ALINE MONTREUIL
Vapeur armé à Rouen par MM. MONTREUIL et Cie.
1624 tx JB 955 tx JN

Rapport du capitaine
Avons quitté Rouen le 19 Septembre 1917 à 18h00 sur lest à destination de Swansea avec 31 hommes d’équipage. Effectué la descente de la Seine sous la conduite des pilotes. Mouillé sur rade du Havre le 20 à 02h00. Appareillé à 13h00 et fait route avec le convoi par temps clair, jolie brise d’ouest, mer un peu houleuse. Jusqu’à Barfleur, marché à différentes allures en nous maintenant à la suite du guide. Passé à l’Est de Barfleur à 21h00 tous feux éteints ou masqués sauf celui de poupe. Augmenté alors la vitesse pour me rapprocher des navires sur l’avant dont on apercevait les feux arrières qui semblaient s’éloigner. L’un d’eux devait être un bâtiment d’escorte.
A 00h00 le 21, le second et sa bordée quittent le quart et sont remplacés par la bordée du lieutenant : un timonier, un homme de veille et un canonnier à chaque pièce à l’avant et à l’arrière. Forte brise d’ouest, mer assez grosse et violent roulis.
Vers 00h30, je quitte la passerelle pour jeter un coup d’œil à ma carte et prendre mes jumelles. Je remonte aussitôt et reste sur la passerelle inférieure. Il y a trois feux arrières de bâtiments, un sur Bd avant et deux sur Td avant.
Vers 01h00, sans que rien ait donné l’éveil, il se produit un choc épouvantable. Une énorme gerbe d’eau s’élève et retombe sur la passerelle. La passerelle supérieure me paraît s’affaisser. Des débris de toutes sortes s’abattent sur l’endroit où je me trouvais. Je suis projeté parmi les fumigènes et les débris.
Nous venons d’être torpillés et la torpille a atteint le navire par bâbord, dans la partie arrière de la cale 2. La chaudière auxiliaire explose et, comme elle est en communication avec la chaudière principale, les deux se vident complètement. La vapeur sort par toutes les issues. Le grand mât est tombé sur la claire-voie machine. La dynamo s’est arrêtée et le navire est dans la plus complète obscurité.
J’appelle de toutes mes forces l’équipage aux postes d’abandon. Je descends de la passerelle pour chercher les papiers du bord qui étaient dans la chambre de veille. Mais je trouve la porte défoncée et les cloisons par terre. Je ne réussis qu’à attraper ma ceinture de sauvetage qui passe à proximité. Je remonte sur la passerelle où je trouve 4 ou 5 hommes de l’équipage dont le maître d’équipage MOY. J’ai à peine le temps de leur dire d’aller aux embarcations, ce qui est très difficile en raison de la vapeur qui s’échappe de la chaufferie, que le navire s’engloutit d’un seul coup. Je suis aspiré par le remous, gardant à la main ma ceinture de sauvetage que je n’ai pas eu le temps de capeler. Je remonte à la surface et suis à nouveau aspiré par le remous. Finalement, je remonte à la surface et voit un radeau sur lequel se trouvent 4 hommes. Ils me saisissent au passage. Quelques instant après, je parviens à mon tour à saisir le chauffeur LE CORRE et le maître d’hôtel LAURENT, ce dernier au moment où, à bout de forces, il allait disparaître. Nous entendons des appels au secours autour de nous, mais n’ayant rien pour manœuvrer le radeau nous ne pouvons qu’encourager de la voix nos camarades. Nous demeurons impuissants.
Quelques instants plus tard, nous apercevons le sous-marin qui passe à toute petite distance sans s’arrêter.
Vers 06h00, un patrouilleur passe à proximité sans remarquer nos signaux et sans entendre nos appels (Nota : il s'agissait de l'ABLETTE). Vers 08h00, un cargo passe à 2 ou 3 milles de nous sans nous apercevoir. Enfin, à 11h30, nous apercevons un destroyer anglais que je reconnais comme étant le LLEWELLYN, et qui en se rapprochant nous aperçoit, vient sur nous et nous prend à son bord. Nous recevons les soins les plus empressés, après être restés onze heures sur le radeau.
Le commandant donne l’ordre d’explorer immédiatement les environs, mais nous ne trouvons que des épaves, parmi lesquelles les débris du radeau de l’arrière.
Nous faisons alors route sur Porthmouth où nous débarquons vers 21h00 .
Le grand nombre de victimes doit être attribué à la grande rapidité avec laquelle le navire a sombré. Entre le moment de l’explosion et le moment où il a complètement disparu, il s’est écoulé une minute et demie.
Rapport de l’officier enquêteur
ALINE MONTREUIL faisait route à 22 milles au nord de Barfleur pour rallier le point de rendez-vous 52°32 N 01°30W , point de ralliement pour longer la côte anglaise lorsqu’il a été torpillé par un sous-marin.
L’explosion a provoqué une déchirure de la chaudière et, la vapeur s’échappant de tous côtés, il a été impossible au capitaine de faire rallier tous les hommes. C’est par le plus grand des hasards qu’il a pu rassembler sur le radeau où il se trouvait lui-même, sauvé par miracle, quelques hommes qui ont échappé à la mort. On ne peut affirmer que tous les autres sont morts, la nuit ayant empêché ceux du radeau de voir ce que devenaient leurs camarades. Ils ont cependant entendu des cris. On pourrait même supposer que le sous-marin, qui est passé au milieu des hommes nageant, ait pu en sauver quelques uns en les prenant à son bord.
Mais parmi les disparus, les seuls vus sur le pont après l’explosion sont le second capitaine BLOUET, le maître d’équipage MOY et le canonnier DESCHAMPS qui se trouvaient sur le spardeck tribord où vint les rejoindre le maître d’hôtel LAURENT. Selon Laurent, ils voulurent rejoindre les embarcations, mais la vapeur empêchait de traverser le pont et le navire sombra avant qu’ils aient pu faire quoi que ce soit.
Une fois à la mer, Laurent a vu trois hommes parmi lesquels il pense avoir reconnu le 1er chauffeur COADOU et le chauffeur LE TOUX.
Conclusion
Le naufrage de l’ALINE MONTREUIL a été si foudroyant qu’il n’y a eu ni manœuvre à faire, ni initiative à prendre.
La commission d’enquête estime que le capitaine METTE a fait son devoir en cherchant, dans le court espace de temps entre l’explosion et le naufrage, à faire rallier les hommes qui pouvaient être sauvés.
Elle ne propose ni sanction, ni récompense et estime qu’on peut maintenir au capitaine METTE la faculté de commander.
Le sous-marin attaquant
C’était l’UB 38 de l’OL Wilhelm AMBERGER. Ce sous-marin appartenait à la flottille des Flandres. Il disparaîtra le 8 Février 18 avec tout son équipage (27 hommes) sous le commandement de l’OL Gunther BACHMAN, en sautant sur une mine.
Quant à Wilhelm AMBURGER il disparaîtra aussi avec tout l’équipage de l’UB 108 qu’il commandait alors, le 2 Juillet 1918, également en sautant sur une mine.
Il ne semble pas que l'UB 38 ait recueilli des survivants de l'ALINE MONTREUIL (sauf vérification avec le KTB...)
Voici une photo de l'HMS LLEWELLYN
qui recueillit les naufragés du radeau (source photoshop.co.uk)

Cdlt