En ce 8 septembre, je ne pouvais qu'évoquer le souvenir du 116e RI dans ce secteur de la Bataille de la Marne.
Les jours précédents : le 4 au soir, le 116e RI était à SOUDRON, après être passé par le village de Thibry, puis le 5 partait pour SOMMESOUS (mon GP notant que de nombreux soldats fatigués par les précédentes journées de marche forcée étaient évacués , lui-même étant exténué et malade) et le 6 pour CONNANTRAY où le 116e RI était placé en réserve avant de rejoindre LA FERE-CHAMPENOISE. Le GP y notera la présence de l'état-major, mais aussi l'arrivée des blessés des combats déjà engagés. Ce soir-là, le GP sera aux avant-poste sur la route avec son escouade.
Ses toutes dernières notes griffonées les 7 et 8 furent les suivantes :
"7 – Départ pour le feu – arrêt à SOUDRON (?? erreur) – bataille acharnée autour de LENARRHEE – le 19e demande du renfort – notre bataillon va pour occuper le village – sur la rivière – nomination – blessés passant près de nous – capitaine évacué – ALLOT commt la compagnie – obus 77 marmites – arrivée au village – cantonnement – réservistes sur la ligne – tranchées – 11 heures au ravitaillement – tabac – pain – conserves café – bouillon – café – je crois voir un allemand avec un casque à pointe – distribution – le commandement impose silence.
8 – 3 heures et quelque chose – alerte – debout – canonnade et fusillade – feu – blessé – mur écroulé – enfer – re…ai... (retrait ?) de la brigade – cris des Boches – charges à la baïonnette – "
Je n'en aurais pas su davantage sur son ultime nuit de combat si je n'avait retrouvé un brouillon de courrier que j'ai pu dater de courant 1932 et adressé à un Maréchal (que j'ai identifié comme étant Pétain, qui avait adressé à mes Grands parents en 1927 un petit mot à l'occassion de la naissance de leurs seconds jumeaux - eh oui - et on sait que celui-ci encourageait vivement la natalité...), lettre dans laquelle le GP faisait part de l'absence de certaines décorations (dont la Légion d’honneur) jusqu’à ces années-là.
(Nota : les mots ou phrases entre-parenthèses sont raturées sur le brouillon) :
« .... Le jour de l'attaque, ma Compagnie, la 2e du 116e RI était commandée par le Sous-lieutenant PICHOT qui fut tué en 1915.
Mon chef de section , le sergent-major JEHANNO, tomba au champ d'honneur en 1916. Quant aux quelques rares camarades survivants, par suite de mon départ en Février 1919 au 5e Bataillon d'Afrique, j'ignorais totalement ce qu'ils étaient devenus.
.....
De ce fait je n'obtins ni citation, ni croix de guerre. Certes, Monsieur le Maréchal, je n'ai jamais eu la prétention de faire figure de héros. J'estime n'avoir fait au cours de ma trop courte campagne : à MESSIN le 22 Août; aux abords de SEDAN les 24, 25 et 26 Août et plus particulièrement à LENARRHEE le 8 Septembre que mon devoir.
La veille mon Bataillon avait relevé un Bataillon du 19e RI et après avoir fait occuper à la lisière N du village les tranchées creusées hâtivement les jours précédents s'y était installé en cantonnement d'alerte.
L'ordre donné le 7 au cours de la soirée était de tenir coûte que coûte, de se faire tuer sur place plutôt que de céder un pouce de terrain.
A 3 heures du matin, les Allemands, après un bombardement par obus incendiaires qui nous obligea à nous replier à la lisière Sud, déclenchaient leur attaque. Contenus à la droite de LENARRHEE par des contre-attaques à la baïonnette de la part du 19e RI, en avant du village par des feux de mousqueterie de nos éléments d'avant-garde, ils parvenaient à refouler à notre gauche le 118e RI. Au point du jour, leur progression était devenue assez sérieuse pour nécessiter le repli de mon Bataillon qui avait déjà subi des pertes sévères. (Celui-ci était à peu près achevé) Je venais de recevoir l'ordre du Sous-Lieutenant PICHOT (j'avais été nommé Sergent la veille) de (résister à) tenir la lisière Sud avec les (débris) éléments de la Compagnie qui avait pu être ralliés, une vingtaine d'hommes environ, lorsque les Allemands qui (avaient achevé leur) poursuivaient avec succès leur mouvement d'enveloppement se portèrent à l'assaut du village. Pris entre deux feux nous fumes rapidement mis hors de combat; ce fut au cours de cet assaut que j'eus le bras droit traversé par une balle et tombais aux mains des Allemands.
