Dans le mauvais fonctionnement, les questions d’ordre ont joué un certain rôle.
Quelques H.O.E. ont été envahis par les blessés, envahissement très fâcheux, non seulement parce qu’il trouble tous les rouages, mais parce qu’il est au détriment des grands blessés. Il faut être encore assez valide pour forcer une porte ou entrer par une fenêtre.
Ces questions d’ordre ne sont pas de la compétence du conseil technique. Il est bon cependant que la Commission Supérieure Consultative attire l’attention sur elles en raison de leurs conséquences.
Cette dernière cause éliminée, voyons celles qui n’ont rien d’accidentel, qui tiennent à un vice d’organisation, qui se reproduiront à la première grande offensive si l’on ne modifie pas la conception même du Service de Santé dans la zone de l’avant.
L’exposé fait à la Commission par Monsieur le médecin-major Duguet nous avait donné l’impression que les chirurgiens s’étaient laissé affoler et qu’ils avaient été au-dessous de leur tâche. Nous tenons à dire, dès le début, à ceux qui auraient eu la même impression que nous, qu’elle est complètement fausse. Tous les chirurgiens des H.O.E. ont fourni un travail colossal avec une méthode excellente. Ils ne méritent que la reconnaissance.
Monsieur Duguet invoquait une seconde raison, le nombre des blessés qui aurait dépassé de beaucoup les prévisions.
L’étude que nous avons faite sur place nous oblige à conclure que ces deux raisons ne sont pour rien dans ce qui s’est passé.
Monsieur le médecin inspecteur général Béchard nous a formellement déclaré que le nombre des blessés n’avait pas dépassé ses prévisions personnelles. Voici sur quoi elles étaient basées :
Son expérience de la guerre actuelle lui a appris que dans une offensive violente le nombre des blessés est de mille à douze cents par division et par 48 heures. Ce chiffre de 1 200 est une moyenne pour l’ensemble des divisions qui se battent.
Restait à savoir le nombre des divisions qui seraient engagées.
Ici, nous mettons un premier vice de notre organisation actuelle.
Il n’y a pas aux armées de représentant du Service de Santé assez autorisés pour demander au Commandant quelles forces il a l’intention de jeter dans l’action. Nous reviendrons sur ce point.
Monsieur Béchard n’avait pu se rendre compte qu’indirectement du nombre de divisions préparées pour le combat.
Le chiffre prévu par Monsieur Béchard n’a pas été dépassé; mais ce qui a été particulier à l’offensive du 16, c’est la manière dont sont arrivés les blessés. Cela a été un flot continu et ininterrompu dans la soirée du 16. Le nombre de blessés a été maximum et ceux-ci sont arrivés dans le minimum de temps. Ils ont déferlé ce jour-là en un flot continu.
Ce brusque et rapide afflux a été un élément perturbateur, mais il faut bien remarquer qu’au point de vue chirurgical, pour les grands blessés, la situation aurait été peu changée si l’entrée s’était plus également répartie sur un plus grand nombre d’heures, même de jours. Il y a là deux questions tout à fait différentes :
1°) - Une question d’hospitalisation, mettre les blessés à l’abri, les coucher, les alimenter, d’une part;
2°) - Une question chirurgicale, les soigner chirurgicalement d’autre part.
La capacité d’hospitalisation des H.O.E. n’a pas été dépassée : à Prouilly, le plus encombré, le 16, il y eut 4 600 présents. On a pu en évacuer ce jour là 576. Les restants n’ont jamais dépassé 4 000. L’hôpital, dans son ensemble, possédait 2 000 lits organisés, plus 2 816 couchettes auxiliaires sous baraques (paillasse sur isolateur, sac de couchage, une couverture). Le médecin-chef, dont l’énergie calme, l’esprit de décision nous ont paru remarquables, a fait preuve de capacité d’organisateur de premier ordre,
bien qu’ayant été toujours dans les régiments, il fut, pour la première fois, chargé d’un H.O.E. Il a pu, non seulement coucher tous les blessé, mais encore leur donner des boissons chaudes; il nous a même déclaré qu’il aurait pu, avec du matériel improvisé, coucher 6 000 blessés.
