Oui merci pour ce début de travail et ces premières reflexions.
1) je me rends compte qu'il va falloir lire et lire des pages et des pages de JMO pour, parfois, tomber sur l'info interessante.
2) Je pense qu'il devait exister des "reseaux". ou des marchés pour faciliter telle ou telle pratique.... C'est un comportement connu et, somme toute, classique, et je vois pas cette époque échaper à la regle : il y aura toujours des gens pret a "aider", pret a "organiser". des profiteurs aussi, des "qui mettent en place", des " qui, en échange de tel ou tel service engrangent des sous"..... mais aussi des gens pour taire, pour aider ( dans le sens noble du terme ) au niveau des militaires, des civils ou du service de santé.
Ce n'est pas tant les mutilations qui m'interressent ici que ce qui tourne autour .
Si, au grand hasard et pour notre grande surprise, nous pourrions trouver recit, rapport de tels agissements !......
marko
Bonjour Marko, Bonjour à tous,
Votre avant dernière phrase me laisse songeur !
Excusez-moi mais pourriez-vous reformuler autrement ?
S'agit-il exclusivement des mutilations, de leur problématique ou de leur environnement ?
Ou bien est-ce l'aspect combines en tous genres ayant eu lieu durant cette guerre qui vous intéresse et dont les mutilations volontaires ne seraient qu'un des aspects car alors le champ est immense ?
florilège:
-infirmier nommé dans un hôpital, jamais à son poste et toujours à l'extérieur, s'occupant principalement de son atelier,
-dentiste mobilisé travaillant "pour son compte" à la caserne avec une tendance forte à s'occuper d'une clientèle à appareiller (prothèses de luxe interdites),
-affaire du faux MM VACHER déjà évoquée sur ce forum à plusieurs reprises ces derniers mois,
-MAM roulant en ZA en coupé sport perso et passant à la pompe militaire (entre autres ...) et terrorisant toute la hiérarchie (déjà évoqué aussi)
-affaires des faux certificats médicaux délivrés par un MAM "bien placé", moyennant rétributions,
-commerçant classé indésirable en ZA et expulsé, se servant des enfants pour faire livrer des boissons à la troupe, environnante, commercer à bon compte, ... qui malgré ce, revient sur place et tente d'obtenir une nouvelle autorisation,
...
J'en passe et des meilleures !
A vous,
Michel PINEAU
Il m'importe peu que tu adoptes mes idées ou que tu les rejettes pourvu qu'elles emploient toute ton attention. Diderot
Je pense qu'il devait exister des "reseaux". ou des marchés pour faciliter telle ou telle pratique....
Bien que n'ayant jamais étudié ce phénomène dans le détail, je ne pense pas, s'agissant des mutilations volontaires, que l'on puisse raisonnablement évoquer l'existence de "réseaux". Il semble au contraire qu'il s'agisse bien souvent d'actes isolés. En revanche, il n'est pas exclu que le bouche à oreille ait permis de faire circuler dans les rangs des soldats quelques "trucs et astuces" pour parvenir à ses fins, et que sur certains secteurs des rumeurs traînaient sur la possible indulgence de tel ou tel médecin qui aurait la réputation de fermer plus ou moins les yeux sur les cas qui lui seraient présentés... A voir...
En revanche, si tu veux vraiment savoir comment fonctionnait sans le détail un réseau d'embuscage, je te conseille la lecture du récent livre de Charles Ridel, "Les embusqués", Armand Colin.
Bonne journée.
Stéphan
ICI > LE 74e R.I.
Actuellement : Le Gardien de la Flamme
Peut-être pas de réseaux, en effet, mais une combine bien organisée dans tous les cas, et des "petits arrangements entre amis"... Ainsi le docteur Georges (66e D.I.) écrivait-il le vendredi 17 décembre 1915 : "A Moosch (Amb. 3/58). […] Vu le soldat T… du 152e Inf. (abcès par injection de pétrole) qui déclare que l’injection a été faite par un camarade dont il donne le nom." (cf. ce que j'ai mentionné plus haut)
A peu près à la même période, le soupçon d'une "épidémie d'oreillons provoquée" a plané sur plusieurs évacués du 5e B.C.P. Alors... après l'espionnite aiguë du début de guerre, une suspicionnite récurrente au sein de la 66e D.I. et de son service de santé... ? Pas impossible, mais les cas de mutilations volontaires par un même moyen n'y ont pas manqué. Le fait intéressant est que dans les JMO, tout cela semble prendre fin brusquement. Des "exemples" ont-ils été faits ? A fouiller...
