L’affront fait aux Poilus

Sur les traces des combats et de combattants
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bruno17
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Re: L’affront fait aux Poilus

Message par bruno17 »

Bonjour,

Un très bel article de Dominique Richard paru dans le Sud-Ouest du mercredi 22 juin 2016.
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« C’est le pays d’Auberoche, le pays des calcaires du jurassique venus du tréfonds des âges et ensevelis sous des taillis de chênes que parcourent des chemins de terre où la pierre affleure. Au détour d’un virage, des villages assoupis émergent de la forêt entre collines et valons ombreux où musardent quelques randonneurs au pied leste. Un peu à l’écart du bourg de Montagnac, c’est ici, à la Miranderie, que la dame a été consignée. En lisière d’une clairière prisée des chasseurs que le soleil inonde rarement. Elle n’a rien perdu de sa grâce et de sa distinction, même si, depuis peu, elle est orpheline de l’une de ses mains, celle munie d’un poinçon qui gravait sur le granit : « A nos morts 1914-1918 ».

Tués une deuxième fois

Œuvre du sculpteur périgourdin Gustave Rivet, cette statue échouée au fond des bois était initialement adossée à une colonne où figuraient les noms des 86 instituteurs de la Dordogne tombés dans les tranchées de la Grande Guerre. Elle trônait dans la cour de l’École normale de garçons à Périgueux. Avant de partir porter l’instruction dans les campagnes, les hussards de la République aimaient à se faire photographier devant cette femme aux traits mélancoliques et au pied de laquelle étaient posés une sphère et des livres, symboles de la connaissance dont ils étaient les messagers.
Dans les années 1960, lorsque l’établissement a été rasé pour laisser la place à un collège, personne ne s’est soucié du devenir de la sculpture. Oublié, le discours vibrionnant prononcé en 1921 par le directeur de l ‘école normale : « Je prends l’engagement sacré d’entourer de soins ce monument afin qu’il soit une éternelle et poignante leçon de patriotisme ». Mai 68 était dans l’air et dans les têtes. L’uniforme, le drapeau, les odes au patriotisme…, les futurs instits s’en fichaient alors comme de l’an 40. La modernité était en marche, nul ne voulait s’encombrer d’une telle relique. A-t-elle été kidnappée ? L’entrepreneur en maçonnerie chargé de démolir les vieux bâtiments s’est-il dévoué pour qu’elle débarrasse le plancher ? L’histoire ne le dit pas. « On les a tués une seconde fois » déplore l’ancien conseiller général Jean-Pierre Gouaud, l’un des survivants de cette époque où les futurs maîtres étaient formés en 4 ans immédiatement après le brevet.

Surgie du passé, la dame a conservé intacte, dans son regard, la flamme du souvenir

Le temps a filé sa laine jusqu’à ce jour de l’an 2000 où quelques anciens de la promotion 54-58 ont eu envie de se réunir pour retrouver le parfum de leurs humanités. « Dans les années 1970, j’avais trouvé chez un antiquaire de Saint-Jean-du-Gard une carte postale représentant le monument aux morts. Elle avait rejoint une chemise dans laquelle j’avais classé des documents. Je l’ai ressortie. Tout le monde a cherché à savoir où il était passé », raconte Maurice Biret, un ancien instituteur. De Périgueux au bois de Montagnac-d’Auberoche, il n’y a guère plus d’une vingtaine de kilomètres. Mais qu’il fut long le chemin ! Les archives, les musées, les cimetières…, les enseignants écument tous les lieux de mémoire, interrogent sans relâche les anciens et les derniers témoins. Après dix ans d’une vaine quête, le hasard d’une rencontre avec un historien local qui aime marcher dans les bois de Montagnac-d’Auberoche les met enfin sur la piste.

