(suite)
Le voyage de Kiev à Tr... a pris toute une journée,et c'est vers le soir seulement que nous arrivons à Tr... Nous chargeons le train pendant la nuit.Il faut se hâter.
Il y a plus de blessés que de places,et il reste onze hommes que je ne puis caser.
Je tâche de les convaincre:
"-Il n'y a rien à faire que d'attendre le train suivant.Ayez de la patience,mes petits soldats."
Ils consentent à retourner au point d'évacuation,et je suis déjà prête à les y accompagner,quand un monsieur,témoin de la conversation,me dit:
"-Non,ma soeur,il ne faut pas les ramener au point d'évacuation.Si vous n'avez pas de place chez vous,menez-les dans le train de P...tch.Ce train est derrière le vôtre."
Ce monsieur,en imperméable,avec des épaulettes d'officier et de grandes lunettes de chauffeur sur le nez,remarquant mon hésitation,ajoute:
"-On s'occupera bien d'eux dans le train.
-Allons,dis-je aux blessés.....Mais qu'est-ce que je dirai là,au train ? fais-je remarquer au monsieur,qui s'en va.Il faut donner le nom de celui qui m'a autorisée à les conduire là.
-Dites-leur que c'est P....tch qui vous a donné l'autorisation",me répond-il.
Comment ? ce monsieur est P...tch lui-même ? C'est lui,ce farouche réactionnaire et instigateur de pogromes ?
Je suis une "soeur" pour lui ? La guerre seule peut avoir des effets pareils.Les socials-démocrates allemands sont mes "ennemis",à moi,socialiste russe,et,pour P...tch,je suis devenue une "soeur"....!...
-----------------------------------
Nous attendons des ordres à Tr...Plus d'une journée se passe dans cette attente.Les heures se traînent affreusement lentes.
Des nouvelles viennent,l'une plus alarmante que l'autre: les Autrichiens avancent toujours et sont près de Mel.....Et Mel.... n'est pas loin de Tr....On nous dit qu'à Mel....il y a beaucoup de blessés.Nous prions la doctoresse en chef de nous y envoyer avec quelques tieplouchki pour les ramasser.
La doctoresse ne consent pas:
"-Je n'ai pas d'instructions! "
Encore une journée à attendre des instructions.Dans la nuit,une dépêche vient: notre train doit aller sans retard à Mel....
Le matin,nous y sommes déjà.
Deux trains sont en gare.L'un est chargé de rails et de munitions; l'autre transporte un "détachement de ravitaillement".
Sur le quai et sur la voie,les blessés sont couchés.Ils sont très nombreux.Ceux qui peuvent marcher se lèvent et vont d'eux-mêmes aux voitures de quatrième classe;ils en remplissent rapidement les trois étages de lits et se pressent dans les couloirs.Tout l'espace libre y est occupé.Ceux qui ne peuvent marcher sont enlevés,même les mourants et les agonisants.On tire les lits mobiles des tieplouchki,on y met les blessés et on les porte dans les wagons.
Tandis que nous installons notre monde,un aéroplane autrichien apparait.Nous,le personnel,nous sommes trop absorbés pour nous occuper du danger,mais les blessés restés dehors s'agitent anxieusement sur leurs brancards.
"-Emportez-nous d'ici! Emportez-nous! Il est au-dessus de nous!
-Nous avons échappé à une mort pour en trouver une autre!
-Faites partir le train! "
Subitement, boum! tombe la bombe de l'aéroplane.Elle éclate non loin du train et blesse un soldat.On le transporte en hâte dans une tieplouchka.
Notre batterie commence à tirer sur l'aéroplane.Il paraît que le tir est bon,car l'engin s'envole et disparaît à nos yeux.
On continue à amener de grands blessés.Tous les lits en sont déjà remplis.Où pourrons-nous mettre les nouveaux venus ?
Je cherche notre doctoresse.Elle cause avec le médecin du détachement de ravitaillement.
"-Il faut que nous enlevions tous les blessés,et cela le plus tôt possible,me dit-elle avec émotion.On accrochera encore à notre train sept wagons à marchandises.Nous y mettrons ceux qui sont légèrement atteints.Si nous manquons encore de place,nous coucherons des hommes sur le plancher des tieplouchki.
-Tous les lits sont déjà occupés par de grands blessés,lui dis-je.On ne peut pas mettre de grands blessés sur le plancher."
Une soeur du détachement de ravitaillement s'approche de moi et me dit tout bas:
"-Tout est préparé pour la retraite.Aussitôt votre train parti,le nôtre s'en ira aussi,et,alors,on fera sauter la gare.On ne peut pas laisser nos blessés aux Autrichiens.Il faut les enlever tous,même les moribonds.Votre train a de la place pour quatre cent cinquante blessés; mais il vous en faut prendre jusqu'à mille.Si même dix,quinze ou vingt-cinq meurent pendant le voyage,vous n'en aurez pas moins sauvé la vie à six cents autres en les emportant d'ici.
-Il faut accélérer le chargement ",dit la doctoresse en chef.
Je cours vers mes wagons.
"-Il y en a un qui va mourir chez moi, me dit un des infirmiers dès que j'arrive.
J'entre dans la tieplouchka.Le blessé saute de son lit.L'infirmier le retient.A travers les bandages posés sur le ventre,le sang coule.
"-Passez-moi un bandage-compresse,dis-je à mon aide.Plus vite! "
Je prends le blessé par la main.Le pouls est faible et rare.Le regard est perdu dans le vide.
J'injecte du camphre.Le blessé gémit,me fixe et murmure:
"-On nous transportera dans le gouvernement natal,n'est-ce pas? "
Il retombe aussitôt dans l'inconscience.Une heure après,il était mort.
La soeur qui m'aide et moi,nous visitons tous les lits,en rajustant les bandages mal placés,en donnant des injections de camphre et de morphine...On nous presse de partir,mais nous avons à remplir de blessés les sept wagons à marchandise qu'on nous a ajoutés.
Enfin,le train est plein.Tous les blessés sont enlevés.On part.
Je suis avec la soeur dans une de nos tieplouchki.J'examine la foule entassée là et je me sens impuissante.
Tous sont dans un état grave; leurs pansements sont imbibés; il y en a qui crachent le sang.
Par qui commencer? Le crépuscule est descendu.Il est difficile de travailler à la lumière d'une bougie.Mais il faut faire tout ce qui est possible.Et nous nous mettons à l'ouvrage....
Tout le monde ayant reçu nos soins,nous allons à la portière.Une gigantesque colonne de lumière rouge se dessine sur le ciel.Des fusées s'élèvent.
"C'est Mel... qui est incendié,probablement,me dis-je.Cela signifie que les nôtres ont déjà reculé de là."