Dans la Vème Armée, aucun blessé n’a passé la nuit à la belle étoile.
Malheureusement une erreur, plutôt qu’une faute, mais une erreur très grave a été commise à Prouilly. Des blessés ont été transportés et placés dans une baraque qui servait de casernement et qui n’était pas destinée à les recevoir. Ces malheureux, dont on ignorait la présence en ce point, n’ont reçu aucune espèce de soins pendant plusieurs jours.
Si douloureuse que soit cette erreur, si graves qu’en ont été les conséquences, nous ne croyons pas devoir nous appesantir sur elle, parce qu’il est singulièrement difficile d’en trouver l’auteur responsable, parce qu’il ne nous appartient pas de le rechercher et parce qu’elle n’a rien à voir avec les questions d’organisation proprement dites qui, seules, sont de notre compétence.
Passons à la question chirurgicale :
Nous devons d’abord répéter avec énergie que, les équipes chirurgicales, bien de loin de faillir à leur tâche, ont fourni un travail formidable, dépassant de beaucoup ce qui nous paraissait possible de demander à des chirurgiens.
L’H.O.E. de Prouilly est divisé, suivant la règle, en deux parties; une section d’Hospitalisation, une section d’Evacuation.
La section d’évacuation comprend deux subdivisions : malades à évacuer couchés, malades pouvant être évacués assis.
La subdivision de blessés assis n’ a jamais été débordée.
La subdivision des blessés couchés comporte trois salles d’opérations. Les équipes chirurgicales, d’abord au nombre de trois, ont été portées à quatre puis à cinq. On n’a jamais dépassé 100 opérations par jour. N’oublions pas qu’avec cinq équipes, cent opérations représentent 15 heures de travail pour chaque équipe.
Or, il entrait dans cette section :
le 16 ..................... 380 blessés
le 17 .................... 488 blessés
le 18 ..................... 497 blessés
le 19 ..................... 525 blessés.
Le déficit était de 3 à 400 par jour, sans qu’il ya it rien à reprocher aux chirurgiens.
Dans la section d’hospitalisation, le 16, se trouvait l’automobile chirurgicale de Chevassu, avec six équipes, et celle d’Alglave, avec quatre équipes auxquelles deux autres ont été ajoutées le 18.
En outre, une équipe, puis deux, avaient été affectées par Monsieur Chevassu aux blessés atteints de gangrène ou phlegmons gazeux et placés à part. Ce groupement nous paraît une bonne mesure pour le cas particulier (48 cas du 16 au 269) mais ce ne peut être une mesure d’ordre général, car il faut espérer que les conditions qui ont permis une fois encore, aux infections gangreneuses, de se développer, ne se reproduiront plus.
Le 18 avril, 228 opérations ont été faites dans la section d’hospitalisation, ce qui a nécessité au moins 15 heures de travail pour chaque chirurgien.
Il a fallu une rare énergie, un admirable dévouement et aussi une bonne méthode d’ensemble pour atteindre un pareil rendement.
La tension morale liée au sentiment de la responsabilité, la combinaison d’efforts physiques et intellectuels, la température élevée des salles d’opération, entraînent une fatigue dont nul ne peut soupçonner le degré ni la nature sans l’avoir éprouvée. Et, comme le dit le professeur Quenu, le chirurgien est un instrument de précision, la fatigue le fausse.
Malgré le travail formidable des équipes chirurgicales de la section d’hospitalisation de l’HO.E. de Prouilly, près des 2 tiers des grands blessés, arrivés dans les journées des 16 ,17 et 18 avril, n’ont pu être opérés.
Dans ces trois jours sont entrés 1 499 grands blessés, 533 ont été opérés.
A Bouleuse, la situation a été moins dramatique, mais cependant beaucoup de blessés ont attendu 48 heures les soins qu’ils auraient dû recevoir plus tôt.
A Montigny, l’attente a été plus longue encore pour certains blessés.
Tels sont les faits.
