A la demande de Christine, je remets en ligne l' intégralité des discours et de la biographie de Jean Ferrari.
Amicalement,
Jef

JEAN FERRARI
1° Discours prononcé le 11 novembre 1958 : 50 ° anniversaire de l’armistice :
« Le comité d’entente des associations d’anciens combattants de Brignoles a voulu en ce 50° anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918 déroger à la pieuse tradition qui consistait à venir déposer simplement au pied de ce monument la gerbe du souvenir. Dans un sentiment d’union totale, il m’a délégué pour rappeler, face à la population brignolaise rassemblée et en m’adressant plus particulièrement à la jeunesse de notre cité, des souvenirs vieux de plus de cinquante ans et aussi d’un passé récent, pour que ce devoir que j’accomplis, peut-être une dernière fois, soit bien l’expression d’une dette de reconnaissance vis-à-vis de ceux qui sont morts pour que la France vive.
Oui, nous avons beau faire, nos avons été et nous sommes restés et nous demeurerons la génération de la guerre. Elle a marqué, comme l’a écrit Roland Dorgelès, notre vie de son sceau rouge et nous pouvons frotter, astiquer, comme autrefois, la plaque de couche rouillée de nos fusils, rien n’effacera la tache.
Elle est partout, dans nos souvenirs, nos deuils, nos habitudes, notre langage et quand on cherche à l’oublier, quelque chose d’imprévu nous oblige brusquement à parler encore d’elle. Soyons en pardonnés, nous le demandons avec ferveur.
Les morts vont si vite chez nous que les noms se perdent dans les mémoires et que s’estompent dans le temps des enseignements de leurs sacrifices.
On a si souvent exploité leur gloire en termes grandiloquents : cette gloire si pure et si naturelle qui fut semblable à la beauté de ces roses qui l’on envie et que l’on jalouse et à qui l’on donne un coup d’ongle sournois pour qu’elles flétrissent un peu plus vite. Et c’est pour cela que la vérité nous a parue nécessaire d’être dite, car nous savons que seule compte la sincérité des sentiments.
La cérémonie d’aujourd’hui présente alors un autre caractère et le devoir qui m’a été confié comme ancien combattant de 14-18, ancien chasseur à pied, comme représentant des Forces Françaises libres et des combattants volontaires de la Résistance, comme maquisard relève d’un impérieux besoin de libérer nos consciences qui nous fait retomber dans un état d’âme cruel et douloureux, qui est notre lien commun, qui fait partie de notre génération qu’il a creusée, comme nous avons creusé les tranchées où s’est ensevelie notre jeunesse et qui nous a marqués pour toute notre vie. Nous sommes les rescapés d’une gigantesque épopée ; nous sommes ceux qui avons souffert et ceux qui mourront.
On a si souvent chanté la vaillance des poilus en des phrases brodées qui résonnent tristement dans nos cœurs meurtris : clairons et tambours sonnant la charge, drapeaux claquant au vent. Rosalie en avant, les soldats s’élançaient dans la griserie des batailles froides et joyeuses !
Eh bien non, enfants jeunes qui n’écoutez pas : nos combats n’étaient pas cela.
C’étaient en 1914, les marches forcées des plaines de Belgique aux pentes brisées des Vosges et de l’Alsace, de Charleroi, d’Ypres, de Dixmude à Mulhouse en passant par Dieuze et Morhange : pantalons rouges étalés comme de larges tâches qui séchaient au soleil ! et pourtant dans les marais de St Gond, sous le commandement de Joffre et de Gallieni ce fut contre les armées de Von Kluck qui se voyaient déjà à Paris, ce fut la victoire de la Marne.
C’étaient en 1915, les combats meurtriers de l’Artois ( Souchez, Carency, Vimy), de Champagne ( la Main de Massiges, tombeau des coloniaux et de la Légion), les Eparges, le Viel Armand Metzeral ! autant de noms et qu’on m’excuse des oublis, auxquels s’accroche toujours des souvenirs vivaces comme laissent aux haies des chemins de campagne les touffes de laine d’un troupeau qui passe.
1916 – dans les nuits sombres et glacées, la montée en ligne, les files lugubres d’hommes plongés sous leur bardo, trébuchant dans les trous d’obus, qui veillaient derrière les créneaux, harassés et livides, qui mouraient dans la boue, dans les fils barbelés, rouges de poux et de vermine dans d’immondes cagnas ; qui « tenaient » sous les rafales de mitrailleuses et les tirs de barrage, qui sautaient avec les mines perfides ;
Qui traînaient leurs armes et leurs capotes arrachées à la glaise qui happe, qui portaient pour conquérir un village détruit, un bois déchiqueté, qui n’avaient plus conscience ni de la mort ni de la souffrance, à qui l’on donnait parfois un quart de gnole éthérée au moment de monter le parapet et à qui l’on ôtait la notion d’homme et d’humain. Lorsque les régiments décimés regagnaient leurs cantonnements de repos, que la possibilité était donnée à ces spectres vivants de reprendre conscience de leur état d’âme, qu’un effort nouveau leur était demandé pour se redresser en passant devant le drapeau de régiment, une pensée les portait vers le front dont ils s’éloignaient momentanément un peu et vers les camarades qui n’étaient pas descendus, sans pouvoir chasser de leur esprit les cris déchirants et désespérés des blessés à mort à qui nulle aide n’avait été possible.