(à suivre)
Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
- mireille salvini
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- mireille salvini
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Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
(suite)
Nouveau passage par Brest et nouveau paquet de lettres de soldats blessés:
1915,16 juillet.
"Dans les premières lignes de ma lettre,je salue ma chère soeur miséricordieuse N.N.
Vous nous avez soignés comme vos propres enfants.Nous vous remercions.Jésus seul aurait pu nous soigner aussi bien que vous l'avez fait.Nous vous remercions.Que le Seigneur vous donne la santé et que le général vous envoie une lettre.
Adressez vos lettres à la ville de P...,hôpital...,chambre....,
Nicolas Fedorovitch B...."
La "lettre du général",dont parle Nikita Fedorovitch,c'est un diplôme ou un certificat,que nos patients nous souhaitent très souvent de revevoir.
Le soldat de la garde qui m'a proposé de faire de la réclame dans un journal réactionnaire n'a pas été satisfait de mon refus.Et,quelque temps après,il a adressé au comité central de l'Union des zemstvos le papier suivant,que nos chefs nous ont transmis:
"Monsieur le directeur de l'union des zemstvos,
"Nous avons eu le bonheur de voyager dans le train n°...,nous,militaires blessés sur le champ de bataille,le ... juillet.Et nous vous sommes très reconnaissants de vos soins.Et les soeurs de charité nommées par l'Union nous ont soignés avec beaucoup de dévouement et de bonne grâce.Notre train n°... contenait exclusivement des grands blessés;presque aucun n'avait été atteint par la mousqueterie;tous avaient reçu des shrapnells;quelques uns avaient des fractures des bras et des jambes;plusieurs avaient beaucoup de blessures graves sur tout le corps et en souffraient beaucoup.Mais les soeurs de notre cher train,ne restant pas les bras croisés un seul instant,refaisaient les pansements plusieurs fois par jour,faisaient tout le nécessaire pour adoucir les douleurs des blessés et,pendant des nuits entières,se tenaient à leur chevet,les aidaient et causaient avec eux,sans ménager leur propre santé,sans manger pendant des journées entières et n'ayant aucune possibilité de dormir.Nous étions là quatre cents blessés environ,et presque tous grièvrement,et,grâce aux soeurs,en quatre jours,deux hommes seulement sont morts.Que Dieu leur donne la santé,surtout à la petite soeur N.N.
Avec respect pour vous,le blessé
Jacob J...
soldat du régiment de la garde."
Le sous-officier qui a écrit la lettre ci-après a remarqué chez ses compagnons de voyage des fautes contre la civilité:
"Ma chère petite soeur,
"Excusez-moi de vous déranger par cette lettre.Je vous envoie ma reconnaissance cordiale pour votre labeur inappréciable.Vous nous avez soignés sans repos et vous avez travaillé pendant des jours et des nuits entières.Mais il y avait parmi nous des soldats manquant de respect qui,au lieu de remerciements,se permettaient de prononcer des mauvaises paroles.Cependant,vous,nos chères soeurs,n'y faisiez pas attention.Encore une fois,je vous apporte ma reconnaissance cordiale.Je suis tellement touché que je ne peux pas faire l'éloge des soins et des secours que nous avons trouvés chez vous pendant les sept jours que nous sommes restés sous la protection des soeurs et des aides-doctoresses du wagon n°11,du train n°... de l'Union panrusse des zemstvos.
Ma chère petite soeur,je vous renseigne sur mes blessures.Tout va bien,grâce à Dieu.Seulement,les blessures suppurent,et je ne peux pas rester assis.Ma chère petite soeur,je crois que,si l'on me soigne dans notre hôpital aussi bien qu'on m'a soigné dans le wagon n°11,je pourrai bientôt aller punir l'ennemi.Je suis en traitement à Petrograd....
Ensuite,au revoir! Que Dieu vous permette de continuer votre honorable labeur à la joie de notre armée valeureuse et au péril et à la mort de nos ennemis perfides.
Mikhaïl Nikolaïev G..... sous-officier blessé au ventre,qui a été dans le wagon n°11.
1915,17 juillet.
Ici,la gratitude s'élève au lyrisme:
"A la glorieuse,miséricordieuse,patiente travailleuse N.N.
"Bonjour,ma petite soeur N.N! Je vous adresse mon humble révérence de toute mon âme et mes respects.Que Dieu vous accorde la santé pendant vos exploits difficiles au profit de la sainte Russie.Vous souffrez autant que nous.Il vous faut laver et nettoyer chaque soldat,tout couvert de boue et de blessures.Il vous faut le panser et l'encourager d'un mot de caresse.Ma petite soeur miséricordieuse N.N.,vous avez reçu une éducation noble et une bonne instruction.Et vous avez dû oublier tout votre beau passé et accomplir le saint devoir,selon la parole du Seigneur,qui nous a dit de secourir ceux qui souffrent.Et vous êtes entrée dans le chemin difficile des exploits pour diminuer les souffrances des frères soldats.Que Dieu vous envoie de l'énergie dans ce travail bon et honnête.Et nous,les soldats,prierons le Seigneur qu'il vous aide à supporter tous vos labeurs et qu'il ne laisse pas votre généreux travail sans récompense.
Ma petite soeur miséricordieuse N.N.,j'ai reçu votre lettre et la photographie et je vous en remercie beaucoup,beaucoup.Je me souviendrai de vous toute ma vie,de votre générosité que je n'ai point mérité.
Ma petite soeur miséricordieuse N.N.,ma blessure est guérie;il n'y a pas eu d'opération;l'éclat d'obus se trouve dans la profondeur de la jambe et ne m'inquiète pas;l'ouverture de la blessure s'est cicatrisé,et il n'y a pas d'abcès.Donc,le 15 août,je demanderai qu'on me laisse quitter l'hôpital et je retournerai dans l'armée active pour punir cette bête d'Allemand.
Avec respect pour vous et très reconnaissant à tous,le sous-officier Jacob J....
1915,du mois d'août,à la 10è journée.
p.s:quand j'irai à la guerre,j'enverrai votre portrait chez les miens: qu'ils le gardent en souvenir d'une bonne et honnête travailleuse,soeur de charité."
Encore des remerciements:
Année 1915,du mois de juillet,au 16è jour.
"Dans les premières lignes de ma lettre,je vous annonce,ma petite soeur,que j'ai eu une opération,mais ma jambe va très mal.On me l'a fendue en plusieurs endroits et on y a mis des tubes en caoutchouc.Je ne sais pas combien de temps je coucherai ici.Puis au revoir!
Portez-vous bien,ma petite soeur.Je vous souhaite tout ce qui est bon et un grand bonheur dans votre vie.Mon adresse........"
