Entre les lignes...

A Malinowski
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Re: Entre les lignes...

Message par A Malinowski »

Gendarmerie nationale

Légion
Prévôté de la 3ème Division

Cejourd’hui vingt février 1915 à 14 heures, nous, soussignés Charrier Paul, maréchal des logis et Allaire Marc, gendarme à cheval à la Prévôté de la 3ème division d’infanterie, aux ordres de nos chefs, étant en service dans le cantonnement de Dommartin/Yèvre, avons reçu la déclaration suivante de madame Bourgain, née Augustine Vadelle, âgée de 48 ans, sans profession, demeurant audit lieu :
“Hier soir, 19 courant, j’ai constaté qu’il manquait une certaine quantité de bois au tas qui est disposé dans ma grange qui abrite actuellement les chevaux du service postal de la 3ème division d’infanterie. Rien ne m’autorisant à porter mes soupçons sur le s militaires de ce détachement, je ne sais sur qui faire peser les responsabilités de cette disparition de bois. Avant l’arrivée des occupants actuels, ma grange avait abrité un détachement d’artilleurs, mais j’ai la certitude que le tas de bois était intact au départ de ces derniers. Je puis certifier également que cette disparition ne remonte pas à plus de 1 jours. J’évalue à un mètre cube et demi la quantité de bois soustraite et j’estime à 20 francs le préjudice que j’éprouve. Je ne désire pas que les auteurs de ce fait soient inquiétés, je demande seulement s’il est possible, une indemnité correspondant au préjudice qui m’est causé.”
Lecture faite à Madame Bourgain de sa déclaration, l’a reconnue exacte, a déclaré y persister et a signé avec nous.
La grange de madame Bourgain est située dans la rue principale de Dommartin/Yèvre en face de sa maison d’habitation qui occupe le numéro 24. Dans la partie droite de cette grange qui abrite sept chevaux du service postal de la 3ème division d’infanterie, se trouve un tas de bois, essence hêtre, en partie recouvert de paille et dont l’extrémité droite a été entamée. L’évaluation de la quantité de bois qui a été distraite du tas ne semble pas exagéré, elle peut être en effet de un mètre cube 1/2 environ.
A la suite de cette déclaration nous avons effectué des recherches dans le cantonnement et plus particulièrement dans le voisinage de la grange de Madame Bourgain où se trouvent encore les cuisines du détachement de la sous-intendance du service des postes de la 3ème division d’infanterie. Nous avons constaté que dans la première de ces cuisines il n’était fait usage que de bois de sapin et dans la deuxième, de bois de sapin et de chêne. Le maréchal des logis Friant, Henry-Auguste, commandant ce dernier détachement, nous a déclaré ce qui suit :
“Les chevaux de mon détachement sont dans la grange de Madame Bourgain, mais je vous donne l’assurance formelle qu’aucun de mes hommes n’a touché au tas de bois qui se trouve dans cette grange. Le bois que nous employons pour la cuisine provient de l’ordinaire; il y a une huitaine de jours Monsieur le Payeur en a aussi acheté une stère pour l’usage des bureaux et de notre popote. Je n’avais même pas remarqué l’existence d’un tas de bois dans cette grange et ne puis donc de ce fait, vous fournir aucune indication vous permettant d’orienter vos recherches.”
Lecture faite du maréchal des logis Friant de sa déclaration, l’a reconnue exacte, a déclaré y persister et a signé avec nous.
De nos investigations il résulte que le bataillon du 51ème régiment d’infanterie qui a séjourné à Dommartin/Yèvre du 10 au 18 courant n’avait aucune cuisine établie dans le voisinage de la grange appartenant à madame Bourgain; seul le deuxième bataillon du 87ème régiment qui a séjourné dans cette localité du 8 au 10 courant avait établi une cuisine dans une maison en ruines située près de cette grange, mais nous n’avons relevé aucun indice permettant d’imputer à ces militaires le fait que motive la plainte. Dans l’élément civil, nous n’avons recueilli aucun renseignement de nature à orienter nos recherches. Monsieur le Payeur particulièrement nous a confirmé la déclaration du maréchal des logis Friant, à savoir que depuis son arrivée à Dommartin il avait effectivement fourni à ce sous-officier une stère 1/3 de bois pour l’usage de la popote de son personnel. Monsieur Peyral, officier d’administration nous a fait une confirmation analogue en ce qui concerne son personnel. Aucun militaire ou civil n’a vu enlever du bois appartenant à la plaignante et toutes nos recherches faites à ce sujet sont restées vaines.
En foi de quoi, nous avons rédigé le présent destiné au général commandant la 3ème division d’infanterie.
Fait et clos à Dommartin/Yèvre, les jours, mois et an que dessus.
Signés: Allaire et Charrier.

CCM 06/11/2006
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Stephan @gosto
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Re: Entre les lignes...

Message par Stephan @gosto »

:bounce: Yes ! :bounce:

Bonsoir Alain,

Heureux de te retrouver ici ! et merci.

Amicalement,... et à vendredi prochain ;)

Stéphan
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LABARBE Bernard
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Re: Entre les lignes...

