Journal d'un fusilier marin

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Ar Brav
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Re: Journal d'un fusilier marin

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Dimanche 25. — Profité d'une accalmie ce matin pour visiter la ligne, enregistrer les pertes, faire ensevelir auprès de la tranchée un petit Lorientais de la 2ème section qu'un shrapnell au ventre a tué net, deux Belges de la section voisine, qui n'ont plus d'officier. Commencé même à enlever quelques cadavres ennemis, qui gisent en grand nombre devant le parapet. Au 3ème, la canonnade reprend de plus belle : ils ne veulent pas que nous nous débarrassions de la vue et de l'odeur de leurs morts. De onze heures à midi le bombardement est très vif, et à feux croisés. Ils ont même amené un 77 à quelque 600 mètres de la tranchée, et on voit la lueur de départ au milieu des arbres écimés.
Au cimetière, les grosses marmites sont particulièrement nombreuses ; pour distraire ses hommes, l'officier des équipages Le Gall fait compter à haute voix les obus qui tombent à moins de 5 mètres en avant ou en arrière de sa ligne, battue d'enfilade. En cinquante-cinq minutes, on arrive à un total de cent soixante-quinze. De même sur la route d'Eessen, des éclats de briques de pavés viennent jusqu'à nous. Le calibre des pièces doit être gros.
Dans l'après-midi, nous apercevons au milieu du bois, devant nous, une troupe allemande qui paraît affolée et court en colonne, par un, vers le château de Woumen ; il doit y avoir trois sections qui défilent ainsi. « A 800 mètres; feu à volonté ! » Les mitrailleuses s'en mêlent, et le résultat du tir semble satisfaisant. La troupe tournoie, oblique, s'affale dans un fossé, ne peut plus aboutir nulle part, car les mitrailleuses du cimetière l'empêchent d'aller plus loin, et nos feux de rétrograder. Mais nos hommes sont très excités. Le dernier des Allemands s'est couché à plat ventre derrière son sac que les fusils crépitent encore, malgré mes hurlements de « cessez le feu » et mes coups de sifflet. Enfin, un obus complaisant, qui me renverse avec mes deux voisins, sans nous faire grand mal d'ailleurs, produit l'effet désiré. Le tir cesse. Un moment plus tard, un fanion jaune apparaît chez les Allemands. Les marins crient : « Un drapeau blanc ! un parlementaire ! » Nous ne nous y laissons pas prendre ; c'est tout simplement l’ennemi qui cherche à regrouper les débris de l'unité que notre feu a si bien dispersée. Vite, cherchons deux ou trois bons tireurs. « A qui abattra le fanion ! » Un pointeur de mitrailleuse belge et son officier remportent le prix : trois fois le fanion jaune fait la bascule. On ne cesse cependant de le relever qu'au moment où la section égarée rallie à son tour la ligne de feu. Nos marins sont enchantés; enfin ils ont « vu les Boches », et tiré dessus !
A dix-huit heures trente, nous sommes relevés par la compagnie de Malherbe (3ème du 1er régiment). Epuisés par nos trente-six heures de tranchées si mouvementées, nous allons sous la pluie prendre la place laissée par la 3ème sur la rive de l'Yser. Nous nous mettons aux ordres du commandant de Sainte-Marie, le chef du 1er bataillon, qui a la garde du secteur. Au pont, sont les mitrailleuses (trois pièces) avec une section de la 4ème compagnie (Pitons) en soutien. Puis la 9ème , suivie de la 11ème .
L'emplacement que je suis chargé de défendre a été organisé pour une compagnie de deux cent cinquante hommes, et je n'ai plus que cent soixante fusils en ligne. Tant pis, un certain nombre de postes, aux endroits les moins importants, resteront inoccupés. Il pleut toujours. Les hommes sont extenués et donnent une belle preuve de l'insensibilité consécutive à la fatigue. Auprès de la petite maison où les pontiers du pont tournant réunissaient leurs outils, un shrapnell de 77 arrive, régulier comme une horloge, toutes les trois minutes. Il y a donc là un passage à franchir rapidement, et j'en préviens les gradés avant d'y arriver. Mais comme juste à ce point un petit fossé traverse la route, les hommes s'arrêtent instinctivement en tâtonnant, sans, d'ailleurs, chercher le moins du monde à se baisser quand l'obus arrive. Le premier est heureusement trop long, et ma foi ! nous employons quelques bourrades amicales pour décider les gens à faire au trot les 100 mètres nécessaires. Comment nos sentinelles veilleront-elles cette nuit, alors que la pluie qui tombe devrait faire redoubler d'attention ? Je fais une ronde à vingt-deux heures : tous mes factionnaires dorment, sauf un. Du coup j'institue une ronde de gradés d'heure en heure...

