Le ravin de Puisaleine dans l'Oise. En septembre 1914, la guerre s'est arrêtée là aux lendemains de la bataille de la Marne. Situé à une quinzaine de kilomètres de Noyon et de Vic-sur-Aisne, ce site, situé près de la Ferme de Quennevières, des communes de Carlepont, Tracy-le-Mont-Tracy-le-Val et Moulin sous Touvent, va se retrouver pendant près de trois ans et demi, sur la ligne de feu. C'est ici que les prémices de la Course à la Mer s'engagent, à l'extrême aile gauche de l'armée von KLUCK qui vient de se replier du champ de bataille de l'Ourcq, et que les premières tranchées vont être édifiées, après une dernière tentative de l'armée allemande de rejeter les troupes françaises du 4e Corps d'Armée, pour l'essentiel composée de Parisiens, de Normands et de Bretons, dans la vallée de l'Aisne, au cours d'une offensive menée dans la nuit du 19 au 20 septembre 1914. Les Allemands, qui dévalent dans le ravin de Puisaleine, remontent jusqu'à la ferme de Quennevières qu'ils arrachent aux Français. Il faut plus d'un mois de combats aux Français pour récupérer cette position, qui formera désormais un saillant au coeur des lignes ennemies. C'est pour cette raison, que le 6 juin 1915, le général NIVELLE, dont le PC est établi au château d'Offémont, près de Tracy-le-Mont, décide de lancer une attaque contre les positions du 86e Régiment de Fusiliers de la Reine. L'attaque est menée par les zouaves et tirailleurs de la 37e DI et remporte, contre toute attente, un succès inespéré, les zouaves dévalant dans le ravin de Puisaleine et se dirigeant vers Moulin sous Touvent. Malgré les pertes importantes, zouaves et tirailleurs emportent les deux premières lignes allemandes, menacent la 3e, capturent plusieurs centaines de prisonniers, des mitrailleuses et même une batterie de canons de 77. C'est un succès total qui sème le trouble jusqu'à l'état major allemand qui envisage un moment de... se replier vers Blérancourt, dans l’Aisne... Mais les Allemands se ressaisissent, d'autant que les Français n'envoient pas de renforts pour exploiter le succès. Les zouaves et tirailleurs, aventurés très en avant des lignes allemandes doivent battre en retraite, abandonnant le terrain conquis de haute lutte. Le 8 juin, les Allemands contre-attaquent. Le 16 juin, NIVELLE tente une nouvelle offensive pour reprendre le terrain abandonné une semaine plus tôt. Mais entre-temps, les Allemands se sont renforcés, ont consolidé leurs positions et les nids de mitrailleuses sont inexpugnables et terriblement efficaces contre les troupes françaises qui regagnent leurs tranchées avec de lourdes pertes. C'est la fin de l'offensive Nivelle sur le saillant de Quennevières qui se solde par un échec et se conclut par une sorte de modus vivendis... Au cours de ces attaques de juin 1915, un groupe de zouaves a disparu, volatisé, dans la cuvette de Puisaleine. C'est la raison pour laquelle, aux lendemains de la guerre, un monument sera édifié non loin de là, sur le territoire communal de Moulin sous Touvent : la Butte des Zouaves. Ce secteur du front a aussi connu la guerre des crapouillots, la guerre des mines (Bois Saint-Mard), des expériences de guerre des gaz,notamment en 1916, avant que les Allemands n'abandonnent provisoirement ce front, en mars 1917, lors de l'opération Alberich. Un an plus tard, ils reviennent, au cours de leurs attaques de mars, puis de juin 1918, et réoccupent les tranchées abandonnées un an plus tôt. Ce n'est qu' en août et septembre 1918 que les troupes françaises, épaulées par les chars Renault, parviendront à dégager définitivement cette région de l'Oise.
Ce résumé historique semblera sans doute à certains un peu long. J'ai simplement voulu restituer dans les grandes lignes le contexte historique et mettre en avant l'intérêt de sauvegarder ce secteur situé au Nord Est de l'Oise, pour tous les passionnés de la Grande Guerre qui méconnaîtraient le site. A l'issue de la Grande Guerre, cette zone dénommée "plateau de Quennevières" ou "plateau de Nampcel", a peu à peu retrouvé sa vocation de terre agricole. Mais il n'empêche qu'elle a conservé bien des stigmates du conflit jusqu’à nos jours. Les innombrables sous-bois alentours, dont le Bois Saint-Mard (qui a fait dès l’époque l’objet d’une abondante production iconographique), rappellent encore les événements qui se sont produits là il y a plus de 90 ans maintenant : entrées de souterrains, de galeries (où inscriptions et graffiti sont encore bien visibles), cagnas, fourneaux de mines, taillés à même la pierre calcaire des souterrains, entonnoirs, vestiges de tranchées, abris bétonnés, positions d'observation, positions de minenwerfer ou de crapouillots, positions de mitrailleuses, vestiges de toutes natures sont encore bien présents et rappellent, en marge des innombrables plaques et monuments, les événements qui ont à jamais meurtris les lieux. Ici, comme au Chemin de Dames ou à Verdun, l'histoire du premier conflit mondial se lit comme dans un livre grand ouvert, en plein air, au détour des chemins et sous le couvert des bois...