--------------------------
Tout le monde se réjouit dans le train.
Parmi les lettres que nous avons reçues cette fois,il y en a une de notre Varia,transmuée en volontaire Serge S...
Elle nous écrit d'un camp de prisonniers,en Allemagne.Son régiment a participé au combat ; elle a été blessée légèrement et capturée par l'ennemi.Elle se trouve au camp avec d'autres Russes,et les Allemands ne soupçonnent même pas que ce jeune soldat est une demoiselle.
Varia vit ! Tout le monde se réjouit de cette bonne nouvelle.
-------------------------------
Nous sommes dirigés sur Kr...,en Galicie.On devait nous y amener des blessés par un chemin de fer militaire à voie étroite.
Nous attendons vainement pendant quelques jours : il n'arrive presque pas de blessés.Ceux que nous recevons nous donnent des nouvelles peu consolantes : les nôtres manquent de munitions et sont obligés de reculer.
Quelqu'un annonce que Przemysl est reprise par les Austro-Allemands.Nous ne voulons pas le croire;mais nous apprenons une chose encore plus affligeante: les Allemands sont près de Lvov.Il ne reste qu'à se rendre à la triste réalité.
Les Russes reculent ! Nous savons que,pendant une retraite,il est difficile de ramasser les grands blessés et nous nous représentons si bien ces champs,ces forêts et ces routes où les nôtres,abattus et mourants,gisent sans secours et sans soins !
On nous fait retourner à Brest.
Là,les nouvelles de la reddition de Przemysl et de Lvov sont déjà publiées officiellement.Il m'est pénible d'entrer chez mes patients,dont tous les efforts et toutes les souffrances,après avoir porté l'armée russe jusqu'aux Carpathes,ont été en pure perte.Que leur dirai-je s'ils me questionnent ?...
Il m'est encore plus pénible d'être si près des évènements de guerre et en même temps d'être si ignorante des choses militaires,de toute cette "stratégie" et toute cette "tactique".Pourquoi notre armée recule-t'elle?
Przemysl et Lvov ! Que de sang russe y a été perdu !
---------------------------
L'atmosphère devient de plus en plus lourde.
On nous a donné l'ordre de charger notre train sur place,à Brest.On craint déjà pour le sort de cette ville et on en évacue les hôpitaux.Mais nous n'avons pu prendre des blessés des hôpitaux locaux,parce qu'on nous en a envoyé directement des positions.
Ce sont ceux qui peuvent marcher.Pas de grands blessés.
"-Où sont les autres? Où les avez-vous laissés? demandé-je aux soldats.
-Ne le demandez pas,ma petite soeur,disent-ils avec désespoir.Ils sont restés sur le champ de bataille.Nous avons dû battre en retraite.Qui a pu marcher est parti.Ceux qui étaient trop touchés ont dû attendre l'arrivée des Allemands.Dieu le voit,ce n'est pas notre faute,ma petite soeur.Nous n'avions pas peur de verser notre sang et ne ménagions pas notre vie.Mais,quand on n'a pas assez de munitions,on ne peut rien faire...Mais ça ne fait rien,ma petite soeur.Ne te chagrine pas trop.Attends un petit peu...Nous reprendrons tout ce que nous avons perdu.Lvov sera à nous! "
Je ne sais pas pourquoi,de toutes les villes autrichiennes conquises et perdues par notre armée,Lvov intéresse le plus nos soldats.Ils le considèrent comme une ville russe,et il leur plaît beaucoup.Et,en effet,il est peut-être la plus "russe" des villes de Galicie et de Bukovine.
(à suivre)
Nouveau passage par Brest et nouveau paquet de lettres de soldats blessés:
1915,16 juillet.
"Dans les premières lignes de ma lettre,je salue ma chère soeur miséricordieuse N.N.
Vous nous avez soignés comme vos propres enfants.Nous vous remercions.Jésus seul aurait pu nous soigner aussi bien que vous l'avez fait.Nous vous remercions.Que le Seigneur vous donne la santé et que le général vous envoie une lettre.
Adressez vos lettres à la ville de P...,hôpital...,chambre....,
Nicolas Fedorovitch B...."
La "lettre du général",dont parle Nikita Fedorovitch,c'est un diplôme ou un certificat,que nos patients nous souhaitent très souvent de revevoir.
Le soldat de la garde qui m'a proposé de faire de la réclame dans un journal réactionnaire n'a pas été satisfait de mon refus.Et,quelque temps après,il a adressé au comité central de l'Union des zemstvos le papier suivant,que nos chefs nous ont transmis:
"Monsieur le directeur de l'union des zemstvos,
"Nous avons eu le bonheur de voyager dans le train n°...,nous,militaires blessés sur le champ de bataille,le ... juillet.Et nous vous sommes très reconnaissants de vos soins.Et les soeurs de charité nommées par l'Union nous ont soignés avec beaucoup de dévouement et de bonne grâce.Notre train n°... contenait exclusivement des grands blessés;presque aucun n'avait été atteint par la mousqueterie;tous avaient reçu des shrapnells;quelques uns avaient des fractures des bras et des jambes;plusieurs avaient beaucoup de blessures graves sur tout le corps et en souffraient beaucoup.Mais les soeurs de notre cher train,ne restant pas les bras croisés un seul instant,refaisaient les pansements plusieurs fois par jour,faisaient tout le nécessaire pour adoucir les douleurs des blessés et,pendant des nuits entières,se tenaient à leur chevet,les aidaient et causaient avec eux,sans ménager leur propre santé,sans manger pendant des journées entières et n'ayant aucune possibilité de dormir.Nous étions là quatre cents blessés environ,et presque tous grièvrement,et,grâce aux soeurs,en quatre jours,deux hommes seulement sont morts.Que Dieu leur donne la santé,surtout à la petite soeur N.N.
Avec respect pour vous,le blessé
Jacob J...
soldat du régiment de la garde."
Le sous-officier qui a écrit la lettre ci-après a remarqué chez ses compagnons de voyage des fautes contre la civilité:
"Ma chère petite soeur,
"Excusez-moi de vous déranger par cette lettre.Je vous envoie ma reconnaissance cordiale pour votre labeur inappréciable.Vous nous avez soignés sans repos et vous avez travaillé pendant des jours et des nuits entières.Mais il y avait parmi nous des soldats manquant de respect qui,au lieu de remerciements,se permettaient de prononcer des mauvaises paroles.Cependant,vous,nos chères soeurs,n'y faisiez pas attention.Encore une fois,je vous apporte ma reconnaissance cordiale.Je suis tellement touché que je ne peux pas faire l'éloge des soins et des secours que nous avons trouvés chez vous pendant les sept jours que nous sommes restés sous la protection des soeurs et des aides-doctoresses du wagon n°11,du train n°... de l'Union panrusse des zemstvos.