Amicalement,
Eric
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
je découvre aussi que les moyens d"éviter l'horreur de la guerre était plus vaste que ce que je ne pouvais imaginer au début, c'est dire uniquement la mutilation par les armes, ou encore les réformes diverses. Je découvre que "l'empoissenement" ou la mise hors service par une maladie quelconque était d'usage ( merci Eric )
Stephan, je note la ref du livre.
MP92, non les combines de toutes sortes n'interessent pas mes recherches actuelles .
je voudrais concentrer ma reflexion sur : l'acte sur le front pour se mettre " hors service" et ce qui entoure cet acte là, ceux que ça implique, par qui, a quel niveau, comment...... ( je mets, pour l'instant, le "pourquoi" de coté. je risque d'y revenir plus tard )
de discuter avec vous va pouvoir me permettre d'affiner mes recherches. j'en affine, par la meme ma question .
" existe-t-il des fais avérés de combines qui visent a mettre des soldats " hors service" ?
" ou, qui, quoi ?"
" sous quel forme cela a til mis a jour, dans quel média "?
" qui cela impliquait-il"?
" les consequences pour les interessés" ?
voila voila ...
j'essaye d'affiner ce post pour le concentrer et que nous puissions avancer ....
je prends note de tout ce qui s'y écrit. plus ce que je pourrais trouver en dehors.. mais je connais l'efficacité des gens de ce forum, leur efficacité et leur assuidité... donc...... encore merci de participer a cette reflexion
marko
ce n'est pas à la taille du pinceau que l'on voit le talent de l'artiste
Le Médecin Divisionnaire Georges écrit dans son JMO :
« Mardi 7 décembre [1915]. Tournée Bitschwiller. Vu le 5e Bon à Pied ou plutôt son M. Major 2e classe Lambert. Vu l’infirmerie et entretenu M. Major au sujet d’une épidémie d’oreillons provoqués qui vient d’apparaître à son Bataillon dans la 6e Cie.
Il se trouve que cette 6e Cie est au Sudel ; j’irai la voir demain sur place. »
« Mercredi 8 décembre. Au Sudel (via Willer – Kolschlag), vu la 6e compagnie du 5e Bon Chas. à Pied où 13 cas d’oreillons survenus rapidement à cette Cie avaient été déclarées provoquées par Médecin Chef Hôpital de Bussang.
De l’enquête faite, il résulte que la bonne foi des intéressés ne peut être mise en cause. Beaucoup ont été évacués d’office, par mesure d’isolement. Trois sont à mettre hors de toute suspicion, pour leur allant et leurs marques répétées et constatées de bravoure.
Ils couchaient tous ensemble dans les mêmes abris ; il est possible qu’ils aient été soumis tous à une cause de contagion qui n’était pas la […] des oreillons, mais une substance d’origine végétale ou animale d’existence accidentelle et se trouvant dans lesdits abris.
Plusieurs avaient d’ailleurs eu des températures élevées constatées par les médecins (M.M. Voiturier, Cantonnet, Lambert). Au total, fausse alerte. »
Le JMO du service de santé du 5e B.C.P. mentionne uniquement « du 20 au 29 [novembre] inclus sont à signaler 20 cas d'oreillons. Les mesures prophilactiques sont prises » et porte seulement, à la date des 9-10 décembre, « aucun changement. Le 10, on constate 1 cas d’oreillons à la 1re compagnie. » Beaucoup de bruit pour rien… ?
Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Le dernier chapitre du livre de Sophie Delaporte, "Les médecins dans la Grande Guerre. 1914-1918" (Bayard, 2003) est consacré à ce sujet : "En marge du champ de bataille : blessures et maladies provoquées par les combattants".
En voici quelques lignes (p. 200), en écho aux cas évoqués par Eric.
