Mission Carrel

Organisation, unités, hôpitaux, blessés....
MP 92
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Re: Mission Carrel

Message par MP 92 »


Bonsoir,
Pour l’H.O.E. de LITZ.

Le n’ai pu vérifier le N° de l’Ambulance, n’ayant pas retrouvé ma Source.

Concernant les dates : HOE commencé le 2 mai 1918, opérationnel le 4 juin 1918 départ des premiers éléments pour Bellicard le 5septembre 1918. En quittant Litz l’HOE a laissé le bloc des gazés de 400 lits à l’Ambulance 15/6. - Source Médecin Inspecteur Général Bassères, SS III° Armée.

Amicalement,
François
Bonjour François,

Des dates ou périodes de fonctionnement différentes entre 17 et 18 ne sont pas incompatibles en soit. Je ne sais pas si c'est le cas de LITZ ?
En effet, certains HOE ont fonctionné pour telles opérations (secteur très agité pendant X temps) puis ont été fermés et ont été de nouveau réactivés lors d'opérations ultérieures. Ou bien, variante, avant la création de tel HOE "en dur", lors de certaines opérations, une ou plusieurs amb. en gare, ont été missionnées pour faire fonction d'HOE quelques jours ...
Enfin, j'ai noté aussi, une fois ou deux, qu'un HOE sous baraques ayant été abandonné plusieurs mois mais ayant été "récupéré" par telle troupe de passage comme gite improvisé, soit retrouvé dans un état déplorable (récupération de bois pour se chauffer) ... et nécessite une sérieuse remise en état avant de pouvoir refonctionner !

Bon 1er mai,

Bien cordialement,
Michel PINEAU

Il m'importe peu que tu adoptes mes idées ou que tu les rejettes pourvu qu'elles emploient toute ton attention. Diderot
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alain chaupin
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Re: Mission Carrel

Message par alain chaupin »

Ce sujet a été déplacé de la catégorie Soldats de la Grande Guerre vers la categorie Forum Pages d'Histoire : service santé par Alain chaupin
Ceux qui reviendront de cette guerre et qui auront comme moi passés par toutes les misères qu'un homme peut endurer avant de mourir, devra s'en souvenir, car chaque jour qu'il vivra sera pour lui un bonheur."
Gaston Olivier - mon Grand-Père
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TERNY02
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Re: Mission Carrel

Message par TERNY02 »

Bonjour à tous,
Selon la légende d' une carte photo que je viens de me procurer, il semblerait qu'il existait en avril-mai 1918 également une Ambulance CARREL à Villers-Cotterêts ! (La famille MENIER possédait des immeubles et un équipage de chasse à courre dans cette ville). J'interroge la Société Historique de Villers Cotterêts sur cette présence. Bien cordialement,
Pierre
terny
MP 92
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Re: Mission Carrel

Message par MP 92 »

Bonjour à tous,
Selon la légende d' une carte photo que je viens de me procurer, il semblerait qu'il existait en avril-mai 1918 également une Ambulance CARREL à Villers-Cotterêts ! (La famille MENIER possédait des immeubles et un équipage de chasse à courre dans cette ville). J'interroge la Société Historique de Villers Cotterêts sur cette présence. Bien cordialement,
Pierre
Bonsoir TERNY02, Bonsoir à tous,

Toujours à propos de votre affaire de biens appartenant à la famille MENIER à VILLERS-COTTERETS (notamment une vennerie), je vous recommande sur les conseils d'un ami, un ouvrage "Le grand Break" de René LUCOT, édité par CORPS 9 (209 pages).
C'est un roman mettant en scène un jeune homme qui habite VILLERS de 14 à 18, qui voit arriver les allemands, un hôpital ou une amb. qui s'installe au château en 15 et l'évacuation des blessés en mai 18.
Cependant le nom de CARREL n'apparaît pas en clair !

Cordialement,
Michel PINEAU

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dan285
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Re: Mission Carrel

Message par dan285 »



Salut Michel et bonjour à Pierre

Permettez moi d'ajouter une référence "biblio"....que vous connaissez déjà peut-être.. ??.


Georgette Mottier, L'ambulance du DT Alexis Carrel, 1914-1919, Epalinges (Suisse), « La Concorde », 1977, 15x18 cm, 170 p., nombr. photogr.

Alexis Garrel (1873-1944)[/b], en vacances en France, est mobilisé le 1er août 1914 et affecté au triage des blessés arrivant en gare de Lyon, puis à l'Hôtel-Dieu de cette ville où il est confronté au redoutable problème de la vieille plaie infectée, génératrice de tant d'amputations inefficaces et de morts.
Ce qui lui paraît essentiel, c'est d'intervenir aussi vite que possible après la blessure dans un hôpital placé près du front. Grâce à ses amis américains de la Rockefeller Foundation, il obtient d'être le médecin-chef de l'hôpital temporaire n° 21, installé au Rond-Royal en bordure de la forêt de Compiègne, à 14 km du front. Il ne commence à fonctionner qu'en mars 1915, a cause des lenteurs administratives et aussi parce que Carrel voulait des infirmières de haut niveau et les a fait venir, sur les conseils de son ami Th. Kocher, de l'Ecole d'Infirmières de la Source, fondée à Lausanne, en 1859, par le comte et la comtesse de Gasparin. Cette école est dirigée par le Dr Charles Kraft (1863-1921), pionnier européen des soins à donner aux malades et de Pappendicec- tomie puisque son maître César Roux voulait appeler l'appendicite « Krafftite ».
Kraft envoya à Carrel 35 infirmières qui lui donnèrent entière satisfaction et c'est le journal intime de l'une d'elles, Marcelle Schmidt-Bregand, qui constitue la partie essentielle de l'ouvrage écrit par Georgette Mottier à l'aide des archives de la Source et des correspondances des « Sourciennes » de cette époque. L'hôpital de Rond-Royal, trop près du front, était exposé aux bombardements, malgré une signalisation indiquant, sans discussion possible, son existence. Il fut évacué en mars 1918 et réuni à Noisiel, à 22 km à l'est de Paris, dans un grand bâtiment appartenant à la fabrique de chocolat Menier. Le laboratoire fut hébergé à Saint-Cloud dans un terrain offert par le Dr Debat. Depuis octobre 1917, une partie de l'équipe du Dr Garrel était affectée à l'Auto-chir 31, car dès 1915 A. Garrel avait préconisé ce type d'ambulance mobile.
La vie de l'hôpital de 1915 à 1919, c'est celle d'A. Garrel et de sa femme, entourés d'un état-major qui comprenait les Drs Bermond, Dehelly, Dumas, Guillot, Woimant, Vincent (bactériologiste), H. Dakin (chimiste), P. Lecomte du Noiiy (biologiste), Daufresne (pharmacien), Audigrame (chirurgien) et Jaubert de Beaujeu (radiologue). Cette équipe mit au point la biologie et le traitement de la plaie de guerre et marqua un nouveau tournant de la chirurgie d'armée. Georgette Mottier nous fait revivre toute cette époque à l'aide de photographies et de documents inédits du plus grand intérêt. P. Huard.

J'ai quelques petites données sur Carrel...il faut aussi savoir, entre autre.... qu'il existe une rue "Carrel" à Verdun...ce qui a vraisemblablement voulu remercier et exprimer une marque de reconnaissance

Bien cordialement
Daniel

dan285
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Re: Mission Carrel

Message par dan285 »

Effectivement...je viens de lire le titre de l'ouvrage référencé dans la page biblio de "Histoire:service santé"
Désolé....
WM_GP
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Re: Mission Carrel

Message par WM_GP »

Voici trois lettres envoyées par mon grand-père le Dr Henri Woimant au Dr Soupault pour son ouvrage sur le Dr Alexis Carrel qui vous donneront quelques détails, pas toujours repris par ce dernier, à propos tant de Litz - Catenoy (Oise) que Villers-Cotterêts (Aisne). L'ambulance avait une certaine liberté qui empêche de la suivre précisément dans ses pérégrinations.
Les opinions eugénistes du Dr Alexis Carrel durant la guerre de 40 ont conduit tardivement à jeter l'approbe sur ce dernier et supprimer un certain nombre de noms de rues ici et là en France. À Compiègne, le nom de rue du Dr Carrel située à proximité du Camp de déportation a été changé et reporté à une allée voisine de l'hôtel du Rond-Royal non plus à son seul nom mais à celui de l'Ambulance du Dr Alexis Carrel qui était une équipe internationale. De nombreuses polémiques ont été soulevées alors (voir Internet).


