Bonjour à tous,
MAGELLAN (Cie Bordes)
Rapport du capitaine écrit le 8 Janvier à La Rochelle
Quitté Iquique (Chili) le 18 Novembre 1917 avec un complet chargement de 7200 tonnes de nitrate pour la France. Passé lé canal de Panama le 7 Décembre. Charbonné le 12 Décembre à Saint Thomas. Le consul d’Angleterre à Iquique nous a signalé la présence d’un quatre-mâts à moteur suspect dans le Pacifique. Le consul de France à St Thomas ne nous a donné aucune instruction mais a délivré un certificat comme quoi nous avions reçu les règlements de police de la navigation.
Le 26 Décembre à 11h15, par 43°15 N et 13°00 W Greenwich, par mer grosse de NE/NNW, violente explosion à bâbord dans la chambre des chaudières, juste sous le travers de la cheminée qui est couverte par le charbon des soutes. Il n’y avait rien en vue et les hommes de veille dans la mâture, sur la passerelle avec l’officier de quart et sur le roof arrière n’ont rien signalé. Le timonier Gilbert déclare avoir vu un bouillonnement par le travers bâbord à 5 ou 6 brasses au plus, juste avant la déflagration. Depuis deux jours, la vitesse était réduite à 7 nœuds à cause du mauvais temps.
Les 4 chauffeurs de quart, Audren, Nicol, Le Rolland Ludovic, Le Rolland Emile, et le soutier de quart Manselon furent tués sur le coup et les compartiments chaufferie et machine instantanément envahis. Mise aux postes de combat par le second, puis les hommes sont envoyés aux embarcations car l’ennemi ne se montrait pas et le milieu du navire commençait à être balayé par la mer. La baleinière de bâbord avait été coupée en deux par l’explosion. Il restait les deux embarcations sous le vent qui furent respectivement amenées par Monsieur VERDES, 2e lieutenant et 17 hommes, et Monsieur Le Tarin, 1er lieutenant et 15 hommes. L’embarcation qui restait au vent fut amenée par Monsieur Le Friant, 2e capitaine, qui resta néanmoins à bord avec moi et les matelots Le Goff (Joseph) et Petibon. Les documents secrets et les papiers du bord furent détruits, ainsi que les journaux.
L’opérateur TSF ne put mettre son moteur en marche. Un peu avant midi, j’ai fait faire une visite dans tous les logements par les hommes précités restés avec moi. Le navire s’enfonçait lentement et pour gagner l’arrière, je dus passer avec de l’eau jusqu’à mi corps dans la partie centrale du navire. L’eau s’engouffrait dans les coursives de la machine. En attendant que le second et les deux matelots soient revenus de leur visite des logements, je descendis dans les logements arrière pour m’assurer qu’il n’y restait personne. Nous avons embarqué tous les 4 dans l’embarcation qui restait le long du bord avec le 2e mécanicien. Elle frappait violemment contre les flancs du navire et se disloqua l’avant. Elle fit alors de l’eau en abondance, même lorsque plus tard nous allions à l’aviron, et un homme fut chargé de l’assécher en permanence.
Il était midi et MAGELLAN était toujours droit. Rien en vue. Monsieur Le Tarin passa quatre hommes à Monsieur Verdes qui avait la plus grande embarcation, et m’en donna un. Monsieur Le Tarin avait avec lui le chauffeur Evanno, brûlé aux pieds et aux mains. Je lui ai donné la route Est vrai pour le cap Villano et l’ai prié de la communiquer à Monsieur Verdes. Nous sommes restés sur les ancres flottantes à attendre le dénouement.
Nous avons alors aperçu un périscope, à toucher les embarcations. A 13h00, MAGELLAN, toujours droit, avait tout le milieu sous l’eau. Il s’inclina un peu sur bâbord et se mit debout, puis coula par l’arrière. Il était 13h37 et le sous-marin apparut alors en surface tandis que je donnais le signal de l’appareillage. Il nous rattrapa et, après avoir parlé à Monsieur Verdes, vint me donner l’ordre de le ranger. Je subis un interrogatoire tandis que les deux autres canots nous dépassaient. Le commandant du sous-marin m’a demandé en anglais nom du navire, nationalité, armateur, effectif de l’équipage, provenance et destination, nature et tonnage de la cargaison et consignataire. Il nous a ensuite indiqué d’un geste de la main que nous pouvions faire route.
