QUEVILLY/ DIANE

QUEVILLY : 4-mâts à moteur équipé de 3 canons de 90 mm
Télégramme chiffré du 24/02/1918 17h40 de Marine Paris à Préfet Maritime Brest
Secret le plus absolu. Le capitaine de QUEVILLY a déclaré aux autorités américaines que le 11 Février vers 23h00, par 49°28 N et 18°18 W, il a entendu une explosion et a aperçu sur son arrière de la fumée et des flammes. Stop. Il pense que le sous-marin DIANE a sombré car ce sous-marin n’a plus été vu par la suite. Stop. Veuillez me faire connaître si vous avez reçu depuis des nouvelles de DIANE.
Signé H. Salaun
Interrogatoire des deux hommes de DIANE embarqués sur QUEVILLY
Le QM électricien LEVERRE Joseph et le QM timonier LEGUEN Joseph ont été embarqués à La Pallice sur le voilier français QUEVILLY le 32 Janvier au matin dans des conditions tenues cachées. Ils avaient en particulier reçu la recommandation du commandant de DIANE de dire, en arrivant à bord de QUEVILLY, qu’ils appartenaient au REGULUS.
QUEVILLY a appareillé le 31 vers 16h00 sous escorte du REGULUS qui l’a quitté le 1er Février au point du jour, signalant qu’il allait continuer à être convoyé par un autre bâtiment. En effet, vers 08h00, le sous-marin DIANE s’est fait reconnaître à bonne distance et a rattrapé QUEVILLY en lui signalant de faire route et de donner la vitesse qu’il voudrait. Le temps était passable, mais la mer assez grosse. De jour, DIANE se tenait sur l’arrière du travers à 200 ou 300 m du voilier et naviguait en demi-plongée de façon à se profiler sur la coque du voilier. De nuit, DIANE se plaçait à 300 ou 400 m dans le sillage du voilier sur lequel un feu de poupe à secteur limité (30°) avait été disposé, et qui n’était allumé que sur demande de DIANE. La première nuit, ce feu ne fut d’ailleurs pas allumé.
A partir du 2 Février, le temps devint plus mauvais et la mer très grosse. Le vent soufflait du 270 et le voilier, tirant de larges bords, remonta assez dans le Nord. DIANE ne paraissait pas gêné et naviguait avec son panneau de kiosque ouvert et une manche en toile hissée en permanence. Dans la journée du 2, le sous-marin plongea un quart d’heure pour essayer ses panneaux. Une autre fois, le 8 ou le 9, il plongea une demi-heure pendant qu’un convoi était croisé à 3 milles, par temps bouché. Ce même jour, il signala qu’il avait une petite avarie de machine, vite réparée d’ailleurs. Au cours de ces 8 nuits, DIANE demanda seulement 2 ou 3 fois l’allumage du feu de poupe. Mais dans la nuit du 10 au 11 le feu resta allumé toute la nuit, le temps étant très sombre et à grains.
Dans la matinée du 11, DIANE signala qu’il ne pourrait plus longtemps continuer son convoyage, à moins que QUEVILLY n’eût du pétrole à lui fournir. Le voilier répondit qu’il n’en possédait pas. Le point à midi était 04°30 N et 16°58 W. Vers 21h00, le vent étant toujours très fort et la mer dure, DIANE demanda le point qui lui fut transmis par Scott, puis demanda l’allumage du feu de poupe qui resta allumé jusqu’au moment de l’accident.
A 23h00, par 49°28 N et 18°18 W, l’officier en second de QUEVILLY étant de quart, un bruit sec, comme une porte fermée brusquement, fut entendu et une lueur fut distinguée à 135 ° bâbord par les gens qui se trouvaient sur le pont. On eut l’impression d’un coup de canon et on donna l’alerte. Le voilier laissa porter pour prendre chasse. Une minute s’était à peine écoulée que QUEVILLY était secoué violemment par une explosion très courte. Seul le canonnier de la pièce arrière a aperçu à ce moment une haute flamme et de la fumée droit derrière, dans le sillage, c’est-à-dire dans la direction de la première détonation, puisque le voilier avait changé de cap en venant sur la droite.
On eut d’abord l’impression que le voilier venait d’être touché et le mécanicien fit la visite des cales. Aucune voie d’eau ne fut constatée et on crut alors que c’était DIANE qui avait torpillé le sous-marin ennemi.
QUEVILLY avait entre temps lancé le signal SOS, puis tiré quelques coups de canon. Vers minuit, un appel TSF donnant le point et la route fut adressé en clair par QUEVILLY à DIANE. Le lendemain matin, QUEVILLY signala « Echappé » et vers 10h00 envoya à DIANE le message chiffré « Entendez-vous QUEVILLY ». N’ayant reçu aucune réponse, on supposa que le convoyeur avait perdu le voilier dans la nuit et avait fait demi-tour.
QUEVILLY arriva à Ponta Delgada le 21 au matin et ce n’est guère que quand Paris fit demander les noms des deux hommes appartenant à DIANE, qu’on se rendit compte que le sous-marin n’était pas rentré à sa base.
Le QM électricien Leverre avait été embarqué sur DIANE postérieurement à la mission précédente de ce sous-marin. Il était toutefois à bord depuis assez longtemps pour donner les renseignements suivants :
- Employé comme supplémentaire aux accus, il assure que les batteries de ce sous-marin marchaient très bien, que la ventilation était parfaitement comprise, et qu’en fin de charge on pouvait se tenir dans le compartiment des accus sans être sérieusement incommodé.
