le retrait des troupes de couverture en juillet 1914

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mireille salvini
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Re: le retrait des troupes de couverture en juillet 1914

Message par mireille salvini »

bonjour à toutes et à tous

je viens de lire,alors que je l'ignorais complètement,qu'en juillet 1914,les troupes de couverture ont reculé à 10 kms de la frontière.

est-ce une décision politique,prévue dans un traité?
est-ce une décision militaire,stratégique?
les cols des Vosges n'ont-ils pas été livrés ainsi au tout-venant?
est-ce que ce retrait de ces troupes a eu une incidence sur les combats d'août 1914?

j'avoue que cette histoire m'intrigue beaucoup à cause de son ambigüité,vu l'état de tension extrême en juillet 14 et la conviction d'alors que s'il y avait invasion,elle se ferait par l'Est (et non pas par la Belgique).

si quelqu'un pouvait éclairer ma lanterne...?
amicalement,
Mireille

" Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants." (Jean d'Ormesson)
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Eric Mansuy
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Re: le retrait des troupes de couverture en juillet 1914

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,
Bonjour Mireille,
Voici ce qu’a écrit le général Legrand-Girarde, commandant le 21e Corps d’Armée (Epinal), dans Opérations du 21e Corps d’Armée :

« Le 31 juillet, dans l'après-midi, je fus appelé au téléphone par M. Messimy qui m'annonça l'envoi à bref délai du télégramme de couverture et m'avisa en même temps que, pour des raisons d'ordre diplomatique, afin de donner toute assurance à nos amis anglais que nous ne serions pas les premiers à franchir la frontière, nos éléments les plus avancés seraient tenus à 10 kilomètres en a l'arrière de celle-ci.
Cet ordre bouleversait toutes les dispositions que nous avions prévues et nous gênait considérablement ; il eût apporté de bien plus grandes perturbations encore dans nos prévisions si celles-ci avaient comporté des ouvrages de fortification. Je reconnais que le gouvernement français agit sagement en ordonnant ce retrait de notre couverture, puisque, en donnant au monde entier la preuve tangible de nos dispositions pacifiques, il n'a pas peu contribué à nous assurer le concours de nos alliés. Toutefois cette mesure apportait du trouble dans l'installation de la couverture ; il nous fallait notamment abandonner le casernement de Fraize, occupé par un bataillon du 158e.
Il peut n'être pas inutile d'affirmer ici de la manière la plus catégorique que l'ordre du gouvernement a été observé scrupuleusement dans toute l'étendue du secteur des Vosges que je commandais. Contrairement aux assertions mensongères des Allemands, aucune troupe ou détachement quelconque de chez nous, non seulement n'a franchi la frontière, mais ne s'en est approché au delà des limites qui nous furent imposées.
Les ordres furent rapidement transmis et dès le 31 juillet à 11 heures et demie du soir le premier échelon du Q.G. mobilisé partait pour Rambervillers où il arrivait dans la nuit ; le dispositif de couverture était réalisé dans la matinée du 1er août, la ligne de couverture passant par Fraize, Neuvillers-sur-Fave, le Ban-de-Sapt, Senones, Celles, Badonviller, Montigny. Les gros installés à Corcieux, Saint-Dié, Baccarat et Rambervillers.
Le 21e corps devait être renforcé dans son secteur par la 6e D.C. qui débarqua le 2 août au matin et fut dirigée sur Azerailles où, prenant sous ses ordres le 4e groupe de couverture, elle assurait la liaison avec le 20e C.A. Les deux divisions du C.A. se partageaient le secteur : la 43e, à droite, du Valtin à Raon-l'Étape ; la 13e, à gauche, de ce dernier point à Flin.
Le 3 août était levée l'interdiction de se rapprocher de la frontière à moins de 10 kilomètres, mais nous ne pouvions la franchir encore.
Fallait-il à ce moment substituer au dispositif de couverture imposé par la zone d’interdiction celui qui avait été prévu en temps de paix ? J'ai indiqué déjà que le fonctionnement de la couverture dépendait des liaisons télégraphiques établies entre la ligne de surveillance et les gros.
Modifier les dispositions imposées conduisait à une suppression temporaire de la plupart des liaisons. En outre, nous savions que les Allemands avaient occupé les cols et s'y étaient fortement retranchés ; nous nous serions donc heurtés à l'ennemi sur tout notre front en un moment où nous étions seuls encore dans le secteur. La mission des troupes de couverture étant nettement défensive, je jugeai préférable de conserver le dispositif imposé et de me borner à ordonner des coups de sonde sur les cols frontière afin de reconnaître les forces ennemies.
L'expectative me paraissait d'autant plus indiquée le 5 août que l'on me signalait la présence d'une division ennemie dans la vallée de la Bruche. A cette date, je reçus du général en chef un télégramme prescrivant de donner toute leur ampleur aux opérations des troupes de couverture. Mon premier mouvement fut d'ordonner l'occupation des cols des Vosges : du Bonhomme à Saales, par la 43e division, mais en raison des renseignements qui m'arrivèrent sur l'ennemi, je fis surseoir à l'exécution de cet ordre et me bornai à porter la réserve du corps d'armée (26e brigade et 2 groupes A.C.) sur Saint-Dié.
Si j'avais attaqué à la fois vers l'est (cols du Bonhomme et Sainte-Marie) et vers le nord (col de Saales) alors qu'aucun élément de la 1re armée n'était encore en état de me soutenir et qu'on me signalait des rassemblements ennemis importants dans la vallée de la Bruche, je risquais de me trouver engagé dans des actions divergentes sans disposer de réserves suffisantes pour les appuyer efficacement.
Si l'ennemi restait sur la défensive, ainsi que semblait l'indiquer l'activité qu'il apportait à se fortifier sur les cols, il y avait peu d'inconvénients à retarder l'attaque.
Si, au contraire, il attaquait, mieux valait garder mes forces groupées en un point central pour me porter au-devant de lui dans la direction qu'il aurait prise lui-même.
Il n'en restait pas moins que le retrait imposé aux troupes de couverture avait permis aux Allemands de se fortifier solidement sur la frontière, alors que nous-mêmes n'avions rien pu faire ; nous devions nécessairement trouver plus de difficultés à vaincre au moment où nous voudrions nous porter en avant. »

