(...suite)
Lundi 7. — Mon entérite qui, dans cette boue, n'a fait que croître, oblige le capitaine à m'expédier ce soir à l'ambulance, presque à l'heure où notre compagnie monte à son tour en première ligne. Passé la nuit au poste de secours du 1er bataillon entre les mains expertes et délicates des docteurs Le Marc’hadour et Arnoult.
(à suivre...)
Journal d'un fusilier marin
Re: Journal d'un fusilier marin
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
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Re: Journal d'un fusilier marin
(...suite)
Mardi 8. — L'aumônier arrive à point pour retrouver une étincelle de vie chez un pauvre blessé, depuis hier dans le coma. Repris une navigation boueuse d'ambulance en ambulance, du poste de secours du 1er bataillon à celui du 3ème , puis à l'infirmerie régimentaire, pour échouer enfin le soir à l'estaminet du Lion belge, où est installée l'ambulance n°1 de la brigade. Echappé bien juste à la fâcheuse évacuation sur l'arrière. Nos médecins sont d'un dévouement merveilleux. Le médecin-chef arrive à dénicher un lit pour chacun des deux officiers malades. Lui-même, malgré ses quatre galons, continue à coucher sur la paille, se relevant à chaque nouvelle arrivée pour voir et panser personnellement les blessés. Pendant tout mon séjour à l'ambulance, j'aurai ce même spectacle de bonté affectueuse et éclairée. Jamais je n'ai vu un blessé dont le pansement ou la piqûre de sérum n'ait été faite par un médecin. Nos infirmiers de la marine, des professionnels, les secondent intelligemment.
(à suivre...)
Mardi 8. — L'aumônier arrive à point pour retrouver une étincelle de vie chez un pauvre blessé, depuis hier dans le coma. Repris une navigation boueuse d'ambulance en ambulance, du poste de secours du 1er bataillon à celui du 3ème , puis à l'infirmerie régimentaire, pour échouer enfin le soir à l'estaminet du Lion belge, où est installée l'ambulance n°1 de la brigade. Echappé bien juste à la fâcheuse évacuation sur l'arrière. Nos médecins sont d'un dévouement merveilleux. Le médecin-chef arrive à dénicher un lit pour chacun des deux officiers malades. Lui-même, malgré ses quatre galons, continue à coucher sur la paille, se relevant à chaque nouvelle arrivée pour voir et panser personnellement les blessés. Pendant tout mon séjour à l'ambulance, j'aurai ce même spectacle de bonté affectueuse et éclairée. Jamais je n'ai vu un blessé dont le pansement ou la piqûre de sérum n'ait été faite par un médecin. Nos infirmiers de la marine, des professionnels, les secondent intelligemment.
(à suivre...)
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Re: Journal d'un fusilier marin
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Mercredi 9. — L'ambulance se transporte à Oostvleteren. Une petite scène intérieure m'amuse. Les officiers et médecins occupent l'arrière-boutique d'une boucherie, où notre officier d'administration a bien de la peine à nous caser. A peine, sur quelques questions posées au sujet de l'église, la propriétaire a-t-elle compris que je suis religieux, et voilà son visage qui s'éclaire, sa méfiance trop visible qui tombe. D'elle-même, elle nous offre un petit salon, échappé à nos premières recherches ; elle insiste pour nous faire accepter un lit pour malade.
Lui restait-il un soupçon inavoué ? Le lendemain matin elle venait en personne s'assurer que j'assistais bien à la messe ; son dernier doute était dissipé.
(à suivre...)
PS. Le journal de l'EV Poisson s'interrompt ici jusqu'au 12 décembre.
Mercredi 9. — L'ambulance se transporte à Oostvleteren. Une petite scène intérieure m'amuse. Les officiers et médecins occupent l'arrière-boutique d'une boucherie, où notre officier d'administration a bien de la peine à nous caser. A peine, sur quelques questions posées au sujet de l'église, la propriétaire a-t-elle compris que je suis religieux, et voilà son visage qui s'éclaire, sa méfiance trop visible qui tombe. D'elle-même, elle nous offre un petit salon, échappé à nos premières recherches ; elle insiste pour nous faire accepter un lit pour malade.