Dans cette dure épreuve, j'eus cependant la satisfaction d'entendre un officier général (allemand) ennemi prononcer ces paroles en passant devant le front des prisonniers, dont un grand nombre était blessé "Vous êtes de braves soldats". … » .
Ce dernier témoignage - qui m'avait surpris à sa lecture - est à rapprocher de ce que cite Charles Le Goffic ("La Bataille de la Marne") , évoquant les combats de Lenharrée: "...Mais plus tard, si nous en croyons l'abbé Néret, apprenant que c'était avec deux compagnies seulement que Lenharrée avait tenu tête si longtemps à des forces supérieures, le chef des Saxons fit défiler ses hommes devant le capitaine de Saint-Bon et les autres blessés, en disant: " Saluez, ce sont des braves."...".
Merci à Florent/Vieille Champagne pour cette superbe carte ....
Comme d'autres régiments, le 116e RI connut ce matin-là une hécatombe et la déroute, subies sous la furia ennemie dont le mot d'ordre avait été " d'égorger tous les Français " suivant un témoignage allemand. Le chiffre de la vingtaine de soldats restant aux cotés de mon GP sur les 250 de la Cie parle de lui-même ...
Dans ses recherches parallèles aux miennes , Nico a pour sa part recensé 117 soldats du 116e RI originaire du Morbihan tués ce jour-là à Lenharrée, à la Fère-Champenoise, à Connantray ou encore Ecury-le-Repos... , sans compter les Finistériens, Ligériens et autres, aux nombres desquels j'ai recencé :
cités par l'HISTORIQUE :
- les Sergents Paul Marie Victor GERARD , 22 ans - Amédée Adolphe Camille PADIOLEAU , 21 ans 1/2 - Auguste ROLLAND
- les Caporaux Pierre Marie AUFFRET, 22 ans - Jean Louis DAOUDAL , 24 ans 1/2 - Jean LE BERRE, 30 ans 3/4 - Michel Henri MOREAU , 19 ans 3/4 - Lucien Léopold Aristide TOUZE , 24 ans -
- l'Adjudant Anatole Hyacinthe BERNIER, 30 ans -
- les 2e classes Pierre Marie BALLAY, 29 ans - Désiré Mathurin Marie BERTHO 28 ans 1/2 - Joseph Marie BOCHE , 25 ans - Pierre Marie Isidore BOURBAO , 24 ans - Louis BRABAN , 24 ans - Alexis-Emile LE BRIS - Jean-Marie BRISHOUAL , 25 ans - Joseph Marie BRUZAC , 21 ans - Auguste Marie CHAUTARD , 25 ans 1/2 - Marcel Charles Marie CLEQUIN, 32 ans - Jean Marie DAVALO , 26 ans 1/2 - Joseph Marie DENOUAL , 28 ans - Francois Marie DUCHESNE, 31 ans 1/2 - Aimé Marie Désiré ECHELARD , 27 ans 1/2 - Louis Pierre Marie ECHELARD, 26 ans 1/2 - François FRESNEAU - Jean Marie LE GENTIL , 26 ans 1/2 - Jean Marie GICQUEL , 26 ans - Joseph Marie LE GOUAS , 22 ans 1/2 - Désiré GRASLAND - Joseph Marie HOCHET , 30 ans - Yves Louis Marie JAMET ,21 ans - Jean LABARRE - Julien LAURENT , 24 ans " disparu " - Francis LE LIDEC - Jacques MARCHADOUR - Jean-Marie MARZIN - Joseph MOURAUD , 28 ans - Arsène Alfred MOURAUD , 25 ans - François Marie OLIVIER , 25 ans 1/2 - Léon Julien PREMPART , 25 ans - Alphonse RAFFREY - Pierre RENAUD - Joseph Marie RIAUD , 24 ans - Léon Pierre Marie RIO , 24 ans - Henri Pierre Marie RIVIERE , 23 ans - Julien ROBIC - Pierre Marie ROBIC , 21 ans 1/2 - Narcisse ROUAUD , 24 ans - Pierre Marie ROUILLE , 24 ans - Pierre Auguste ROUILLERE ,"disparu sur le champ de bataille" - Jean Marie ROZE , 26 ans - Julien SERVEL , 23 ans 1/2 - Adolphe Louis Marie VALLIERE , 26 ans 1/2 - Louis YVENAT, 26 ans - Pierre ROUX - Louis LE BOT