(à suivre...)
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Ar Brav
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Lundi 26. — Le jour n'est pas encore levé qu'une vive alerte, avec fusillade toute proche, se produit. Il est environ trois heures trente quand l'alerte est transmise à mon gourbi. Une troupe allemande a réussi à pénétrer en ville par la route d'Eessen et elle vient d'essayer de forcer le pont en chassant devant-elle des Belges, des marins, des pillards rencontrés en ville. Ils poussent des hourras. Le flot des fuyards traverse le pont, suivi de si près qu'on ne s'aperçoit pas des moments où, dans le tas, commencent les Allemands. Le capitaine de frégate Marcotte de Sainte-Marie, l'enseigne de Lambertye, qui sont à leur poste, se voient brusquement bousculés par des Allemands. De Lambertye tombe, tandis que le commandant essaye de décharger son revolver. Les mitrailleuses entrent en action ; le pont est dégagé, il n'y a plus que des morts. Seule, une tête de colonne d'une soixantaine d'hommes a passé. Le reste se disperse dans Dixmude. Ceux qui sont passés foncent droit devant eux par l'unique route qui se présente, celle qui remonte du pont vers Caeskerke. A droite et à gauche, dans les maisons encore debout, des ambulances, des états-majors campent sur la paille. Les Allemands, sans s'arrêter, font feu sur tout ce qui est éclairé. C'est ainsi qu'ils atteignent en passant le médecin principal Duguet et l'abbé Le Helloco, aumônier du 2ème régiment. Ils remontent toujours, profitant de la surprise, tandis que les compagnies de réserve commencent à s'éveiller, à sortir de leurs tranchées. Le capitaine de frégate Jeanniot, qui commande le 1er bataillon du 2ème régiment, formant à ce moment la réserve, s'avance au-devant de la troupe, sans savoir s'il s'agit d'une panique ou d'une attaque. Il se croit suivi, mais ses hommes sont encore loin derrière lui. Tout seul il essaye d'arrêter l’ennemi « Rendez-vous, vous êtes prisonniers. — Non, fous prisonnier », et c'est bien Jeanniot qu'on entraîne. Son capitaine adjudant-major, lieutenant de vaisseau Ferry, a eu le temps de franchir le fossé de la route et de rentrer dans l’ombre. Auprès du passage à niveau de Caeskerke, un barrage s'est formé avec des médecins, des cuisiniers, quelques fuyards ralliés, des automobilistes. Décidément les Allemands ne sont pas en force. Leur coup a manqué ; et, poursuivis par quelques maigres coups de fusil, ils obliquent vers le sud à travers champs et se perdent dans la nuit.
Toute la ligne est en alerte maintenant, et sur la berge de l'Yser nous portons un réseau de sentinelles pour surveiller la zone arrière, car sans doute les quarante Allemands qui restent vont essayer de forcer le passage quelque part pour rentrer chez eux. Pourvu que nos réserves ne s'affolent pas ! C'est nous qui recevrions les balles de leurs fusils ! Mais les officiers se sont rendu compte que, quoi qu'il soit arrivé, le danger immédiat est passé maintenant, et les réserves ne tirent pas. Au petit jour seulement, dans les prairies de la partie sud, une brève fusillade, puis des prisonniers que l’on ramène. Le commandant Jeanniot a été massacré avant que ses assassins aient pu être mis hors d'état de nuire. Mais justice est faite.
Dès que le petit jour permet de distinguer suffisamment les objets, je vais reconnaître le pont. Le spectacle est vraiment intéressant. Derrière les mitrailleuses, des hommes se rapprochent, curieux qu'il faut disperser. Au milieu de la chaussée, un lieutenant de vaisseau tenant un fusil, baïonnette au canon, dans lequel je reconnais l'aimable et ordinairement paisible L..., adjoint au colonel du 1er régiment (*); plusieurs autres officiers. A terre, une véritable jonchée de cadavres dont le pont est couvert : les mitrailleuses ont bien travaillé.
Cette alerte passée, la journée est assez calme pour notre fragment de berge de l’ Yser. Dans le chemin, près de l'eau, sont les abris de combat, profonds, faits chacun pour quatre ou cinq fusils seulement, afin de limiter les pertes si l'un d'eux vient à être atteint. On a réussi à les couvrir tant bien que mal –plutôt mal — avec des branchages et du gazon par où l'eau filtre. Tels quels, ils sont déjà un progrès. D'ailleurs, si l'on s'y établit le soir afin d'être plus tôt parés en cas d'alerte, de jour les sentinelles seules y demeurent : toute la vie se réfugie en contre-bas, sur la pente de la berge qui donne vers la prairie. Nos abris de bombardement sont là, creusés à flanc de talus, impénétrables aux shrapnells, peu exposés aux marmites. Les vieilles briques servent de support naturel aux gamelles où chauffe le café, et les grands trous faits par les obus dans le pré servent au moins à nous débarrasser des boites de singe vides.
Dans la journée, un bataillon de Sénégalais nous est envoyé comme renfort. Pas dommage qu'il nous vienne un peu d'armée française !
Nous nous attendions à partir aux tranchées du cimetière le soir, mais c'est une compagnie voisine qui y va. La 1ère en revient, commandée par d'Albiat, qui a remplacé Payer, tué par un shrapnell. Ils ont subi la nuit dernière un assaut violent, repoussé avec énergie par Melchior, et ont ramené quelques prisonniers, dont un officier d'état-major venu à cheval, seul, à la tranchée qu'il croyait prise. Ce captif insigne a été stupéfait qu'on lui rendît son argent et ses papiers personnels. Il paraît que ces prisonniers sont des troupes de l’active, qui viennent des environs de Reims.