Docteur Henri Woimant (1880-1955)

Première lettre au Dr Soupault pour son livre sur le Dr A. Carrel (21.05.1949)

Mme Carrel vous éclairera mieux que moi. À l’époque où j’ai approché M. Carrel, à partir d’avril 1916, la méthode de traitement des plaies était déjà établie et il avait souvent à s’absenter, en particulier pour des séjours aux États-Unis. Je crains de ne vous donner que des redites ou des aspects superficiels.
Probablement l’avez-vous connu ? De taille moyenne, assez en chair, sans trop, le crâne chauve à contours grisonnants, une figure pleine, ronde et rasée, qui faisait dire de bonne foi à un visiteur le voyant revêtu de sa blouse noire habituelle “c’est votre aumônier”. Il n’avait pas changé entre cet avril 1916 et cette après-midi de 1942 ou 1943 que nous passâmes en souvenirs.
L’abord était facile, l’attitude, le geste simple et sobre, la voix un peu sourde et contenue. Bientôt les yeux brillaient derrière le lorgnon, le visage s’animait, une moue se dessinait, par instants, qui soulevait la lèvre inférieure : il cherchait quoi obtenir de l’interlocuteur. Les questions se pressaient, d’allure parfois naïve. Mais c’était justement sa force que d’avoir en même temps qu’une entière confiance en la technique, la faculté de tout voir sous un angle nouveau et l’idée féconde que des notions élémentaires tenues pour définitives, sont souvent celles qui demandent révision.
Une certaine timidité dont témoignaient des afflux sanguins brusques, des irritations soudaines et maîtrisées. De l’émotion vraie en face de la souffrance dont elle n’avait de cesse qu’elle ne soit apaisées. Avec un peu de goût pour la plaisanterie, il était capable de pouffer à une drôlerie.
À une connaissance étendue des milieux scientifiques américains, il joignait une méconnaissance aussi volontaire de ce qui faisait encore le vieux monde dont il appréciait peu les officiels. Du Français, il disait souvent qu’il était trop intelligent.
Par ailleurs, un jour, rentrant des États-Unis, devant un paysage de l’Oise, on l’entendait murmurer “Cela dépasse les Rocheuses”.
Autour de lui, avec Mme Carrel l’animatrice de la formation, mon vieux camarade Dehelly, chirurgien remarquable, parti trop tôt, puis Guillot, fruste et malicieux, qui remplaça Dehelly à son départ en Roumanie, Daufresne, successeur de Dakin, chimiste de valeur, disparu dans une explosion de bateau en 1940, Lecomte du Noüy, élève de Louis de Broglie, l’intelligence et le tact même, acteur, auteur, sportif, d’une grande adresse manuelle.
À Compiègne, nous évoluions au milieu d’un monde de visiteurs de toutes races et de toutes origines, armorial, social, médical et militaire, infirmiers et médecins stagiaires. Je revois de grosses perles sur de fortes oreilles, la teinture artistique d’un maître en chirurgie, les bottes mordorées de Lord Fischer, le visage amusé du futur Maréchal Fayolle au microscope, le front revêche de Mme Jacquemaire-Clemenceau, les larmes de ce médecin portugais, lisant dans le livre d’or la signature de la reine Amélie.
Ce qui nous empêchait pas de travailler sérieusement. Avec notre très bonne installation, notre excellent personnel (des infirmières suisses et américaines ponctuelles et dévouées) les blessés au Rond Royal ont certainement été bien soignés : réanimation sur tables et sous cerceaux chauffants, perfusions (au début artères à veine avec la canule d’Elsbay ou celle de Tuffier) avec des seringues paraffinées, plus tard au sang citraté, appareil de Miss Gosset, parage minutieux des plaies, irrigation discontinue, d’abord par les infirmières, ultérieurement par un appareil ingénieux à déclenchement automatique, pansements dits américains, venus en réalité de la formation, examens bactériologiques tous les deux jours, fermeture précoce, greffes d’os et de peau libre. Nous établissions des courbes, des schémas, des statistiques, nous suivions les évolutions par des photos en couleurs*. Du Noüy et Mme Carrel étudiaient la cicatrisation spontanée en faisant des relevés sur cellophane et au pantographe.
J’avais de nombreux documents qui ont disparu.
En 1917, l’ennemi s’éloignant, nous avions obtenu une autochir légère et nous allions successivement sur le plateau de Soissons, à Villers-Cotterêts, à La Neuville-en-Hez (offensive Mangin sur le Matz).

Deuxième lettre au Dr Soupault pour son livre sur le Dr A. Carrel (03.05.1949)