Nous ne saurions trop le répéter, la responsabilité des chirurgiens de l’H.O.E. n’est pas en cause. Tous ont fait plus que leur devoir. Les accuser serait non seulement une injustice mais un danger, car ce serait assurer la répétition des mêmes faits lamentables lors d’une prochaine offensive.
En réalité, les H.O.E. qui ont réalisé un progrès considérable, qui sont de très bonnes formations, qui ont rendu de très grands services, qui en rendront encore, deviennent tout à fait insuffisants en période d’activité intensive.
Tel est le mal.
Quel est le remède?
Faut-il agrandir les H.O.E.? Il est aisé de montrer que cette solution est irréalisable. Si l’on admet que le rendement moyen d’une automobile chirurgicale, à six équipes, est de 72 opérations au maximum par 24 heures, il en aurait fallu de 8 à 10 pour opérer tous les grands blessés qui sont arrivés à Prouilly du 16 au 18. Dix automobiles chirurgicales, à six équipes, comportent 120 chirurgiens. A ce nombre formidable, il faudrait ajouter les équipes des groupes complémentaires affectés au traitement des moyens et petits blessés.
Et il faudrait, en outre, des chirurgiens pour panser les opérés car les opérateurs ne pourraient le faire.
Si l’on peut augmenter indéfiniment le nombre des lits et celui des salles d’opération, par adjonctions successives de baraques ou de tentes, on ne peut augmenter de même celui des chirurgiens.
Pour réaliser, en temps d’offensive, le programme auquel on s’est tenu, et qui consiste à faire opérer tous les grands blessés dans les H.O.E., il faudrait vider la zone de l’intérieur de tous ses chirurgiens, qui y sont utiles.
C’est une impossibilité.
On doit donc reconnaître expressément, formellement, qu’en période d’activité militaire intense, les grands blessés ne peuvent pas être soignés tous dans les H.O.E.
La Vème Armée comprend encore deux centres chirurgicaux, l’un est à Jonchery, l’autre à Gueux.
En admettant même que ces ambulances chirurgicales fussent bien dirigées et qu’on put y faire parvenir rapidement un certain nombre de grands blessés, le débit chirurgical de la zone des armées resterait encore très insuffisant en période de grande activité.
Pour ces périodes, il n’y a donc qu’une solution.
L’évacuation.
Ce service a particulièrement mal fonctionné.
Ce n’est point cependant la première fois que cette question se pose sous cette forme. Lors de l’offensive de la Somme, plusieurs chirurgiens avaient dit à plusieurs d’entre nous : “Nous sommes obligés de faire attendre certains grands blessés pendant 48 heures. Il vaudrait mieux les conduire directement à Paris, où ils pourraient être opérés en 24 heures”. Cette sage réflexion a été communiquée au sous-secrétariat.
Avant d’envisager la solution nécessaire, voyons comment a fonctionné le service d’évacuation à Prouilly.
Le 16 avril, tandis qu’il entrait 2 586 blessés, on en évacuait 576 par trois trains, dont l’un ne comprenait que des blessés couchés allant à Bordeaux, tandis que les deux autres allaient dans la 5ème région (Saint-Florentin - Coulommiers).
Le 17, entraient 3 357 blessés, on en évacuait 2 864 par cinq trains.
Le 18, l’équilibre se rétablit, on reçoit 1 939 blessés, on en évacue 2 942.
C’est le 19, pour la première fois, qu’on envoie un train de 128 couchés à Paris. Le même jour, on en envoie un de Bouleuse, mais c’est un train de Russes.
Pendant ces quatre jours tragiques, le service d’évacuation a été mauvais à tous les points de vue, pour diverses raisons dont voici les principales :
1°) - Le Service des Évacuations n’a pas été préparé. Le nombre des trains a été insuffisant. Le 17, à 23 heures, Monsieur le sous-secrétaire d’état a demandé lui-même, de Prouilly, par téléphone, deux trains de 400 couchés chacun.
Le lendemain soir, sont arrivés les deux trains, mais chacun d’eux n’avait que 75 places couchées.
