Bonjour à tous,
BERTHILDE
Navire équipé d’une pièce de 90 mm à l’avant et d’une pièce de 47 mm à l’arrière
Rapport d’enquête
J’ai procédé à l’enquête réglementaire sur les évènements qui ont causé la perte de BERTHILDE en interrogeant les 21 survivants actuellement en subsistance sur TOURVILLE. Les renseignements obtenus se résument ainsi :
BERTHILDE appareilla de Corfou le Mercredi 11 Juillet à 18h00 heure d’Europe orientale. Après avoir doublé Paxos vers 21h00, a fait route au S65W sur Messine jusqu’au lendemain 07h00 du matin. Venu alors au S75W, le commandant, le LV Ohl, croyant devoir redresser la route pour combattre la dérive occasionnée par la brise qui soufflait assez fraîche d NW. Vitesse du bâtiment 8,5 nœuds environ.
LE 12 Juillet à 16h00, au moment où le bâtiment se trouvait à 20 milles à l’Est de la pointe Stilo (côte Sud de l’Italie), le sillage d’une torpille fut aperçu à très courte distance, une quinzaine de mètres seulement, par bâbord sur l’arrière du travers. Elle était faiblement immergée. Le commandant Ohl, qui se trouvait sur la passerelle eut à peine le temps de s’écrier « Nous sommes torpillés », que l’explosion se produisit. Il commanda alors : « Mes enfants, aux embarcations et paré à tirer au canon si vous voyez le sous-marin ».
Le bâtiment, frappé à bâbord à hauteur de la cale arrière, s’enfonça par l’arrière sans s’incliner et coula en une minute, si rapidement qu’il fut impossible même de toucher aux embarcations. Aucun signal de détresse ne put être envoyé par TSF, le moteur à explosion n’ayant pu être mis en marche. Les hommes n’eurent que le temps de se munir de leurs ceintures de sauvetage et de lancer quelques madriers à la mer, puis de se jeter à la nage pour éviter d’être entraînés dans le remous du navire qui coulait.
Pendant que le navire s’enfonçait, on entendit un bruit sourd, semblant provenir d’une explosion de chaudière, et l’on vit le mât avant et les cheminées tomber. C’est ainsi que fut blessé le 1er maître de timonerie Robelet, actuellement à l’hôpital en Italie et qui était de quart sur la passerelle, et que fut probablement tué l’Enseigne de Vaisseau de 2e classe Maisonneuve des Chapelles, second du bâtiment, qui compte parmi les disparus au nombre de 25.
Parmi les 5 embarcations dont disposait le bâtiment, la pétrolette seule resta à flot, droite et en bon état. Les 28 survivants se dirigèrent sur elle et s’y réfugièrent. Parmi eux se trouvait le commandant Ohl qui prit la direction du sauvetage et fit recueillir tous les hommes qui surnageaient dont plusieurs blessés. Pendant que la pétrolette faisait des recherches, le sous-marin émergea près des épaves et s’approcha d’elle. Il montra son pavillon autrichien tenu à la main, puis il l’accosta et un officier du sous-marin posa en bon français les questions suivantes :
- « Quel est le bateau que nous venons de torpiller ? »
- « BERTHILDE »
- « Aviez-vous la poste ? »
- « Non »
- « D’où venez-vous ? »
- « De Corfou »
- « Où allez-vous et quoi faire ? »
- « A Bizerte chercher une citerne »
- « Quoi ! Mais quel est ce bateau ? »
- « Un bateau de sauvetage »
- « Avez-vous des blessés ? »
- « Oui »
L’officier fit alors monter à son bord le 1er maître Robelet et le matelot sans spécialité Canessa qui étaient les plus grièvement blessés pour leur faire des pansements sommaires. On les remit ensuite dans l’embarcation.
Le commandant du sous-marin demanda alors qui était le capitaine de BERTHILDE et, comme on ne lui répondait pas, il renouvela sa question, et le commandant Ohl, qui pourtant avait enlevé son veston et sa casquette, se présenta. Il lui fit signe de monter sur le sous-marin. Il prit ensuite l’embarcation à la remorque et la conduisit jusqu’à 5 milles de la pointe Stilo où il l’abandonna. Au moment où il s’éloignait emporté par le sous-marin, le commandant Ohl cria : « Courage mes enfants, vous n’êtes plus qu’à 5 milles de terre ».
Vers 20h00, un peu avant la nuit, la pétrolette accosta à l’aviron sur la plage de Monasterace où les 27 survivants qu’elle contenait débarquèrent et furent recueillis avec empressement et traités avec la plus grande sympathie par les douaniers italiens et le personnel du sémaphore auxquels de chauds remerciements devraient être adressés, me semble-t-il.
Voici cette plage de Monasterace et le sémaphore de Cabo Stilo
Les 6 blessés furent dirigés presque aussitôt sur l’hôpital de Melito di Porto Salvo et je signale, après enquête, le dévouement témoigné en la circonstance par le commandant de la brigade de carabiniers et le chef de gare de Monasterace auxquels des remerciements pourraient être également adressés.