(*) probablement le lieutenant de vaisseau Lorin

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Ar Brav
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Mardi 27 octobre. - Toujours dans les tranchées de la Berge de l'Yser, et sans nouvelles de notre 3ème bataillon qui se bat du côté de Pervyse. Pauvre bataillon ! Il a été bien éprouvé par la journée du 24. Tandis que nous étions aux tranchées du sud avec, en plus de notre compagnie, une section de la 11ème et son capitaine, le reste du bataillon a été envoyé faire face à une attaque allemande qui nous prenait de flanc par une certaine usine à pétrole située au bord du canal, et les fermes voisines de Oud Stuyvekenskerke. L'ennemi a été contenu, mais bien peu de nos camarades sont revenus de cette expédition. Le nouveau chef de la 10ème , l'enseigne Carrelet, l'officier des équipages Hervé, de la 11ème , le capitaine de la 12ème , lieutenant de vaisseau Féfeu (cinquante-huit ans, notre doyen), et son second, l'enseigne Vigouroux, sont tués ou mortellement blessés. Heureusement, un contingent de marins arrive ce matin pour combler quelques vides. Mais de ces deux cent quatre-vingts hommes, notre compagnie ne reçoit aucun. Par contre, il nous arrive un nouveau capitaine, à qui je suis heureux de remettre des marins et des cadres qui ont déjà fait leurs preuves et qui ont acquis de la tenue au feu. Comme pour saluer de quelques salves cet heureux événement et baptiser solennellement le capitaine B...(*), les marmites commencent à pleuvoir sur nous, et obligent à garder le personnel tapi dans les trous, de onze heures trente à quinze heures. D'ailleurs, les abris résistent bien. Deux obus, qui semblent de 150, explosent successivement, l’un à 5 mètres, l'autre à 3 mètres du gourbi où je suis en train de passer le service à mon nouveau chef. Résultat : le sabre neuf du capitaine est instantanément culotté comme par un long service, et la toiture de notre abri s'affaisse un peu. Quoique le bombardement soit parfaitement réglé, nous n'avons aucune perte. Seulement, dans l'après-midi, alors que des shrapnells miaulent encore au-dessus de la berge, malgré nos recommandations expresses, un second maître, chef de section, grimpe sur le talus pour mettre son sac à l'abri de la petite pluie qui commence... Une balle de shrapnell à l'abdomen le blesse mortellement. C'est une grosse perte. Et dire que, d'après les médecins, presque un tiers de nos morts ou de nos blessés sont, comme celui-ci, victimes de leur imprudence ! On sort des abris pour un rien : de l'eau à puiser, une lettre à montrer à un ami, un mot à dire au camarade d'à côté, ou simple ennui d'être enfermé. Pourtant les shrapnells balayent tous les espaces découverts, on le sait, les ordres de rester à l'abri sont formels, les officiers s'enrouent à les répéter sans relâche. Nos enfants terribles continuent, malgré tout, leurs imprudences inexcusables.