2°) - Les trains n’ont marché qu’avec une extrême lenteur. La ligne est coupée par un grand nombre de passages à niveau. Le mouvement des troupes était grand. Tandis qu’en temps ordinaire on ferme les routes pour laisser passer les trains, là, on a fermé les lignes de chemin de fer pour laisser passer les renforts. Certains trains auraient mis 10 heures trente pour aller de Fismes à Prouilly : la distance de 10 kilomètres.
3°) - La destination des trains défie toute explication. Tandis qu’on envoyait des trains d’éclopés à Provins ( 15 avril), à Orléans, ces deux villes étant considérées fictivement comme un prolongement de la zone des armées, on envoyait des blessés couchés à Bordeaux ( 16 avril), à Cahors ( 20 avril).
Ainsi, on faisait faire un petit voyage à ceux qui auraient pu en supporter un grand et on envoyait à l’autre bout de la France ceux qui avaient besoin de soins précoces.
Enfin,les ressources de Paris en hôpitaux et en chirurgiens sont restés presque complètement inutilisées. Le 16, le 17, le 18, aucun train n’a été envoyé à Paris, quatre ont été envoyés le 19 et le 20, dont deux de blessés russes.
Désireux de trouver les explications de ces évacuations aussi remarquables par leur insuffisance que par leur singularité, nous avons décidé d’aller les chercher à la gare régulatrice de Fère-en-Tardenois. Ce fut une mauvaise inspiration.
Nous nous sommes aperçus tout de suite que nous avions à faire à ce redoutable état d’esprit qui supprime jusqu’à la possibilité du progrès en affirmant qu’il n’y en a plus à faire.
Vous vous rappelez qu’à notre dernière séance nous avons cherché qui décidait du sort des trains d’évacuation. Nous n’avons pas réussi au sein de la Commission. Notre échec a été plus complet encore à la gare de Fère où le commissaire régulateur nous a déclaré qu’il avait les yeux tournés vers l’avant et non vers l’arrière et qu’il ignorait la destination des convois.
Sachant la lenteur de circulation des trains sanitaires nous avons demandé si une ligne Paris-Châlons n’aurait pas facilité l’évacuation. “On aurait eu tort de construire cette ligne” nous répondit Monsieur le Commissaire.
Comme il nous semblait que la construction de passage surélevés ou souterrains, supprimant les passages à niveau ou les deux circulations sont alternativement arrêtées l’une par l’autre, augmenterait de beaucoup le rendement de la ligne ferrée, nous avons consulté Monsieur le Commissaire sur ce point.
Il nous a répondu qu’aucun train n’avait été arrêté plus de 3/4 d’heures à un passage à niveau. Nous ne mettons nullement en doute l’exactitude de cette affirmation, mais nous faisons remarquer que, si un train est arrêtée successivement 3/4 d’heures à dix passages à niveau, il est, par cela seul, retardé de dix heures.
Monsieur le Commissaire nous a d’ailleurs déclaré qu’il eut été inutile d’envoyer à l’H.O.E. de Prouilly plus de trains qu’il ne l’a fait, parce que l’hôpital n’aurait pas pu charger les blessés. Il y a là une erreur. Le 16, l’H.O.E., outre les infirmiers, disposait de cinq cents hommes du Génie. Plus tard, l’établissement d’une petite voie de quarante centimètres, sur laquelle roulent des wagonnets porte-brancards, aurait permis de charger beaucoup plus de trains.
”Avez-vous pu envoyer à Prouilly tous les trains sanitaires qui vous ont été demandés?” - “Jamais, nous fut-il répondu textuellement, l’H.O.E. n’a eu à nous demander de trains parce qu’il en a toujours eu d’avance.” - “Cependant, le 17, Monsieur le sous-secrétaire d’état a dû vous demander lui-même par téléphone deux trains qui ne sont arrivés que 16 à 18 heures après”. - “’Monsieur le sous-secrétaire d’état m’a demandé des trains permanents et je ne parlais pas ceux-là.”