- DIANE était équipé de quatre tubes lance-torpilles étanches, 2 devant et 2 derrière, et de 4 tubes Drzewieski* de côté sur le pont. Ces derniers tubes non étanches étaient protégés de la mer par des masques rabattables.
*Nota : Drzewieski était un ingénieur qui, si l’on en croit le texte suivant, s’intéressa entre autres sujets à la conception des pales d’hélices.
« La seconde théorie, d'usage pratique plus important pour la conception des hélices, est connue sous le nom de "théorie de l'élément de pale". Elle fut pour la première fois proposée par Stéphane Drzewieski en 1892. Il divisa la pale en bandes séparées suivant les rayons croissants, constituant des couronnes concentriques qui étaient soumises à la vitesse résultante de la rotation et de l'avancement de la pale. Le profil élémentaire générant des forces de portance et de frottement connues, les composantes de poussée et de couple pouvaient être intégrées le long de la pale pour obtenir les performances globales de l'hélice. »
Le QM de timonerie Le Guen a été à bord trop peu de temps pour pouvoir ajouter quoi que ce soit sur la navigation de ce sous-marin.
Il y a lieu de remarquer que les 4 croiseurs sous-marins allemands en croisière dans l’Atlantique étaient à cette époque :
- U 152 le 10 Février à 40 milles au Sud des Canaries
- U 155 le 12 Février à 11h00 à 30 milles au Sud du cap Espichel (Portugal)
- U 156 le 12 Février à 12h00 à 320 milles à l’Ouest du cap Saint Vincent
- U 157 le 16 Février à 16 h00 à 60 milles dans l’Ouest de Conakry
Aucun d’entre eux ne pouvait donc être sur les lieux de l’accident et il n’y a pas d’autre manifestation de sous-marin dans le voisinage.
L’impression qui se dégage est que DIANE a été victime d’une explosion accidentelle dont il est difficile de déterminer la cause.
Déposition du chef de section LE MANSEC
J’étais couché et je n’ai rien vu. Mais le 2e capitaine a déclaré avoir aperçu la lueur d’un coup de canon et entendu le sifflement d’un obus au dessus de sa tête. Cette lueur a été aperçue à 130° sur bâbord arrière. Le sous-marin DIANE naviguait en surface et se trouvait dans notre sillage à 400 m environ.
J’ai été réveillé par une détonation sourde, suivie un instant après d’une détonation plus forte avec un grand déplacement d’air. Le capitaine de QUEVILLY fit mettre au poste de combat, puis fit tirer deux coups de canon dans la direction supposée du sous-marin. Il fit changer la route pour venir vent arrière, cap au NE.
Des SOS furent lancés par TSF à minuit 30. La nuit était très noire et la mer grosse<. Rien n’a été aperçu après la lueur de l’explosion venant de notre arrière et qui devait être celle qui a fait sauter DIANE. QUEVILLY a fait route au NE à 12 nœuds pendant une heure. A 03h00 du matin DIANE fut appelé par TSF, mais il n’y eut aucune réponse.
Rapport de l’officier enquêteur
Les témoins les plus intéressants ne sont pas venus à Bordeaux. Les témoignages recueillis ne concordent pas sur le nombre d’explosions. Il semble indiquer que l’explosion très forte entendue par tous s’est produite dans la direction où se trouvait DIANE. Il est très probable que cette explosion a causé la perte du sous-marin. Il est douteux que QUEVILLY ait été directement attaqué.
En tous cas, le capitaine de ce navire s’est conformé aux instructions reçues. La veille était bien faite et la mise en état de défense du navire a eu lieu avec calme et rapidité.
Conclusions de la commission d’enquête
Elle reprend le déroulement des faits et conclut :
Une explosion violente, entendue par tout l’équipage de QUEVILLY a retenti dans la direction où DIANE avait été aperçu quelques minutes auparavant. Deux coups de canon furent tirés dans la direction de la lueur de la première explosion. QUEVILLY vint vent arrière et fit route pendant une heure au NE, puis au SW après avoir lancé un SOS et un appel resté sans réponse à DIANE.
Il est peu probable que QUEVILLY ait été attaqué directement par un sous-marin. En revanche, il ne semble pas douteux que l’explosion qui s’est produite dans la direction de DIANE a causé la perte du sous-marin.
Une partie de l’équipage est restée aux Açores et n’a pu être interrogée. La conduite des marins débarqués à Bordeaux ne légitime aucune proposition de récompense ou de sanction.
Lettre du Capitaine de Corvette Van der Kemp au Service Historique de la Marine
Ayant à faire une note sur le 4-mâts barque citerne QUEVILLY sur lequel j’ai navigué pendant quelques années, je vous serais reconnaissant de me faire connaître le nom de l’officier qui commandait le sous-marin DIANE qui convoyait le QUEVILLY de La Pallice aux Açores.
DIANE et QUEVILLY furent attaqués dans la nuit du 11 Février 1918. QUEVILLY put s’échapper. Malheureusement le sous-marin DIANE ne revint pas à sa base et il est vraisemblable qu’il paya de son existence le sauvetage de QUEVILLY.
Réponse du CV de CARSALADE DU PONT, chef du Service historique de la Marine (vers 1920)
En réponse à votre demande concernant le sous-marin DIANE perdu en mer le 11 Février 1918, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le sous-marin était en convoi avec le 4-mâts QUEVILLY qui arriva à Ponta Delgada, aux Açores le 21 au matin.
DIANE était commandé par le Lieutenant de Vaisseau Henri Joseph LE MASNE et les autres officiers étaient :
- Lieutenant de Vaisseau Pierre Jacques EVRARD
- Enseigne de Vaisseau de 1ère classe Victor Théophile MONSCH
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