Le commandant Richier, du 27e Chasseurs alpins, montrait dans un rapport de 1917 le cheminement qui avait conduit les médecins à déceler une « épidémie » de maladies suspectes, et à en démasquer l'instigateur: « L'impression avait été faite de déclarations de médecins, qui avaient remarqué, à de nombreuses reprises, et particulièrement après l'arrivée de renforts, des cas de conjonctivite cédant rapidement au traitement les plus simples, des cas de bronchite sans variation de températures. De plus des hommes racontaient qu'en permission, des camarades mis en sursis pour incapacité physique se vantaient d'avoir usé de procédés spéciaux et avaient offert des recettes. Mais il n'y avait aucun fait précis et caractérisé. Depuis lors, un hasard a fourni sur ce sujet des indications intéressantes confirmant l'impression de départ. Dans les premiers jours de novembre 1917, le Bataillon recevait un portefeuille et divers papiers trouvés en gare de Carnoules (Var) et appartenant au caporal (Debure, Barré), du dépôt du 7e B.C.A. en renfort pour le 27e B.C.A. Le portefeuille en question contenait des notes dont voici la copie textuelle : Pilules Vidas Fièvre, Pastilles de Kermesse pour bronchite, Latonne - Eczéma des oreilles - Plante rare - Pour n'importe quelle partie du corps. Grains de Belle à donner pour les yeux. Angine: faire bouillir 1/2 litre de vin blanc. Y mettre une cuillerée à soupe de poivre. En boire un verre le plus chaud possible ou se gargariser »
Bonne journée.
Stéphan
ICI > LE 74e R.I.
Actuellement : Le Gardien de la Flamme
la difficulté est de savoir si dans le cas d'une contamination nous sommes dans le cadre normale d'une contamination virale ou d'une réél geste prémédité.
et peut-etre était-il bon pour les autorités de le considérer comme un cas normal de contamination virale
j'ai lancé deux trois perches en dehors de ce forum pour glaner d'autres infos.
j'attends les retours et je reviens avec !
ce n'est pas à la taille du pinceau que l'on voit le talent de l'artiste
Suite à nos échanges privés et comme convenu, je mets en ligne quelques éléments concernant les affaires d’août et septembre 1914. Je les ai rassemblés l’an passé, alors que Didier Callabre et Gilles Vauclair s’apprêtaient à venir présenter dans les Vosges leur excellent ouvrage, Le Fusillé innocent. 1914-1917. La réhabilitation de l’artilleur Eugène Bouret, dont je ne peux que recommander chaudement la lecture.
Je me suis intéressé à la focalisation toute spéciale du général Dubail, commandant la Ire Armée, sur la situation du 14e Corps d’Armée. En effet, entre le 20 août et le 12 septembre, une traque de plus en plus sévère aux mutilés volontaires a été menée, dont plusieurs soldats de ce C.A. en particulier, ont hélas fait les frais. Les citations suivantes, extraites du Journal de Campagne du général Dubail, montrent la montée en puissance de cet acharnement sur le 14e Corps, son commandant d’abord, ses soldats ensuite.
Dès le 22 août 1914, le général Dubail écrit dans une note :
« Quelques hésitations se sont produites au sujet du fonctionnement des Conseils de guerre de division.
Les indications données ci-après ont pour but de faire disparaître ces hésitations et de permettre la répression rapide des crimes et délits.
Il a été rendu compte que les divisions évacuaient pêle-mêle sans distinction, les otages et les suspects. Il est à rappeler qu’à ce sujet il ne doit pas y avoir de confusion entre les OTAGES et les SUSPECTS.
Les OTAGES sont considérés comme des prisonniers de guerre et évacués le plus tôt possible vers l’intérieur.