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
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Eric Mansuy
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Re: le retrait des troupes de couverture en juillet 1914

Message par Eric Mansuy »

Toujours Legrand-Girarde, dans Un quart de siècle au service de la France :

« C'est le vendredi, 31 juillet, que je reçus l'ordre de partir en couverture, et le soir même, à 11 heures, je transportais mon quartier général à Rambervillers où je devais rester jusqu'au 8 août.
J'eus le tort à ce moment de trop donner de ma personne et de ne prendre aucun repos, mais il semblait alors qu'on ne ferait jamais assez pour accomplir son devoir. Je m'astreignis à passer les nuits au bureau, étendu sur un mauvais matelas, afin de ne pas perdre une seconde si mon intervention était nécessaire. Et j'ai trop vécu comme le moindre des officiers de mon état-major, j'ai voulu partager entièrement leur sort pour m'identifier avec eux, établir entre mes collaborateurs directs et moi cette absolue communauté de vues qui me paraissait indispensable au bon fonctionnement de l'organe. Je n'ai pas réussi à obtenir ce dévouement complet, sans réserve, de celui qui devait être mon bras droit : mon chef d'état-major. J'aurais dû me montrer plus distant, peut-être eussé-je été mieux servi. « Poignez vilain, il vous oindra... »
L'ordre de départ en couverture me fut annoncé verbalement au téléphone par le ministre Messimy, dans l'après-midi du 31 juillet. Il comportait le maintien (voire même le retrait) des troupes sur une ligne de dix à douze kilomètres en arrière de la frontière. Le Gouvernement, en agissant ainsi, prévenait toute chance d’incident provoqué par nos troupes et donnait au monde la preuve de ses intentions pacifiques. Il a bien agi sans doute, mais son chef d'alors, Viviani, a été trop loin en affirmant que ce retrait n'avait pas eu d'inconvénients.
Comment en aurait-il pu être ainsi, alors qu'on abandonnait des dispositions étudiées dès longtemps à l'avance et des positions tenant sous leur feu le débouché des cols. On est venu à bout des difficultés résultant de ce mouvement, mais il est excessif d'en nier l'existence.
Nous avons eu ainsi le spectacle des incursions allemandes sur notre territoire, et nous avons permis aux Allemands de se fortifier à loisir sur les cols. Lorsqu'ensuite nous avons dû attaquer ceux-ci, les difficultés étaient sérieusement accrues. Elles se sont manifestées d'une manière sensible à partir du 8 août, lorsque l'ordre fut donné de s'emparer des cols des Vosges. Nous dûmes engager successivement une série d'actions dont certaines furent assez dures et l'on perdit du temps à regagner le terrain volontairement abandonné.
On se demandera peut-être pourquoi n'avoir pas repris les emplacements de couverture étudiés en temps de paix, le 2 août, lorsque fut levée l'interdiction de se tenir en arrière de la zone abandonnée.

