Bonjour à tous,
Suite des documents SEQUANA
Rapport du commandant de PLIE, le second maître COGAN
Je vous rends compte du service du groupe pendant la semaine du 3 au 10 Juin
VIEILLE est arrivée à Port Breton le 3 à 17h00. Elle a débarqué le matériel de l’équipe de réparation et a fait de l’eau, la surveillance étant effectuée par les voiliers. Le 5 à 06h00, PLIE a appareillé des Sables pour les lieux de pêche où j’ai retrouvé VIEILLE et les deux dundees. La surveillance a été faite chaque jour par les quatre bateaux. Les pêcheurs de Port Breton sortent chaque jour à heure fixée par Monsieur l’Administrateur et restent groupés sur les lieux de pêche avec les pêcheurs de Saint Gilles, Noirmoutier, Concarneau et Douarnenez, ces derniers arrivés depuis quelques jours. Rien à signaler. La zone de pêche est à l’ENE et au Sud du phare des Corbeaux entre 3 et 7 milles de terre. La pêche est bonne.
Le 6 à 02h20, nous sommes avisés par Monsieur l’Administrateur qu’un vapeur a été torpillé vers 01h00 à 4 milles dans le SSE du sémaphore de Saint Sauveur. Nous recevons l’ordre de croiser sur les lieux pour récupérer les survivants. Appareillé immédiatement, mais n’avons rien vu.
Le 8 à 04h00 sommes prévenus qu’un nouveau bâtiment a été torpillé dans la nuit et que des embarcations sont en vue de Saint Sauveur. Appareillé immédiatement et, arrivés à l’Anse de la Vieille, avons vu des embarcations accostées dans cette anse. Monsieur l’Administrateurs nous fait transmettre l’ordre par un canot de croiser à 5 milles dans le Sud des Corbeaux et de rechercher les 450 manquants du SEQUANA. Le groupe se rend sur les lieux et à 2 milles de terre je recueille un premier survivant, complètement nu et qui ne pouvait plus nager. Je l’ai fait coucher et réconforter et nous avons continué les recherches. Nous avons recueilli 283 hommes, les uns sur des radeaux qui commençaient à couler, les autres sur des épaves et dans des paniers, d’autres avec seulement leurs ceintures. Tous étaient à bout de force et, ne pouvant suffire à les recueillir, nous avons vu quelques isolés couler sous nos yeux. Nous les avons réconfortés, fait du café, du vin chaud et donné à manger.
La dépense a été :
- Sur PLIE 50 litres de vin, 2 kg de sucre, 1 kg de café, 10 kg de pain et 5 kg de viande
- Sur VIEILLE 40 litres de vin, 2 kg de sucre, 1 kg de café, 10 kg de pain et 3 kg de viande.
- Nous avons prêté tous nos effets disponibles que nous n’avons pas revus.
Après avoir recueilli ces 283 hommes, nous avons encore croisé sur les lieux une demi heure et n’avons rien vu. Nous avons fait route sur Port Breton. Les bâtiments étant surchargés, il y avait risque de chavirer et nous avons donné l’ordre aux hommes de ne pas bouger. Pendant ces opérations j’ai perdu 2 avirons et 2 seaux en bois, une plate ayant coulé. VIEILLE n’a pas eu de pertes.
A 11h45 nous sommes arrivés à Port Breton et nous avons mouillé le plus près possible de la digue. L’Administrateur a fait armer des petites embarcations et nous avons commencé le débarquement qui s’est fait dans un ordre complet, sous notre surveillance. Il s’est terminé à13h00.
Pendant le voyage de retour, un des survivants est mort à mon bord, malgré les soins donnés par le médecin de SEQUANA, que j’avais sauvé, ainsi que par le commandant du dit navire.
Je suis rentré à quai pour débarquer le mort. VIEILLE n’a pu entrer, NOMADIC étant arrivé à ce moment pour prendre les survivants. Il a pris tout le quai. A 20h00, j’ai reçu l’ordre de l’Administrateur de me tenir prêt à aider NOMADIC à sortir du port à 07h00 du matin, puis de faire de l’eau et de me rendre ensuite sur les lieux de pêche. VIEILLE partirait aux Sables pour se ravitailler, puis viendrait me relever pour que j’aille à mon tour me ravitailler.