Ma chère petite soeur,je vous renseigne sur mes blessures.Tout va bien,grâce à Dieu.Seulement,les blessures suppurent,et je ne peux pas rester assis.Ma chère petite soeur,je crois que,si l'on me soigne dans notre hôpital aussi bien qu'on m'a soigné dans le wagon n°11,je pourrai bientôt aller punir l'ennemi.Je suis en traitement à Petrograd....
Ensuite,au revoir! Que Dieu vous permette de continuer votre honorable labeur à la joie de notre armée valeureuse et au péril et à la mort de nos ennemis perfides.
Mikhaïl Nikolaïev G..... sous-officier blessé au ventre,qui a été dans le wagon n°11.
1915,17 juillet.
Ici,la gratitude s'élève au lyrisme:
"A la glorieuse,miséricordieuse,patiente travailleuse N.N.
"Bonjour,ma petite soeur N.N! Je vous adresse mon humble révérence de toute mon âme et mes respects.Que Dieu vous accorde la santé pendant vos exploits difficiles au profit de la sainte Russie.Vous souffrez autant que nous.Il vous faut laver et nettoyer chaque soldat,tout couvert de boue et de blessures.Il vous faut le panser et l'encourager d'un mot de caresse.Ma petite soeur miséricordieuse N.N.,vous avez reçu une éducation noble et une bonne instruction.Et vous avez dû oublier tout votre beau passé et accomplir le saint devoir,selon la parole du Seigneur,qui nous a dit de secourir ceux qui souffrent.Et vous êtes entrée dans le chemin difficile des exploits pour diminuer les souffrances des frères soldats.Que Dieu vous envoie de l'énergie dans ce travail bon et honnête.Et nous,les soldats,prierons le Seigneur qu'il vous aide à supporter tous vos labeurs et qu'il ne laisse pas votre généreux travail sans récompense.
Ma petite soeur miséricordieuse N.N.,j'ai reçu votre lettre et la photographie et je vous en remercie beaucoup,beaucoup.Je me souviendrai de vous toute ma vie,de votre générosité que je n'ai point mérité.
Ma petite soeur miséricordieuse N.N.,ma blessure est guérie;il n'y a pas eu d'opération;l'éclat d'obus se trouve dans la profondeur de la jambe et ne m'inquiète pas;l'ouverture de la blessure s'est cicatrisé,et il n'y a pas d'abcès.Donc,le 15 août,je demanderai qu'on me laisse quitter l'hôpital et je retournerai dans l'armée active pour punir cette bête d'Allemand.
Avec respect pour vous et très reconnaissant à tous,le sous-officier Jacob J....
1915,du mois d'août,à la 10è journée.
p.s:quand j'irai à la guerre,j'enverrai votre portrait chez les miens: qu'ils le gardent en souvenir d'une bonne et honnête travailleuse,soeur de charité."
Encore des remerciements:
Année 1915,du mois de juillet,au 16è jour.
"Dans les premières lignes de ma lettre,je vous annonce,ma petite soeur,que j'ai eu une opération,mais ma jambe va très mal.On me l'a fendue en plusieurs endroits et on y a mis des tubes en caoutchouc.Je ne sais pas combien de temps je coucherai ici.Puis au revoir!
Portez-vous bien,ma petite soeur.Je vous souhaite tout ce qui est bon et un grand bonheur dans votre vie.Mon adresse........"
--------------------------
Tout le monde se réjouit dans le train.
Parmi les lettres que nous avons reçues cette fois,il y en a une de notre Varia,transmuée en volontaire Serge S...
Elle nous écrit d'un camp de prisonniers,en Allemagne.Son régiment a participé au combat ; elle a été blessée légèrement et capturée par l'ennemi.Elle se trouve au camp avec d'autres Russes,et les Allemands ne soupçonnent même pas que ce jeune soldat est une demoiselle.
Varia vit ! Tout le monde se réjouit de cette bonne nouvelle.
-------------------------------
Nous sommes dirigés sur Kr...,en Galicie.On devait nous y amener des blessés par un chemin de fer militaire à voie étroite.
Nous attendons vainement pendant quelques jours : il n'arrive presque pas de blessés.Ceux que nous recevons nous donnent des nouvelles peu consolantes : les nôtres manquent de munitions et sont obligés de reculer.
Quelqu'un annonce que Przemysl est reprise par les Austro-Allemands.Nous ne voulons pas le croire;mais nous apprenons une chose encore plus affligeante: les Allemands sont près de Lvov.Il ne reste qu'à se rendre à la triste réalité.
Les Russes reculent ! Nous savons que,pendant une retraite,il est difficile de ramasser les grands blessés et nous nous représentons si bien ces champs,ces forêts et ces routes où les nôtres,abattus et mourants,gisent sans secours et sans soins !
On nous fait retourner à Brest.
Là,les nouvelles de la reddition de Przemysl et de Lvov sont déjà publiées officiellement.Il m'est pénible d'entrer chez mes patients,dont tous les efforts et toutes les souffrances,après avoir porté l'armée russe jusqu'aux Carpathes,ont été en pure perte.Que leur dirai-je s'ils me questionnent ?...
Il m'est encore plus pénible d'être si près des évènements de guerre et en même temps d'être si ignorante des choses militaires,de toute cette "stratégie" et toute cette "tactique".Pourquoi notre armée recule-t'elle?
Przemysl et Lvov ! Que de sang russe y a été perdu !
---------------------------
L'atmosphère devient de plus en plus lourde.
On nous a donné l'ordre de charger notre train sur place,à Brest.On craint déjà pour le sort de cette ville et on en évacue les hôpitaux.Mais nous n'avons pu prendre des blessés des hôpitaux locaux,parce qu'on nous en a envoyé directement des positions.
Ce sont ceux qui peuvent marcher.Pas de grands blessés.
"-Où sont les autres? Où les avez-vous laissés? demandé-je aux soldats.
-Ne le demandez pas,ma petite soeur,disent-ils avec désespoir.Ils sont restés sur le champ de bataille.Nous avons dû battre en retraite.Qui a pu marcher est parti.Ceux qui étaient trop touchés ont dû attendre l'arrivée des Allemands.Dieu le voit,ce n'est pas notre faute,ma petite soeur.Nous n'avions pas peur de verser notre sang et ne ménagions pas notre vie.Mais,quand on n'a pas assez de munitions,on ne peut rien faire...Mais ça ne fait rien,ma petite soeur.Ne te chagrine pas trop.Attends un petit peu...Nous reprendrons tout ce que nous avons perdu.Lvov sera à nous! "
Je ne sais pas pourquoi,de toutes les villes autrichiennes conquises et perdues par notre armée,Lvov intéresse le plus nos soldats.Ils le considèrent comme une ville russe,et il leur plaît beaucoup.Et,en effet,il est peut-être la plus "russe" des villes de Galicie et de Bukovine.