Monsieur Carrel avait compris qu’il ne devait pas se laisser engager dans les détails administratifs et s’était fait adjoindre le Dr Bernond, de l’Armée Coloniale. Il n’en restait pas moins le Chef de la Mission, de sorte qu’on assistait au spectacle militairement pittoresque d’un médecin de réserve à 2 galons - il en prit davantage par la suite - donnant ses ordres à un médecin de l’active à 3 galons.
Mes souvenirs directs ne partant que d’avril 1916, voici ce que j’ai cru saisir de la genèse de la Mission. Déjà de réputation mondiale par ses travaux, son prix Nobel, son appartenance au Rockefeller, Monsieur Carrel n’avait cependant été mobilisé à Lyon, son pays d’origine, que comme simple aide-major de 2ème classe. Il avait autrefois donné ses soins (une transfusion dans des circonstances dramatiques) à un enfant de James Hyde, magnat des Assurances, dont M. Millerand, devenu Ministre de la Guerre, était en France l’avocat-conseil. Après la période si tragique pour les blessés du début de la guerre (je revois pendant la 1ère Marne ce petit village de la Meuse où les blessés, maisons et granges et églises remplies, débordaient sur des matelas entre les tombes des cimetières, et aussi plus tard derrière Ypres, le Château de Vlamertynghe où dès l’entrée on était saisi par l’odeur de gangrène), c’est par cette voie que M. Carrel aurait pu exposer que pour savoir comment traiter les plaies de guerre le mieux était d’établir en dehors des contingences militaires et à proximité du font une vaste formation d’expériences.
Vers mars ou avril 1915, Dehelly qui avait connu M. Carrel au cours de voyages aux États-Unis rencontrait mon père à Paris (Dr Georges Woimant) et lui parlait de l’installation en train de se faire à Compiègne. C’est donc vers cette époque que s’en placeraient les débuts.
Au moment où j’arrivais à la formation, un an plus tard, elle était établie dans l’hôtel du Rond Royal ; hôtel neuf, assez grand et confortable, construit peu avant la guerre aux limites forestières sud de Compiègne, et comportant une centaine de lits distribués dans des salles communes (le hall, la salle de restaurant, le bar) et dans des chambres à 1 ou 2 lits. Les laboratoires, le personnel et la moitié environ des officiers logeaient également dans l’hôtel, l’autre moitié avec la popote occupait Slomka, villa du voisinage.
Le personnel était approximativement le suivant :
Médecin Chef : Dr Carrel
Médecin Adjoint : Dr Bernond
Chirurgien : Dehelly
Assistant : Dr Dumas de la région de Saint-Étienne. De santé médiocre, il mourut avant la fin de la guerre et avait été remplacé par le Dr Audigane du Havre. L’un et l’autre s’occupaient plus spécialement des médecins et infirmières stagiaires.
Radiologue : Dr Jabert de Beaujeu
Aux laboratoires : Daufresne, successeur de Dakin, du Noüy, bien Vincent, bactériologiste qui rentrait du Cameroun avec un foie et une rate, miss Lily, assistante du Dr Carrel au Rockfeller.
Un officier d’Administration, architecte dans le civil, dont je n’ai plus le nom.
Infirmières : À la salle d’opérations deux nurses, très anglo-saxonnes, canadiennes ou américaines, auxquelles succédèrent deux anglaises, dont l’une de la Jamaïque, qui l’étaient beaucoup moins.
Pour les salles une douzaine d’infirmières suisses de la vieille école de la Source de Lausanne, parfaites et ponctuelles. À leur tête, Mlle Junod, sous la direction de Madame Carrel. Infirmiers - sauf un infirmier à chacun des postes : traitement à l’arrivée, salles d’opérations, radiologie, laboratoires, il s’agissait de plumitifs ou de manœuvres qui variaient d’ailleurs avec le renvoi des vieilles classes et la mise des jeunes dans les unités de combat. S’en distinguaient cependant :
Quelques abbés, à la fois infirmiers et ministres du culte, le marquis de Vezins, demi-podagre à la cinquantaine, qui cherchant à se rendre utile s’était engagé et tenait avec bonhomie le registre des entrées tout en accueillant les visiteurs. Pierre Magnier, l’ex jeune-premier de chez Sarah Bernard, à l’excellente voix de baryton (il avait fait les classes de chant du Conservatoire) s’occupait des autos, camarade charmant et accompli. Eugène Hutin*, un photographe de Compiègne, qui, avec l’aide d’un romancier de romans-feuilletons, faisait des séries d’excellentes photos en couleur.
Il y avait encore une américaine catholique Madame Post, fort distinguée et charitable, qui comblait les blessés de douceurs en souvenir de son fils et appointait, je crois, les nurses de la salle d’opérations. Un original chirurgien des mines de plomb du Colorado, travaillait à l’irrigation des plaies.
En fait, la formation était militaire, mais dépendant directement du ministre, qui l’accréditait auprès de l’Armée. Elle recevait d’autre part des subventions du Rockfeller qui en contrôlait d’ailleurs l’emploi et au point de vue comptable, et au point de vue scientifique, subventions allant aux laboratoires, à une certaine partie du personnel (Miss Lily, peut-être les Suissesses) et même, je crois, à des dépenses générales comme le chauffage.
Nos blessés venaient directement du front à une douzaine de kilomètres, où nos voitures les allaient prendre, et aussi des répartitions de la Place de Compiègne. Il nous arrivait aussi de faire des prélèvements sur des convois de passage quand nous recherchions certaines catégories de plaies, par exemple des suppurations osseuses anciennes. Nous les conservions à notre volonté.
Tous les matins avaient lieu une visite longue et détaillée par l’un des chirurgiens, l’autre restant disponible pour la salle d’opérations. Les plaies étaient examinées minutieusement, le chirurgien qui faisait la visite répartissait lui-même les tubes d’irrigation et procédait aux prélèvements bactériologiques. Il y avait toujours de nombreux visiteurs. Monsieur Carrel se tenait en arrière en longue blouse noire et calotte blanche, causant avec l’un ou l’autre, s’approchant pour regarder une plaie qui l’intéressait particulièrement, retirant alors son lorgnon qu’il tenait le pouce dans l’articulation et se penchant le nez presque sur la plaie.
L’après-midi c’étaient d’autres visiteurs et des séances de démonstration et projection.
Puis Dehelly, parti en Roumanie lors de l’entrée en guerre de celle-ci, fut remplacé par Guillot, son associé du Havre. M. Carrel de son côté retournait aux États-Unis. Plus tard Guillot et Audigane démobilisés à la limite d’âge rentraient chez eux, un jeune chirurgien et un jeune médecin dont les noms m’échappent leur succédaient. La maison n’avait d’ailleurs plus grande activité. Le front s’était éloigné et nous avions mis sur pied une formation d’avant.
Celle-ci obtenue beaucoup grâce aux démarches de Madame Carrel était le premier modèle en France de l’autochir légère (la première en réalité était partie en Russie) ; elle comportait :
six tentes Bessonneau facilement démontables, de 20 lits chaque, réunis par un couloir de toile, et un certain nombre de tentes d’un modèle ordinaire pour l’abri du personnel, le matériel, le laboratoire.
Une baraque opératoire démontable en bois contre-plaqué, sol de linoléum, radiateurs à eau chaude alimentés par une petite chaudière, une entrée, deux pièces symétriques, dont l’une consacrée à la radio.
Un camion de stérilisation s’adaptant à la baraque avant, deux autoclaves Bellanger à vapeur surpressée.
Un camion pour le transport du matériel radio.
Quelques camions qu’on nous retira par la suite, dont l’un ingénieux, inspiré des marchands ambulants, à côtés se relevant en auvent et cases que l’on atteignait ainsi directement.
Personnel :
Un médecin-chef : de Ferry de la Bellonne. M’inspirant de M.Carrel, j’avais demandé en effet à être débarrassé des questions d’administration et d’installation. Ferry, garçon dynamique et débrouillard, fut tout à fait l’homme de la situation.
Un chirurgien, que j’étais, avec un assistant.
Un bactériologue (Lechelle, le médecin actuel des hôpitaux).
Un pharmacien, Vincent, frère de notre bactériologue de Compiègne.
Un officier d’Administration, M. Massoulard.
Quatre infirmières françaises éduquées à la Source (on nous avait refusé d’emmener quelques-unes de nos Suissesses).
Une quarantaine d’infirmiers qui au début n’avaient d’hospitalier que le nom mais finirent par se dresser, malgré de fréquents changements dus aux relèves.
Nous avions demandé une seconde équipe chirurgicale. Elle ne nous parvint que tout à fait à la fin de la guerre : Bougot et Philardeau, deux internes de Paris rentrant de Roumanie. Tous deux sont morts.
En principe nous restions indépendants tout en nous mettant sous les ordres du Directeur du Service de la Santé de l’Armée sur le territoire de qui nous étions. Ce fut M. Lasnet, un colonial, homme intelligent, compréhensif, organisateur, avec qui nous eûmes les meilleurs rapports. Il passa après la guerre à la Société des Nations.
Nous étions allés nous installer vers octobre 1917 sur le plateau au nord de Soissons, à 6 kilomètres du front et nous y restâmes tout l’hiver assez rude de 1917-1918, sans incidents pulmonaires pour nos blessés. Sauf à notre arrivée, front calme. De très beaux postes chirurgicaux avancés à Leuilly et au Moulin de Laffaux installés magnifiquement sur les creutes par M. Lasnet ; la proximité immédiate des bonnes formations de Soissons nous enlevait beaucoup de blessés. Ceux que nous soignions étaient au bout d’une dizaine de jours dirigés sur Compiègne, où Guillot leur continuait les soins. Les avions boches nous survolaient le soir mais nous laissaient tranquilles. C’est seulement au moment de l’offensive sur Noyon, vers Pâques 1918, que nous reçûmes sans dégâts quelques obus motivés par les parcs au milieu desquels nous étions noyés. On nous ramena alors à Villers-Cotterêts.
C’est vers le même moment que la formation de Compiègne fut bombardée. Aux prises nous-mêmes avec des difficultés, nous n’en eûmes que des échos peu détaillés. La formation, dans la bagarre de l’époque, fut repliée à l’autre extrémité de Compiègne puis à Lagny en Seine-et-Marne dans un château de Menier où je la retrouvai beaucoup plus tard.
À Villers, incident d’une portée presque historique : devant l’offensive boche, M. Lasnet s’occupait d’y créer un hôpital d’évacuation. Arrive un matin le Général Duchesne, commandant la IIIème Armée, qui à la façon grossière qui lui était habituelle invective M. Lasnet d’ailleurs impassible, devant tous ses subordonnés. Il lui reprochait de la manière la plus blessante, l’éloignement de ses formations. Un mois après, toutes les belles formations chirurgicales de la Vallée de la Vesle étaient balayées et Villers-Cotterêts à 1 kilomètre du front.
Dès Pâques, Villers-Cotterêts avait été envahi par de nombreux grippés légers (des trois formes : pulmonaires, digestives et nerveuses) provenant des divisions déjà éprouvées mises au repos sur le Chemin des Dames que l’on considérait comme inexpugnable. Il y eut là des fontes d’effectifs qui contribuèrent à la débâcle. Il est probable que c’était la première attaque de la grippe funeste de l’hiver suivant.
De Villers la formation partit à la Neuville-en-Hez dans l’Oise, avec détachement provisoire à Catenoy. Ce fut immédiatement le gros travail. En raison de notre indépendance relative et de notre organisation, on nous avait donné les intransportables. C’est avec peine que notre faible effectif médical comportant un seul opérateur put faire face au concours de tous.
La radio avait été mise sous une tente, sa place dans la baraque opératoire avait été transformée en deuxième salle d’opérations, ce qui permettait avec deux équipes d’assistants un travail sans désemparer. Un autre assistant s’occupait des soins et de ce qu’on appelait pas encore les réanimations. C’est ainsi qu’à un moment donné nous arrivions à tenir deux jours et demi d’affilée sans autre interruption que les repas et c’est à la fin de cette période que survint tout de même la seconde équipe. Il était temps.
Nous en restâmes d’ailleurs sur cette apothéose. Notre indépendance nous devint nuisible. L’armée avait autre chose à faire qu’à nous transporter et nous laissa tomber dans sa marche en avant. À notre grand regret et malgré nos efforts il nous fut impossible de suivre et de prendre part au rush terminal.
Dans cette dernière période et au milieu de ces événements nous n’avions pu qu’entrevoir M. Carrel. Il rentrait des États-Unis très préoccupé des phénomènes de shock, et nullement acquis à la doctrine alors officielle de la toxémie brutale par attrition. Nos fluctuations l’empêchèrent de mettre sur pied aucune étude suivie.
Vous m’avez interrogé sur les personnages qui traversèrent la formation de Compiègne. Il est bien dommage que le livre d’or soit perdu. Comme je vous l’ai dit, je revois la reine Amélie du Portugal, Lord Fischer, Mme Jacquemaire-Clemenceau, des seigneurs de la politique et de la société, M. Millerand avec qui je déjeunai dans l’intimité de M. et Mme Carrel, des médecins et chirurgiens de toutes races : américains (Bainbridge, Blake, beaucoup d’autres dont je n’ai plus les noms) brésiliens, portugais, japonais, anglais et français (Tuffier, Pozzi, “cher ami, cher ami”, Quenu, Launay, Lejars, des lyonnais sévères avec Patel et Bernard, Landouzy en veston, petit chapeau mou, la cravate de la Légion d’honneur au col), le général Fayolle, simple et sympathique, le futur général Duval, toute l’intelligence, le général Gérard, épais, tassé, paupières lourdes, le général Anthoine (longue redingote bleu clair pincée, grosses épaulettes d’or), tous les généraux d’Armée, corps d’armées, divisions qui se succédaient dans le secteur. Pétain généralissime, uniquement avec un officier, marmoréen, d’autant plus imposant pour moi que ce dimanche, déposant ma blouse après la contre visite, je me trouvais seul dans la formation dans un costume militaire assez fantaisiste ; médecins très étoilés dont deux nettement supérieurs Sieur et Oberlé (qui travailla ensuite avec Lyautey et vient de mourir).
Nous nous étions amusés Audigane et moi, à composer pour militaires Croix-Rouge et personnes pâles, une série de projections genre brûlés superficiels de la face à grosses croûtes avec détersion en trois jours par n’importe quel procédé. Grand succès. Nous avions des séries plus sérieuses.
Dehelly, sans rien d’un plaisantin, mais qui n’ayant pas fait de service militaire n’avait aucune idée de la hiérarchie donnait aux étoilés médecins du “Monsieur, Monsieur un tel” comme à un patron, croyant bien les honorer. “Mais, monsieur Minier ...” disait ainsi Dehelly à un médecin Inspecteur très pénétré qui rongeait visiblement son frein sur ce terrain neutre.