Lui restait-il un soupçon inavoué ? Le lendemain matin elle venait en personne s'assurer que j'assistais bien à la messe ; son dernier doute était dissipé.
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PS. Le journal de l'EV Poisson s'interrompt ici jusqu'au 12 décembre.
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Re: Journal d'un fusilier marin
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Samedi 12. — Aimable attention de la Providence ! Alors que rien ne me faisait prévoir sa venue, je reçois la visite d'un de mes frères, récemment arrivé à l'état-major du général d'Urbal, et que je n'avais pas vu depuis trois ans. La blessure encore mal cicatrisée, que lui valut la marche sur Taza dans la colonne Gouraud, ne l'empêche pas d'aspirer à un service, aussi actif que possible.
(à suivre...)
Samedi 12. — Aimable attention de la Providence ! Alors que rien ne me faisait prévoir sa venue, je reçois la visite d'un de mes frères, récemment arrivé à l'état-major du général d'Urbal, et que je n'avais pas vu depuis trois ans. La blessure encore mal cicatrisée, que lui valut la marche sur Taza dans la colonne Gouraud, ne l'empêche pas d'aspirer à un service, aussi actif que possible.
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Re: Journal d'un fusilier marin
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Dimanche 13. — Assisté à une belle messe militaire, où se font entendre trois ou quatre artistes. Comme sortie, la Marseillaise, chantée sur un rythme très lent par une voix grave, bien timbrée. L'effet est inattendu, mais saisissant. D'ailleurs, les soldats intimidés n'osent pas reprendre en choeur le refrain.
(à suivre...)
PS. Le journal reprend le 16.
Dimanche 13. — Assisté à une belle messe militaire, où se font entendre trois ou quatre artistes. Comme sortie, la Marseillaise, chantée sur un rythme très lent par une voix grave, bien timbrée. L'effet est inattendu, mais saisissant. D'ailleurs, les soldats intimidés n'osent pas reprendre en choeur le refrain.
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Re: Journal d'un fusilier marin
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Mercredi 16. — Lu dans les journaux la liste des récompenses pour les combattants de Dixmude. Le gouvernement a été généreux ¹.
1. Notre collaborateur oublie de dire qu'il figurait lui-même sur cette liste, comme chevalier de la Légion d'honneur, avec les considérants les plus honorables. N. D. L. R.
(à suivre...)
Mercredi 16. — Lu dans les journaux la liste des récompenses pour les combattants de Dixmude. Le gouvernement a été généreux ¹.
1. Notre collaborateur oublie de dire qu'il figurait lui-même sur cette liste, comme chevalier de la Légion d'honneur, avec les considérants les plus honorables. N. D. L. R.
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Re: Journal d'un fusilier marin
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Jeudi 17. — Les voitures d'ambulance anglaises nous apportent une longue série de blessés. Les bataillons Geynet (1er du 1er) et Mauros (3ème du 2ème) ont fait, ce matin, une offensive partielle au delà du pont de Steenstraete. Malgré la prise de trois mitrailleuses et d'un bout de tranchée, les résultats ne semblent pas merveilleux et les pertes sont lourdes. Le commandant Geynet, qui a chargé à la tête de ses hommes, a disparu ; un lieutenant de vaisseau, un enseigne, deux officiers des équipages sont tués. Serré à l'ambulance la main de quelques camarades blessés, de Malherbe, Viaux, Bioche.
Les autos circulent toujours dans la nuit, tous phares éteints, à travers les épouvantables chemins de Pypegaele et Zuydschoote. Les conducteurs anglais sont merveilleux d'adresse, d'audace, et infatigables.
(à suivre...)