Message par LABARBE Bernard »

Bonsoir,
Ah!!! Un grand moment ce rapport !... Incroyable... Car nous sommes en 1915 !.. Madame Bourgain se plaint du vol "d'une certaine quantité de bois". Sa grange a abrité les chevaux du service postal de la 3ème DI, lesquels avaient été précédés par des artilleurs (Ah ! Par Ste Barbe !...). L'un d'entre-eux aurait-il déçu madame Bourgain en lui promettant une grosse bûche qui s'est avéré n'être en fait qu'une brindille ? (Je parle d'un artilleur pas d'un cheval ! Restons modestes...)
On croit rêver... Mais la loi est la loi... Et la routine administrative continuait...
1915... Quelle année... Combien de stères de bois pour fabriquer les croix ?
Merci pour ce texte.
Bernard
claude chanteloube
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Re: Entre les lignes...

Message par claude chanteloube »

Bonjour,

J'aurais, moi aussi, tendance à rire devant un tel document cependant il faut savoir qu'il était prévu, par division je crois, des fonds destinés à dédommager les particuliers de ce genre de petits ennuis ou des dégradations commises par les troupes de passage ou en cantonnement...on imagine qu'il fallait une "investigation poussée" pour retrouver "des coupables circulants" et des officiers se renvoyant la balle pour ne rien payer..... Les civils au courant de l'existance de ces fonds cherchaient par tous les moyens à en profiter...
jusque là rien de bien grave......mais il faut aussi savoir qu'au début de la guerre lorsque les accusations que l'on sait ont été lancées à l'encontre des soldats du 15 ème CA, systématiquement ils ont été accusé de "voler les poules" et non moins systématiquement condamnés...

en voici un exemple:

À la date du 9 octobre 1914, on relève dans "le courrier départ” du Prévôt du 15 ème Corps, le Chef d’Escadron Magnier, originaire de Pierrefitte, ces quelques lignes qui montrent l'état d'esprit des militaires du cru vis à vis des soldats du sud de la France.

“ J'ai l'honneur de vous exposer que le 26 septembre 1914, le garde forestier Jeannot, de Pierrefitte sur Aire, accompagné du Brigadier de Gendarmerie Couillard, a surpris le Caporal boucher Borret de la 15 ème section des commis et ouvriers d'administration en flagrant délit de vol avec effraction, dans une maison que je possède dans cette localité […] ”

Suit une longue énumération visant à faire payer les dégâts par la 65 ème Division de Réserve, où l'on relève cette phrase révélatrice :

“ …pour s'introduire dans l'habitation et y soustraire d'abord des légumes puis autre chose ensuite sans doute, imitant ainsi le pillage et le brigandage commis dans les communes environnantes par les troupes du 15 ème Corps d'Armée ”
et qui se termine ainsi, comme si cela constituait à ses yeux, une circonstance aggravante :
"Je crois devoir faire remarquer que le Caporal Borret est originaire de Marseille bien que n'appartenant pas à une formation du 15 ème Corps".

On trouve aussi dans le “ courrier sortant du 15 ème CA ”, à la date du 15 septembre, une lettre du Général Espinasse au Général Sarrail Commandant la 3 ème Armée dans laquelle on relève les phrases suivantes :

“ […] Je me permets toutefois de faire remarquer que dans la région que nous venons de traverser, des actes de pillage très graves, imputables, en grande partie, à des unités étrangères au 15 ème CA, ont été constatés. Leur examen semblerait prouver qu’il existe à la suite des troupes une organisation de vol avec complicité des civils. C’est aussi l’avis du Commandant de Gendarmerie , dont je vous adresse ci-joint un rapport. […] ”

De fait, les nombreuses correspondances de soldats du midi évoquant cette période font souvent état de leur écœurement devant le pillage des maisons.
A la date du 25 octobre, un autre courrier du Général Espinasse s’interroge sur le bien fondé de ces plaintes :

“ ….j’ai cru devoir moi-même, après lecture de ces divers documents, prescrire un complément d’enquête que j’ai confié à M. le Capitaine de Gendarmerie, Prévôt de la 30 ème Division, dans la zone de cantonnement de laquelle se trouve en ce moment Froméreville. Les renseignements recueillis par cet officiers ne concordant pas d’une façon absolue avec ceux dont ont fait état M. le Général de Division, Gouverneur de Verdun, et Mr le Général commandant le 3 ème secteur, il ressort clairement qu’à l’époque où les faits se sont passés un certain nombre de corps appartenant à la défense de la Place ont utilisé le cantonnement de Froméreville notamment les 124 ème et 303 ème régiments d’infanterie, les 3 ème, 5 ème, 25 ème Régiment d’Artillerie. […]


Bon !! Ces quelques petites choses complètent le tableau....
Cordialement.cc


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Bruno Tardy
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Re: Entre les lignes...

Message par Bruno Tardy »

Bonsoir,
Comme partout il y avait des bons et des mauvais. dans certaines de ses lettres, mon père dit avoir été très bien reçu par les habitants locaux, dans d'autres il se plaint que le peu de denrées qu'il trouve dans le village lui sont vendues à prix d'or.
Cordialement
Bruno
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Charraud Jerome
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Re: Entre les lignes...

Message par Charraud Jerome »

Bonsoir

Merci Alain pour ce 63e numéro d'"Entre les lignes".
A propos de coût, voici un petit document (1917) que j'ai extrait du "Deux ans de commandement" du général Dubois et qui permet de mieux apréhender les vraies dépenses de ce conflit et donc de relativiser le coût de la stère de bois de Mme Augustine Bourgain:

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Cordialement
Jérôme Charraud
Les 68, 90, 268 et 290e RI dans la GG
Les soldats de l'Indre tombés pendant la GG
"" Avançons, gais lurons, garnements, de notre vieux régiment."
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