L’embarcation de Monsieur Le Tarin, mieux voilée (deux voiles) était en tête. A la tombée de la nuit, les deux autres embarcations n’étaient plus en vue.
La nuit fut très dure avec grosse mer de WNW. L’embarcation, fatiguée par son voilage, faisait beaucoup d’eau. Nous étions trempés par les embruns et plusieurs hommes n’étaient presque pas vêtus. Dès le 2e jour, tous avaient les pieds enflés. Le 29 après midi, le temps s’améliora. Vers 14h00, nous avons rattrapé le canot de Monsieur Le Tarin qui laissa porter sur nous. Ses hommes étaient à moitié morts de froid et son canot faisait de l’eau quand il établissait la misaine. Il me demanda de naviguer de conserve, en vue l’un de l’autre jusqu’à 18h00. Il réduisait la toile quand il me dépassait et faisait ralliement dans les grains. Mais à 22h00, son canot, beaucoup plus rapide disparut sur l’avant.
Le temps s’était beaucoup amélioré et au jour, nous étions en vue de terre à 40 milles, mais avec du calme. A 10h00 le 30, nous avons commencé à ramer sans interruption jusqu’à l’arrivée le 31 à 10h00. Dans l’après midi du 30, j’ai vu loin devant nous, mais plus au Sud, l’embarcation de Monsieur Le Tarin.
Je suis arrivé le 31 à 10h00 à Guardia, Espagne. Mes hommes étaient extenués et je leur ai fait donner de suite du vin chaud et des lits, et distribué des vêtements. La population nous a très bien accueillis et s’est montrée très charitable. Le consul du Portugal s’est mis à ma disposition et a fait les avances nécessaires. Le consul de France à Vigo est venu nous rendre visite et je l’ai prié d’envoyer un vapeur de pêche à la recherche de l’embarcation de Monsieur Le Tarin. Mais il est revenu le 1er Janvier sans avoir rien trouvé.
Rapport d’interrogatoire des officiers
Chef mécanicien CHARLEMAGNE était sur le parquet supérieur de la machine au moment du torpillage. La cloison qui séparait la chaufferie de la machine n’était pas étanche. Les deux compartiments communiquaient par deux portes ordinaires sans aucun système d’étanchéité. L’explosion a eu lieu à bâbord par le travers du groupe arrière des chaudières. La chaudière bâbord arrière a du faire explosion car les brûlures du chauffeur Evanno, en traitement à l’hôpital de Camilhas au Portugal, ne peuvent s’expliquer que par l’explosion de cette chaudière. Au moment de l’explosion, il se trouvait à la chaudière auxiliaire située exactement au dessus de cette chaudière bâbord.
Monsieur Charlemagne a remarqué que la machine a stoppé d’elle-même au moment de l’explosion et que le compartiment machine a été immédiatement envahi par la vapeur. Une minute après l’explosion l’eau recouvrait complètement les cylindres ce qui ne peut s’expliquer que par une déchirure énorme.
Personne de la chaufferie n’a pu se sauver.
Le 1er lieutenant LE TARIN confirme qu’on avait reçu dans la journée précédant l’accident plusieurs « Avis de Guerre » et que l’un d’eux signalait la présence d’un sous-marin aux environs de Gibraltar. Ces avis étaient directement envoyés au commandant et les officiers n’en avaient pas connaissance.
Le commandant a fait tout son devoir et a débarqué le dernier après avoir fait une ronde générale. L’équipage a embarqué dans les canots sans aucun désordre.
L’élève de la Marine Marchande OULHEN était dans le canot commandé par Monsieur Le Tarin avec 16 hommes dont le chef mécanicien, le 3e mécanicien et le 4e mécanicien. Ils sont restés dans l’embarcation du 28 Décembre à 11h20 au 31 Décembre à 07h00 et ont débarqué à Praya de Ancona (Portugal) à l’embouchure du Minho. Le chauffeur Evanno, brûlé, réclamait sans cesse à boire.
Ils ont été recueillis par la Croix Rouge portugaise et très bien soignés. Ils ont été rapatriés par les soins du consul de France à Porto.
Le MAGELLAN était à son 9e voyage sur Iquique depuis le début de l’année 1915 et avait transporté plus de 60000 tonnes de nitrate vers la France.