Or il se trouve que depuis une trentaine d'années, un société de traitement de "déchets ultimes" s'est installée dans une partie du Bois Saint-Mard, haut-lieu de la guerre des mines, où certains vestiges sont tout à fait comparables à ce qui peut subsister à la Cote 108 ou les Eparges par exemple. Sans effectuer la moindre campagne de fouille archéologique, cette société a détruit et dénaturé une partie importante de ce bois. Aujourd'hui, en 2009, cette décharge arrive à saturation, et alors même que pour des raisons diverses, pas uniquement liées au fait que ce site soit un lieu de mémoire (il s'agit aussi d'une question d'environnement, d'écologie et de santé publique, le plateau possédant plusieurs sources qui sont captées pour la consommation d'eau des riverains), élus locaux, riverains, associations historiques et écologistes s'opposent à la création d'une nouvelle décharge, cette société persiste quant à elle à vouloir s'étendre toujours davantage. Cette fois-ci, elle a jeté son dévolu sur une importante partie du ravin de Puisaleine, où étaient situées les positions françaises en 1915-1916 - 1917. Se moquant éperdument des vestiges importants qui demeurent encore sur place, et qui n'ont jamais fait l'objet du moindre relevé archéologique, autant que de l'opposition des riverains et des élus, pourtant concernés au premier chef, l'exploitant de cette décharge a obtenu cet été l'autorisation de la DDEA de déboiser une large partie du ravin de Puisaleine et s’est aussitôt empressé de dévaster les parties boisées (détruisant au passage une position empierrée de mitrailleuse française et les restes de boyaux de communications et de tranchées), alors que dans le même temps, le Préfet de l'Oise s'est opposé à toute extension de décharge sur ce site. Mais, le responsable de la décharge ne désarme pas et entend bien casser la décision du Préfet de l'Oise devant les tribunaux pour anéantir ce site, où reposent encore des soldats français et allemands, dont les corps ont disparu ici et n'ont jamais été retrouvé. Le "devoir de mémoire" n'est pas l'affaire de cet exploitant, qui compte bien ensevelir ce site historique et les restes des combattants, jamais retrouvés et encore enfouis sur place, sous une montagne de détritus (des ossements ont été mis à jour sous les manoeuvres des grues de la société, corroborant certaines archives militaires de l'époque, attestant la présence de corps de "portés disparus" sur place). Pour cette raison, habitants, élus, associations écologistes et historiques locales, associations d'anciens combattants se sont mobilisés pour dire "non" à ce projet de décharge sur ces lieux sacrés. Samedi 19 septembre 2009, une grande manifestation qui a attiré à la Butte des Zouaves près de 350 opposants a eu lieu, largement relayée par les médiats locaux et France3 Picardie, mais cette action ne suffit pas devant l'entêtement de la société de traitement des déchets, qui entend bien se répandre encore sur ce site que nous voudrions valoriser comme site historique de la Grande Guerre, ce qui est la juste logique des choses, eu égard aux sacrifices consentis ici par les poilus de la Grande Guerre. Aussi, une nouvelle manifestation à l'initiative du maire de Tracy-le-Mont, et des élus des communes limitrophes, doit se dérouler le 11 novembre prochain à nouveau à la Butte de Zouaves, pour redire encore une fois non à ce projet insensé. Et une carte pétition est disponible, dont je joins ici une copie. Tous ceux qui veulent agir immédiatement contre ce projet odieux peuvent dès à présent imprimer, compléter cette carte et la renvoyer à Monsieur le Maire de Tracy-le-Mont (Mairie de TRACY-LE-MONT - 60170), ou à M. Didier Guénaff, président de l’association « Patrimoine de la Grande Guerre » (siège social de l’association : mairie de NOYON – 60400), qui les collationneront et les transmettront à Monsieur le Préfet de l'Oise. Toutes les énergies et les bonnes volontés, pour qui le "devoir de mémoire" et le respect de nos valeureux "poilus" de la Grande Guerre et de leur mémoire ne sont pas de vains mots sont invitées à signer cette pétition et à venir dire et répéter avec nous le 11 novembre prochain "non à la décharge sur un lieu de mémoire". Nous devons sauver le ravin de Puisaleine et préserver le champ de bataille de Quennevières, qui est un des sites les plus remarquables de la Grande Guerre dans l’Oise et doit être mis en valeur comme tel.