ainsi que leurs camarades non cités :
- le Sergent Jean Marie GUYON, 26 ans 1/2
et les 2e classes :
- Louis Marie Joseph CORBIN , 23 ans 1/2 - François Jean Marie GANDON , de la 12e Cie, 24 ans - Jean Marie GUEHO de la 12e Cie, 29 ans - Pierre Marie GUILLEMOT - 2e classe , 24 ans - Désiré Marie GUIMARD , 24 ans - Joseph Marie HERVE , 22 ans 1/2 - Pierre Marie LE ROUZIC , de la 2e Cie , 21 ans - Alexandre François Marie PONDART , 22 ans 1/2 - Georges PUREN , de la 1ère Cie , 23 ans - Victor RIO , 21 ans - Léon Jean Marie ROUAUD , 25 ans 1/2 - Pierre Marie ROUSSEL , 26 ans 1/2 - Joseph Marie ROUXEL , de la 1ère Cie , 21 ans - Paul SUEL - Albert Joseph Marie VOISIN , de la 2e Cie , 24 ans -
et, au nombre des "disparus au combat" :
- Ferdinand Joachim Marie LE CORFF - François Marie LE HENANFF - 21 ans - .....
Trois anciens élèves du Collège St François-Xavier figurent aussi au nombre des "morts pour la France" du 116e de ce 8 Septembre :
- Henri Marie Paul CAUBERT DE CLERY , 2e classe , 21 ans 1/2 ans , originaire de Solesmes (Sarthe)
- Jean-Marie GUILLERM(E) , 20 ans , Clerc minoré , de Guidel , porté "disparu"
- le Caporal Alexandre LE RAY , 23 ans, né à Carnac (Mhan).
Quant à Jean Marie LE GOFF , de la 3ème compagnie, originaire de Pommerit (Finistère), grièvement blessé, il avait été porté disparu le 8 septembre 1914 (avis officiel), et devait décéder le 11 septembre 1914 dans la petite localité, un courrier de la Croix rouge reprenant le témoignage d'un compagnon d'armes, assez précis quant au lieu d'inhumation : "enterré à l'entrée du village de Lenharrée, sur la gauche de la route à une quinzaine de mètres du Pont".
(source : Ronan LE GOFF - en mémoire de l'un de ses GOncles)
Fait prisonnier et après avoir reçu ses premiers soins par des Ambulanciers Allemands, Jean-Marie RIO allait être dirigé sur le camp de Darmstadt avec d'autres soldats du 116e (dont son camarade Jules Guého, de la Gacilly) et n'en reviendra qu'à la mi-Novembre 1918...
Son témoignage des faits (et des circonstance de sa blessure) a fait l'objet d'attestations en fin 1919 puis en 1933 de 4 "survivants" du 116e RI : Jules Guého ; Joseph Guillodo, de Billiers ; Jean Guimard, de Vannes, à la Légion en 1933 ; et le capitaine de réserve Nicolas Allot, de Vannes, adjudant en 1914, celui mentionné le 7/9 (celles de 1933 furent contresignées par Delestraint, alors à la tête du 505e RCC dont mon GP commandait le Centre de mobilisation).
In mémoriam.
Cordialement.
Jean-Yves