Le 2e lieutenant VERDES a atterri avec son embarcation à Vigo le 31 Décembre à 17h00. Il avait été rencontré le même jour à 10h00 par le chalutier espagnol MARUCA qui avait récupéré les naufragés et pris leur canot en remorque. Cette embarcation était montée par 18 hommes et les Espagnols se sont très bien conduits.
Le QM TSF MALLET déclare avoir tenté à plusieurs reprises de mettre en marche le moteur qui n’a pu fonctionner, étant sans doute désaxé par l’explosion.
Description du sous-marin
80 m de longueur
Couleur gris verdâtre, peinture fraîche
Pont entouré de batayolles avec filière en acier, au ras de l’eau. Légèrement arrondi et partie avant légèrement surélevée.
Gouvernail de direction à l’arrière en forme de voute-pont, complètement dégagé. Manœuvre rapide.
Un seul canon à 2m sur l’avant du kiosque, à volée longue, probablement de 88 mm, avec traces de rouille. Culasse très massive.
Aucun mât, mais tube métallique rabattu sur le pont tribord, pouvant servir de mât.
Pas de tubes visibles, mais des ouvertures latérales par le travers du kiosque, pouvant servir au passage des tubes (40 à 50 cm de diamètre)
Antenne TSF allant de l’avant à l’arrière et passant au dessus du kiosque
Kiosque à section elliptique à l’avant et carrée à l’arrière, haut de 4 m, avec un seul périscope, prolongé à l’arrière par une plateforme surélevée de 2,5 m au dessus du pont.
Compté 23 hommes, y compris le commandant et son second.
Commandant était de grande taille, rasé, blond, portant une combinaison cirée. Parlait anglais avec un fort accent allemand. Second petit, maigre et brun, avec moustache et barbiche en deux pointes. Aucun des deux n’avait plus de 30 ans.
Le sous-marin n’a pas fait de prisonniers.
Voici la silhouette du sous-marin, dessinée par le second capitaine
Rapport du LV POT commandant le centre AMBC de La Rochelle-Pallice
Veille assurée par le commandant sur la passerelle inférieure, l’officier de quart, Mr. Le Tarin, une vigie (Le Morvan) dans la hune avec des jumelles, le canonnier Bigot à la pièce avant et le canonnier Quinio à la pièce arrière. Par suite du mauvais temps, ce dernier avait quitté la pièce pour veiller à la passerelle. Personne n’a vu le sous-marin avant l’explosion, qui n’a pas été très violente. Le commandant a d’abord cru à une attaque au canon et a appelé aux postes de combat. Un nouvel ordre a mis aux postes d’abandon.
Evacuation sans désordre. L’équipage avait plus de place qu’il n’en fallait dans ces chaloupes prévues chacune pour 50 hommes. Elles en contenaient 17 en moyenne et les approvisionnements, largement calculés en biscuit, endaubage et eau douce ont permis à l’équipage de s’alimenter facilement jusqu’à l’arrivée sur la côte.
Rapport de la commission d’enquête
Il reprend les divers récits et souligne :
MAGELLAN naviguait sans que les autorités consulaires d’Iquique n’aient donné à son commandant la moindre indication sur les routes à suivre ou sur les ports américains où le navire aurait pu trouver un convoi.
L’attaque à la torpille a été facilitée par le fait que MAGELLAN ne zigzaguait pas.
Le fait qu’il n’y ait pas eu de cloison étanche entre machine et chaufferie a contribué à la perte du navire.
Le commandant du sous-marin n’a offert aucune aide aux embarcations, bien qu’elles fussent par mauvais temps à 60 milles de terre.
Pendant leur voyage dans les embarcations, par mauvais temps, les marins ont montré leurs qualités habituelles d’endurance et d’énergie. La conduite de tous, commandant, officiers et équipage mérite des éloges.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’U 43 du Kptlt Waldemar BENDER.
Waldemar Bender, né à Danzig le 28 Décembre 1885, survivra à la Grande Guerre. Il poursuivra sa carrière dans la Kriegsmarine. Il n’avait coulé que 3 navires avec U 76 et 6 avec U 43, dont le vapeur français TUNISIE le 19 Juin 1917.
Nommé Capitaine de Vaisseau le 1er Avril 1932, il deviendra Contre Amiral le 1 Juillet 1942. Il est décédé à Kiel le 6 Décembre 1950.
