Quelle est la part de vérité de ce récit ?
• Le Temps, n° 20.858, Jeudi 15 août 1918, p. 3,
en rubrique « Autour de la bataille ».
« Une odyssée de marins
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en rubrique « Autour de la bataille ».
« Une odyssée de marins
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Les évasions de marins sont rares. C’est que peu de nos matelots sont faits prisonniers au cours de cette guerre.
Le Journal officiel vient cependant de publier les citations à l’ordre de l’armée de quatre de ces braves : Della-Santa, Rouault, Olivieri et Cochet appartenant aux équipages des sous-marins Foucault et Monge, et qui, faits prisonniers, ont réussi à s’évader de Galicie à force de courage et d’endurance, après avoir parcouru des centaines de kilomètres en pays ennemi.
D’autres marins, comme le 2e maître mécanicien Bodros et le quartier-maître torpilleur Beverraggi, de l’équipage du sous-marin Saphir, ont pu s’échapper de camps plus lointains encore que ceux de Bohême et de Galicie, car ils étaient internés en Asie-Mineure.
Le Saphir, après avoir franchi les Dardanelles, le 15 janvier 1915, coule dans la mer de Marmara à la suite d’un accident. Les hommes qui nagent vers la côte sont reçus à coups de fusils par les Turcs. Deux barques viennent enfin au secours des naufragés, et treize hommes sur vingt-sept sont sauvés. Les deux officiers ont disparu. Les survivants, interrogés par Liman von Sanders, sont dirigés à Fium Kara Hissar, et quelques mois après au camp de Sivas, en Asie-Mineure. Les Turcs de ces régions n’ont aucune notion des nationalités et alliances ; seules les haines religieuses leur sont accessibles, au gré des prédicateurs musulmans, qui tantôt les excitent contre les Anglais, tantôt contre les Arméniens ou les Russes. La population souffre terriblement de la guerre et ne mange pas mieux que les prisonniers.
Au début d’avril 1918, six des prisonniers du Saphir et du Mariotte, qui se trouvaient dans le même camp, sont envoyés à Trébizonde en compagnie d’un certain nombre de soldats coloniaux français. Sur rade, se trouvait un grand pétrolier belge monté par un équipage russe que surveillait une équipe de treize soldats géorgiens sous les ordres de deux officiers turcs. Le pétrolier portait une mission russe qui devait aller à Batoum pour des négociations russo-turques.
Les prisonniers français décident de tenter l’évasion. Ils arrivent à faire connaissance du chef de la mission russe et lui demandent de les emmener ; celui-ci s’y refuse mais leur fait comprendre que s’ils arrivent à se faufiler à son bord, il fermerait les yeux. Les prisonniers enivrent les factionnaires et réussissent à embarquer. Le Soviet des matelots russes décide en séance de protéger les évadés par la force si c’est nécessaire. Le capitaine du pétrolier admis à délibérer ne demande qu’à exécuter les ordres du Soviet. On cache les français dans une chaudière et pendant trois jours les Turcs font la veille autour du navire sans obtenir le droit d’y monter perquisitionner. Le navire part pour sa destination ; alors les soldats turcs reçoivent avis du Soviet que l’on se rend à Novorossisk et non à Batoum ; les officiers turcs veulent en informer les autorités de leur pays par T.S.F., mais le Soviet leur fait couper le courant ; en même temps, les pièces du bord sont tenues prêtes à repousser toute attaque des canonnières turques. Arrivés à Novorossisk, cinq des évadés réussissent à gagner Mourmansk, d’où ils furent embarqués pour le France.
L’évasion de plusieurs quartiers-maîtres du sous-marin Curie faits prisonniers à Pola, en décembre 1914, n’est pas moins intéressante. Les hommes du Curie sont conduits à Grætz puis quelques temps après au camp de Deutschgabel, en Bohême. Le régime alimentaire insuffisant au début de 1915 devient de plus en plus mauvais. Quelques prisonniers aux équipages du Monge et du Fresnel, ainsi que deux russes, dont le petit-fils de Tolstoï, essayent de s’évader, mais ils sont repris au bout de quinze jours. En juillet 1917, dix marins français du Curie, du Fresnel, du Foucault et du Monge sont envoyés à Siedhiezka, en Galicie, pour des travaux des champs. Les habitants simples et naïfs se laissent dominer par leurs prisonniers ; ceux-ci font ce qu’ils veulent, changent de patron quand ce dernier leur déplaît. Un soldat autrichien surveille le village, mais est obligé de travailler lui-même pour manger.
Le 18 mai 1918, Coulomb et Melle du Curie, Cochet du Monge et Kerriou du Foucault s’évadent. Ils se dirigent droit cap à l’est, marchant la nuit, se cachant le jour ; leur sac de 25 kilos et quelques jours de pluie les fatiguent beaucoup ; les forêts sont très dures à traverser. Chaque fois qu’ils voient une paysanne isolée, Kerriou, qui parle bien le polonais, quitte son sac, se détache du groupe et va l’interroger. Le 1er juin, ils traversent les réseaux de fil de fer et les tranchées de l’ancien front gardé par des sentinelles tous les 200 mètres. Le 2 juin, ils franchissent la frontière également gardée et arrivent en Ukraine. Transformés en blessés russes grâce à quelques infirmières russes parlant français, les quatre évadés arrivent à Moscou d’où eux aussi ont pu facilement rejoindre Mourmansk.