(à suivre)
- mireille salvini
- Messages : 1099
- Inscription : jeu. déc. 15, 2005 1:00 am
Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
(suite..)
Notre train est demandé à Vilna.Nous y arrivons le matin.
Le train est garé sur la cinquième voie de réserve et attend l'ordre de commencer le chargement.Nous avons quelques heures à nous et nous prenons un fiacre pour faire une promenade dans la capitale de la Lithuanie.
La gare est,comme toujours,bourrée de soldats,les uns valides et prêts à marcher,les autres blessés et attendant d'être envoyés à l'arrière.Mais ce ne sont pas eux seuls qui vont se retirer.L'ordre est venu d'évacuer Vilna,qui sera bientôt occupée par les Allemands.
Dans les rues défilent des convois interminables.Des détachements de soldats passent.Les chariots à deux roues de la Croix-Rouge emportent des blessés.
Notre cocher nous mène vers le centre de la ville.Dans une rue,nous voyons un grand arc qui la relie à une autre rue.Une foule immense est agenouillée devant l'arc et,les larmes aux yeux,dit des prières.Une image religieuse est sur l'arc,et un prêtre catholique,à genoux aussi,récite des prières,les mains tendues vers elle.Il y a dans la foule des dames élégantes à côté de soldats,des femmes pauvrement vêtues,des petits enfants,des vieillards.Le cocher polonais nous explique que l'on prie en commun pour le salut du pays et la victoire et que cette image a une puissance miraculeuse.
Nous traversons encore quelques rues et nous nous trouvons devant une église orthodoxe.On descend du clocher une grande cloche: on va la faire sortir par une brèche pratiquée dans le mur.L'église est entourée d'une foule silencieuse; seules,quelques femmes pleurent.
Plus loin,une autre église,catholique celle-là.On y enlève aussi des cloches.Les ouvriers chargés de le faire sont perdus dans une masse de femmes qui sanglotent et demandent avec exaltation qu'on ne touche pas à la "voix de Dieu". D'autres femmes,avec une expression de terreur mystique,restent immobiles,comme pétrifiées.....
Voici la cathédrale.En face d'elle,un square.Dans le square,le monument de Catherine II.Devant lui,une sorte de potence est érigée,d'où une corde descend et entoure le cou de l'impératrice en métal.Jamais encore la grande tsarine n'a été traitée avec aussi peu de respect.
"-On la démonte pour l'emporter",explique le cocher.
Puis nous apprenons que le monument du célèbre dictateur comte Mouraviev,vainqueur de l'insurrection polonaise de 1865 et surnommé par les Polonais "Mouraviev le Pendeur" ,est démonté de la même façon,à l'aide d'une potence....
Nous arrêtons le fiacre devant une confiserie et y entrons pour acheter quelques douceurs,et surtout pour causer avec la vendeuse.
"-Qu'est-ce qu'il nous faut faire,ma soeur? me demande-t'elle.Devons-nous quitter la ville ou non ? On a déjà fermé les banques,le télégraphe et tous les établissements officiels.Mais on dit à la population de ne pas s'inquiéter et de ne pas écouter les propagateurs de panique.A la gare,on ne délivre pas de billets aux civils.Mais tous ceux qui ont de l'argent s'enfuient.On loue des camions,on y place les enfants et le mobilier et l'on part pour des stations distances de 60 à 70 verstes: là,tout le monde peut avoir des billets."
Après cette conversation,notre attention est attirée particulièrement par de nombreux camions et des chariots emportant des fugitifs.
Revenus à la gare,nous y remarquons un train plein de réfugiés qui se sauvent de Vilna.Un infirmier nous raconte que ce train stationne ici depuis longtemps.
Et,depuis le matin,un vieillard qui se trouve parmi les réfugiés va et vient sur le quai,le cadavre d'un bébé dans les mains.L'enfant,qui n'avait que quelques mois,est mort de bonne heure,et le vieux ne sait que faire du corps.Il ne veut pas s'éloigner du train,qui peut partir à tout instant; d'autres enfants à lui y sont montés.
Enfin,un gendarme vient et enlève le cadavre.
Je visite le train des réfugiés.Les wagons à marchandises sont bondés de voyageurs: enfants,vieillards,femmes.Ils attendent le départ déjà depuis trois jours,mais les voies sont encombrées de trains militaires.On promet de les faire partir aujourd'hui.Ce sont des habitants des faubourgs de Vilna et des villages environnants.
On fait avancer notre train jusqu'au point d'évacuation.Le chargement commence.Au milieu du travail,un officier inconnu nous aborde.Il est mortellement pâle et ému.
"-Kovno a été livrée aux Allemands.Cependant il y avait là des munitions et des vivres.Les soldats de la garnison avaient soif de défendre la place.Mais le commandant en chef l'a évacuée.On a vendu Kovno...."
Beaucoup plus tard,nous avons vu dans les journaux que l'ancien commandant de la forteresse de Kovno,général G....,a été condamné à quinze ans de travaux forcés par un tribunal militaire pour avoir,sans motifs plausibles,livré la forteresse à l'ennemi.
Donc l'officier inconnu avait raison....
(à suivre)
Notre train est demandé à Vilna.Nous y arrivons le matin.
Le train est garé sur la cinquième voie de réserve et attend l'ordre de commencer le chargement.Nous avons quelques heures à nous et nous prenons un fiacre pour faire une promenade dans la capitale de la Lithuanie.
La gare est,comme toujours,bourrée de soldats,les uns valides et prêts à marcher,les autres blessés et attendant d'être envoyés à l'arrière.Mais ce ne sont pas eux seuls qui vont se retirer.L'ordre est venu d'évacuer Vilna,qui sera bientôt occupée par les Allemands.
Dans les rues défilent des convois interminables.Des détachements de soldats passent.Les chariots à deux roues de la Croix-Rouge emportent des blessés.
Notre cocher nous mène vers le centre de la ville.Dans une rue,nous voyons un grand arc qui la relie à une autre rue.Une foule immense est agenouillée devant l'arc et,les larmes aux yeux,dit des prières.Une image religieuse est sur l'arc,et un prêtre catholique,à genoux aussi,récite des prières,les mains tendues vers elle.Il y a dans la foule des dames élégantes à côté de soldats,des femmes pauvrement vêtues,des petits enfants,des vieillards.Le cocher polonais nous explique que l'on prie en commun pour le salut du pays et la victoire et que cette image a une puissance miraculeuse.
