Bonjour à tous,
CARTHAGE
Rapport du capitaine
Le 30 Juin, nous avons commencé le débarquement des munitions, le reste du chargement devant être débarqué à Moudros. Par mesure d’économie d’eau et de charbon, nous n’avons conservé que quatre chaudières en fonction. Du 30 Juin au 4 Juillet, le déchargement s’est effectué avec quelques interruptions à cause des changements de mouillage rendus nécessaires pour éviter les projectiles tirés par les batteries ennemies sur les transports auxiliaires au mouillage.
Le 4 Juillet vers 13h48, le cri « Un sous-marin ! » a été poussé par des hommes du bord. Me trouvant sur le pont, j’ai couru vers l’arrière et j’ai aperçu le sillage d’une torpille qui n’était plus qu’à 100 mètres du bord. Elle a frappé le flanc bâbord du CARTHAGE un peu sur l’arrière de la machine à 13h50. Le navire, ébranlé par une violente secousse, a commencé instantanément à s’enfoncer par l’arrière avec rapidité, puis a relevé son avant presque à la verticale, est aussitôt retombé et a coulé à pic. Il était 13h54.
Cinq chalands qui se trouvaient amarrés le long du bord pour recevoir les munitions, ainsi que le remorqueur PHOCEEN, d’Alger, qui était en service de remorquage, ont servi au sauvetage. L’opération s’est faite en bon ordre et sans panique. Le second capitaine et le lieutenant ont dirigé les opérations à l’avant et j’ai dirigé celles de l’arrière. Des ceintures et des bouées de sauvetage ont été jetées rapidement à la mer. Les canots des navires BRETAGNE (navire hôpital), SAINTE HELENE et d’un navire anglais, ainsi que les canots à moteur de la Direction du port se sont aussitôt portés à notre secours.
Quand le sauvetage fut terminé et le lieu du sinistre exploré pour s’assurer qu’il n’y avait plus personne en danger, tous les hommes de l’équipage, de la corvée de la mission Goliath et 5 militaires passagers ont été rassemblés sur INFATIGABLE. On a procédé à un appel et nous avons eu le regret de constater l’absence de six hommes de l’équipage
- Monsieur Fournier, chef mécanicien
- Monsieur Journiac, 2e mécanicien
- Collange, maître d’hôtel
- Gilormini, chauffeur
- Drouolt, chauffeur
- Lacouture, chauffeur
Le nommé Thomas Louis, matelot cuisinier, nous a été signalé avoir été recueilli blessé par un canot du BRETAGNE et se trouver en traitement sur ce navire. Monsieur Laforet, 3e mécanicien, a subi de légères contusions lors du sauvetage, ainsi qu’un chauffeur indigène qui a eu le pied foulé.
Messieurs Laforet et Place, officiers mécaniciens, viennent de m’informer qu’au moment du torpillage le chef mécanicien du SAINTE HELENE se trouvait sur le CARTHAGE et discutait avec eux. Ils supposent qu’il a disparu.
C’est grâce au sang froid, à l’initiative et à la conscience du devoir à accomplir par tous que, malgré la rapidité de la catastrophe, nous n’avons pas plus de victimes à déplorer. Je tiens à rendre hommage à tous pour la rapidité des secours envoyés, et particulièrement au second maître Gallene, patron du remorqueur PHOCEEN, pour la large part qu’il a prise dans notre sauvetage, faisant preuve d’autant de sang froid que d’énergie. Ce même patron avait déjà eu l’occasion de se montrer sous ce même jour en se portant au secours d’un de nos canots au cours des opérations de débarquement des troupes à Khoum-Kaleh le 25 Avril 1915.
Aucun papier du bord n’a pu être sauvé.
Rapport du Général BAILLOUD : conditions dans lesquelles a été coulé le transport CARTHAGE en rade du Cap Helles
L’accident s’est produit le 4 Juillet à 14h00. A ce moment-là, le cuirassé HENRI IV, venu de Moudros, était embossé à environ 3 milles sous la protection d’une ceinture de torpilleurs et avait ouvert le feu sur la côte d’Asie.
L’arrivée du sous-marin ennemi n’a été signalée par personne. Le sous-marin aura sans doute cherché à torpiller le cuirassé puis, voyant l’opération rendue périlleuse par la présence des torpilleurs, se sera retourné contre le CARTHAGE qui se trouvait mouillé assez loin au large par crainte de projectiles, avec une demi-douzaine d’autres cargos de moindre tonnage, tant anglais que français.
La torpille n’a été aperçue qu’au moment où elle touchait le transport. Elle est venue le frapper à hauteur des chaudières, provoquant une explosion très forte. Aussitôt, le CARTHAGE a fait eau pendant deux minutes. Entrainé par le poids, l’arrière s’est enfoncé doucement redressant complètement l’avant hors de l’eau. Au bout de trois minutes trente, le bateau a coulé sans produire de grands bouillonnements.
Le CARTHAGE était en cours de déchargement et avait des chalands à droite et à gauche. Cette circonstance favorable a permis d’opérer très vite la totalité du sauvetage du personnel. Seul l’officier mécanicien et l’équipe de cinq hommes engagée dans les chaufferies ont disparu. La liste ci-jointe donne l’état du matériel disparu. Il faut ajouter à ces pertes les chevaux du général Gouraud et du colonel Giraudon et leurs bagages de sellerie qui venaient d’être embarqués pour être expédiés en France. Le CARTHAGE se trouvait en rade du cap Helles depuis le 30 Juin et devait appareiller le soir même dès son déchargement de munitions, activement poussé, terminé.
Voici les circonstances qui ont déterminé son envoi au cap Helles alors qu’en principe les bateaux ravitailleurs sont exclusivement déchargés à Moudros.
Le bateau contenait un approvisionnement de munitions important. A la suite du combat du 30 Juin, et en vue d’une reprise très rapide des combats (reprise que la blessure du général Gouraud est venue interrompre) le commandement a adressé une demande pressante de munitions. C’est donc pour satisfaire cette demande que le CARTHAGE fut envoyé, afin d’éviter un transbordement toujours long sur rade de Moudros. Le fait que les sous-marins ennemis n’avaient montré aucune activité depuis quelques semaines et qu’un cuirassé de l’escadre venait périodiquement ouvrir le feu sur la côte, a incité à cette tentative. En dehors de ce navire, aucun grand bateau n’était venu sur cette rade depuis l’ANNAM qui avait eu un début d’incendie du à un projectile.
Le service Moudros – Cap Helles continue d’être assuré comme suit :
- Quotidiennement par les remorqueurs GOLIATH, INFATIGABLE, JEANNE ANTOINETTE, SUD, ZAZITA et FURET
- Trois fois par semaine par PETITE SAVOIE, MOULOUYA et SAINTE HELENE
- Eventuellement par VILLE D’ARZEW et ANGELE ACHAQUE.
L’arrivée des remorqueurs et chalands annoncés par télégramme n° 4985 du 2 Juillet achèvera de compléter les moyens de transport et permettra d’assurer dans de bonnes conditions le ravitaillement du corps expéditionnaire d’Orient, tant que l’état de la mer ne viendra pas à la traverse, ce qui j’espère ne devrait pas arriver avant le mois de Septembre.
Cdlt