Jeudi 17. — Les voitures d'ambulance anglaises nous apportent une longue série de blessés. Les bataillons Geynet (1er du 1er) et Mauros (3ème du 2ème) ont fait, ce matin, une offensive partielle au delà du pont de Steenstraete. Malgré la prise de trois mitrailleuses et d'un bout de tranchée, les résultats ne semblent pas merveilleux et les pertes sont lourdes. Le commandant Geynet, qui a chargé à la tête de ses hommes, a disparu ; un lieutenant de vaisseau, un enseigne, deux officiers des équipages sont tués. Serré à l'ambulance la main de quelques camarades blessés, de Malherbe, Viaux, Bioche.
Les autos circulent toujours dans la nuit, tous phares éteints, à travers les épouvantables chemins de Pypegaele et Zuydschoote. Les conducteurs anglais sont merveilleux d'adresse, d'audace, et infatigables.
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Re: Journal d'un fusilier marin
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Vendredi 18. — Les derniers blessés, dont le lieutenant de vaisseau Borrelli, achèvent d'arriver. La plupart ont dû séjourner plusieurs heures, ou même toute la journée, dans la boue et dans l'eau. Gare la gangrène gazeuse.
Il y a peu de blessés par obus : la plupart ont reçu des balles.
(à suivre...)
Vendredi 18. — Les derniers blessés, dont le lieutenant de vaisseau Borrelli, achèvent d'arriver. La plupart ont dû séjourner plusieurs heures, ou même toute la journée, dans la boue et dans l'eau. Gare la gangrène gazeuse.
Il y a peu de blessés par obus : la plupart ont reçu des balles.
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Re: Journal d'un fusilier marin
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Samedi 19. — Rejoint avec joie ma compagnie. Avais-je le sourire quand on m'a annoncé que courrier et cantine avaient été réexpédiés en France, avec la mention « évacué » ? En été, l'aventure eût été banale ; avec cette pluie, la perspective de rester longtemps privé de rechanges et d'imperméable est moins réjouissante.
(à suivre...)
Samedi 19. — Rejoint avec joie ma compagnie. Avais-je le sourire quand on m'a annoncé que courrier et cantine avaient été réexpédiés en France, avec la mention « évacué » ? En été, l'aventure eût été banale ; avec cette pluie, la perspective de rester longtemps privé de rechanges et d'imperméable est moins réjouissante.
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Re: Journal d'un fusilier marin
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Dimanche 20. — Ce matin, un peu de soleil sur la boue. Les médecins sont encombrés par le nombre d'hommes qui passent la visite. J'entends parler de pieds gelés. Le froid n'est cependant pas très vif, et il ne gèle pas : on explique cela par une mauvaise circulation du sang.
Bien que notre bataillon n'ait pas terminé la période normale de repos, un ordre brusque nous vient de partir ce soir en première ligne, dans un secteur nouveau pour nous, celui où eut lieu l'attaque du 17. Cela sent encore la poudre : officieusement, nous sommes prévenus que notre bataillon va, cette fois, mener l'attaque. Toujours à travers champs, gagné le village de Zuydschoote, en ruines. Puis une route où subsistent des rails de tramway à vapeur : c'est le petit hameau de Lizerne, avec une grand'route transversale venant d'Ypres. Pour la première fois, pendant la fin du trajet, nous voyons les fusées lumineuses allemandes : ils n'en avaient pas à Dixmude. Un peu avant d'arriver au pont démoli de Steenstraete, nous entrons dans les boyaux. Puis une passerelle flottante. Quelques centaines de mètres en avant et au sud de la route, à travers les débris de notre ancien réseau de fils de fer. Enfin un grand champ de betteraves. C'est là. Notre ligne est sinueuse ; un élément parallèle au canal, où sont trois sections de ma compagnie ; un élément transversal pour ma section, raccordant la ligne de tranchées à la lisière d'un petit bois, où reprend la courbe. Plus loin, au delà des arbres, c'est le 20ème corps, qui garde un front presque perpendiculaire au canal. Au sud, dans nos lignes, Ibet-sas, l'écluse.