Nous traversons encore quelques rues et nous nous trouvons devant une église orthodoxe.On descend du clocher une grande cloche: on va la faire sortir par une brèche pratiquée dans le mur.L'église est entourée d'une foule silencieuse; seules,quelques femmes pleurent.
Plus loin,une autre église,catholique celle-là.On y enlève aussi des cloches.Les ouvriers chargés de le faire sont perdus dans une masse de femmes qui sanglotent et demandent avec exaltation qu'on ne touche pas à la "voix de Dieu". D'autres femmes,avec une expression de terreur mystique,restent immobiles,comme pétrifiées.....
Voici la cathédrale.En face d'elle,un square.Dans le square,le monument de Catherine II.Devant lui,une sorte de potence est érigée,d'où une corde descend et entoure le cou de l'impératrice en métal.Jamais encore la grande tsarine n'a été traitée avec aussi peu de respect.
"-On la démonte pour l'emporter",explique le cocher.
Puis nous apprenons que le monument du célèbre dictateur comte Mouraviev,vainqueur de l'insurrection polonaise de 1865 et surnommé par les Polonais "Mouraviev le Pendeur" ,est démonté de la même façon,à l'aide d'une potence....
Nous arrêtons le fiacre devant une confiserie et y entrons pour acheter quelques douceurs,et surtout pour causer avec la vendeuse.
"-Qu'est-ce qu'il nous faut faire,ma soeur? me demande-t'elle.Devons-nous quitter la ville ou non ? On a déjà fermé les banques,le télégraphe et tous les établissements officiels.Mais on dit à la population de ne pas s'inquiéter et de ne pas écouter les propagateurs de panique.A la gare,on ne délivre pas de billets aux civils.Mais tous ceux qui ont de l'argent s'enfuient.On loue des camions,on y place les enfants et le mobilier et l'on part pour des stations distances de 60 à 70 verstes: là,tout le monde peut avoir des billets."
Après cette conversation,notre attention est attirée particulièrement par de nombreux camions et des chariots emportant des fugitifs.
Revenus à la gare,nous y remarquons un train plein de réfugiés qui se sauvent de Vilna.Un infirmier nous raconte que ce train stationne ici depuis longtemps.
Et,depuis le matin,un vieillard qui se trouve parmi les réfugiés va et vient sur le quai,le cadavre d'un bébé dans les mains.L'enfant,qui n'avait que quelques mois,est mort de bonne heure,et le vieux ne sait que faire du corps.Il ne veut pas s'éloigner du train,qui peut partir à tout instant; d'autres enfants à lui y sont montés.
Enfin,un gendarme vient et enlève le cadavre.
Je visite le train des réfugiés.Les wagons à marchandises sont bondés de voyageurs: enfants,vieillards,femmes.Ils attendent le départ déjà depuis trois jours,mais les voies sont encombrées de trains militaires.On promet de les faire partir aujourd'hui.Ce sont des habitants des faubourgs de Vilna et des villages environnants.
On fait avancer notre train jusqu'au point d'évacuation.Le chargement commence.Au milieu du travail,un officier inconnu nous aborde.Il est mortellement pâle et ému.
"-Kovno a été livrée aux Allemands.Cependant il y avait là des munitions et des vivres.Les soldats de la garnison avaient soif de défendre la place.Mais le commandant en chef l'a évacuée.On a vendu Kovno...."
Beaucoup plus tard,nous avons vu dans les journaux que l'ancien commandant de la forteresse de Kovno,général G....,a été condamné à quinze ans de travaux forcés par un tribunal militaire pour avoir,sans motifs plausibles,livré la forteresse à l'ennemi.
Donc l'officier inconnu avait raison....
(à suivre)
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- Inscription : jeu. juin 28, 2007 2:00 am
Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
Comme le dit l'auteur, Kovno a bien été abandonné par son chef, le général Grigorev, qui s'est carrément barré alors que les Allemands avançaient encore péniblement à la périphérie de la ville ; et comme souvent avec les unités russes, cela entraîna l'effondrement de la résistance et la prise de la ville sans destruction des ponts, canons et magasins de la ville.
Cet événement fut d'autant plus notable que cela ruina les espérances russes de résistances sur une ligne Riga-Kovno-Grodno-Brest pendant la grande retraite de 1915, et donc mener à la perte de Vilno et de Baranovichi, soit à la perte d'une importante voie de rocade du front russe.
Un site sur la forteresse de l'actuelle Kaunas : http://tvirtove.kaunas.lt/
Cet événement fut d'autant plus notable que cela ruina les espérances russes de résistances sur une ligne Riga-Kovno-Grodno-Brest pendant la grande retraite de 1915, et donc mener à la perte de Vilno et de Baranovichi, soit à la perte d'une importante voie de rocade du front russe.
Un site sur la forteresse de l'actuelle Kaunas : http://tvirtove.kaunas.lt/
- mireille salvini
- Messages : 1099
- Inscription : jeu. déc. 15, 2005 1:00 am
Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
bonsoir à tous,
merci Sylvain pour votre participation toujours aussi judicieuse qui met en valeur ce récit,
en validant en quelque sorte ce qui y est écrit.
voilà,ce récit se termine aujourd'hui
j'espère qu'il vous aura plu,autant qu'à moi.
un petit bonus ensuite,tel que l'auteur a voulu qu'il soit.
amicalement à toutes et tous
Mireille
---------------------------------------------------------------------------------------------------
(suite...)
Notre train est envoyé aux lignes du sud-ouest,presque sur la frontière de Bukovine.Septembre commence.
Nous sommes à P..,ancienne gare frontière russo-autrichienne.Une quantité énorme de blessés,des "nôtres", et des "leurs",nous y attend.
"-L'ordre est donné de prendre tous les blessés russes et ceux des Autrichiens qui sont grièvement atteints et ont besoin de secours médicaux immédiats",nous dit le médecin en chef.
Tandis qu'on apporte au train des blessés russes couchés sur des brancards,nous allons choisir de grands blessés parmi les prisonniers autrichiens.
Dans un grand hangar en briques à toît vitré,sur le pavement d'asphalte,couvert de paille,sont couchés des blessés autrichiens.Presque tous sont dans un état grave; beaucoup avec des fractures des jambes et des bras.
En tout,il n'y en a pas moins de cinq cents.Ce fait dément le bruit,répandu par la presse austro-allemande,que les Russes abandonnent les blessés ennemis sur le terrain et les laissent mourir.
Nous examinons les Autrichiens,choisissons les plus souffrants,et nos sanitary les emportent au train.
Pendant le trajet,je demande à un de ces hommes comment ils ont été faits prisonniers.Le soldat,Roussine orthodoxe de Bukovine,parlant un patois qui ressemble beaucoup au petit-russien,me raconte ceci.