La machine se grippe

La colonne a disparu, des plaisantins ont peint en rouge ses lèvres et ses ongles. Mais, surgie du passé, la dame consolatrice des Poilus de l’École normale a conservé intacte dans son regard la flamme du souvenir. Qu’elle ait été reléguée dans un ourlet du paysage signifie-t-il qu’on a voulu la dissimuler ? L’heure n’est plus aux procès d’intention. L’entrepreneur en maçonnerie qui l’avait ramenée sur ses terres n’est plus de ce monde, Serge Virgo, à qui il avait cédé ce morceau de forêt et sa belle locataire, ne voit pas d’inconvénient à la laisser partir. Jean-Pierre Gouaud et Maurice Biret, aidés par la veuve de l’un de leurs camarades, Lucette Laporte, s’attellent alors à la tâche avec l’enthousiasme de collégiens. Ils chassent la subvention, traquent le sponsor. Le Département accepte de prendre à sa charge le rapatriement de l’œuvre à Périgueux. C’est là que la Socra, la société qui restaure actuellement l’archange du Mont-Saint-Michel, est sollicitée pour redonner à la disparue son lustre d’antan.
« Nous imaginions inscrire sa réinauguration dans le cadre des commémorations du centenaire de la Grande Guerre » se rappelle Jean-Pierre Gouaud.
Plutôt coopératif au départ, Serge Virgo bat en retraite : la publicité donnée à la découverte a quelque peu indisposé son épouse. « Depuis que cette histoire a éclaté, elle s’y est attachée ». Sollicité en 2011, celui qu’on appelait le Conseil général de la Dordogne se refuse à financer une réplique. Jean-Pierre Gouaud fait alors donner les associations d’anciens combattants, appelle sur le pont un général, administrateur général des Affaires maritimes. Peine perdue. Même l’Association des anciens élèves de l’École normale reste à couvert. « Ils nous ont écoutés. Mais au fond, ce qui les intéresse, c’est de faire des gueuletons entre eux et de partir en voyage », se désole l’ancien conseiller général.

Même le ministère de la défense s’avoue incapable de voler au secours des Poilus

« Moralement, on les soutient, nuance leur président, Jean-Michel Carrière, mais on ne voyait pas comment s’associer à leur demande, l’opération revenant à 40 000€ alors que nous avions 300€ de caisse ». Même le ministère de la Défense, invité à contribuer en dernier recours, s’avoue incapable de voler au secours des Poilus perdus dans les bois. Car le monument aux morts, commandé et payé à l’époque par l’Amicale des maîtres et anciens élèves de l’École normale de Périgueux, relève du droit privé. A l’inverse de ceux édifiés par les communes, il n’a pas la qualité d’un ouvrage public, imprescriptible et inaliénable. Prudemment, Alexandra Dumas, maire de Montagnac, préfère détourner la tête de ces pierres grignotées par les outrages du temps. « Cela fait des années que cela dure. Cette affaire ne regarde pas la commune ».

Un geste citoyen

Son prédécesseur, qui avait mis son grain de sel dans la querelle, a d’ailleurs été renvoyé à ses études lors des dernières municipales. De quoi conforter Serge Virgo. « Aujourd’hui, les anciens de l’École normale que je croise me disent que c’est là qu’elle est le mieux. Rien n’empêche ceux qui veulent se recueillir de venir. D’ailleurs, elle attire du monde ».
La route qui mène à l’esplanade de l’espace culturel François-Mitterand, à Périgueux, où les survivants de la promo 54-58 rêvent de l’installer, est coupée. « Ce serait pourtant un très beau geste citoyen de la restituer, tout au moins ce qu’il en reste », soupire Lucette Laporte.

Il reste encore deux ans avant que ne s’achève le centenaire de la der des ders. Le dernier carré d’irréductibles ne baisse pas la garde. « Nous sommes de vieux septuagénaires, ironise Jean-Pierre Gouaud, mais attention, bientôt nous serons de jeunes octogénaires ! »
Bruno BAVEREL - Romans: "La voiture de Vandier" - "Les aventures du lieutenant Maréchal" - (Éditions des Indes Savantes) - "Le lieutenant de Mandchourie" (Éditions de L'Harmattan)
girodacle
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Re: L’affront fait aux Poilus

Message par girodacle »

Bonsoir Bruno et tous,

belle preuve de mercantilisme que le comportement de l'épouse du propriétaire! Avant que d'aucuns ne s'intéressent à elle, pour la mettre en lieu sûr, entretenue et reconnue, cette statue ne semblait guère intéresser madame Untel! Et voilà que la dite dame éprouve un attachement que l'on dira "perturbateur" pour le monument.
Autant dire que l'affaire de "renflouement" est pliée. A moins que...
Cordialement
Alain
Alain
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