Bonjour à tous,
L’engagement avec le sous-marin allemand U-61 survenu le 6 août 1917
• Commandant Émile VEDEL : « Quatre années de guerre sous-marine », éd. Plon-Nourrit et Cie, Paris, 1919, p. 246 à 251.
« Août [1917] donne 203 navires (483.000) tonneaux) détruits du fait des sous-marins et 15 (23.000 tonneaux) de celui des mines. Total 218 navires jaugeant 506.000 tonneaux.
Le 6, glorieux combat de la Jeanne-et-Geneviève contre l’U-61. Commandée par le lieutenant de vaisseau Esteva, c’était un petit caboteur de 800 tonneaux armé en bateau-piège. Autrement dit, pourvu d’un équipage renforcé (50 marins de l’État triés sur le volet), et de canons (deux 75 de chaque bord et un 47 en retraite) dissimulés derrière des panneaux rabattables, lui permettant de châtier tout pirate qui, trompé par son apparente faiblesse, l’entreprendrait de trop près. Se trouvant quelque part entre Ouessant et le cap Finisterre (d’Espagne), Jeanne-et-Geneviève recevait, par T.S.F., l’appel de détresse du vapeur américain Campana (*), aux prises avec un sous-marin, à une centaine de milles de là. On lui signale immédiatement de tenir bon, qu’un chalutier se porte à son secours. Mais, une heure plus tard, le Campana était abandonné et coulé. L’Allemand retint prisonniers le capitaine et le chef mécanicien, laissant les autres s’éloigner avec les embarcations du navire. Dans le petit speech qu’il leur adressa en les congédiant, le commandant boche ne sut pas s’empêcher de faire comme les compagnons de la fable, ceux qui avaient vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Il leur annonça qu’ayant intercepté le signal d’assistance du patrouilleur français, il l’attendait afin de l’envoyer rejoindre le Campana.
Vers les 5 heures du soir, Jeanne-et-Geneviève arrive enfin, mais pour ne trouver que des épaves. Plus aucune embarcation en vue. Soigneusement caché sous l’eau, U-61 la guette, et émerge lorsque le moment lui semble propice, en ouvrant le feu avec ses deux 105. Mais, en vieux renard qui connaît plus d’un tour, il a soin de se tenir dans le soleil, et à 4.000 mètres, distance où il est impossible de l’encadrer avant qu’il n’ait le temps de plonger.
Le plan était d’amener le boche à se rapprocher, en lui inspirant confiance. Jeanne-et-Geneviève fait donc semblant de prendre la fuite, sans même riposter au tir de l’ennemi, tout de suite très meurtrier. Un premier obus tombe sur l’avant de la passerelle, crevant le collecteur d’incendie, et mettant le feu à deux caisses de munitions que l’on a heureusement le temps d’éteindre avant qu’elles n’explosent. Quand la fumée se dissipe, on voit, gisant sur le pont, le maître d’équipage tué sur le coup, un servant de pièce râlant, aveugle et le crâne troué, le chef de section avec la cuisse gauche coupée, un chargeur les reins brisés. Un des 75 de bâbord a été mis hors de combat. Un second projectile vient frapper la cheminée, et y produit un effet de ramonage tel que les hommes de quart devant les feux avalent plus de suie en quelques secondes qu’ils n’en ont absorbé pendant tout le reste de leur existence de chauffeurs. Le maître canonnier et un servant sont grièvement atteints. Le coq, qui rentrait justement dans la cuisine pour surveiller le rata, est arrosé par une averse de ferraille et de débris de verre, sans grand dommage pour sa personne, mais dont la chute dans le chaudron constitue un assaisonnement imprévu. Enfin, un troisième percutant démolit la pièce de 47, et blesse légèrement plusieurs hommes de l’arrière.