Mais pendant le remorquage de NOMADIC, une amarre s’est engagée dans l’hélice de VIEILLE qui a été complètement immobilisée. Cette amarre n’a pu être dégagée que le soir, à marée basse. Le groupe se rendra Lundi aux Sables pour charbonner.
Nota : le CF commandant l’escadrille ajoute une mention manuscrite sur cette note, demandant que la liste des effets donnés aux naufragés soit dressée afin qu’ils soient remboursés aux marins des deux chalutiers.
Ordres affichés dans les coursives du SEQUANA au départ de Dakar le 28 Mai et exercices effectués. Extraits du rapport du capitaine.
« En cas d’attaque ennemie, tous les passagers civils se rendront munis de leur ceinture de sauvetage dans les salles à manger de 1ère et 2e classe et dans les couloirs à l’abri. Les officiers passagers se rendront immédiatement sur la dunette, au canon, et aideront de leurs conseils les canonniers pour l’efficacité du tir.
Le lieutenant chef du détachement des soldats indigènes se tiendra sur le pont et assurera le service d’ordre.
En cas d’évacuation du navire, qui sera indiquée par trois coups de sifflet prolongés alternés par trois coups brefs, tous les passagers se rendront à leurs embarcations respectives.
Les femmes et les enfants seuls devront embarquer dans les embarcations avant qu’elles ne soient descendues. Des soldats armés auront l’ordre de tirer sur le premier homme qui voudrait embarquer avant que le canot soit descendu. Dès que le canot sera à la mer, les hommes s’y rendront par l’échelle de corde disposée à cet effet.
Je compte sur le sang froid de tous pour l’exécution des présentes prescriptions."
Voici la disposition des canots du SEQUANA
Un exercice d’embarcation fut effectué le 31 Mai et plusieurs dames embarquèrent dans les canots. On se rendit alors compte que les canots n’étaient pas suffisamment descendus et on fit une installation pour faciliter aux femmes et aux enfants l’embarquement avec une forte gite. Cette disposition s’avéra très utile.
Le 3 Juin fut effectué un exercice de tir au canon en présence des officiers passagers. On tira sur un souffleur et le résultat fut satisfaisant.
Le navire devait passer à 207 milles du cap Finisterre, puis couper le parallèle 46°45 N par 11°18 W et rester sur le parallèle 46°53.
Le service de veille fut organisé en utilisant les officiers et sous-officiers passagers. Des cartouches furent distribuées aux soldats de la garde. Le second capitaine étant tombé sérieusement malade au départ de Dakar, le télégraphiste reçut la clé du code et les instructions secrètes s’y rapportant. Il prêta serment devant le commandant.
Le 7 Juin le commandant envoya le message suivant : « Serai à 03h10 heure d’été à 5 milles au S005E de la Pointe des Corbeaux de l’île d’Yeu, route au S45E à 11 nœuds.
On pense que le sous-marin a pu entendre et déchiffrer ce message et s’est alors placé en embuscade.
A 02h05 un choc violent se fit ressentir et le capitaine comprit aussitôt que le navire allait couler rapidement, étant à son maximum de charge. Il stoppa et donna l’ordre d’évacuation. Mais la côte étant toute proche, il remit en avant toute et vint toute à gauche, cap sur le feu rouge. Le 1er maître de timonerie Fernand Tallec, passager, prit la barre.
Le capitaine aperçut le sous-marin par trois quarts tribord arrière et donna l’ordre feu à volonté. Trois coups de canon furent tirés, sous les ordres du 2e capitaine qui bien que malade s’était aussitôt rendu à la pièce. C’est alors que le chef mécanicien prévint que l’on ne pouvait plus utiliser la machine.
Le 2e capitaine, le contrôleur des services postaux et le docteur se rendirent aux radeaux. Le capitaine dit au contrôleur d’utiliser le maximum de paniers vides des colis postaux pour les soldats africains et cette disposition permit de sauver au moins 60 tirailleurs.
Le navire s’enfonça rapidement et le capitaine se jeta à l’eau et fut entraîné par le remous. Remonté à la surface il s’accrocha à une épave et fut recueilli par un radeau sur lequel se trouvaient civils, militaires et soldats sénégalais.
(à suivre)
Cdlt