Troisième lettre (28.01.1952)

Soucieux de parler de M. Carrel, j’ai négligé de faire ressortir le rôle de Dehelly dans l’établissement de la méthode de traitement des plaies : il a été primordial. Ce que Dehelly a su voir de bonne heure, de même que Gaudin de Lille et Lemaitre de Senlis, c’est l’importance essentielle d’un épluchage chirurgical immédiat mi¬nutieux, avec comme corollaire, des possibilités de suture précoce.
On a porté constamment l’accent sur l’irrigation continue. Rénovée par les hypochlorites qui contribuaient surtout à la désersion des petits éléments mortifiés, favorisant parfois, la plaie décapée, la repullulation de germes tels que pyocyanique, elle n’était, dans la réalité qu’un adjuvant. Adjuvant utile, un peu spectaculaire par ses moyens, mais nullement nécessaire, comme l’a montré, sous la direction de Pierre Duval au cours d’une offensive des Flandres, l’emploi systématique et étendu de la suture précoce après la seule préparation d’un parage effectué tôt.
Il n’en revient pas moins à M. Carrel en l’occurrence des mérites personnels :
Il a mis en valeur le travail d’équipe (chirurgien, bactériologue, chimiste, physiologue) non pratiqué en France.
Il a affirmé la notion, méconnue à ce moment, si évidente fut-elle, qu’autant que le blessé civil, le blessé de guerre avait à être traité au plus vite en milieu chirurgical complet. Cette notion, les quelques chirurgiens utilisés qui travaillaient au front l’avaient eue rapidement dès août 1914, tel Pascalis à Verdun. Mais n’étaient pas à même de la faire valoir. M. Carrel l’a répandue et imposée grâce à sa notoriété, de même que grâce à elle et malgré les oppositions, une formation d’expérimentation indispensable a été créée.
Enfin M. Carrel ne cessait d’insister sur les soins (réchauffements, perfusion transfusion) qu’on groupe maintenant sous le nom de réanimation, souvent compris à l’époque, de façon trop accessoire, ainsi que sur l’importance du transport accéléré des blessés et de l’installation à proximité suffisante du front de formations chirurgicales bien organisées.
Je m’arrêterai sur un autre point : l’aspect donné à Lecomte de Noüy à la fin du volume. Dans de telles controverses de ragots, la part du réel est bien souvent fuyante.
Carrel et de Noüy étaient deux esprits de tendance analogue, l’un en plus impérieux, l’autre avec plus de finesse et peut-être plus d’étendue. Ils se sont rencontrés. Ils ont travaillé ensemble. Pourquoi aller plus loin.