Comme si elle fût complètement désemparée, Jeanne-et-Geneviève stoppe alors, tombe en travers, et amène en pagaïe sa baleinière de sauvetage, où embarquent précipitamment un certain nombre de matelots désignés. Ce que les Anglais, créateurs du genre, appellent la panic party. Les autres se dissimulent, chacun à son poste, afin de donner l’impression d’un navire abandonné. Impossible, par conséquent, de porter secours aux blessés, qui doivent se résigner, et se panser mutuellement, en attendant l’issue de la lutte. Accroupis derrière les toiles de la passerelle, le commandant Esteva et le maître de quart surveillent la manœuvre du sous-marin, lequel a plongé, et va sans doute achever sa victime d’une torpille à bout portant.
En effet, vingt minutes plus tard, on voit pointer son périscope, qui tourne lentement autour du patrouilleur, telle une nageoire d’un requin, et s’arrête à environ 200 mètres de lui, par le travers de la passerelle bâbord. Il s’apprête évidemment à lancer. Pour continuer à jouer son rôle de bateau-piège, il ne reste plus à la Jeanne-et-Geneviève qu’à se laisser torpiller, tout en tâchant de parer le coup. Effroyable risque à courir, ne demandant pas moins de fermeté chez un équipage déjà cruellement éprouvé, que de décision et d’adresse de la part de son chef.
Mais l’un comme l’autre seront à la hauteur des circonstances. Le commandant Esteva sauvera même son navire, en manœuvrant avec autant de sang-froid que de coup d’œil. Il a déjà fait mettre la barre toute à gauche, et donné l’ordre à la machine de se tenir prête à partir en vitesse. Et il attend, les yeux braqués sur l’endroit où un petit bout du périscope dénonce la présence du sous-marin, en train de viser.
Cinq minutes se passent, dans une anxiété bien compréhensible. Puis, tout d’un coup, une tache opalescente se dessine sous la mer, dont jaillit une étroite bande d’eau décolorée, pareille à un ruban qui se déroule, et venant droit sur la Jeanne-et-Geneviève. — En avant, le plus vite possible ! — Comme un cheval vigoureusement éperonné, le patrouilleur bondit, et évite la torpille, qui passe à ranger le gouvernail...
N’ayant pas entendu l’explosion sur laquelle il comptait, le sous-marin s’est dépêché de replonger, afin de se mettre à l’abri de toute surprise, et aussi pour se consulter. Que va-t-il faire ? Lancer une autre torpille sur une aussi méprisable proie ? Ce serait lui faire trop d’honneur. Plutôt revenir au canon, d’un peu plus près seulement. Et il fait de nouveau surface, à 2.000 mètres cette fois. Mais à peine son kiosque paraît-il au dessus de l’eau, que le commandant Esteva a ordonné : — Armez tribord ! Les blessés qui le peuvent, reviennent d’eux-mêmes à leurs pièces, altérés de vengeance. — Et surtout, tirez bien ! — recommande le quartier-maître Le Foll, qui trouve la force de jeter ce dernier cri, avant de s’affaisser, exsangue, pour ne plus bouger.
Les allemands, eux aussi, s’apprêtent à tirer, déjà sortis par le capot afin de se rendre à leurs pièces. On ne leur en laisse pas le temps. Les pavois de Jeanne-et-Geneviève sont tombés au commandement de : — Commencez le feu ! Et les deux pièces de tribord se mettent à cracher ensemble. — Plus loin, 400 m ! Feu continu ! Ce sont malheureusement des 75 de la guerre, qui n’ont plus d’obus de rupture, sans quoi le sous-marin eût vite reçu son compte. Encadré par des gerbes d’eau, et tout éclaboussé d’éclats, il s’aperçoit un peu tard du piège dans lequel il est tombé. Il se hâte de faire rentrer ses canonniers pour plonger, et se dérober au châtiment qui le menace. Mais il ne s’en tire pas sans encombre. De la passerelle du patrouilleur français, on l’a vu plusieurs fois touché, et le soir même un sans-fil lancé par lui, annonçait qu’ayant des avaries au second jour de sa croisière, il rentrait en Allemagne et demandait à être remplacé d’urgence.
