Voici l'histoire du trois mats goélette la VICTOIRE :
La « Victoire ».
Ce n'est qu'en 1917 qu'on commença à mettre de l'artillerie légère à bord des caboteurs. Aux premiers mois de cette même année, la grande majorité de ceux qui faisaient le cabotage international n'en avaient pas encore été pourvus.
C'est ainsi que la Victoire, petit trois-mâts-goélette de 300 t de port en lourd, qui avait chargé des charbons au pays de Galles à destination de Bordeaux, se trouvait, à la tombée de la nuit, le 21 janvier 1917, à l'ouvert de la Gironde, sans aucune arme à bord.
La nuit était noire et la brise d'ouest assez molle poussait le navire vent arrière pour sa destination, quand un sous-marin naviguant en surface vint à portée de voix. Un officier donna l'ordre, dans un français compréhensible, d'abandonner immédiatement le bâtiment, qu'il allait couler.
Le capitaine Erhel prit la panne aussitôt, mit son canot à la mer et, embarquant à bord le dernier avec ses papiers, déborda pour se rendre sur le bateau allemand, dont la fine et longue silhouette était nettement visible à quelques centaines de mètres au vent.
Il y embarqua avec deux de ses hommes, laissant les autres dans l'embarcation à la disposition du commandant du corsaire, qui avait décidé de détruire la Victoire à la bombe.
Se trouvant à faible distance de terre et ne voulant pas, avec son artillerie, attirer l'attention des croiseurs, il avait choisi ce moyen souvent usité en pareil cas, mais moins efficace que le canon, comme on le verra plus loin.
Après avoir ramené à leur bord les marins allemands désignés pour mettre des bombes explosives sur le trois-mâts, les matelots français reprirent leur capitaine et ses deux hommes restés pendant ce temps sur le sous-marin, dont le capitaine leur souhaita bonne chance.
Il s'éloigna alors, après avoir perçu nettement la détonation de la première bombe explosive, persuadé que son but était atteint, et ne tenant pas à s'attarder dans ces parages peu profonds, où des patrouilleurs auraient pu le poursuivre en surface au petit jour.
Car ces diverses opérations avaient demandé du temps. L'équipage de la Victoire eut tôt fait de revenir dans les eaux du navire, qui dérivait lentement vers la côte proche, d'y remonter et d'orienter sa voilure pour la route à faire, puisque la coque se maintenait à flot.
Puis, par mesure de prudence, ignorant le nombre de bombes déposées et le chiffre total de celles qui avaient éclaté, le capitaine fit rembarquer ses hommes dans le canot.
Un long bout, prêt à être coupé, les remorquait à bonne distance dans le sillage de la barque qui gouvernait seule, et se maintenait en route, en embardant quelque peu. Ils furent ainsi à l'entrée de l'estuaire en six heures environ.
C'est alors que, croyant tout danger d'explosion écarté, le capitaine fit remonter son monde à bord et gouverna vers les passes, tout en faisant pomper pour alléger le navire, qui semblait s'alourdir à la suite sans doute de la première détonation. Lorsque le jour se fit, vers huit heures du matin, à l'arrivée en rade, l'homme de bossoir, en quittant sa faction, aperçut une bombe non explosée pendue le long du bord et qu'il s'empressa de laisser couler.
L'eau gagnant toujours la cale, malgré les efforts des hommes, un peu harassés par cette nuit d'émotions successives, le capitaine fit demander un bateau-pompe dès que la Victoire fut à son poste de mouillage, mais l'essentiel était fait : le bateau avait été sauvé par son capitaine et son équipage, qui n'avaient pas voulu l'abandonner tant qu'il restait une chance, si minime fût-elle, de le ramener à bon port.
Tiré du livre "Les derniers voiliers caboteurs français" de L. LACROIX
A bientot