Les SUSPECTS au contraire doivent être traduits le plus tôt possible devant le Conseil de guerre de la Division. Ceux reconnus coupables sont punis conformément aux lois. »
23 août : « Je reçois par téléphone, à 6 h. 30, les doléances du général commandant le 14e Corps. Il se plaint de ses troupes de réserve, ne leur accorde aucune confiance et les considère comme inexistantes. Il ne croit pas pouvoir tenir avec les seules forces dont il dispose. Le moment est grave : j’ai besoin d’une énergie de fer au 14e Corps et je prends la pénible décision d’enlever au général P… [Pouradier Duteil] son commandement et de le donner au général Baret. » (Journal de Campagne)
26 août : « Les Corps d’Armée établiront, sur les derrières du champ de bataille, leurs prévôtés avec ordre de barrer les routes, de rejeter vers l’avant tous les fuyards, en faisant, s’il le faut, quelques exemples. Toutes les questions d’humanité doivent céder devant la gravité de l’heure. Il faut atteindre la Meurthe coûte que coûte. »
« Un autre bruit m’arrive : les Allemands seraient à Taintrux sur la droite du 14e Corps. J’en avertis également le général Baret, mais en lui disant de contrôler le fait. Il est possible qu’il y ait erreur, car la brigade de réserve était au col d’Anozel et deux escadrons de la brigade Gendron avaient été appelés à Taintrux. Mais je ne puis attendre la confirmation de ces nouvelles. Ce qui peut arriver de pire, c’est la retraite du 14e Corps sur la rive gauche de la Meurthe ; aussi je donne, à 19 heures, mon ordre pour le lendemain ; il se résumera en ceci : « continuation de l’offensive vers la Meurthe ». On pensera qu’il est peut-être exagéré de demander constamment des efforts à des Corps d’Armée épuisés et disloqués ; c’est cependant le seul moyen de se maintenir en position et d’en imposer à l’ennemi, car si nous n’attaquons pas, nous serons attaqués nous-mêmes. La fatigue est telle que si l’ordre est de se maintenir sur place, on reculera au premier coup de canon. Nous nous efforcerons donc d’attaquer. » (Journal de Campagne)
27 août : « Dans le repli de la droite du 14e Corps, la 58e Division de réserve s’est jetée en arrière sans ordre, dans le massif des Rouges-Eaux, découvrant ainsi la droite du Corps d’Armée. Comme ce n’est pas la première fois, je demande un rapport sur ces défaillances successives et sur les responsabilités du commandement à cet égard. » (Journal de Campagne)
Le 28 août, il est devenu évident que les soldats encadrés par la prévôté du 14e Corps ont été dirigés sur Epinal, pour y être traduits devant le conseil de guerre de la Place, sur ordre des généraux des 27e et 28e D.I. Aussi Dubail, dans une note du même jour, procède-t-il à cette mise au point :
« Il a été rendu compte au général commandant l’armée que de nombreux militaires prévenus de crimes ou de délits commis aux armées, certains même en présence de l’ennemi, avaient été dirigés sur Epinal pour être traduits devant le Conseil de guerre de la place d’Epinal.
Les Conseils de guerre devant être à l’heure actuelle constitués dans toutes les divisions, cette manière de procéder est irrégulière. Elle retarde ou entrave l’administration de la justice. Elle dénote enfin chez les chefs qui se déchargent ainsi de l’une des prérogatives essentielles du commandement une négligence, sinon une crainte des responsabilités, également inadmissibles dans les circonstances actuelles.
Les généraux commandants les corps d’armée et les divisions sont invités à donner des ordres formels pour que les crimes et délits soient poursuivis conformément au code de justice militaire. »
Le 29 août, le général Besset, commandant la 58e D.R., est limogé, et remplacé par le général Claret de la Touche.
30 août : « A 2 heures du matin, je reçois de mauvaises nouvelles du 14e Corps. […] Mon parti est pris. Je ne reculerai pas et je maintiens mon ordre d’attaque, malgré la déclaration du général Baret qui me représente sa division de gauche comme à bout de forces. » (Journal de Campagne)
Les conseils de guerre temporaires des 27e et 28e D.I. sont créés le 31 août (28e) et le 3 septembre (27e). Le conseil de guerre aux Armées du 14e Corps est constitué le 3 septembre également.
Fin août, puis début septembre 1914, la pression sur les suspects monte d’un cran, avec les directives du général Dubail :
« J’apprends que les cas de mutilations volontaires deviennent de plus en plus nombreux, notamment au 8e Corps et au 14e Corps. J’invite les généraux et chefs de corps à sévir avec la plus grande rigueur. Il faut des exemples immédiats et pour cela actionner les conseils de guerre. Je rendrai les officiers généraux et supérieurs personnellement responsables de l’inexécution de ces mesures de rigueur qui ne sont que des mesures de salut public », et l’Ordre Général n°11 du général Joffre (2 septembre) : « Les fuyards, s’il s’en trouve, seront pourchassés et passés par les armes. »
Ce même jour, Dubail écrit :
« 2 septembre 1914 – Il a été signalé au général commandant la 1ère Armée qu’un certain nombre d’hommes se sont mutilés volontairement en vue d’être évacués sur l’arrière comme blessés. De tels actes de lâcheté ne peuvent être le fait que d’un nombre infime d’individus, il n’en est pas moins nécessaire de poursuivre leurs auteurs avec une rigueur extrême. Il est bien évident que ceux qui se font évacuer dans ces conditions abandonnent volontairement leur poste en présence de l’ennemi, crime qui est prévu par le code de justice.