C’est ainsi que deux groupes de nos vaillants marins ont réussi grâce à leur belle énergie à s’évader de captivité. ― Richard Arapu. »
Le Journal officiel vient cependant de publier les citations à l’ordre de l’armée de quatre de ces braves : Della-Santa, Rouault, Olivieri et Cochet appartenant aux équipages des sous-marins Foucault et Monge, et qui, faits prisonniers, ont réussi à s’évader de Galicie à force de courage et d’endurance, après avoir parcouru des centaines de kilomètres en pays ennemi.
D’autres marins, comme le 2e maître mécanicien Bodros et le quartier-maître torpilleur Beverraggi, de l’équipage du sous-marin Saphir, ont pu s’échapper de camps plus lointains encore que ceux de Bohême et de Galicie, car ils étaient internés en Asie-Mineure.
Le Saphir, après avoir franchi les Dardanelles, le 15 janvier 1915, coule dans la mer de Marmara à la suite d’un accident. Les hommes qui nagent vers la côte sont reçus à coups de fusils par les Turcs. Deux barques viennent enfin au secours des naufragés, et treize hommes sur vingt-sept sont sauvés. Les deux officiers ont disparu. Les survivants, interrogés par Liman von Sanders, sont dirigés à Fium Kara Hissar, et quelques mois après au camp de Sivas, en Asie-Mineure. Les Turcs de ces régions n’ont aucune notion des nationalités et alliances ; seules les haines religieuses leur sont accessibles, au gré des prédicateurs musulmans, qui tantôt les excitent contre les Anglais, tantôt contre les Arméniens ou les Russes. La population souffre terriblement de la guerre et ne mange pas mieux que les prisonniers.
Au début d’avril 1918, six des prisonniers du Saphir et du Mariotte, qui se trouvaient dans le même camp, sont envoyés à Trébizonde en compagnie d’un certain nombre de soldats coloniaux français. Sur rade, se trouvait un grand pétrolier belge monté par un équipage russe que surveillait une équipe de treize soldats géorgiens sous les ordres de deux officiers turcs. Le pétrolier portait une mission russe qui devait aller à Batoum pour des négociations russo-turques.
Les prisonniers français décident de tenter l’évasion. Ils arrivent à faire connaissance du chef de la mission russe et lui demandent de les emmener ; celui-ci s’y refuse mais leur fait comprendre que s’ils arrivent à se faufiler à son bord, il fermerait les yeux. Les prisonniers enivrent les factionnaires et réussissent à embarquer. Le Soviet des matelots russes décide en séance de protéger les évadés par la force si c’est nécessaire. Le capitaine du pétrolier admis à délibérer ne demande qu’à exécuter les ordres du Soviet. On cache les français dans une chaudière et pendant trois jours les Turcs font la veille autour du navire sans obtenir le droit d’y monter perquisitionner. Le navire part pour sa destination ; alors les soldats turcs reçoivent avis du Soviet que l’on se rend à Novorossisk et non à Batoum ; les officiers turcs veulent en informer les autorités de leur pays par T.S.F., mais le Soviet leur fait couper le courant ; en même temps, les pièces du bord sont tenues prêtes à repousser toute attaque des canonnières turques. Arrivés à Novorossisk, cinq des évadés réussissent à gagner Mourmansk, d’où ils furent embarqués pour le France.
L’évasion de plusieurs quartiers-maîtres du sous-marin Curie faits prisonniers à Pola, en décembre 1914, n’est pas moins intéressante. Les hommes du Curie sont conduits à Grætz puis quelques temps après au camp de Deutschgabel, en Bohême. Le régime alimentaire insuffisant au début de 1915 devient de plus en plus mauvais. Quelques prisonniers aux équipages du Monge et du Fresnel, ainsi que deux russes, dont le petit-fils de Tolstoï, essayent de s’évader, mais ils sont repris au bout de quinze jours. En juillet 1917, dix marins français du Curie, du Fresnel, du Foucault et du Monge sont envoyés à Siedhiezka, en Galicie, pour des travaux des champs. Les habitants simples et naïfs se laissent dominer par leurs prisonniers ; ceux-ci font ce qu’ils veulent, changent de patron quand ce dernier leur déplaît. Un soldat autrichien surveille le village, mais est obligé de travailler lui-même pour manger.
Le 18 mai 1918, Coulomb et Melle du Curie, Cochet du Monge et Kerriou du Foucault s’évadent. Ils se dirigent droit cap à l’est, marchant la nuit, se cachant le jour ; leur sac de 25 kilos et quelques jours de pluie les fatiguent beaucoup ; les forêts sont très dures à traverser. Chaque fois qu’ils voient une paysanne isolée, Kerriou, qui parle bien le polonais, quitte son sac, se détache du groupe et va l’interroger. Le 1er juin, ils traversent les réseaux de fil de fer et les tranchées de l’ancien front gardé par des sentinelles tous les 200 mètres. Le 2 juin, ils franchissent la frontière également gardée et arrivent en Ukraine. Transformés en blessés russes grâce à quelques infirmières russes parlant français, les quatre évadés arrivent à Moscou d’où eux aussi ont pu facilement rejoindre Mourmansk.
C’est ainsi que deux groupes de nos vaillants marins ont réussi grâce à leur belle énergie à s’évader de captivité. ― Richard Arapu. »
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Bien amicalement à vous,
Daniel.