Pierre Leconte du Noüy et le Rond-Royal

Ce fut ma première rencontre de Compiègne. Au début de l’année 1916, je quittais des milieux assez rudes de l’extrême Nord du front, envoyé brusquement à la Mission Carrel par un ordre signé de Joffre lui-même, et en un jour morose, un peu anxieux de ce que j’allais trouver, je montais le perron de l’hôtel hôpital du Rond-Royal à Compiègne quand aux dernières marches, le sourire accueillant d’un garçon blond et distingué en uniforme vint me rassurer : “Vous êtes le nouveau chirurgien. Dehelly est absent. Avec quelle impatience on vous attend”.
Vous devions vivre en équipe plus de deux années.
L’hôpital du Rond-Royal était installé assez confortablement dans un hôtel tourisme construit un peu avant la guerre 14. Au rez-de-chaussée un hall, une salle de restaurant et un bar transformés en salles de blessés. Au premier des chambres à 1 et 2 lits pour les plus atteints, une salle d’opérations, avec salle de stérilisation. Au deuxième des laboratoires, une salle de conférence et des logements du personnel.
L’équipe elle-même comprit alors :
Dehelly, vieil et fidèle ami, chirurgien remarquable trop tôt disparu qui avait connu Monsieur Carrel au cours de voyages aux États-Unis. Je lui étais adjoint. Il partit en mission d’abord pour la Roumanie, puis pour les États-Unis et fut alors remplacé par Guillot, excellent chirurgien du Havre touchant la cinquantaine.
Le savant et chimiste Daufresne qui avait succédé à l’Écossais Dakin et qui périt en 1940 dans une explosion de bateau.
Leconte du Noüy spécialisé dans les recherches biologiques. De l’ascendance la plus intellectuelle, physicien ayant travaillé je crois au laboratoire du prince de Broglie, un jour auteur joué au théâtre, passagèrement rancher, un autre jour attaché au cabinet d’un ministre, s’adaptant et adaptable à tout, éminemment intelligent et sociable, il avait déjà eu la vie la plus variée en France et aux États-Unis.
Jaubert de Beaujeux, radiologue lyonnais.
Audiganne, notre assistant chirurgien.
Pau après Vincent, un bactériologue colonial.
Avec Madame Carrel, un personnel soignant choisi d’infirmières Suisses et Américaines.
Administrativement l’hôpital était dirigé par un médecin militaire de carrière le capitaine puis commandant Bernond.
Le centre de la mission resta à Compiègne jusqu’aux bombardements de 1918 où les laboratoires furent transférés à Saint-Cloud, l’hôpital à Lagny-sur-Marne.
En 1917, avait été de plus constituée une formation mobile avancée, sous tentes, qui travailla successivement au-dessus de Soissons puis à Villers-Cotterêts et dans l’Oise, et qui conservait sa liaison avec Compiègne où étaient transportés secondairement ces blessés. J’en fus le chirurgien.
Le Rond-Royal à Compiègne était un lieu d’étude et d’enseignement où l’on voyait se succéder en même temps que des chirurgiens et infirmiers stagiaires envoyés des armées, des délégations et personnalités de multiples origines : chirurgiens et médecins de toutes nationalités, hommes politiques, grands chefs militaires, représentant de la science et du monde. On leur montrait et expliquait la méthode particulière de traitement des plaies au cours de séances d’opérations et de pansements, de conférences et de projections. Derrière cette façade se poursuivaient les études.
Celles de Leconte du Noüy eurent alors surtout pour objet les processus de cicatrisation des plaies, études dans lesquelles s’exerça au maximum son ingéniosité et qu’il résuma dans sa thèse de Docteur ès sciences : traitements variés avec procédé d’irrigation automatique, décalques et relevés spéciaux, photographies périodiques en couleur où excellait Eugène Hutin*, courbes de toutes natures, une multitude de documents dont il savait varier l’incidence et les moyens recourant lui-même pour mettre au point ces dispositifs aussi bien au travail du bois et du verre qu’au tour du mécanicien.
Vers la fin de la guerre il avait également commencé à s’occuper de questions se rapportant au shock.
Sa vie était studieuse, il ne quittait guère le laboratoire. Cependant, il conservait des échappées, au courant des derniers ouvrages, crayonnant des portraits, maniant le lasso ou le ballon ovale dans les jours calmes pour distraire convalescents et infirmiers, montant tout à coup un sketch où il était à la fois auteur et acteur et toujours immédiatement au niveau de ceux avec qui il se trouvait « vous êtes de l’Ouest » lui disaient un jour des visiteurs américains.

*Note G.-P. Woimant, petit-fils du Dr Henri Woimant :
Les descendants d’Eugène Hutin tiennent toujours un studio à Compiègne. Resté après guerre ami du Dr Henri Woimant qui avait quitté Soissons pour Compiègne, le photographe lui fit à l’occasion quelques clichés de sa famille et sa maison.
L'hôtel du Rond-Royal existe toujours comme résidence.
J'ai une excellente photographie du groupe de l'ambulance Alexis Carrel faite par Eugène Hutin à l'hôtel du Rond-Point à Compiègne
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Re: Mission Carrel

Message par WM_GP »

Aux uns et aux autres intéressés par l'ambulance Alexis Carrel :

Voici trois lettres envoyées par mon grand-père le Dr Henri Woimant au Dr Soupault pour son ouvrage sur le Dr Alexis Carrel qui vous donneront quelques détails, pas toujours repris par ce dernier, à propos tant de Litz – Catenoy – La Neuville-en-Hez (Oise) que Villers-Cotterêts (Aisne). L'ambulance avait une certaine autonomie qui empêche de la suivre précisément dans ses pérégrinations.
Les réflexions à caractère eugéniste du Dr Alexis Carrel durant la guerre de 40 ont conduit tardivement à jeter l'approbe sur ce dernier et vouloir supprimer un certain nombre de noms de rues ici et là en France. À Compiègne, le nom de rue du Dr Carrel située à proximité du Camp de déportation a été changé et reporté à une allée voisine de l'hôtel du Rond-Royal non plus à son seul nom mais à celui de l'Ambulance du Dr Alexis Carrel qui était l’équipe internationale multiraciale. De nombreuses polémiques ont été soulevées alors (voir Internet).

Docteur Henri Woimant (1880-1955)

Première lettre au Dr Soupault pour son livre sur le Dr A. Carrel (21.05.1949)

Mme Carrel vous éclairera mieux que moi. À l’époque où j’ai approché M. Carrel, à partir d’avril 1916, la méthode de traitement des plaies était déjà établie et il avait souvent à s’absenter, en particulier pour des séjours aux États-Unis. Je crains de ne vous donner que des redites ou des aspects superficiels.
Probablement l’avez-vous connu ? De taille moyenne, assez en chair, sans trop, le crâne chauve à contours grisonnants, une figure pleine, ronde et rasée, qui faisait dire de bonne foi à un visiteur le voyant revêtu de sa blouse noire habituelle “c’est votre aumônier”. Il n’avait pas changé entre cet avril 1916 et cette après-midi de 1942 ou 1943 que nous passâmes en souvenirs.
L’abord était facile, l’attitude, le geste simple et sobre, la voix un peu sourde et contenue. Bientôt les yeux brillaient derrière le lorgnon, le visage s’animait, une moue se dessinait, par instants, qui soulevait la lèvre inférieure : il cherchait quoi obtenir de l’interlocuteur. Les questions se pressaient, d’allure parfois naïve. Mais c’était justement sa force que d’avoir en même temps qu’une entière confiance en la technique, la faculté de tout voir sous un angle nouveau et l’idée féconde que des notions élémentaires tenues pour définitives, sont souvent celles qui demandent révision.
Une certaine timidité dont témoignaient des afflux sanguins brusques, des irritations soudaines et maîtrisées. De l’émotion vraie en face de la souffrance dont elle n’avait de cesse qu’elle ne soit apaisées. Avec un peu de goût pour la plaisanterie, il était capable de pouffer à une drôlerie.
À une connaissance étendue des milieux scientifiques américains, il joignait une méconnaissance aussi volontaire de ce qui faisait encore le vieux monde dont il appréciait peu les officiels. Du Français, il disait souvent qu’il était trop intelligent.
Par ailleurs, un jour, rentrant des États-Unis, devant un paysage de l’Oise, on l’entendait murmurer “Cela dépasse les Rocheuses”.
Autour de lui, avec Mme Carrel l’animatrice de la formation, mon vieux camarade Dehelly, chirurgien remarquable, parti trop tôt, puis Guillot, fruste et malicieux, qui remplaça Dehelly à son départ en Roumanie, Daufresne, successeur de Dakin, chimiste de valeur, disparu dans une explosion de bateau en 1940, Lecomte du Noüy, élève de Louis de Broglie, l’intelligence et le tact même, acteur, auteur, sportif, d’une grande adresse manuelle.
À Compiègne, nous évoluions au milieu d’un monde de visiteurs de toutes races et de toutes origines, armorial, social, médical et militaire, infirmiers et médecins stagiaires. Je revois de grosses perles sur de fortes oreilles, la teinture artistique d’un maître en chirurgie, les bottes mordorées de Lord Fischer, le visage amusé du futur Maréchal Fayolle au microscope, le front revêche de Mme Jacquemaire-Clemenceau, les larmes de ce médecin portugais, lisant dans le livre d’or la signature de la reine Amélie.
Ce qui nous empêchait pas de travailler sérieusement. Avec notre très bonne installation, notre excellent personnel (des infirmières suisses et américaines ponctuelles et dévouées) les blessés au Rond Royal ont certainement été bien soignés : réanimation sur tables et sous cerceaux chauffants, perfusions (au début artères à veine avec la canule d’Elsbay ou celle de Tuffier) avec des seringues paraffinées, plus tard au sang citraté, appareil de Miss Gosset, parage minutieux des plaies, irrigation discontinue, d’abord par les infirmières, ultérieurement par un appareil ingénieux à déclenchement automatique, pansements dits américains, venus en réalité de la formation, examens bactériologiques tous les deux jours, fermeture précoce, greffes d’os et de peau libre. Nous établissions des courbes, des schémas, des statistiques, nous suivions les évolutions par des photos en couleurs*. Du Noüy et Mme Carrel étudiaient la cicatrisation spontanée en faisant des relevés sur cellophane et au pantographe.
J’avais de nombreux documents qui ont disparu.
En 1917, l’ennemi s’éloignant, nous avions obtenu une autochir légère et nous allions successivement sur le plateau de Soissons, à Villers-Cotterêts, à La Neuville-en-Hez (offensive Mangin sur le Matz).