En conséquence, les généraux commandant les corps d’armées donneront d’urgence des ordres pour que les blessés légers, notamment ceux atteint à la main gauche ou au pied gauche, soient attentivement examinés à ce point de vue, et que tout homme soupçonné de mutilation volontaire soit immédiatement traduit en conseil de guerre. »
Le 4 septembre, le docteur Hassler, directeur du Service de Santé du 14e Corps, écrit :
« Il a été retenu par le filtre de l’hôpital d’évacuation, 28 hommes présentant à un doigt à la main gauche des blessures légères paraissant par leurs caractères relever d’une mutilation volontaire. Ils ont été dirigés sur l’avant à la disposition de leur division. D’autre part, le médecin chef de la 27e division a rendu compte qu’il a retenu au quartier général de la division, 7 hommes atteints de plaies par coups de feu à la main gauche tirés à bout portant. Ces hommes doivent être jugés aujourd’hui. Il a donné aux médecins placés sous ses ordres des instructions pour signaler et retenir tous cas analogues. »
Ce même jour, le conseil de guerre de la 27e D.I., à la Passée du Renard, juge 10 hommes, parmi lesquels figurent les 7 remis la veille à la division. 4 des 10 accusés sont condamnés à mort au motif d’abandon de poste en présence de l’ennemi le 3 septembre. Le 5 septembre au matin, les 4 condamnés sont fusillés près de l’église des Rouges-Eaux.
C’est également le 5 septembre que le général Joffre, dans une circulaire aux généraux d’armée, leur ordonne d’appliquer la répression « par une procédure sommaire sans s’attacher aux formalités visées dans le Code [de justice militaire] [en cas de] fuite, abandon de poste masqué ou non par des mutilations volontaires, pillage ou espionnage. » Et pourtant, le même jour, le conseil de guerre de la 28e D.I., qui juge 8 hommes accusés de mutilation volontaire, les condamne à 1 an de détention.
Le 6 septembre, le général Baret, commandant le 14e Corps, fait le reproche de ce jugement au commandant de la 28e D.I., le général Putz :
« Il a été rendu compte au général commandant le corps d’armée que des hommes s’étant mutilés volontairement ont été condamnés par le conseil de guerre de la 28e division à un an de prison. Une condamnation aussi légère ne peut provenir que d’une fausse inculpation.
Il avait été rappelé cependant aux officiers de liaison, au rapport du corps d’armée du 3 septembre, que les mutilés volontaires devaient être inculpés d’abandon de poste.
C’est cette seule inculpation qui devra être relevée à l’avenir. Pour les condamnés d’aujourd’hui, la condamnation sera suspendue, après pansement sommaire, ils seront renvoyés sur la ligne de feu. A la 27e Division, ils ont été condamnés à mort et exécutés. »
Le 7 septembre, le docteur Hassler rend compte des faits suivants :
« La cour martiale de la 27e D.I. a jugé dans la journée du 7 : 61 mutilés. 37 sont acquittés et 24 soldats sont reconnus coupables après expertise faite par le médecin Divisionnaire. Condamnés à mort, ils ont été graciés par le général commandant la division. »
Cette répression croissante se fait sentir dans la troupe, et Jean-Elie Jury, soldat de la 27e Division d’Infanterie, écrit le même jour : « Encore une journée d’attente. On nous lit à l’ordre du jour un ordre du général Joffre expliquant les manœuvres de repli et demandant les mesures les plus sévères contre les pillards, les fuyards et les mutilés volontaires. »
Et la traque n’est pas terminée. En effet, aux 4 fusillés du 5 septembre, et aux 6 fusillés du 7 septembre, s’ajoutent 3 fusillés le 12. Parmi eux se trouve Louis Ferdinand Inclair, du 30e R.I. Le fait pourrait être anecdotique, puisque les fusillés appartenaient tant aux chasseurs alpins qu’à l’artillerie ou, dans ce dernier cas, à l’infanterie. Néanmoins, il trouve son intérêt dans l’attention qui semble s’être portée sur ce régiment, une attention qui n’a pu que desservir Inclair dans le traitement expéditif de son cas devant la justice militaire. Pour fouiller le sujet, voyons ce que nous apprennent les archives médicales.