(*) lieutenant de vaisseau Béra

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Ar Brav
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Mercredi 28. — Passé la journée au même poste. Effectif de la compagnie, officiers compris : cent soixante-deux. Moins d'obus sur nous, mais un calibre très gros sur nos camarades du haut pont. C'est au moins du 280, et peut-être davantage ; deux trous dans la berge sont larges et profonds ; une maison atteinte en plein s'est complètement effondrée; mais le pont lui-même reste intact, et les allées et venues continuent.
A gauche des tranchées de notre compagnie, une minuscule chapelle blanche avec, derrière, un grand arbre, fournissent un excellent point de repère aux Allemands, qui se gardent bien de les démolir : juste au même point, un talus en pente douce raccorde la berge à la ferme située à 100 mètres dans le schorre. Ce petit talus force les hommes qui circulent le long de la ligne à quitter la protection de la berge pour se silhouetter un instant sur le ciel : aussi les shrapnells sont-ils nombreux à cet endroit. La ferme elle-même, plusieurs fois atteinte, dresse encore un corps de logis écorné, aux fenêtres démolies par l'explosion des marmites : des autres bâtiments, il ne reste que des ruines calcinées. C'est dans les débris de cette ferme que le cuisinier des officiers du 1er bataillon s'obstine à préparer le repas de ses officiers. Le capitaine et moi, nous sommes admis à profiter de ses talents et, trois fois par jour, on voit cinq ou six camarades se glisser furtivement ou paisiblement, suivant les cas, jusqu'à ce que nous appelons, avec une pointe de vanité, notre salle à manger. Il semble que les observateurs ennemis aient fini par repérer ce déplacement périodique ; maintenant, un quart d'heure environ avant chaque repas, l'arrosage du petit talus et de la cour de ferme commence ; il faut « attendre l'embellie », ou « laisser passer le grain », et les premiers rendus ont toujours un peu l'appréhension que quelqu'un de leurs camarades ne soit détérioré avant d'arriver.
Aujourd'hui, les Allemands ont trouvé mieux : quand nous avons été tous réunis, quelques marmites ont fait un petit arrosage méthodique. A mesure que les obus se rapprochaient, on commençait à se regarder : « faudra-t-il décamper ou réussirons-nous à finir le repas sans encombre ? » La question est résolue : nous avons trop tardé, plus moyen de sortir ; et la dernière marmite tombant avec un floc ! décourage dans certaine mare d'eau sale voisine de la fenêtre, asperge toute la pièce d'un liquide boueux, noirâtre... Cela nous apprendra à faire les Sybarites.
D'ailleurs, l'ennemi ne ménage guère ses munitions : il suffit du plus petit groupe, parfois de deux hommes passant lentement ou stationnant à découvert, pour attirer une salve de shrapnells : j'en fais l'expérience l'après-midi de cette journée : un factionnaire nous avertit d'une petite alerte dans le nord. Grimpé prés de lui, j'observe paisiblement à la jumelle ce mouvement de troupes ennemies ; le buste seul émerge au dehors. Il y avait à peine une vingtaine de minutes que nous regardions ainsi tous deux qu'un quadruple miaulement, suivi instantanément d'explosions bien connues, nous fait piquer une tête précipitamment dans la tranchée la plus proche. Une seconde salve éclate au-dessus de notre trou ; et nous voilà riant tous deux : « huit coups perdus, lieutenant ! — Quelle chance ! dire qu'en temps de paix il fallait être au moins contre-amiral pour avoir droit à un salut de huit coups de canon ! »
Pendant la nuit, une alerte assez chaude au sud de la ligne entre vingt et une heures et vingt et une heures trente.

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Jean RIOTTE
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Re: Journal d'un fusilier marin

Message par Jean RIOTTE »

Bonjour Franck,
Merci de nous faire partager ce journal. J'apprécie beaucoup.
Cordialement.
Jean RIOTTE.
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Ar Brav
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Re: Journal d'un fusilier marin

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,
Bonjour Jean,
La suite, et bonne semaine à tous,
Bien cordialement,
Franck

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Jeudi 29. — Ce matin, nous aurons de la viande fraîche ; une vache blessée se trouve pas trop loin de nous; le boucher de la compagnie m'affirme qu'elle est jeune, et pas trop abîmée. C'est une joie pour tous, car nous sommes depuis le début au régime exclusif du singe. Un pauvre premier maître de la 1ère compagnie reçoit en plein le premier shrapnell de la journée, en passant auprès de notre fameuse "salle à manger" ; plusieurs heures se passent avant que nous puissions relever le corps, affreusement abîmé. Cependant, la journée est normale. A la tombée de la nuit, notre aumônier, l'excellent abbé Pouchard, vient bénir sur place la tombe où repose le premier maître.
Le pont du chemin de fer a été détruit par une marmite.
Les Sénégalais occupent, devant nous, les tranchées du secteur nord de Dixmude, du côté de la route de Keyem et de Beerst. Nous les avons vus prendre leur poste et se faire fraîchement accueillir par les 105. La nuit, deux alertes, pluie.