Deuxième lettre au Dr Soupault pour son livre sur le Dr A. Carrel (03.05.1949)

Monsieur Carrel avait compris qu’il ne devait pas se laisser engager dans les détails administratifs et s’était fait adjoindre le Dr Bernond, de l’Armée Coloniale. Il n’en restait pas moins le Chef de la Mission, de sorte qu’on assistait au spectacle militairement pittoresque d’un médecin de réserve à 2 galons - il en prit davantage par la suite - donnant ses ordres à un médecin de l’active à 3 galons.
Mes souvenirs directs ne partant que d’avril 1916, voici ce que j’ai cru saisir de la genèse de la Mission. Déjà de réputation mondiale par ses travaux, son prix Nobel, son appartenance au Rockefeller, Monsieur Carrel n’avait cependant été mobilisé à Lyon, son pays d’origine, que comme simple aide-major de 2ème classe. Il avait autrefois donné ses soins (une transfusion dans des circonstances dramatiques) à un enfant de James Hyde, magnat des Assurances, dont M. Millerand, devenu Ministre de la Guerre, était en France l’avocat-conseil. Après la période si tragique pour les blessés du début de la guerre (je revois pendant la 1ère Marne ce petit village de la Meuse où les blessés, maisons et granges et églises remplies, débordaient sur des matelas entre les tombes des cimetières, et aussi plus tard derrière Ypres, le Château de Vlamertynghe où dès l’entrée on était saisi par l’odeur de gangrène), c’est par cette voie que M. Carrel aurait pu exposer que pour savoir comment traiter les plaies de guerre le mieux était d’établir en dehors des contingences militaires et à proximité du font une vaste formation d’expériences.
Vers mars ou avril 1915, Dehelly qui avait connu M. Carrel au cours de voyages aux États-Unis rencontrait mon père à Paris (Dr Georges Woimant) et lui parlait de l’installation en train de se faire à Compiègne. C’est donc vers cette époque que s’en placeraient les débuts.
Au moment où j’arrivais à la formation, un an plus tard, elle était établie dans l’hôtel du Rond Royal ; hôtel neuf, assez grand et confortable, construit peu avant la guerre aux limites forestières sud de Compiègne, et comportant une centaine de lits distribués dans des salles communes (le hall, la salle de restaurant, le bar) et dans des chambres à 1 ou 2 lits. Les laboratoires, le personnel et la moitié environ des officiers logeaient également dans l’hôtel, l’autre moitié avec la popote occupait Slomka, villa du voisinage.
Le personnel était approximativement le suivant :
Médecin Chef : Dr Carrel
Médecin Adjoint : Dr Bernond
Chirurgien : Dehelly
Assistant : Dr Dumas de la région de Saint-Étienne. De santé médiocre, il mourut avant la fin de la guerre et avait été remplacé par le Dr Audigane du Havre. L’un et l’autre s’occupaient plus spécialement des médecins et infirmières stagiaires.
Radiologue : Dr Jabert de Beaujeu
Aux laboratoires : Daufresne, successeur de Dakin, du Noüy, bien Vincent, bactériologiste qui rentrait du Cameroun avec un foie et une rate, miss Lily, assistante du Dr Carrel au Rockfeller.
Un officier d’Administration, architecte dans le civil, dont je n’ai plus le nom.
Infirmières : À la salle d’opérations deux nurses, très anglo-saxonnes, canadiennes ou américaines, auxquelles succédèrent deux anglaises, dont l’une de la Jamaïque, qui l’étaient beaucoup moins.
Pour les salles une douzaine d’infirmières suisses de la vieille école de la Source de Lausanne, parfaites et ponctuelles. À leur tête, Mlle Junod, sous la direction de Madame Carrel. Infirmiers - sauf un infirmier à chacun des postes : traitement à l’arrivée, salles d’opérations, radiologie, laboratoires, il s’agissait de plumitifs ou de manœuvres qui variaient d’ailleurs avec le renvoi des vieilles classes et la mise des jeunes dans les unités de combat. S’en distinguaient cependant :
Quelques abbés, à la fois infirmiers et ministres du culte, le marquis de Vezins, demi-podagre à la cinquantaine, qui cherchant à se rendre utile s’était engagé et tenait avec bonhomie le registre des entrées tout en accueillant les visiteurs. Pierre Magnier, l’ex jeune-premier de chez Sarah Bernard, à l’excellente voix de baryton (il avait fait les classes de chant du Conservatoire) s’occupait des autos, camarade charmant et accompli. Eugène Hutin*, un photographe de Compiègne, qui, avec l’aide d’un romancier de romans-feuilletons, faisait des séries d’excellentes photos en couleur.
Il y avait encore une américaine catholique Madame Post, fort distinguée et charitable, qui comblait les blessés de douceurs en souvenir de son fils et appointait, je crois, les nurses de la salle d’opérations. Un original chirurgien des mines de plomb du Colorado, travaillait à l’irrigation des plaies.
En fait, la formation était militaire, mais dépendant directement du ministre, qui l’accréditait auprès de l’Armée. Elle recevait d’autre part des subventions du Rockfeller qui en contrôlait d’ailleurs l’emploi et au point de vue comptable, et au point de vue scientifique, subventions allant aux laboratoires, à une certaine partie du personnel (Miss Lily, peut-être les Suissesses) et même, je crois, à des dépenses générales comme le chauffage.
Nos blessés venaient directement du front à une douzaine de kilomètres, où nos voitures les allaient prendre, et aussi des répartitions de la Place de Compiègne. Il nous arrivait aussi de faire des prélèvements sur des convois de passage quand nous recherchions certaines catégories de plaies, par exemple des suppurations osseuses anciennes. Nous les conservions à notre volonté.
Tous les matins avaient lieu une visite longue et détaillée par l’un des chirurgiens, l’autre restant disponible pour la salle d’opérations. Les plaies étaient examinées minutieusement, le chirurgien qui faisait la visite répartissait lui-même les tubes d’irrigation et procédait aux prélèvements bactériologiques. Il y avait toujours de nombreux visiteurs. Monsieur Carrel se tenait en arrière en longue blouse noire et calotte blanche, causant avec l’un ou l’autre, s’approchant pour regarder une plaie qui l’intéressait particulièrement, retirant alors son lorgnon qu’il tenait le pouce dans l’articulation et se penchant le nez presque sur la plaie.
L’après-midi c’étaient d’autres visiteurs et des séances de démonstration et projection.
Puis Dehelly, parti en Roumanie lors de l’entrée en guerre de celle-ci, fut remplacé par Guillot, son associé du Havre. M. Carrel de son côté retournait aux États-Unis. Plus tard Guillot et Audigane démobilisés à la limite d’âge rentraient chez eux, un jeune chirurgien et un jeune médecin dont les noms m’échappent leur succédaient. La maison n’avait d’ailleurs plus grande activité. Le front s’était éloigné et nous avions mis sur pied une formation d’avant.
Celle-ci obtenue beaucoup grâce aux démarches de Madame Carrel était le premier modèle en France de l’autochir légère (la première en réalité était partie en Russie) ; elle comportait :
six tentes Bessonneau facilement démontables, de 20 lits chaque, réunis par un couloir de toile, et un certain nombre de tentes d’un modèle ordinaire pour l’abri du personnel, le matériel, le laboratoire.
Une baraque opératoire démontable en bois contre-plaqué, sol de linoléum, radiateurs à eau chaude alimentés par une petite chaudière, une entrée, deux pièces symétriques, dont l’une consacrée à la radio.
