Bonjour à tous,
LOUIS FRAISSINET
Rencontre avec un sous-marin le 27 Août 1916
Rapport du capitaine Michel CARRIES au CA Commandant Marine Marseille
J’ai l’honneur de vous informer que LOUIS FRAISSINET, venant du Dahomey, est arrivé hier à Marseille.
Le 27 Août vers 06h15 du matin, étant sur la route de Cherchell à Dragonera par 37°40 N et 02°10 E environ, je fus dépassé par le SIDI BRAHIM qui suivait la même route que moi. Vers 07h45, alors que ce navire était droit devant à 8 ou 9 milles, je le vis venir à gauche et mettre le cap à l’WNW. Cette manœuvre fut immédiatement suivie d’une série de coups de canon tirés rapidement. Je supposai qu’il devait être attaqué par un sous-marin qui devait être dans l’Est de ce navire et je vins à gauche jusqu’à l’WNW. La canonnade du SIDI BRAHIM dura 10 à 12 minutes puis cessa brusquement. Ce navire remit le cap au Nord et disparut à l’horizon en quelques instants.
A 08h10, je recevais du poste d’Alger un sans fil m’indiquant qu’un sous-marin était dans mon voisinage. Je fis mettre aussitôt les canonniers au poste de combat, la pièce chargée prête à tirer, et fis prendre toutes les dispositions et précautions réglementaires : documents, machine, embarcations …etc.
Moins de 5 minutes après avoir reçu le sans fil, le sous-marin paraissait dans le N30E, marchant en surface à une très grande vitesse, cap à l’Ouest, et me coupant la route sous un angle de 25°. Dès que je me fus rendu compte de sa direction, je vins à gauche pour lui présenter l’arrière et gouvernai en zigzags sur une route à peu près WSW. Le sous-marin plongea et disparut dès que cette manœuvre fut effectuée.
Vingt ou vingt cinq minutes plus tard, il émergea par le travers à 5 milles, marchant encore en surface à une vitesse qui nous sembla vertigineuse. Il fit une route qui coupait encore la mienne sous un angle de 20°. Je vins à gauche jusqu’au SSW, présentant de nouveau l’arrière au sous-marin. Comme la première fois, il plongea et disparût pour reparaître à nouveau sur l’avant du travers tribord, recommençant exactement la même manœuvre. Je vins au Sud, puis à l’Est très rapidement pour rallier la route des patrouilles où j’espérais trouver du secours, mon appel par sans fil ayant été entendu par tous les postes côtiers et par les navires.
Le sous-marin resta en vue dix minutes environ, puis plongea et disparut. Je continuai droit à l’Est en zigzaguant pendant une heure, puis aperçus dans le Nord deux chalutiers se portant à mon aide et que je ralliai.
Je suis resté dans les eaux du sous-marin pendant deux heures et demie à une distance qui n’a jamais été supérieure à 6 milles et jamais inférieure à 4 milles. Sa manœuvre peut se résumer ainsi :
Il marchait en surface à une très grande allure me coupant la route sous un angle de 20 à 25° comme s’il voulait se rendre sur l’avant de la route que je suivais. Dès que je présentais l’arrière, il plongeait et disparaissait pendant 15 à 20 minutes, puis reparaissait en surface et recommençait la même manœuvre. J’ai toujours navigué en zigzags sous des angles de 2 à 3 quarts, souvent répétés. Les routes que j’indique son évidemment approximatives et sont des moyennes pratiques.
La vitesse de mon navire est inférieure à 9 nœuds en ligne droite et 7,5 nœuds en zigzaguant.
Je n’ai pas ouvert le feu car de la pièce située à 6 m plus bas que la passerelle on n’apercevait pas le sous-marin. En venant en surface, le sous-marin émettait une fumée très dense et noire, devenant jaunâtre. Il manœuvrait comme s’il voulait éviter le combat au canon et arriver à attaquer à la torpille.
Je déclare que les chalutiers se sont rendus à mon appel avec une rapidité remarquable. A 14h00, deux chalutiers étaient déjà venus me rendre compte que j’étais en sureté. J’ai rencontré ensuite, entre Dragonera et San Sebastien puis San Sebastien et Marseille de nombreux chalutiers patrouillant la route.
Le plus grand calme a régné sur mon navire parmi l’équipage et les passagers pendant la poursuite du sous-marin.
Rapport d’enquête
Ce rapport reprend tous les éléments du rapport du capitaine et précise :
- LOUIS FRAISSINET avait quitté Las Palmas le 21 Août à destination de Marseille
- Le capitaine Michel CARRIES est Capitaine au Long Cours, inscrit à Agde n° 193
- Equipage de 45 hommes dont 2 Anglais, 1 Suisse et 1 Italien. 5 passagers dont 1 Anglais et 1 femme.
- Navire armé d’un canon de 90 mm matricule 1897 à pivot central, placé à l’extrémité arrière de la dunette. Hausse jusqu’à 6200 m. Pièce approvisionnée à 50 coups. Armement :
. COZATY Pierre QM canonnier Saint Gilles 905
. BEUGEARD Jean Fusilier Saint Brieuc 44183
. CAUDAL Jean Fusilier Groix 1766
. CASTREO Joseph Canonnier Douarnenez
- SIDI BRAHIM était en vue dans le Nord. Vers 09h45, on a aperçu deux chalutiers dont l’un était le FAUCON qui venait du Nord. Il s’est approché de LOUIS FRAISSINET et lui a fourni des renseignements. Il l’a ensuite escorté pendant trente minutes. L’autre chalutier a continué sa route vers le Sud, vers un grand vapeur faisant route au Nord.
- Présence du sous-marin révélée par sa fumée. Vu la distance on n’a distingué aucun détail. A la jumelle le blockhaus a paru trapézoïdal. Objet volumineux sur l’arrière du blockhaus. Peinture gris foncé. Plongeait et émergeait avec une extrême rapidité. Vitesse considérable, au moins 18 nœuds en surface.
- Voici sa silhouette
L’officier enquêteur estime que le capitaine du LOUIS FRAISSINET s’est conformé à ses instructions et que ses manœuvres ne prêtent à aucune critique.
La manière nouvelle dont l’attaque a été conduite semble indiquer chez le sous-marin ennemi une crainte salutaire de l’artillerie de retraite. Malgré la faible vitesse du navire et les pertes de distance résultant des zigzags, grâce au sang froid du capitaine, à sa manœuvre rationnelle, à la confiance qu’inspirait à tous la pièce de 90 mm, LOUIS FRAISSIN ET a pu éviter assez facilement l’ennemi.
Le capitaine Michel CARRIES mérite des éloges et je le propose pour un témoignage de satisfaction.
Le sous-marin attaquant
C’était l’U 38 du Kptlt Max VALENTINER, qui venait de canonner le SIDI BRAHIM.
Correction U 34
Cdlt