Après avoir exploré les environs, le commandant de Jeanne-et-Geneviève fit rallier la baleinière et remonter tout le monde à bord. Il fallait abandonner la chasse, plusieurs des blessés étant mourants. Le matelot Moallic succombait à 7 heures, et le canonnier Meynien [lire : Meynieu] le lendemain matin. Leurs noms méritent d’être retenus, car ils venaient d’embarquer sur leur demande expresse, désireux qu’ils étaient de combattre les pirates. Mais combien sont tombés de même, sur mer et sur terre, à leur première rencontre avec un ennemi auquel ils voulaient faire expier ses forfaits ! Comme épilogue à ce récit, on ne sera pas fâché de savoir qu’en mars 1918, l’U-61 fut grenadé et coulé par des destroyers anglais. Aucun survivant. »
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(*) Campana — Cargo de 3.675 t. et de 102,2 x 14,4 x ... m, construit en 1901 sous le nom de Dunholme par le chantier William Gray & Co. Ltd., de West-Hartlepool (Sunderland, Royaume-Uni) pour le compte de la société d’armement George Pyman & Co., établie dans le même port. Cédé en 1916 à la société d’armement américaine Clinchfield Navigation Co. et renommé Campana ; puis cédé à nouveau en 1917 à la Standard Oil (Panama Transport Co., Lago Petroleum, Esso), de New-Jersey (États-Unis). (The Wrecksite)
Alors commandé par le capitaine Alfred Oliver, coulé le 6 août 1917 par le sous-marin allemand U-61 (Kapitänleutnant Victor DIECKMANN) à 143 milles de La Rochelle, par 46° 8’ N. et 5° 30’ W., alors qu'il allait sur lest de La Rochelle à Huelva (Espagne). (The Wreck Site ; uboat.net)
47 hommes d'équipage furent recueillis par le dragueur-canonnière Audacieuse — alors commandé par le lieutenant de vaisseau Pierre Émile Eugène PERTUS — qui les débarqua à Rochefort-sur-Mer.
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Les victimes
― LE FOLL Jean François Marie, né le 18 août 1888 à Loperhet (Finistère) et y domicilié, mort le 6 août 1917, « à bord du Jeanne-et-Geneviève, tué au combat ». Quartier-maître canonnier, inscrit au quartier de Brest, n° 10.863 (Acte de décès transcrit le 28 sept. 1917 à Plougastel-Daoulas).
Citation : « Tué le 6 août 1917 en accomplissant son devoir au cours d'un engagement avec un sous-marin ennemi. » (Netmarine : « Les héros maritimes français de la Première guerre mondiale »).
― LE STUM Jean Marie, né le 27 septembre 1884 à Landévennec (Finistère) et y domicilié, mort le 6 août 1917, « tué au combat ». Second maître timonier, inscrit au quartier de Brest, n°13.348 – Brest (Acte de décès transcrit le 28 sept. 1917 à Landévennec).
Citation : « Tué le 6 août 1917 en accomplissant son devoir au cours d'un engagement avec un sous-marin ennemi. » (Netmarine : « Les héros maritimes français de la Première guerre mondiale »).
― MEYNIEU Jean Louis Daniel, né le 27 juin 1895 à Saint-Estèphe (Gironde) et y domicilié, mort le 6 août 1917, « tué à bord du patrouilleur Jeanne-et-Geneviève, bombardé par un sous-marin ennemi ». Matelot de 2e classe sans spécialité, inscrit au quartier de Pauillac, n° 1.610 (Acte de décès transcrit le 29 sept. 1917 à Saint-Estèphe).
Citation : « Tué le 6 août 1917 en accomplissant son devoir au cours d'un engagement avec un sous-marin ennemi. » (Netmarine : « Les héros maritimes français de la Première guerre mondiale »).