Un camion de stérilisation s’adaptant à la baraque avant, deux autoclaves Bellanger à vapeur surpressée.
Un camion pour le transport du matériel radio.
Quelques camions qu’on nous retira par la suite, dont l’un ingénieux, inspiré des marchands ambulants, à côtés se relevant en auvent et cases que l’on atteignait ainsi directement.
Personnel :
Un médecin-chef : de Ferry de la Bellonne. M’inspirant de M.Carrel, j’avais demandé en effet à être débarrassé des questions d’administration et d’installation. Ferry, garçon dynamique et débrouillard, fut tout à fait l’homme de la situation.
Un chirurgien, que j’étais, avec un assistant.
Un bactériologue (Lechelle, le médecin actuel des hôpitaux).
Un pharmacien, Vincent, frère de notre bactériologue de Compiègne.
Un officier d’Administration, M. Massoulard.
Quatre infirmières françaises éduquées à la Source (on nous avait refusé d’emmener quelques-unes de nos Suissesses).
Une quarantaine d’infirmiers qui au début n’avaient d’hospitalier que le nom mais finirent par se dresser, malgré de fréquents changements dus aux relèves.
Nous avions demandé une seconde équipe chirurgicale. Elle ne nous parvint que tout à fait à la fin de la guerre : Bougot et Philardeau, deux internes de Paris rentrant de Roumanie. Tous deux sont morts.
En principe nous restions indépendants tout en nous mettant sous les ordres du Directeur du Service de la Santé de l’Armée sur le territoire de qui nous étions. Ce fut M. Lasnet, un colonial, homme intelligent, compréhensif, organisateur, avec qui nous eûmes les meilleurs rapports. Il passa après la guerre à la Société des Nations.
Nous étions allés nous installer vers octobre 1917 sur le plateau au nord de Soissons, à 6 kilomètres du front et nous y restâmes tout l’hiver assez rude de 1917-1918, sans incidents pulmonaires pour nos blessés. Sauf à notre arrivée, front calme. De très beaux postes chirurgicaux avancés à Leuilly et au Moulin de Laffaux installés magnifiquement sur les creutes par M. Lasnet ; la proximité immédiate des bonnes formations de Soissons nous enlevait beaucoup de blessés. Ceux que nous soignions étaient au bout d’une dizaine de jours dirigés sur Compiègne, où Guillot leur continuait les soins. Les avions boches nous survolaient le soir mais nous laissaient tranquilles. C’est seulement au moment de l’offensive sur Noyon, vers Pâques 1918, que nous reçûmes sans dégâts quelques obus motivés par les parcs au milieu desquels nous étions noyés. On nous ramena alors à Villers-Cotterêts.
C’est vers le même moment que la formation de Compiègne fut bombardée. Aux prises nous-mêmes avec des difficultés, nous n’en eûmes que des échos peu détaillés. La formation, dans la bagarre de l’époque, fut repliée à l’autre extrémité de Compiègne puis à Lagny en Seine-et-Marne dans un château de Menier où je la retrouvai beaucoup plus tard.
À Villers, incident d’une portée presque historique : devant l’offensive boche, M. Lasnet s’occupait d’y créer un hôpital d’évacuation. Arrive un matin le Général Duchesne, commandant la IIIème Armée, qui à la façon grossière qui lui était habituelle invective M. Lasnet d’ailleurs impassible, devant tous ses subordonnés. Il lui reprochait de la manière la plus blessante, l’éloignement de ses formations. Un mois après, toutes les belles formations chirurgicales de la Vallée de la Vesle étaient balayées et Villers-Cotterêts à 1 kilomètre du front.
Dès Pâques, Villers-Cotterêts avait été envahi par de nombreux grippés légers (des trois formes : pulmonaires, digestives et nerveuses) provenant des divisions déjà éprouvées mises au repos sur le Chemin des Dames que l’on considérait comme inexpugnable. Il y eut là des fontes d’effectifs qui contribuèrent à la débâcle. Il est probable que c’était la première attaque de la grippe funeste de l’hiver suivant.
De Villers la formation partit à la Neuville-en-Hez dans l’Oise, avec détachement provisoire à Catenoy. Ce fut immédiatement le gros travail. En raison de notre indépendance relative et de notre organisation, on nous avait donné les intransportables. C’est avec peine que notre faible effectif médical comportant un seul opérateur put faire face au concours de tous.
La radio avait été mise sous une tente, sa place dans la baraque opératoire avait été transformée en deuxième salle d’opérations, ce qui permettait avec deux équipes d’assistants un travail sans désemparer. Un autre assistant s’occupait des soins et de ce qu’on appelait pas encore les réanimations. C’est ainsi qu’à un moment donné nous arrivions à tenir deux jours et demi d’affilée sans autre interruption que les repas et c’est à la fin de cette période que survint tout de même la seconde équipe. Il était temps.
Nous en restâmes d’ailleurs sur cette apothéose. Notre indépendance nous devint nuisible. L’armée avait autre chose à faire qu’à nous transporter et nous laissa tomber dans sa marche en avant. À notre grand regret et malgré nos efforts il nous fut impossible de suivre et de prendre part au rush terminal.
Dans cette dernière période et au milieu de ces événements nous n’avions pu qu’entrevoir M. Carrel. Il rentrait des États-Unis très préoccupé des phénomènes de shock, et nullement acquis à la doctrine alors officielle de la toxémie brutale par attrition. Nos fluctuations l’empêchèrent de mettre sur pied aucune étude suivie.
Vous m’avez interrogé sur les personnages qui traversèrent la formation de Compiègne. Il est bien dommage que le livre d’or soit perdu. Comme je vous l’ai dit, je revois la reine Amélie du Portugal, Lord Fischer, Mme Jacquemaire-Clemenceau, des seigneurs de la politique et de la société, M. Millerand avec qui je déjeunai dans l’intimité de M. et Mme Carrel, des médecins et chirurgiens de toutes races : américains (Bainbridge, Blake, beaucoup d’autres dont je n’ai plus les noms) brésiliens, portugais, japonais, anglais et français (Tuffier, Pozzi, “cher ami, cher ami”, Quenu, Launay, Lejars, des lyonnais sévères avec Patel et Bernard, Landouzy en veston, petit chapeau mou, la cravate de la Légion d’honneur au col), le général Fayolle, simple et sympathique, le futur général Duval, toute l’intelligence, le général Gérard, épais, tassé, paupières lourdes, le général Anthoine (longue redingote bleu clair pincée, grosses épaulettes d’or), tous les généraux d’Armée, corps d’armées, divisions qui se succédaient dans le secteur. Pétain généralissime, uniquement avec un officier, marmoréen, d’autant plus imposant pour moi que ce dimanche, déposant ma blouse après la contre visite, je me trouvais seul dans la formation dans un costume militaire assez fantaisiste ; médecins très étoilés dont deux nettement supérieurs Sieur et Oberlé (qui travailla ensuite avec Lyautey et vient de mourir).
Nous nous étions amusés Audigane et moi, à composer pour militaires Croix-Rouge et personnes pâles, une série de projections genre brûlés superficiels de la face à grosses croûtes avec détersion en trois jours par n’importe quel procédé. Grand succès. Nous avions des séries plus sérieuses.
Dehelly, sans rien d’un plaisantin, mais qui n’ayant pas fait de service militaire n’avait aucune idée de la hiérarchie donnait aux étoilés médecins du “Monsieur, Monsieur un tel” comme à un patron, croyant bien les honorer. “Mais, monsieur Minier ...” disait ainsi Dehelly à un médecin Inspecteur très pénétré qui rongeait visiblement son frein sur ce terrain neutre.

