Bonjour à tous,
Un petit complément sur l'affaire de Janvier 1918
MISSISSIPI
Télégrammes échangés entre Marine Cherbourg et Marine Paris
12/01/18 09h30 à Marine Paris
Vapeur MISSISSIPI allant à Plymouth escorté par ESCOPETTE a été torpillé Est Barfleur vers 21h00. N’a pas coulé. Equipage complet resté à bord. Deux blessés.
CENTAURE et MOUFLON (bateau-pompe des patrouilleurs) envoyés auprès de lui. Sémaphore Barfleur le signale à 10 milles N50E route Ouest à 6 nœuds en remorque.
Hydravions et un dirigeable ont reçu l’ordre de le protéger. Je pense qu’il pourra être ramené à Cherbourg.
12/01/18 19h00 à Marine Paris
MISSISSIPI affrété par Cie Gle Transatlantique allant du Havre à New York avec divers, isolé avec escorte contre-torpilleur ESCOPETTE par nuit sombre et mer grosse n’a pas zigzagué et n’a pas vu le sous-marin.
Deux blessés : officier mécanicien Mouillé et chauffeur Mamadou Camara.
Echoué par petits fonds sur petite rade de Cherbourg. Cales 4 et 5 et compartiment machine envahis par l’eau.
12/01/18 22h00 à Marine Cherbourg
Pour quelle raison MISSISSIPI ne naviguait-il pas en zigzags quand il a été torpillé ?
12/01/18 22h30 à Marine Paris
Capitaine MISSISSIPI avait reçu l’ordre de naviguer en zigzags. Mais la nuit étant très sombre, le navire ayant tous ses feux masqués et étant exactement sur la route prescrite pour les bâtiments de commerce, il n’a pas zigzagué par crainte d’un abordage.
Le capitaine déclare avoir souvent navigué en convoi et avoir toujours vu suspendre les zigzags pendant la nuit.
Equipage du MISSISSIPI
Rapport du capitaine
Le navire avait quitté Le Havre le 11 Janvier 1918 à 07h30 pour New York via Plymouth avec 1830 tonnes de divers. Mouillé sur rade à 08h45 et exercice d’abandon à 10h00. Appareillé à 13h45 après tirs d’exercice (15 coups par pièce). Débarqué le pilote et la commission de tir. Mis en route tous feux étant masqués et veille doublée.
A 20h48, quelques minutes après la ronde du second capitaine, violente explosion qui ébranle tout le navire.
Stoppé machine et envoyé signal de détresse. Appelé aux postes d’abandon. Immergé les documents secrets.
Officier mécanicien Mouillé, blessé à son poste avec fracture de la jambe, est remonté de la machine. Chauffeur sénégalais Mamadou Camara est blessé à l’épaule droite.
ESCOPETTE vient le long du bord et demande si nous pouvons rester à flot. Réponse affirmative. Les deux blessés sont transférés à son bord par notre youyou.
A 02h10, la sonde cale 5 accuse 2 m. Un chalutier anglais nous passe une remorque par bâbord tandis que l’ESCOPETTE demande un bateau-pompe.
A 02h30, un deuxième chalutier anglais nous passe une remorque par tribord.
A 07h00 largué les deux remorques remplacées par celle du CENTAURE. Bateau-pompe MOUFLON accoste par tribord. En raison de la grosse houle, beaucoup de difficultés pour passer les tuyaux.
A 11h00, pris remorque de DIVETTE et échoué sur rade de Cherbourg.
Pas de panique dans l’équipage et excellente conduite des officiers. A signaler le chauffeur Guéroc qui a remonté de la machine son chef de quart blessé à son poste.
Brèche de 2 m sous la flottaison et une virure à 5 m au dessus de la flottaison ouverte sur 8 m. Une baleinière de sauvetage a été enlevée et projetée en morceaux sur la claire-voie machine.
Le pont a été mitraillé par la charge de la torpille.
Conclusions de la Commission d’enquête
Après une longue enquête sur la question des zigzags, la commission conclue :
« Il est regrettable que le capitaine n’ait pas suivi les prescriptions de navigation en zigzags. Mais il n’a pas eu connaissance de l’ordre du DM du 26 Novembre 1917 signalant l’intérêt de zigzaguer même la nuit.
Au surplus, il a reçu au dernier moment un contre-ordre lui indiquant d’aller directement de Barfleur à Start Point et qui ne mentionnait pas les zigzags. Il en a conclu qu’il fallait traverser au plus vite.
Enfin, l’éclat du feu de Gatteville, qui éclairait périodiquement le vapeur, a eu certainement plus d’importance que la route rectiligne suivie.
La conduite du capitaine et de l’équipage a été très satisfaisante après le torpillage et le navire a pu être sauvé.
La Commission est d’avis de laisser au capitaine Christien la faculté de commander. »
Récompenses
MOUILLE Francis Officier mécanicien de 1ère classe
Citation à l’ordre de la Division au motif
« Grièvement blessé à son poste lors du torpillage de son bâtiment, a donné lors d’une très pénible évacuation le plus bel exemple d’énergie malgré ses souffrances »
MAMADOU Camara Graisseur sénégalais
Citation à l’ordre du bâtiment au motif
« Blessé à son poste de service lors du torpillage de son bâtiment ».
GUEROC Corentin Matelot chauffeur
Médaille d’Honneur de bronze au motif
« Pour le dévouement dont il a fait preuve en portant secours à son chef grièvement blessé lors d'une attaque de son bâtiment ».
Vapeur MISSISSIPI
Témoignage officiel de satisfaction du Ministre à tout le personnel.
Conclusion
Fin Mars 1918, un officier de Marine Paris, sans doute venu en inspection à Cherbourg, et manifestement fort courroucé, envoie le rapport confidentiel suivant :
« Le MISSISSIPI a été torpillé il y a deux mois environ.
Sa cargaison n’a toujours pas été débarquée et le navire reste immobilisé, les formalités administratives n’ayant, paraît-il, pas été remplies.
Il faudra, une fois ces formalités remplies, envoyer le navire dans un autre chantier de réparations.
On juge l’importance du préjudice causé :
- à la cargaison, qui aurait du être débarquée et réexpédiée depuis longtemps
- à ce navire de 9000 tonnes que des « formalités administratives » immobilisent
Dans le port de Cherbourg règne la plus grande anarchie. Personne n’obéit et personne n’est commandé. Les ordres ne sont pas exécutés et les punitions sont toujours levées par le Préfet Maritime qui est la risée des matelots.
Ces derniers savent qu’il suffit de s’apitoyer devant lui et de lui donner raison pour que la punition soit levée et qu’une gratification d’encouragement soit souvent même accordée.
Il y a aussi à Cherbourg un millier de prisonniers de guerre allemands qui ne font absolument rien d’autre que fumer, personne n’osant leur donner des ordres… »
Bref, il y avait comme de l’orage dans l’air au dessus de Cherbourg !
Cdlt