Les 21 valides furent dirigés le lendemain sur Reggio où le consul de France les fit habiller le mieux possible. Le 15 Juillet ils prirent le train pour Tarente et embarquèrent le lendemain sur NUMIDIA pour rentrer sur Corfou.
Etant donné les circonstances dans lesquelles s’est perdue BERTHILDE, il n’est pas douteux que tous les documents qu’elle possédait ont coulé avec elle et qu’aucun d’eux n’a pu tomber dans les mains de l’ennemi.
Sans pouvoir signaler d’une façon bien spéciale la conduite de quelques uns, je crois pouvoir déclarer que le commandant et l’équipage de BERTHILDE ont fait tout leur devoir.
Ci-joint la liste du personnel du bâtiment avec indication des survivants et des disparus ainsi que les dépositions des principaux témoins.
Description du sous-marin
Longueur 40 à 50 m et faible déplacement (environ 300 tonnes)
Kiosque ou blockhaus, et sur toute la longueur jusqu’à l’arrière une superstructure de 20 cm de hauteur et de 1m de largeur
Devant le kiosque un canon semblant de 57 mm fixé à demeure
Pas de projecteur
Pas de garde anti-filets apparente
Ce sous-marin portait l’indication U4 sur le kiosque, en lettres de 30 cm de hauteur
Deux périscopes de même longueur sortant du kiosque
Mât TSF rabattu sur le pont
Sous-marin vert foncé avec kiosque gris clair
Pas d’embarcation
Muni d’une barre d’assiette à l’extrême arrière, laquelle émergeait
Deux tubes lance-torpille à l’avant situé à 50 cm sous la ligne de flottaison quand le sous-marin était en surface
Tous les renseignements sur le sous-marin ont été fournis par le maître de timonerie YZAC qui a été embarqué pendant 8 ans sur nos sous-marins et peuvent donc être considérés comme très sérieux.
Voici la silhouette qu’il a dessinée
Il y avait à bord un commandant et deux officiers en kaki, tandis que les hommes étaient en gris.
Déposition du maître de timonerie YZAC
Cette déposition est celle qui est reprise presque mot pour mot par l’officier enquêteur dans son rapport, avec les précisions suivantes :
- C’est Yzac qui a perçu la torpille
- Le sous-marin s’est d’abord dirigé vers une embarcation qui flottait quille en l’air pour tenter de la redresser. Ayant constaté qu’elle était trop démolie pour servir, il s’est approché de la pétrolette et un homme du sous-marin s’est jeté à la mer pour venir prendre la bosse avec laquelle ils ont tiré le canot le long de leur bord.
- Après avoir largué la pétrolette à 5 milles de terre, le sous-marin a fait route à l’Est.
Déposition du QM mécanicien CLEMENCON
J’étais de quart dans la machine au moment où la torpille a explosé et j’ai entendu un choc par bâbord. L’eau est aussitôt entrée dans la machine, accompagnée d’une fumée noirâtre venant du tunnel et prenant à la gorge. J’ai stoppé la dynamo et j’ai voulu fermer le registre, mais l’eau montait si vite que je n’ai eu que le temps de m’échapper par la montée des chaufferies.
En traversant les chaufferies, j’ai dit : « Les gars, nous sommes torpillés ; sauve qui peut, il est temps ». J’ai indiqué qu’il fallait monter par les chaufferies, mais un chauffeur ne m’écouta pas et voulu fuir par la machine. Il y a trouvé la mort.
Une fois sur le pont, je vis en regardant l’arrière que l’eau couvrait déjà la moitié du bâtiment et voulus monter sur le gaillard. Mais un jet de vapeur sortit de la cheminée et tout le pont vola en éclat. Le mât et les cheminées tombèrent. Je me jetai à l’eau par bâbord et le bâtiment disparut en moins d’une minute. Je me dirigeai vers la vedette et restait le long du bord jusqu’à ce que les blessés aient été recueillis. En montant dans la vedette, je vis que le sous-marin approchait en déployant son emblème national, un pavillon autrichien tenu à la main. Il nous fit signe d’approcher, tandis qu’il tentait de redresser notre baleinière qui était chavirée.
Une fois accostés près du sous-marin, un officier nous demanda : -« Quel est le bateau que nous venons de torpiller ? » et nous répondîmes « BERTHILDE ».
La suite de la déposition est reprise mot pour mot par l’officier enquêteur.
Lettre du commandant OHL écrite le 17 Décembre 1919 de Saïgon – Base du Cap Saint Jacques
Il semble qu’aucune récompense n’ait été accordée aux survivants de BERTHILDE, mis à part un TOS, et en 1919, le commandant Ohl adressera la lettre suivante à l’un de ses anciens chefs (non identifié)
Commandant,
Vous excuserez la démarche que je fais auprès de vous, mais je sais que je peux en toute confiance m’adresser au chef et à l’ami pour réparer un oubli commis vis-à-vis du bateau de sauvetage BERTHILDE que j’ai eu l’honneur de commander pendant la guerre.