Troisième lettre (28.01.1952)

Soucieux de parler de M. Carrel, j’ai négligé de faire ressortir le rôle de Dehelly dans l’établissement de la méthode de traitement des plaies : il a été primordial. Ce que Dehelly a su voir de bonne heure, de même que Gaudin de Lille et Lemaitre de Senlis, c’est l’importance essentielle d’un épluchage chirurgical immédiat mi¬nutieux, avec comme corollaire, des possibilités de suture précoce.
On a porté constamment l’accent sur l’irrigation continue. Rénovée par les hypochlorites qui contribuaient surtout à la désersion des petits éléments mortifiés, favorisant parfois, la plaie décapée, la repullulation de germes tels que pyocyanique, elle n’était, dans la réalité qu’un adjuvant. Adjuvant utile, un peu spectaculaire par ses moyens, mais nullement nécessaire, comme l’a montré, sous la direction de Pierre Duval au cours d’une offensive des Flandres, l’emploi systématique et étendu de la suture précoce après la seule préparation d’un parage effectué tôt.
Il n’en revient pas moins à M. Carrel en l’occurrence des mérites personnels :
Il a mis en valeur le travail d’équipe (chirurgien, bactériologue, chimiste, physiologue) non pratiqué en France.
Il a affirmé la notion, méconnue à ce moment, si évidente fut-elle, qu’autant que le blessé civil, le blessé de guerre avait à être traité au plus vite en milieu chirurgical complet. Cette notion, les quelques chirurgiens utilisés qui travaillaient au front l’avaient eue rapidement dès août 1914, tel Pascalis à Verdun. Mais n’étaient pas à même de la faire valoir. M. Carrel l’a répandue et imposée grâce à sa notoriété, de même que grâce à elle et malgré les oppositions, une formation d’expérimentation indispensable a été créée.
Enfin M. Carrel ne cessait d’insister sur les soins (réchauffements, perfusion transfusion) qu’on groupe maintenant sous le nom de réanimation, souvent compris à l’époque, de façon trop accessoire, ainsi que sur l’importance du transport accéléré des blessés et de l’installation à proximité suffisante du front de formations chirurgicales bien organisées.
Je m’arrêterai sur un autre point : l’aspect donné à Lecomte de Noüy à la fin du volume. Dans de telles controverses de ragots, la part du réel est bien souvent fuyante.
Carrel et de Noüy étaient deux esprits de tendance analogue, l’un en plus impérieux, l’autre avec plus de finesse et peut-être plus d’étendue. Ils se sont rencontrés. Ils ont travaillé ensemble. Pourquoi aller plus loin.

Pierre Leconte du Noüy et le Rond-Royal

Ce fut ma première rencontre de Compiègne. Au début de l’année 1916, je quittais des milieux assez rudes de l’extrême Nord du front, envoyé brusquement à la Mission Carrel par un ordre signé de Joffre lui-même, et en un jour morose, un peu anxieux de ce que j’allais trouver, je montais le perron de l’hôtel hôpital du Rond-Royal à Compiègne quand aux dernières marches, le sourire accueillant d’un garçon blond et distingué en uniforme vint me rassurer : “Vous êtes le nouveau chirurgien. Dehelly est absent. Avec quelle impatience on vous attend”.
Vous devions vivre en équipe plus de deux années.
L’hôpital du Rond-Royal était installé assez confortablement dans un hôtel tourisme construit un peu avant la guerre 14. Au rez-de-chaussée un hall, une salle de restaurant et un bar transformés en salles de blessés. Au premier des chambres à 1 et 2 lits pour les plus atteints, une salle d’opérations, avec salle de stérilisation. Au deuxième des laboratoires, une salle de conférence et des logements du personnel.
L’équipe elle-même comprit alors :
Dehelly, vieil et fidèle ami, chirurgien remarquable trop tôt disparu qui avait connu Monsieur Carrel au cours de voyages aux États-Unis. Je lui étais adjoint. Il partit en mission d’abord pour la Roumanie, puis pour les États-Unis et fut alors remplacé par Guillot, excellent chirurgien du Havre touchant la cinquantaine.
Le savant et chimiste Daufresne qui avait succédé à l’Écossais Dakin et qui périt en 1940 dans une explosion de bateau.
Leconte du Noüy spécialisé dans les recherches biologiques. De l’ascendance la plus intellectuelle, physicien ayant travaillé je crois au laboratoire du prince de Broglie, un jour auteur joué au théâtre, passagèrement rancher, un autre jour attaché au cabinet d’un ministre, s’adaptant et adaptable à tout, éminemment intelligent et sociable, il avait déjà eu la vie la plus variée en France et aux États-Unis.
Jaubert de Beaujeux, radiologue lyonnais.
Audiganne, notre assistant chirurgien.
Pau après Vincent, un bactériologue colonial.
Avec Madame Carrel, un personnel soignant choisi d’infirmières Suisses et Américaines.
Administrativement l’hôpital était dirigé par un médecin militaire de carrière le capitaine puis commandant Bernond.
Le centre de la mission resta à Compiègne jusqu’aux bombardements de 1918 où les laboratoires furent transférés à Saint-Cloud, l’hôpital à Lagny-sur-Marne.
En 1917, avait été de plus constituée une formation mobile avancée, sous tentes, qui travailla successivement au-dessus de Soissons puis à Villers-Cotterêts et dans l’Oise, et qui conservait sa liaison avec Compiègne où étaient transportés secondairement ces blessés. J’en fus le chirurgien.
Le Rond-Royal à Compiègne était un lieu d’étude et d’enseignement où l’on voyait se succéder en même temps que des chirurgiens et infirmiers stagiaires envoyés des armées, des délégations et personnalités de multiples origines : chirurgiens et médecins de toutes nationalités, hommes politiques, grands chefs militaires, représentant de la science et du monde. On leur montrait et expliquait la méthode particulière de traitement des plaies au cours de séances d’opérations et de pansements, de conférences et de projections. Derrière cette façade se poursuivaient les études.
Celles de Leconte du Noüy eurent alors surtout pour objet les processus de cicatrisation des plaies, études dans lesquelles s’exerça au maximum son ingéniosité et qu’il résuma dans sa thèse de Docteur ès sciences : traitements variés avec procédé d’irrigation automatique, décalques et relevés spéciaux, photographies périodiques en couleur où excellait Eugène Hutin*, courbes de toutes natures, une multitude de documents dont il savait varier l’incidence et les moyens recourant lui-même pour mettre au point ces dispositifs aussi bien au travail du bois et du verre qu’au tour du mécanicien.
Vers la fin de la guerre il avait également commencé à s’occuper de questions se rapportant au shock.
Sa vie était studieuse, il ne quittait guère le laboratoire. Cependant, il conservait des échappées, au courant des derniers ouvrages, crayonnant des portraits, maniant le lasso ou le ballon ovale dans les jours calmes pour distraire convalescents et infirmiers, montant tout à coup un sketch où il était à la fois auteur et acteur et toujours immédiatement au niveau de ceux avec qui il se trouvait « vous êtes de l’Ouest » lui disaient un jour des visiteurs américains.

*Note G.-P. Woimant, petit-fils du Dr Henri Woimant :
Les descendants d’Eugène Hutin tiennent toujours un studio à Compiègne. Resté après guerre ami du Dr Henri Woimant qui avait quitté Soissons pour Compiègne, le photographe lui fit à l’occasion quelques clichés de sa famille et sa maison.
L'hôtel du Rond-Royal existe toujours comme résidence.

J'ai une excellente photographie du groupe de l'ambulance Alexis Carrel faite par Eugène Hutin à l'hôtel du Rond-Point à Compiègne.
Mais je ne sais pas comment l'afficher dans le forum

WM_GP
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Re: Mission Carrel

Message par WM_GP »

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Voici la photo de l'équipe du Dr Alexis Carrel, qui se tient le premier à droite. Le Dr Henri Woimant est le quatrième à partir de la gauche.
Dès que possible j'ajouterai une photographie du Rond-Royal à Compiègne, en 1923.
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Re: Mission Carrel

Message par WM_GP »

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Photo d'une réunion au Rond-Royal en 1923, quelques jours avant l'inauguration de l'hôpital Saint-Joseph, et sans doute en rapport avec. Au premier rang, le deuxième à droite, se tient le maire Fournier-Sarlovèze, en haut, le premier à droite, le Docteur Henri Woimant qui est le chirurgien-chef de ce hôpital.
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