Bonjour à tous,
Memorandum du Gouvernement français aux puissances neutres protestant contre le torpillage du navire de commerce appartenant à la Compagnie française des Chargeurs Réunis Amiral-Ganteaume par un sous-marin allemand (29 janvier 1915).
(in « La Guerre de 1914. Recueil de documents intéressant le droit international. »,
éd. A. Pedone, Paris, s.d., 414 p. ― Texte n° 212, p. 206)
« Le 26 octobre 1914, le vapeur français Amiral-Ganteaume, de 4.589 tonneaux, appartenant à la Compagnie française des Chargeurs Réunis, partit de Calais à quatorze heures, à destination de La Pal-lice, après avoir embarqué 2.500 réfugiés des deux sexes fuyant le théâtre des hostilités.
Subitement, à seize heures vingt, le navire se trouvant à 4 milles ½ Sud-Ouest du cap Gris-Nez, une ex-plosion formidable se produisit à tribord, entre les machines et la chaufferie, soulevant une colonne d’eau d’environ 50 mètres, et jonchant le navire de débris de toutes sortes. Terriblement secoué, le navire se pencha sur bâbord. L’eau envahit presque immédiatement les compartiments des machines, de la chaufferie, une soute et la cale n° 2. Des hommes d’équipage et des passagers avaient été tués sur le coup. Le navire était désemparé.
Grâce à de prompts secours obtenus rapidement dans des eaux aussi fréquentées, la plupart des hom-mes d’équipage et des passagers purent heureusement être sauvés. Le nombre des manquants s’est élevé à une trentaine, tués ou noyés. L’épave du navire a pu être remorquée jusqu’à Boulogne, où elle fut immédiatement visitée.
Des visites et de l’enquête auxquelles il a été procédé, il résulte que l’Amiral-Ganteaume avait été traitreusement attaqué par un sous-marin. D’une part, l’homme de barre, le matelot Amiraud, et l’élève mécanicien Heblot, ont aperçu l’un la torpille, l’autre le périscope ; d’autre part, les morceaux de la torpille elle-même furent retrouvés. Ils ont permis de constater qu’il s’agissait d’une torpille automobile de construction allemande. Les inscriptions en langue allemande " Ruder unten et sperring " y étaient encore lisibles.
L’attaque du navire français et de ses passagers a été accomplie par le bâtiment de la marine impériale allemande : 1° – sans oser montrer ses couleurs ; 2° – sans visite, arrêt ou semonce ; 3° – sur un navire de commerce sans défense, chargé de femmes, d’enfants et de vieillards ; 4° – sans aucune utilité militaire stratégique ou navale, et sans autre résultat possible que le meurtre d’individus inoffensifs et la destruction d’un navire de commerce en dehors de toute capture et de toute possibilité ultérieure de procédure et de jugement de prise.
Si, en dehors d’une loi écrite, c’est un principe acquis du droit des gens maritimes que les navires de commerce ennemis sont sujets à capture, s’il est admis que les navires de commerce ennemis capturés peuvent être détruits sous condition d’en mettre en sécurité l’équipage, les passagers et les papiers du bord, et sous réserve de la décision ultérieure d’une Cour de prise, jamais, même aux époques les plus barbares de l’histoire navale, aucune marine n’avait souillé son pavillon d’un crime semblable à celui de la marine impériale allemande, qui n’a même pas pour prétexte le lucre d’un acte de piraterie.
De semblables attentats ne sont même pas dignes d’une protestation ; mais le gouvernement de la République croit agir dans l’intérêt commun du monde civilisé en portant publiquement ces faits à la connaissance des autres gouvernements qui, comme lui, avaient reçu cette déclaration solennellement faite par le gouvernement impérial allemand devant toutes les puissances : " Les officiers de la marine allemande, je le dis à haute voix, rempliront toujours de la manière la plus stricte les devoirs qui découlent de la loi non écrite de l’humanité et de la civilisation." (Déclaration du Baron Marschall von Biberstein, premier plénipotentiaire allemand à la huitième séance de la deuxième Conférence de la paix, 9 octobre 1907 ; deuxième Conférence de la paix, Actes et documents, Tome I, page 281). »