Ne pouvant saisir la subtile distinction qui permet de ne pas considérer les trains sanitaires permanents comme des trains sanitaires, nous avons pensé qu’il n’y avait pas intérêt à prolonger cette conversation et le chef de la mission s’est vu forcé de rompre l’entretien.
Notre étude sur cette question capitale des évacuations n’a donc pas donné plus de résultats que celle que nous avions tenté de faire à la Commission.
Ce que nous pouvons dire, c’est que ce service a mal fonctionné à tous les points de vue. Le nombre des trains a été insuffisant, leur composition a souvent été mauvaise; ils ne contenaient pas assez de places couchées, leur marche a été d’une lenteur excessive. Enfin, leur destination n’a pas été en rapport avec les blessés qu’ils transportaient.
On a continué à méconnaître tout ce qui a été dit, répété, voté plusieurs fois, soit à la Commission, soit à la Société de Chirurgie, depuis plus de deux ans. De simples éclopés ont été arrêtés à Orléans, tandis que des blessés, graves, ont été conduits d’une seule traite à Bordeaux et à Cahors.
Nous n’ignorons pas que les éclopés doivent rester dans la zone des armées et que Provins et Orléans ont été, pour le cas actuel, rattachés fictivement à la zone des armées, mais le contraste n’en paraît pas moins violent entre la brièveté du voyage des éclopés et la longueur de celui des blessés.
On ne peut se défendre de l’impression qu’en assignant aux trains sanitaires telle ou telle destination, certaines considérations interviennent, qui n’ont rien à voir avec l’intérêt des blessés.
Le principe fondamental de l’évacuation en plusieurs fois par étapes successives de plus en plus longue, éloignant de plus en plus les blessés à mesure que leur état s’améliore, reste à appliquer et sa méconnaissance coûte des vies ou des membres en grand nombre.
L’étude de votre Conseil Technique conduit à cette première conclusion : dans les mêmes conditions militaires les tristes événements des 16, 17 et 18 avril se reproduiront, à moins que l’on ne modifie le système actuel.
Les modifications de principe et de pratique, qui nous paraissent indispensables, sont les suivantes :
En période d’activité militaire intensive, les sections d’hospitalisation des H.O.E. seront réservées, non pas comme en temps de calme à tous les grands blessés, mais uniquement aux grands blessés inévacuables.
Les grands blessés transportables seront immédiatement et rapidement évacués vers les grands centres chirurgicaux les plus voisins de la région de combat.
Voici comment nous concevons le fonctionnement nouveau.
Avant toute offensive prévue, annoncée par le Commandement, les H.O.E. et les hôpitaux des centres chirurgicaux de la zone voisine seront vidés de tous les blessés transportables. Les lignes d’évacuation, sinon les horaires, seront réglés par avance. Des trains sanitaires pour blessés couchés seront préparés et garés dans les H.O.E. ou à courte distance.
Au début de l’offensive, les H.O.E. continueront de fonctionner comme en temps de calme, c’est-à-dire qu’on y opérera et hospitalisera tous les grands blessés.
Mais, à partir du moment où les disponibilités chirurgicales des H.O.E. atteindront leurs limites, le principe du triage changera.
Ce moment est facile à déterminer.
C’est simple affaire d’arithmétique. Le rendement moyen des automobiles chirurgicales est d’une opération par heure et par table, quand il y a pour chaque table trois équipes chirurgicales se relevant de 8 en 8 heures. Il est donc toujours facile de savoir pour chaque H.O.E. combien de blessés pourront être soignés en un nombre d’heures déterminé.
Dès que le nombre des blessés arrivés est tel que les nouveaux survenants pourraient être opérés plus tôt après évacuation, qu’à l’H.O.E., il faut les évacuer et pour cela, changer le principe de triage.
Il ne suffit plus de distinguer les petits, moyens et grands blessés, on devra distinguer, parmi les grands blessés, les évacuations et ceux qui ne le sont pas. Ces derniers seront seuls envoyés à la section d’hospitalisation de l’H.O.E. Les évacuables, après un pansement et, s’il y a lieu, une immobilisation provisoire, seront immédiatement installés dans le train d’évacuation.