Voici sa photo prise vers 1942. (Source : forum.valka.cz/topic)
Note du 15 Février 1918 du CF commandant le Front de Mer à l’Administrateur de l’Inscription Maritime de Nantes
« Je prie Monsieur l’Administrateur de l’IM de Nantes de bien vouloir donner l’ordre au Capitaine au Long Cours Bégaud, ancien capitaine du cargo MAGELLAN, domicilié 30 rue Leroy à Nantes, de se rendre sans retard à La Rochelle où il se mettra à la disposition du Commandant de la Marine.
Au cas où le capitaine Bégaud serait absent, je prie Monsieur l’Administrateur de me faire connaître son adresse exacte. »
Le 18 Février 1918, le gendarme qui s’est rendu chez le capitaine Bégaud écrit à la main sur l’ordre de convocation :
« Monsieur Bégaud est en cours de voyage pour se rendre à Norfolk comme Capitaine Inspecteur des voiliers de la maison Bordes réquisitionnés par les Etats-Unis. »
Le 19 Février, l’Administrateur de l’IM de Nantes ajoute sur la convocation :
« Si des renseignements plus précis nous parviennent par la suite, ils vous seront communiqués d’urgence ».
Lettre du 26 Février 1918 du CF commandant la Marine à La Pallice au Sous Secrétaire d’Etat à la Marine de Guerre
J’ai l’honneur de vous informer que la capitaine Louis Bégaud, ancien capitaine du MAGELLAN, a été envoyé en mission aux Etats Unis par la Maison Bordes pour une durée indéterminée. Il n’est donc pas possible de faire l’enquête contradictoire que vous avez prescrite.
A ce sujet, je vous signale que le cargo EUGENE GROSOS, de la Compagnie Havraise Péninsulaire, a quitté Le Verdon le 17 courant pour le Chili, via Colon (Panama). Ce bâtiment doit rapporter en France un chargement de nitrate. Il y aurait intérêt à ce que le consul de France à Colon lui remette des instructions pour son voyage de retour qui aura probablement lieu dans la 1ère quinzaine d’Avril.
Vous trouverez ci-joint le dossier du MAGELLAN.
Note du 8 Janvier 1921 au Ministre de la Marine Marchande. Objet : Dossier cartes de combattants pour Louis Begaud et Gustave Charlemagne
Le vapeur MAGELLAN a été torpillé le 28 Décembre 1917 à 180 milles dans l’Ouest de la côte d’Espagne sans avoir aperçu le sous-marin ou son périscope. Le bâtiment menaçant de couler, le capitaine a ordonné l’évacuation. A l’exception de 5 hommes tués dans la chaufferie par l’explosion, l’équipage entier fut réparti dans trois embarcations qui atterrirent trois jours après, une sur la côte du Portugal et Deux sur la côte d’Espagne.
La traversée dans ces canots fut très dure et le capitaine dit dans son rapport que tous les hommes avaient les pieds enflés. Mais il n’est mentionné dans aucun rapport que des hommes aient eu les pieds gelés. Il n’est cité qu’un seul blessé, par brûlures, qui fut laissé à l’hôpital de Praya de Ancona.
Aucune récompense n’a été accordée au MAGELLAN, d’abord parce que dans les circonstances du torpillage il n’y avait aucune défense possible, mais surtout parce que le capitaine, avant de quitter Iquique, avait délibérément négligé de s’informer des routes à suivre.
Le 30 Mars 1915, le vapeur anglais CROWN OF CASTILLE avait été attaqué au canon, obligé de stopper, puis coulé par bombes et à coups de canon après évacuation. L’équipage de 44 hommes, réparti dans deux canots, avait été recueilli le même jour par le MAGELLAN du capitaine Bégaud.
A cette occasion, MAGELLAN n’avait pas aperçu le sous-marin alors que leur routes avaient du se croiser après le torpillage de CROWN OF CASTILLE.
Le capitaine Bégaud avait alors reçu une médaille pour le sauvetage.
(Commentaire : on se demande un peu comment des instructions de routes à suivre données par un consul au fin fond du Chili mi Novembre auraient pu changer quoi que ce soit au torpillage subi fin Décembre, soit un mois et demi plus tard, au large des côtes d’Espagne. S’il fallait trouver un convoi, c’est à Saint Thomas que les autorités auraient dû s’en préoccuper).
Cdlt