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Re: Journal d'un fusilier marin

Message par loic1386 »

Bonjour Franck,

Superbe témoignage, merci de nous en faire profiter.

Image
Le monument de Laffaux, photographié en juillet dernier.

Image

Amicalement.
Loïc


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Ar Brav
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Re: Journal d'un fusilier marin

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,
Bonjour Loïc,
Merci de vos encouragements et pour les photos de la stèle de Laffaux.
Bien cordialement,
Franck

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Vendredi 30. — Début de matinée charmant : la pluie a cessé, et l'artillerie ennemie fait relâche. Par contre, notre artillerie de 75 gronde sans interruption dans le Sud ; c'est un roulement continu ; les gens qui se disent renseignés, affirment qu'il s'agit d'un bombardement de la forêt d' Houthulst ; en tout cas, tout le monde est joyeux d'entendre la voix sympathique de nos pièces françaises. Quoi qu'on en ait dit, nous reconnaissons nettement le son du 75 français de la plainte plus aigue du 75 belge. L'oreille est assez exercée, d'ailleurs, pour distinguer au son les calibres amis ou ennemis.
Ce calme relatif de l'artillerie allemande a un inconvénient : nos hommes deviennent de plus en plus téméraires, insouciants, et se promènent bien plus que nous ne voudrions. Or, on ne sait jamais si l'ennemi ne va pas reprendre son tir. En effet, il expédie quelques salves vers neuf heures. L'enfantillage des marins est excessif. J'en ai vu hier soir un qui se lavait en plein air, le torse nu, tandis que les obus s'acharnaient sur une partie de la berge très rapprochée de son poste. Il a tranquillement achevé sa toilette, décidé à profiter pleinement de l'eau qu'il s’était procurée à grand' peine.
Le génie belge installe un pont avec des barils à bière, juste en face de ma section. Mais quand j'essaye de faire exécuter le mouvement de rabattement le long de la berge, puis de mise en travers pour vérifier le fonctionnement, j'ai dû constater que les deux hommes qu'on m'a laissés pour exécuter cette manoeuvre sont des sapeurs - télégraphistes qui ne connaissent rien en pontage. C'est le moment de se débrouiller. A nous, les fidèles gabiers de la vieille marine ! en un rien de temps, un amarrage est fait, le « filin » trop court, allongé avec un fil de fer qui pendait au bord de la route, et le pont s'ébranle. La première section perd encore un gradé ce soir, blessé à la main par une balle perdue, tandis qu'il fumait sa pipe à l'entrée de son gourbi.

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Ar Brav
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Re: Journal d'un fusilier marin

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Samedi 31. — Ce matin, un travail important : la réorganisation de ma section, et le choix de deux nouveaux chefs d'escouade, l’un, vieux fusilier réserviste, dont il faudra surveiller la tempérance ; l'autre, jeune apprenti mécanicien, dont nous avons apprécié l'intelligence et le sang-froid.
Nous sommes bombardés à nouveau pendant le déjeuner.
Nos enfants continuent à être ridiculement imprudents. Je suis tiré de mon gourbi par des rires et des plaisanteries. C'est un loustic qui a découvert, je ne sais où, un vieux chapeau, un « tube » de soie. Eut-il jamais huit reflets ? il n'en reste plus trace. Voilà mon bonhomme qui se promène à droite et à gauche, pour amuser les camarades. Il va se faire blesser. « Allons ! le mardi gras est passé. Ramasse-moi çà bien vite. » Il rentre. Dix minutes plus tard, nouveaux rires qui m'appellent dehors : l'enfant terrible se promène maintenant debout sur la berge, en pleine lumière, avec son dandinement gauche de marin en capote, le « tube » toujours triomphalement sur son crâne. « Veux-tu descendre ! et plus vite que çà !. » Il s'exécute à regret : « Ne t'avais-je pas dit de finir cette plaisanterie ? — Mais, lieutenant, les copains avaient vu le galurin ; je le faisais voir aux Boches, histoire de leur montrer qu'on ne manquait de rien.
Canonnade toujours intense dans le sud, du côté de la forêt d'Houthulst. Elle semble même avoir progressé vers nous depuis hier.
Aperçu pour la première fois des escadrilles alliées, trois biplans et un monoplan, qui évoluent au-dessus des lignes ennemies et excitent mitrailleuses et artillerie.

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laurent provost
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Re: Journal d'un fusilier marin

Message par laurent provost »

Pleine de sel cette journée... :)
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