"-Nous avancions contre les vôtres.Mais les vôtres nous ont encerclés.Nous avons voulu nous rendre et nous commencions à lever les mains,quand les Autrichiens qui nous suivaient se sont mis à nous tirer dans le dos.Les Russes ont dû repousser les nôtres pour nous faire prisonniers...Maintenant,l'hiver vient.Il coûtera cher aux nôtres.Ils supportent le froid moins bien que les vôtres.Les pieds leur gèlent."
En pansant les nôtres,je les interroge sur ce qui se passe actuellement aux positions.
"-Ca marche très bien,ma petite soeur.Il y a beaucoup de munitions.On peut bien arroser les ennemis.Ne vous affligez pas de la retraite.Lvov sera de nouveau à nous.
Nous étoufferons l'Allemand.L'Autrichien est sans importance.Il tient par l'Allemand.L'Allemand étouffé,l'Autrichien n'existera plus ! "
Le blessé riait.Il dit à plusieurs reprises d'un ton assuré.
"-Il y a des munitions : la victoire n'est pas loin. "
----------------------------
Nous avons laissé les blessés russes à Kiev,où nous avons pris encore un convoi d'Autrichiens,et nous avons dû les transporter tous,ceux recueillis à P....,et les nouveaux venus,à Darnitza,station peu éloignée de Kiev.
Comme nous sommes arrivés à Darnitza dans la nuit,on a remis le déchargement au matin.
Nous sommes debout au lever du soleil.Nous sortons des wagons et sommes vraiment frappés de ce que nous voyons.
Où sommes-nous ? En Russie ou en Autriche ? Partout,des soldats autrichiens,des infirmiers autrichiens et même des médecins autrichiens.Devant les tentes dressées près de la gare attendent des cuisiniers militaires autrichiens.
Un médecin militaire russe s'approche de nous et,nous indiquant un feldwebel autrichien,dit:
"-C'est lui qui surveillera les brancardiers autrichiens pendant que leurs blessés seront extraits du train."
Les brancardiers sortent des voitures un blessé après l'autre et les déposent sur le quai.Les blessés sont stupéfaits de ne voir autour d'eux que des uniformes autrichiens.
"-Vous ne savez pas si vous êtes en Autriche ou en Russie ? leur dis-je en allemand.
-Nous ne sommes ni en Russie ni en Autriche.Nous sommes tout simplement en guerre.",prononce-t'on derrière moi.
Je me retourne et je vois un officier autrichien.
"-Excusez-moi,lui dis-je sèchement,mais je ne parle bien l'allemand.
-Je parlerai français,si vous voulez," me répondit-il en bon français.
Je lui demande alors comment il a été pris par les nôtres.
Une ombre de mécontentement passe sur son visage.De sa réponse je n'ai pas compris grand'chose.D'une part,ce ne fut qu'un hasard malheureux qui le fit tomber aux mains des Russes; d'autre part,la faute en est aux soldats slaves.
"-Sans les Slaves qui se trouvent dans nos rangs,sans tous ces Polonais,Tchèques et Ruthènes,nous,les Hongrois et les Allemands,nous aurions vaincu depuis longtemps.Mais nous avons chez nous des Slaves et nous devons tenir nos fusils prêts non seulement contre vous,mais contre eux aussi.Ils nous empêchent de bien faire la guerre."
En entendant ces paroles,je me souviens qu'un Allemand blessé m'avait dit précisément la même chose de tous les Autrichiens,en général.
"-Vous êtes Hongrois ?
-Oui,madame.Vous avez peur de moi ? Vous prenez les Hongrois pour des sauvages,n'est-ce pas?
-Il n'y a pas de quoi avoir peur.Vous êtes notre prisonnier.
-Je le sais,madame.Mais on raconte chez vous des énormités sur les Hongrois.En réalité,nous ne sommes cruels que pendant le combat.La lutte finie,nous nous conduisons envers nos ennemis en galantes gens."
Un commandement retentit,et on emmène les prisonniers du quai au camp qui leur est réservé.L'officier hongrois s'en va aussi.
---------------------------------
Un nouvel hiver approche et amène une accalmie prolongée sur toute la ligne.
J'en profite pour obtenir une permission d'un mois.On ne me la refuse pas,car je travaille déjà depuis un an,presque sans repos.
Le même jour,je quitte Kiev et je roule vers Moscou,d'où je partirai pour la France.Je l'ai vue au temps de la paix.Je veux la revoir pendant la guerre.
A une station entre Moscou et Pétrograd,un officier entre en trombe dans la voiture et crie:
"-Messieurs,une grande nouvelle nous parvient de France.Les Français ont rompu le front allemand en Champagne.Des milliers de prisonniers sont tombés entre les mains des Français.C'est la victoire ! "
On se presse autour de l'officier,on discute joyeusement la nouvelle.Et tout le monde sent alors que la collaboration entre les peuples alliés n'est pas un vain mot.
Nous vivons en ce moment de la même pensée,de la même joie que le peuple français.
FIN

merci Sylvain pour votre participation toujours aussi judicieuse qui met en valeur ce récit,
en validant en quelque sorte ce qui y est écrit.
voilà,ce récit se termine aujourd'hui
j'espère qu'il vous aura plu,autant qu'à moi.
un petit bonus ensuite,tel que l'auteur a voulu qu'il soit.
amicalement à toutes et tous

Mireille
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(suite...)
Notre train est envoyé aux lignes du sud-ouest,presque sur la frontière de Bukovine.Septembre commence.
Nous sommes à P..,ancienne gare frontière russo-autrichienne.Une quantité énorme de blessés,des "nôtres", et des "leurs",nous y attend.
"-L'ordre est donné de prendre tous les blessés russes et ceux des Autrichiens qui sont grièvement atteints et ont besoin de secours médicaux immédiats",nous dit le médecin en chef.
Tandis qu'on apporte au train des blessés russes couchés sur des brancards,nous allons choisir de grands blessés parmi les prisonniers autrichiens.
Dans un grand hangar en briques à toît vitré,sur le pavement d'asphalte,couvert de paille,sont couchés des blessés autrichiens.Presque tous sont dans un état grave; beaucoup avec des fractures des jambes et des bras.
En tout,il n'y en a pas moins de cinq cents.Ce fait dément le bruit,répandu par la presse austro-allemande,que les Russes abandonnent les blessés ennemis sur le terrain et les laissent mourir.
Nous examinons les Autrichiens,choisissons les plus souffrants,et nos sanitary les emportent au train.
Pendant le trajet,je demande à un de ces hommes comment ils ont été faits prisonniers.Le soldat,Roussine orthodoxe de Bukovine,parlant un patois qui ressemble beaucoup au petit-russien,me raconte ceci.
