Bonjour à tous,
BOUTEFEU
Rapport du commandant, LV CHAUVIN, au CF commandant la 6e escadrille de torpilleurs
Je vous rends compte des circonstances dans lesquelles BOUTEFEU a coulé dans les passes de Brindisi le 15 Mai 1917 à 14h45.
BOUTEFEU, mouillé entre les deux barrages sous le château de la mer, a reçu à 14h25 l’ordre de se joindre aux 2 torpilleurs italiens de haute mer et de se porter au devant du DARTMOUTH torpillé.
(Nota : ce croiseur anglais fut torpillé par l’UC 25 de l’Oblt. Johannes Feldkirchner, le même qui a mouillé la mine cause du naufrage de BOUTEFEU. Il semble donc que le torpillage ait eu lieu le 15 Mai et non le 16 Mai comme indiqué sur uboat.net)
Sitôt l’ancre à poste, l’équipage a été mis aux postes de combat, personnel de quart seulement dans machine et chaufferie, défense au personnel inoccupé de séjourner inutilement dans les compartiments intérieurs, ceintures de sauvetage capelées. Un homme fut envoyé en vigie dans la hune.
En sortant du barrage extérieur, vitesse portée de 15 à 19 nœuds, puis à 22,5 nœuds. Très beau temps, brise de Nord force 3 rabattant la fumée sur l’arrière, clapotis.
Arrivé à 1200 m du point où le chenal de sécurité quitte la direction du Nord, BOUTEFEU trouve devant lui 2 dragueurs de mines en ligne de front. Deux torpilleurs italiens qui étaient sortis avant nous avaient déjà pris la route au N25E et se trouvaient à environ 2000 m par tribord. Cette circonstance me détermina à déboiter sur tribord plutôt que sur bâbord pour dépasser les dragueurs et rallier plus rapidement mes conserves.
Je venais de reprendre la route au Nord, ayant paré les flotteurs de drague, quand une violente explosion se fit sentir sur bâbord, par le travers du compartiment machine avant. Le pont au dessus des machines fut complètement bouleversé. De violents jets de vapeur s’échappèrent aussitôt. Une seconde détonation se fit entendre aussitôt après, provenant de l’explosion de la chaudière n° 4. Puis le bâtiment se cassa en deux et l’avant et l’arrière s’enfoncèrent, les extrémités se relevant. En une minute, tout fut englouti.
Quand j’ai quitté le bord, l’avant était relevé de 45°. Placé sur le pont à bâbord des cheminées, j’avais de l’eau jusqu’à la ceinture. Il n’y avait plus personne à bord.
L’attitude de l’Etat Major et de l’Equipage a été parfaite de calme et de discipline.
Un groupe d’une vingtaine d’hommes était à bâbord et s’apprêtait à se jeter à la mer. Je leur ai demandé d’amener d’abord le youyou et la baleinière qui étaient près d’eux. Ils ont obéi instantanément. Personne, à cet endroit qui était le seul où je pouvais encore exercer mon commandement, n’a quitté le bord avant que je n’ai dit « Allez maintenant ».
L’EV 1 Villiers-Moriamé et le second maître de timonerie Raymond Luisière se sont particulièrement distingués par leur sang froid, leur dévouement et leur mépris du danger. Sur l’arrière des cheminées, près du lieu de l’explosion, le second maître mécanicien Antoine Roubaud a fait preuve des mêmes qualités. Avant de songer à sa conservation personnelle et alors que le navire allait être englouti, il s’est porté successivement au secours du premier maître mécanicien pris sous l’établi renversé du charpentier, et de l’officier en second engagé dans des filets garde-corps.
Sur la plage arrière, Monsieur l’EV2 Monech, le second maître fourrier Guillermic et le QM TSF Le Castrec n’ont quitté le bord qu’à la dernière extrémité après avoir réussi à mettre à l’eau les radeaux de sauvetage et les berthons qui se trouvaient près d’eux.
Quand l’avant s’est dressé verticalement, deux grenades ont explosé, blessant un certain nombre d’hommes qui étaient à l’aplomb de l’étrave. Toutes les grenades avaient cependant leurs trous bouchés par des chevilles maintenues en place par des bandes de caoutchouc.
Des secours très rapides ont été apportés par les torpilleurs et remorqueurs italiens et par les embarcations des bâtiments situés dans le port extérieur. L’explosion du BOUTEFEU a coûté la vie à 11 braves serviteurs de la Marine et de la Patrie :
- Le second maître torpilleur Thomazo et le matelot torpilleur Le Gall ont été tués à leur poste de combat aux tubes, à l’aplomb même de l’explosion.
- Le second maître mécanicien Liziar, les QM mécanicien Biamouret et Rouche et le matelot mécanicien Bancharel ont été tués à leur poste de combat, dans la machine, lieu de l’explosion.
- Le QM mécanicien Dufrêne, le QM chauffeur Kervellec et le matelot chauffeur Brient ont été tués à leur poste de combat dans la chaufferie arrière où la chaudière n° 4 a explosé.
- Le QM chauffeur Yves Le Guen, non de quart, se trouvait sur le pont.
- Le matelot charpentier Sibila a été tué à son poste de combat à la pièce de 65 mm Td arrière.
De nombreux hommes ont été blessés et sont en traitement à l’hôpital de Brindisi. Le nombre de survivants est de 77, dont 4 absents légalement.
Il est difficile de dire si l’explosion est due à une mine où à une torpille. Mais si c’est une mine, ce ne peut être qu’une mine ennemie, car la zone des mines italiennes était, au moment de l’explosion, largement franchie, et aucun mauvais temps n’étant survenu depuis une longue période, il ne saurait être question d’une mine ayant dérivé.