Il y avait double raison pour ne pas agir ainsi : la première, c'est qu'en portant en avant toutes les troupes de couverture du secteur, on rompait leur liaison, et que dans le service de surveillance qui nous incombait, il importait avant tout de maintenir intactes ces liaisons. Le second motif de ne pas se porter en avant provenait des renseignements reçus sur l’ennemi et qui orientaient notre dispositif, tandis que les dispositions de couverture du temps de paix étaient en quelque sorte théoriques.
J'eus successivement l'impression que l'ennemi allait prononcer une attaque par Blâmont et par Saales. On a signalé d'abord des rassemblements ennemis évalués à une brigade vers Lorquin, puis dans la vallée de la Bruche, de la force d'une division. C'est ainsi que j'ai fait roquer ma réserve de la gauche vers la droite pour parer à la menace.
II importait évidemment bien plus de modifier les emplacements des troupes de couverture selon les renseignements qu'on recevait de l'ennemi plutôt que de reprendre un dispositif du temps de paix, théorique, si bien étudié d'ailleurs qu'il pût être. »

Bien cordialement,
Eric Mansuy

PS Hélas, aucune allusion à cet ordre de retrait chez Dubail (Quatre années de commandement), si ce n'est, le 2 août : "Le Gouvernement français se décide à pousser sa couverture jusqu'à la frontière, mais défense est faite de la franchir. On se contentera de refouler les détachements ennemis qui passeraient sur le territoire français". Rien non plus chez de Castelli (Le 8e Corps en Lorraine et Cinq journées au 8e Corps).


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LABARBE Bernard
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Re: le retrait des troupes de couverture en juillet 1914

Message par LABARBE Bernard »

Bonjour,
J'ai ça dans mes classeurs:
Cordialement,
Bernard

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mireille salvini
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Re: le retrait des troupes de couverture en juillet 1914

Message par mireille salvini »

bonjour à toutes et à tous
bonjour Eric,
bonjour Bernard,

merci beaucoup pour vos documents extrèmement intéressants et très ciblés sur mes questions.

le général Legrand-Girarde a beau essayer de rester solidaire avec le gouvernement de l'époque,on voit bien que cela lui a été un crève-coeur d'obéir à cette décision insensée,à la veille de cette guerre,que -à mon avis-les politiques et les militaires savaient inéluctable...
je crois bien que nous avons là la toute 1ère erreur stratégique-monumentale de cette guerre,avant même qu'elle ne commence....

dans ce jeu d'échec diplomatique un peu obscur,on peut se demander pourquoi une telle décision de non-sens:
-pour essayer de sauver la paix ?...j'en doute un peu
-pour déjà penser à l'après-guerre avec les futures recherches en responsabilités?
-ou alors, par cette attitude délibérée -c'est pas nous,c'est eux qui ont commencé-,arriver à fédérer l'ensemble de la Nation sur l'idée que c'était une guerre juste qui arrivait,guerre de défense du sol attaqué sans provocation aucune..
car,fin juillet,les voix étaient nombreuses pour s'éléver contre la guerre (Jaurès...) et voilà qu'en quelques jours,tout un pays s'est résolu à combattre,bravement,puisqu'il le fallait...

je pense (c'est mon avis) que la manoeuvre politique a amplement réussi,une superbe manipulation des masses...
évidemment,les soldats qui ont été sacrifiés par la suite et conséquence de ce retrait ne comptent pas,ils ne sont que matériel,pions sur l'échiquier..

cyniquement vôtre en quelque sorte...

je renouvelle mes remerciements à vous deux,Eric et Bernard,pour m'avoir éclaircie sur ce fait de la guerre-avant la guerre,qui présageait mal de la suite hélàs...

amicalement,
Mireille
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rohmer
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Re: le retrait des troupes de couverture en juillet 1914

Message par rohmer »

Bonjour et merci à Eric et Bernard pour vos précisions qui concernent la région de nos Anciens.
Merci à Mireille pour cette excellente question, un petit bonjour au passage.
Bien cordialement à tous.
Marc et Evelyne.
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