Il y a trois jours seulement, j’ai lu le Journal Officiel du 15 Octobre portant citation à l’Ordre de l’Armée de 27 bâtiments de l’Armée Navale disparus du fait de l’ennemi et j’ai été douloureusement surpris en ne voyant pas sur cette liste le nom de BERTHILDE.
Vous êtes certain, n’est-ce pas, Commandant, que si je demande que le bateau de sauvetage BERTHILDE soit ajouté à la liste, il n’y a là de ma part aucun but personnel. Pendant cette guerre, je n’ai jamais rien demandé pour moi, sauf de rentrer en France pour me battre et, ayant un bateau de tout repos comme le RHONE, d’en avoir un autre faisant un service de guerre plus actif.
Après le conseil de guerre et l’acquittement si élogieux qui en fut la conclusion, je n’ai fait de démarches que pour faire récompenser mon personnel et, grâce à vous, les braves disparus ont eu les citations qu’ils méritaient.
C’est encore pour l’équipage de BERTHILDE et pour l’honneur du bateau lui-même que je demande que son nom soit ajouté à la liste de ceux déjà cités, au même titre que VENUS II, ITALIA, GOLO II et d’autres encore.
Le torpillage de BERTHILDE eut lieu dans des conditions particulièrement tragiques. Bateau pris aux Boches, saboté par eux, il fut réparé à Salamine et vide, sans matériel d’armement, sans outillage, sans matières consommables, sans essais, pouvant donner 13 nœuds mais ne parvenant pas à en dépasser 10 sans provoquer des échauffements aux tiges de pistons, il fut envoyé à Corfou où je remis mon rapport de prise de commandement en demandant à être envoyé dans un arsenal (Bizerte ou Malte) pour en faire l’armement. Sur ordre du Commandant en Chef, la base d Corfou et les bâtiments de l’Armée firent tous leurs efforts pour armer BERTHILDE et le mettre en état de naviguer, mais sans y réussir car, lorsque le 11Juillet je reçus la mission de me rendre à Bizerte pour prendre la coque du PHLEGETON (Nota : une vieille canonnière cuirassée de 1892 rayée du service) et la ramener à Corfou où elle devait servir de but aux bâtiments de l’Armée Navale, je me trouvai dans les conditions suivantes :
- Equipage pris dans l’Armée Navale et ignorant presque complètement ce qu’était un service de veille
- Pénurie complète de matériel de navigation : pas de montre, pas de chronomètre, pas de cartes, pas de longue-vue et une seule paire de jumelles à bord.
- A l’avant une pièce de 90 de guerre avec une vitesse de tir évaluée aux essais de Salamine à 1 coup par minute avec 7 hommes nécessaires à sa manœuvre.
Nous fûmes torpillés 24 heures après notre départ à 30 milles dans l’Est de Spartivento. Moins d’une minute après le choc, BERTHILDE avait disparu, mais aussi 25 hommes, tués par l’explosion, ou n’ayant pas eu le temps matériel de monter du fond du bâtiment, ou parce qu’ils sont restés à leur poste jusqu’à la dernière minute, comme l’armement de la pièce avant, ou comme ceux qui sur mon ordre ont tenté de mettre les embarcations à la mer. Moi-même, n’ayant pas quitté la passerelle et ayant disparu dans le tourbillon, je ne dus qu’à une chance inespérée de revenir à la surface et d’être recueilli par la seule embarcation ayant flotté.
Tout le monde a montré le plus grand calme et fait son devoir. Le Commandant en Chef le reconnaissait lui-même en accordant quelques jours après, en Août 1917, c’est-à-dire avant tout conseil de guerre, un Témoignage Officiel de Satisfaction aux officiers et à l’équipage du bateau de sauvetage BERTHILDE pour leur conduite lors du torpillage. Le Conseil de Guerre s’est tenu en Mars 1919, à mon retour de captivité et a acquitté le commandant avec les félicitations que je me permets d vous envoyer. De nombreuses relations témoignent encore que l’on avait rien à reprocher au personnel dans l’accomplissement de son devoir, rempli jusqu’au bout.
Le bateau de sauvetage BERTHILDE était peu connu. L’oubli est donc excusable dans les journaux officiels qui ont suivi celui du 15 Octobre et ont réparé d’autres oublis comme DUPETIT THOUARS, AMIRAL CHARNER…etc
Je m’adresse en toute confiance à vous, Commandant, pour réparer celui commis vis-à-vis de BERTHILDE que j’avais l’honneur de commander.
J’espère qu’il sera encore temps. J’ai malheureusement quitté Marseille le 17 Octobre sans avoir vu le JO du 15, et le service postal entre France et Indochine est tellement irrégulier que cette lettre ne vous parviendra pas avant le 20 Janvier 1920. Je suis à Saïgon depuis le 12 Novembre, hors cadre, et j’ai repris mon service au pilotage de la rivière de Saïgon.
Veuillez croire, Commandant, à tous mes remerciements et être assuré de mes sentiments respectueux et dévoués.
Voici la signature du commandant Ohl
Cdlt