Dans un premier temps, un rapport médico-chirurgical sur le fonctionnement de l’Ambulance 1/14 à Plainfaing et à Fraize, du 13 au 22 août met en exergue la fameuse focalisation sur les blessures « douteuses » des mains ou des pieds :
« Membres : nombreuses lésions à la main gauche ; en particulier, éclatement du pouce ou section des deux ou trois derniers doigts […] ; assez nombreuses plaies des pieds ; une plaie pénétrante de l’articulation tibio-tarsienne sans grosse réaction articulaire. »
Certes, le 14e Corps d’Armée n’est pas le seul au sein duquel les mutilations volontaires sont traquées, et comme le soulignait également le général Dubail à la même période, le 8e Corps présente de nombreux cas de moins en moins « suspects » :
Journal des Marches et Opérations de l’Ambulance 3/8, 31 août : « Evacuation à 8 h. 20 de 72 blessés légers. Sur ces 72, plus de la moitié est atteint de coup de feu de la main gauche avec fracture d’une phalange, amputation d’un doigt, etc. Quelques blessures semblent faites à très faible distance (bords noircis). Quelques régiments (134e & 222e) sont particulièrement riches en blessures de ce genre. Il paraît vraisemblable que les mutilations volontaires interviennent dans cette statistique des plus anormales. »
Il n’est pas surprenant que de tels régiments soient mentionnés, qui ont déjà terriblement souffert depuis le début de la campagne, et dont les hommes sont à bout de forces, tant physiquement que moralement. A titre d’exemple, ne citons que le 134e R.I., qui a déjà subi des pertes effarantes à Saint-Jean-de-Bassel (400 hommes hors de combat), à Rozelieures (près de 1300 hommes hors de combat), puis devant Magnières (250 hommes hors de combat).
Au 14e Corps, bien des unités ont été durement touchées dès leur baptême du feu, dont les 11e B.C.A., 52e R.I. et 75e R.I. Le 30e R.I., pour sa part, a déjà combattu à Villé, aux abords de Sainte-Croix-aux-Mines, de Rothau. Mais du 24 au 28 août, le régiment est contraint à battre en retraite vers Saint-Dié, en combattant au col de Robache entre autres. Entre le 28 août et le 10 septembre, le 30e R.I. combat au col d’Anozel et dans ses environs. C’est dans ce contexte que plusieurs cas de blessures suspectes sont signalées dans les formations sanitaires de Granges-sur-Vologne, dont deux au 30e :
Evariste Eyraud, 30e Régiment d’Infanterie, 2e compagnie, d’Annecy, blessé le 6 septembre 1914 à Taintrux, perforation de la main gauche par balle. Entré le 7, évacué le même jour à Gérardmer.
Joseph Roux, 30e Régiment d’Infanterie, 4e compagnie, de Lyon, blessé le 6 septembre 1914 à Taintrux, hachure de la première phalange de l’auriculaire de la main gauche. Entré le 7 septembre, évacué à Gérardmer le même jour.
Qu’est-il advenu de ces hommes ? Je l’ignore. Mais dans tous les cas, leur histoire s’inscrit en filigrane dans celle de l’acharnement dont le 14e Corps a fait l’objet…
Ce ne sont là que quelques pistes, et je remercie grandement Didier Callabre et Gilles Vauclair, qui m’ont permis d’en apprendre beaucoup à ce sujet. Il reste à fouiller cette problématique, et leur ouvrage le permet tout particulièrement.
Bien cordialement,
Eric Mansuy
P.S. Pour un aperçu de la presse médicale de l'époque, tu peux jeter un oeil à l'inégalable bibliographie de Laurent Provost.
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Je viens de reprendre les dossiers de recours en grâce des condamnés à mort (1900-1916), et y ai déjà fait des découvertes instructives.
Sur les 48 cas ayant existé entre le 28 août et le 30 décembre 1914, on trouve 11 rejets de grâce - parmi lesquels figurent trois soldats allemands, un civil belge, un civil français. Pour le sujet qui nous intéresse, cinq hommes coupables d'abandon de poste en présence de l'ennemi et mutilation volontaire (des 21e B.C.P., 83e R.I. [coup de feu dans le pied], 1er Etranger [balle dans le bras], 47e R.A.C. [balle dans la jambe], 6e R.A.C. [coup de feu dans la main droite]) bénéficient d'une grâce.
Je poursuis avec les années suivantes...
Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.