Pas brillant, le morceau qu'ont pris nos marins le 17 : comme tranchée, un fossé rectiligne, dont les hommes s'efforcent d'épuiser l'eau avec leurs gamelles. La muraille de boue n'offre aucune solidité. Par-dessus le marché, la pluie reprend, et nos marins n'ont ni toile de tente ni sac de couchage imperméable. Beaucoup n'ont même pas de couverture en laine. Toute la nuit, ils feront les cent pas pour se réchauffer. Mon abri ne vaut pas mieux : une mitrailleuse allemande s'y cachait le 17, ce qui lui a valu les honneurs de la démolition. II reste deux petites caisses avec les bandes souples des cartouches. Cela formera le sol. Comme toit, une capote de chasseur. C'est trop bas pour rester assis, trop court pour s'allonger. Aux heures d'immobilité, je reste blotti sur un couvercle de seau qui n'empêche pas l'eau de pénétrer jusque ad intima. Mais puisqu'on doit attaquer, tant pis.
(à suivre...)
Dimanche 20. — Ce matin, un peu de soleil sur la boue. Les médecins sont encombrés par le nombre d'hommes qui passent la visite. J'entends parler de pieds gelés. Le froid n'est cependant pas très vif, et il ne gèle pas : on explique cela par une mauvaise circulation du sang.
Bien que notre bataillon n'ait pas terminé la période normale de repos, un ordre brusque nous vient de partir ce soir en première ligne, dans un secteur nouveau pour nous, celui où eut lieu l'attaque du 17. Cela sent encore la poudre : officieusement, nous sommes prévenus que notre bataillon va, cette fois, mener l'attaque. Toujours à travers champs, gagné le village de Zuydschoote, en ruines. Puis une route où subsistent des rails de tramway à vapeur : c'est le petit hameau de Lizerne, avec une grand'route transversale venant d'Ypres. Pour la première fois, pendant la fin du trajet, nous voyons les fusées lumineuses allemandes : ils n'en avaient pas à Dixmude. Un peu avant d'arriver au pont démoli de Steenstraete, nous entrons dans les boyaux. Puis une passerelle flottante. Quelques centaines de mètres en avant et au sud de la route, à travers les débris de notre ancien réseau de fils de fer. Enfin un grand champ de betteraves. C'est là. Notre ligne est sinueuse ; un élément parallèle au canal, où sont trois sections de ma compagnie ; un élément transversal pour ma section, raccordant la ligne de tranchées à la lisière d'un petit bois, où reprend la courbe. Plus loin, au delà des arbres, c'est le 20ème corps, qui garde un front presque perpendiculaire au canal. Au sud, dans nos lignes, Ibet-sas, l'écluse.
Pas brillant, le morceau qu'ont pris nos marins le 17 : comme tranchée, un fossé rectiligne, dont les hommes s'efforcent d'épuiser l'eau avec leurs gamelles. La muraille de boue n'offre aucune solidité. Par-dessus le marché, la pluie reprend, et nos marins n'ont ni toile de tente ni sac de couchage imperméable. Beaucoup n'ont même pas de couverture en laine. Toute la nuit, ils feront les cent pas pour se réchauffer. Mon abri ne vaut pas mieux : une mitrailleuse allemande s'y cachait le 17, ce qui lui a valu les honneurs de la démolition. II reste deux petites caisses avec les bandes souples des cartouches. Cela formera le sol. Comme toit, une capote de chasseur. C'est trop bas pour rester assis, trop court pour s'allonger. Aux heures d'immobilité, je reste blotti sur un couvercle de seau qui n'empêche pas l'eau de pénétrer jusque ad intima. Mais puisqu'on doit attaquer, tant pis.
(à suivre...)
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.