"-Nous avancions contre les vôtres.Mais les vôtres nous ont encerclés.Nous avons voulu nous rendre et nous commencions à lever les mains,quand les Autrichiens qui nous suivaient se sont mis à nous tirer dans le dos.Les Russes ont dû repousser les nôtres pour nous faire prisonniers...Maintenant,l'hiver vient.Il coûtera cher aux nôtres.Ils supportent le froid moins bien que les vôtres.Les pieds leur gèlent."
En pansant les nôtres,je les interroge sur ce qui se passe actuellement aux positions.
"-Ca marche très bien,ma petite soeur.Il y a beaucoup de munitions.On peut bien arroser les ennemis.Ne vous affligez pas de la retraite.Lvov sera de nouveau à nous.
Nous étoufferons l'Allemand.L'Autrichien est sans importance.Il tient par l'Allemand.L'Allemand étouffé,l'Autrichien n'existera plus ! "
Le blessé riait.Il dit à plusieurs reprises d'un ton assuré.
"-Il y a des munitions : la victoire n'est pas loin. "
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Nous avons laissé les blessés russes à Kiev,où nous avons pris encore un convoi d'Autrichiens,et nous avons dû les transporter tous,ceux recueillis à P....,et les nouveaux venus,à Darnitza,station peu éloignée de Kiev.
Comme nous sommes arrivés à Darnitza dans la nuit,on a remis le déchargement au matin.
Nous sommes debout au lever du soleil.Nous sortons des wagons et sommes vraiment frappés de ce que nous voyons.
Où sommes-nous ? En Russie ou en Autriche ? Partout,des soldats autrichiens,des infirmiers autrichiens et même des médecins autrichiens.Devant les tentes dressées près de la gare attendent des cuisiniers militaires autrichiens.
Un médecin militaire russe s'approche de nous et,nous indiquant un feldwebel autrichien,dit:
"-C'est lui qui surveillera les brancardiers autrichiens pendant que leurs blessés seront extraits du train."
Les brancardiers sortent des voitures un blessé après l'autre et les déposent sur le quai.Les blessés sont stupéfaits de ne voir autour d'eux que des uniformes autrichiens.
"-Vous ne savez pas si vous êtes en Autriche ou en Russie ? leur dis-je en allemand.
-Nous ne sommes ni en Russie ni en Autriche.Nous sommes tout simplement en guerre.",prononce-t'on derrière moi.
Je me retourne et je vois un officier autrichien.
"-Excusez-moi,lui dis-je sèchement,mais je ne parle bien l'allemand.
-Je parlerai français,si vous voulez," me répondit-il en bon français.
Je lui demande alors comment il a été pris par les nôtres.
Une ombre de mécontentement passe sur son visage.De sa réponse je n'ai pas compris grand'chose.D'une part,ce ne fut qu'un hasard malheureux qui le fit tomber aux mains des Russes; d'autre part,la faute en est aux soldats slaves.
"-Sans les Slaves qui se trouvent dans nos rangs,sans tous ces Polonais,Tchèques et Ruthènes,nous,les Hongrois et les Allemands,nous aurions vaincu depuis longtemps.Mais nous avons chez nous des Slaves et nous devons tenir nos fusils prêts non seulement contre vous,mais contre eux aussi.Ils nous empêchent de bien faire la guerre."
En entendant ces paroles,je me souviens qu'un Allemand blessé m'avait dit précisément la même chose de tous les Autrichiens,en général.
"-Vous êtes Hongrois ?
-Oui,madame.Vous avez peur de moi ? Vous prenez les Hongrois pour des sauvages,n'est-ce pas?
-Il n'y a pas de quoi avoir peur.Vous êtes notre prisonnier.
-Je le sais,madame.Mais on raconte chez vous des énormités sur les Hongrois.En réalité,nous ne sommes cruels que pendant le combat.La lutte finie,nous nous conduisons envers nos ennemis en galantes gens."
Un commandement retentit,et on emmène les prisonniers du quai au camp qui leur est réservé.L'officier hongrois s'en va aussi.
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Un nouvel hiver approche et amène une accalmie prolongée sur toute la ligne.
J'en profite pour obtenir une permission d'un mois.On ne me la refuse pas,car je travaille déjà depuis un an,presque sans repos.
Le même jour,je quitte Kiev et je roule vers Moscou,d'où je partirai pour la France.Je l'ai vue au temps de la paix.Je veux la revoir pendant la guerre.
A une station entre Moscou et Pétrograd,un officier entre en trombe dans la voiture et crie:
"-Messieurs,une grande nouvelle nous parvient de France.Les Français ont rompu le front allemand en Champagne.Des milliers de prisonniers sont tombés entre les mains des Français.C'est la victoire ! "
On se presse autour de l'officier,on discute joyeusement la nouvelle.Et tout le monde sent alors que la collaboration entre les peuples alliés n'est pas un vain mot.
Nous vivons en ce moment de la même pensée,de la même joie que le peuple français.
FIN

Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
Bonjour Mireille,
Merci pour cette retranscription, ce récit m'a bien plu,
Bien amicalement et bonne journée,
Franck
Merci pour cette retranscription, ce récit m'a bien plu,
Bien amicalement et bonne journée,
Franck
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
- laurent provost
- Messages : 1043
- Inscription : lun. juin 11, 2007 2:00 am
Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
Merci Mireille
chaque jour ou presque j'attendais la parution du journal, jamais mon intérêt n'a faibli. A relire
chaque jour ou presque j'attendais la parution du journal, jamais mon intérêt n'a faibli. A relire

Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
Un grand merci à Mireille pour le partage de ce document passionnant !!
Amicalement,
Jef
Amicalement,
Jef
"Désormais je sais enfin que tous ces morts, ces Français et ces Allemands, étaient des frères, que je suis leur frère" Ernst Toller
Le blog du 232e RI http://232emeri.canalblog.com/
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- Jean RIOTTE
- Messages : 5774
- Inscription : sam. nov. 05, 2005 1:00 am
Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
Bonsoir Mireille,
Merci pour ce document dont j'ai dû interrompre la lecture à cause de mes difficultés de connexion... mais que je reprendrai dès que tout rentrera dans l'ordre. En principe en début de semaine prochaine.
Bien cordialement.
Jean RIOTTE.
Merci pour ce document dont j'ai dû interrompre la lecture à cause de mes difficultés de connexion... mais que je reprendrai dès que tout rentrera dans l'ordre. En principe en début de semaine prochaine.
Bien cordialement.
Jean RIOTTE.
Re: Carnet de route d'une aide-doctoresse russe
C'est en faisant des recherches que je suis arrivée sur ce site avec beaucoup de surprises...très interessant à lire...même si je manque de temps ce soir....
en sky...