Cette mine ennemie a du être mouillée par un sous-marin, et l’hypothèse d’un sous-marin autrichien s’aventurant aussi près des barrages n’est pas invraisemblable. Certains de nos sous-marins font les mêmes incursions jusqu’aux barrages des ports ennemis.
De nombreux sous-marins ennemis étaient à la mer ce jour-là. L’explosion s’est produite à 40 m de l’avant, au moment où le bâtiment faisait route en ligne droite. Il faudrait donc que la mine ait ragué le long du bord sur toute cette longueur avant d’exploser. BOUTEFEU avait une différence de tirant d’eau légèrement négative. Si c’est une mine, elle a échappé que de quelques dizaines de mètres au dragueur passé avant nous.
Au moment de signer ce rapport, j’apprends que l’on a découvert un champ de mines ennemi au voisinage du chenal de sécurité. L’hypothèse d’une mine est donc très vraisemblable.
Il faut observer qu’aucun des survivants n’a vu de sillage de torpille.
Rapport du CV FROCHOT, commandant la Division des flottilles de l’Adriatique, au Ministre
BOUTEFEU, envoyé au secours du DARTMOUTH torpillé à 35 milles au large de Brindisi, a été détruit par une explosion sous-marine à 4000 m dans le N27E du sémaphore. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une mine dérivante presque immergée entre deux eaux. Cependant, l’hypothèse d’une torpille n’est pas à rejeter à priori. Explosion très forte, gerbe énorme, BOUTEFEU a sombré en une minute et demie. Tout l’équipage avait des ceintures et cette précaution fait que nous ne déplorons que la perte de 11 personnes sur un équipage de 88. Secours immédiats et très abondants.
Le Vice Amiral Thaon di Revel et le Contre Amiral Acton m’ont fait porter l’expression de leurs regrets pour ce malheur.
Le commandant de BOUTEFEU se loue du calme et de la fermeté témoignés par l’Etat Major et l’Equipage du bâtiment.
NB : Plusieurs mines ont été trouvées au Sud de la position où a eu lieu l’explosion du BOUTEFEU. On peut donc considérer que sa perte est due à une mine mouillée.
Note du CV Frochot au Ministre. 24 Mai 1917
Dans son rapport d’enquête, le CF commandant la 6e escadrille place le lieu de l’explosion qui a détruit le BOUTEFEU à 250 m de l’alignement de sécurité.
Je me suis entretenu avec le CV Vivian, commandant le croiseur LIVERPOOL, senior british naval officer à Brindisi. Cet officier supérieur m’a informé que d’après les mesures précises faites par son officier de navigation qui était sur le pont du LIVERPOOL à 1300 m du BOUTEFEU, ce point est en fait exactement sur l’alignement de sécurité.
LIVERPOOL était mouillé en dedans des barrages, au point indiqué sur le plan ci-joint.
Ce témoignage d’un officier qualifié, qui était sur la passerelle de LIVERPOOL à proximité du compas et du télémètre dont il s’est servi aussitôt pour fixer la position de la gerbe, a une valeur capitale pour la défense du commandant du BOUTEFEU auprès du Conseil de Guerre.
J’ai demandé au commandant Vivian de faire établir un rapport authentique par son officier de navigation.
Nota : Sur cette carte moderne du port de Brindisi, on voit qu’une grande digue a été construite, qui protège l’entrée Nord du port, tandis qu’une petite digue relie Isola Pedagne Grande à la terre. BOUTEFEU a donc coulé au Nord de la digue actuelle. On peut d’ailleurs se demander si l’obstruction signalée à 11 m sur la carte actuelle n’est pas un vestige du contre-torpilleur…
Note de Juin 1917 sur la mine allemande draguée après l’explosion du BOUTEFEU
Même principe et même fonctionnement que la mine italienne 1914/125 kt décrite dans la brochure ci-jointe. Mais elle en diffère par quelques détails.
- Poids 510 kilos
- Au lieu d’être sphérique, la mine est composée d’une partie cylindrique de 88 cm de diamètre fermée à chaque extrémité par une partie hémisphérique. Hauteur 1,20m. Le bouchon supérieur en bronze a été supprimé et son logement obturé à l’autogène. Il est remplacé par deux bouchons semblables placés à côté de deux antennes diamétralement opposées.
- Le cylindre porte étoupille est en bronze blanc et terminé par deux oreilles qui reçoivent le porte étoupille proprement dit. Les bornes d’arrivée du courant n’ont subi aucune modification. Ce cylindre porte une rainure dans laquelle s’engage le téton guide de la douille D qui sert de logement au cylindre. La douille est fixée sur le corps de la mine et porte à sa partie inférieure un presse-étoupe à tresse dont le serrage est réglé par un anneau en bronze. Il assure l’étanchéité et c’est le seul organe qui empêche, par son frottement, le cylindre de quitter son poste. La cannelure que porte ce cylindre est sans doute destinée à augmenter ce frottement. Quand le téton guide est engagé dans l’encoche E, la mine est inoffensive, les languettes de prise de courant de l’étoupille électrique ne se trouvant plus en face des bornes d’arrivée du courant.
- L’étoupille électrique de la mine porte les mentions Janvier 1917 ; 2 volts. 0,89 ampère
La mine italienne 1916/125 kt est identique à cette mine allemande 1917, sauf en ce qui concerne le poids de la charge qui a été augmenté. L’absence de courant permet de sacrifier un peu de la flottabilité.
Cdlt