Ce système ne peut fonctionner que par une entente parfaite, une étroite collaboration du Commandement, de la Direction des chemins de fer et du Service de Santé.
Dans l’état actuel des choses, cette étroite collaboration est difficile, peut-être impossible à réaliser. Pour l’assurer, un rouage manque; un représentant du service de santé près du commandement. L’ancienne direction générale du service de santé aux armées entraînait, par son indépendance excessive, une dualité fâcheuse. La zone des armées se trouvait séparée de la zone du territoire par une barrière imperméable, état de choses dont les conséquences étaient néfastes et contre lequel la commission a maintes fois protesté.
Mais sa suppression n’a pas été sans inconvénient. Le commandement ne se défend pas toujours d’une certaine mauvaise humeur, d’une sorte d’irritation inconsciente, d’un agacement en présence des embarras matériels inévitables, dus au fonctionnement du service de santé. Messieurs les inspecteurs ont l’impression que ces sentiments percent davantage, que le service de santé est traité avec moins de considération depuis que la Direction aux Armées est supprimée. Ils souffrent de certains heurts, de froissements voisins de l’humiliation.
Ils ont besoin, à chaque instant, du Génie pour le matériel et son installation, pour les transports. Ils estiment qu’ils obtiennent moins aisément satisfaction.
Nous avons dit qu’en cas d’offensive le nombre des blessés pouvait être approximativement prévu et même que les prévisions de Monsieur le médecin inspecteur général Béchard s’étaient trouvées justes. Ce nombre étant proportionnel à celui des divisions, le calcul ne peut en être fait que si l’on connaît le nombre des divisions qui pourraient être engagées, Monsieur Béchard n’est arrivé à le connaître que par des moyens indirects, détournés, moyens peu sûrs et presqu’humiliants. Il aurait dû en être directement informé.
D’autre part, le représentant du sous-secrétariat d’état au grand quartier général est un médecin major de première classe, qui traite, nous-a-t-on dit, les questions relatives au service de santé avec un capitaine d’état-major.
Ainsi, certaines propositions, faites par des hommes qui portent des feuilles de chêne et des étoiles méritées, sont jugées, en dernier ressort, par un capitaine d’état-major. On ne peut s’étonner que les premiers en éprouvent quelques froissements.
Ces diverses raisons sont d’inégale valeur, s’il en est qui rentrent dans les impondérables, aucune ne nous paraît devoir être négligée. Toutes conduisent à la même solution : la représentation du sous-secrétariat près du grand quartier général doit être modifiée.
Nous ne demandons pas le retour à l’ancien état de choses. La scission, qu’il entrapinait, du service de santé en deux parties, était pleine d’inconvénients.
Le médecin accrédité près du commandement doit être et rester un représentant du sous-secrétariat, mais nous estimons qu’il doit être de grade très élevé et avoir une autorité personnelle liée et à son caractère et à sa valeur scientifique.
CCM le 1er avril 2007
Entre les lignes...
- gerard mathern
- Messages : 127
- Inscription : mar. nov. 08, 2005 1:00 am
Re: Entre les lignes...
Ce récit est particulièrement édifiant sur le déphasage entre les prévisions et la réalité du champ de bataille. La plupart des décès de grands blessés fut lié au retard de prise en charge. Les premiers progrès très sensibles ont été enregistrés en Corée grâce à l'usage de l'évacuation par hélicoptère qui a trouvé son point culminant au Viet-Nam. En effet, il eût été plus facile de muter les blessés vers Paris que de les laisser 48h sans soins. Impressionnant.
- Jean RIOTTE
- Messages : 5774
- Inscription : sam. nov. 05, 2005 1:00 am
Re: Entre les lignes...
Bonjour Alain,
Bonjour à toutes et à tous,
Très intéressant. Merci beaucoup.
Cordialement.
Jean RIOTTE.
Bonjour à toutes et à tous,
Très intéressant. Merci beaucoup.
Cordialement.
Jean RIOTTE.