― MOALLIC Joseph Marie, né le 4 juin 1895 à Tréboul — commune ultérieurement rattachée à Douarnenez — (Finistère) et y domicilié, mort le 6 août 1917, « à bord du patrouilleur Jeanne-et-Geneviève des suites des blessures reçues pendant le combat avec un sous-marin ». Matelot de 3e classe sans spécialité, Direction ddes mouvements du port de Lorient, inscrit au quartier de Douarnenez, n° 11.095 (Acte de décès transcrit le 3 nov. 1917 à Tréboul).
Citation : « Tué le 6 août 1917 en accomplissant son devoir au cours d'un engagement avec un sous-marin ennemi. » (Netmarine : « Les héros maritimes français de la Première guerre mondiale »).
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Distinctions honorifiques
• L’Ouest-Éclair — éd. de Caen —, n° 6.499, Vendredi 24 août 1917,
p. 4, en rubrique « Nouvelles maritimes~ La guerre sur mer ».
« Récompenses à des braves.
PARIS, 23 août. — Le vapeur américain Campana était torpillé et coulé par un sous-marin. Mais il avait pu appeler au secours. Un bâtiment français l’avait entendu. Celui-ci, en arrivant sur le lieu du naufrage, fut son tour attaqué au canon et à la torpille. Il riposta énergiquement, malgré les pertes que lui infligea le feu meurtrier du sous-marin et l’obligea à disparaître.
Le ministre de la Marine a cité à l’ordre, de l’armée le second maître Le Stum le quartier-maître Le Foll, les matelots Moalic [lire : Moallic], Meynien [lire : Meynieu], tués en accomplissant leur devoir. Cinq médailles et dix croix de guerre ont été accordées à des officiers ou marins pour leur brillante conduite au cours de ce combat. Leur commandant le lieutenant de vaisseau Esteva, déjà blessé précédemment et cité à l'ordre de l’armée, est inscrit pour le grade supérieur ; l’enseigne de vaisseau auxiliaire Delignac (*) reçoit la croix de la Légion d’honneur. »
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(*) — DELIGNAC Arthur Jean, né le 25 décembre 1877 à Talais (Gironde), décédé le 1er août 1953 à Nantes (Loire-Inférieure — aujourd’hui Loire-Atlantique), au lieu-dit Ranzay, sis route de Saint-Joseph.
Capitaine au long-cours, inscrit au quartier de Pauillac, n° 67. Par décret du 5 mars 1919 (J.O. 8 mars 1919, p. 2.502), nommé au grade d’enseigne de vaisseau de 1re classe dans la réserve de l’armée de mer.
• Fils de Polydore DELIGNAC et de Jeanne GAYNE. Époux de Marie Gabrielle LAURENS. [Base Léonore, Dossier 19800035/0138/17429].
En Mars 1904, à Lorient, admis au brevet ordinaire de capitaine au long-cours (théorie) étant inscrit à Bordeaux (L’Ouest-Éclair — éd. de Rennes —, n° 1.685, Jeudi 31 mars 1904, p. 5, en rubrique « Marine et colonies. »).
En 1906, embarqué en qualité de capitaine sur le trois-mâts barque Geneviève-Molinos, de la Société des voiliers français (L’Ouest-Éclair — éd. de Rennes —, n° 3.364, Samedi 26 mai 1906, p. 4, en rubrique « Dépêches maritimes ~ Marine de commerce.»).
□ Par arrêté du Ministre de la Marine en date du 22 août 1917 (J.O. 24 août 1917, p. 6.751), inscrit au tableau spécial de la Légion d’honneur pour le grade de chevalier dans les termes suivants : « M. Delignac (Arthur-Jean), enseigne de vaisseau de 1re classe auxiliaire : officier d’une modestie et d’un dévouement à toute épreuve. Grièvement blessé lors d’un engagement avec un sous-marin ennemi, perdant son sang en abon-dance, n’en a pas moins continué son service, allant jusqu’à aider à l’approvisionnement d’une pièce dont plusieurs servants étaient hors de combat (Croix de guerre). »