Et malgré cela ce fut Verdun entouré de noms rentrés pour toujours dans la légende et dans l’histoire. Douaumont, Vaux, Le mort Homme, Malancourt, Vauquois. La côte 304. Le Ravin de la Mort. La tranchée des baÏonnettes, Fleury, Cumières. Debout les morts ! Ils ne passeront pas ! Ils ne sont pas passés !
Ce fut aussi la sanglante bataille de la Somme : Bouchavesnes, Combles, Sailly-Saillisel, La maisonnette, Barleux !
1917 – le recul allemand sur la ligne Hindenburg – Les villages de l’Oise, complètement rasés – les arbres sciés, les ponts sautés, les minenwerfer du château de Coucy. La sanglante bataille du chemin des Dames ; le moulin de Laffaux.
1918 – La bataille de France. L’Oise, l’Aisne, la Belgique le Mont Kemmel ; l’hypérite, les gaz délétères, les liquides enflammés, les tanks.
Dans les pays lointains, les Dardanelles avec Gouraud. Monastir avec Sarrail et Franchet d’Espérey ; le Maroc. En juillet de cette armée, sous le commandement unique du Maréchal Foch, ce fut notre offensive. De Nieuport en Belgique, à Seppois en Alsace, sous une fantastique poussée, le front craque. Bousculés sans répit les Teutons reculaient, ne laissant que ruines et deuils dans leur retraite, réagissant souvent avec violence mais comprenant que pour eux la partie était irrémédiablement perdue.
Et quand le 11 novembre 1918, à 11 h du matin, le clairon Sellier, le clairon de la victoire, héros de la Résistance, mort en 1952, sonna le Cessez le feu, quand la fin des combats fut annoncée, quand pour la 1ére fois depuis 52 mois ! nous pouvions regarder par-dessus les parapets sans craindre la balle meurtrière, marcher sans nous courber dans un champ labouré et voir devant nous un horizon lointain où pointait le soleil de la délivrance, nous ne pouvions pas encore croire au silence des armes, à l’alléluia de la victoire. La grand nouvelle courut sur les cibles souterraines, sur les fils tendus au long des routes, sur les ondes mystérieuses.
Toute la France en quelques minutes entra dans le circuit du bonheur. Des drapeaux à toutes les fenêtres ; des embrassades, des cris, des rires, et sous les larmes même, les sourires émouvants de ceux et celles qui avaient payé cette allégresse de leur deuil et qui sacrifiaient leur douleur à la joie universelle. J’étais de ceux-là. Mes deux frères tués ne reviendraient pas.
A Rethondes, Foch prononçait des paroles sublimes.
Il nous faut maintenant gagner la paix. A quatre heures de l’après-midi, Clemenceau, que le peuple déjà appelait le Père, la victoire, le dernier des survivants des députés protestataires de 1871, du haut de la tribune de la chambre déclara :
- J’adresse au nom du peuple français, au nom du gouvernement de la république française, le salut de la France et irédieviable ( ?) à l’Alsace et à la Lorraine retrouvées. Honneur, immortel honneur à nos grands morts qui nous ont fait cette victoire. Quand nos vivants de retour sur nos boulevards, passeront devant nous, en marche vers l’Arc de triomphe, nous les acclamerons. Qu’ils soient salués d’avance pour la grande œuvre de reconstruction sociale. Grâce à eux, la France, hier le soldat de dieu, aujourd’hui le soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’Idéal !
- le 28 juin 1919 ; cinq ans, date pour date, fut signé le traité de Versailles qui consacrait la victoire du front.
- le 14 juillet 1919 ; à Paris le défilé de la victoire : Joffre-Foch-Clemenceau. Le bilan de nos pertes restait à établir. Nous laissions près de 1400 000 morts, 2 500 000 blessés. Près d’un million de soldats alliés dorment leur dernier sommeil sur la terre de France, les cimetières silencieux où les croix alignées s’étendent à perte de vue, jalonnent aujourd’hui cette terrifiante géhenne, témoins muets de cet atroce holocauste.
Des os éparpillés furent par la suite rassemblés en des ossuaires sacrés : Douaumont à l’est, notre Dame-de Lorette en Artois dont les feux des projecteurs tournants fouillent en permanence la nuit ces lieux historiques où se joua le sort du monde.
Dotés d’un pécule de quelques cent francs, variable selon le nombre de jours passés en ligne, en superbe costume Abrami, prêt à porter à 52 francs, quelques-uns d’entre nous ayant conservé pour en faire un original pot de fleurs, le casque en acier, nous allions rentrer dans nos foyers, essayant d’oublier les morsures du froid, les brûlures du feu et de l’acier, les atteintes perfides des gaz, peu préoccupés de faire valoir des blessures comme demande de pension.
Unis comme au front, nous voulions faire une France nouvelle, purifiée, dans laquelle un rôle important nous attendait. Nous prenions surtout l’engagement solennel d’éviter pour nos enfants le retour des angoisses, des douleurs qui pendant 1500 jours furent les nôtres.
Anciens combattants, avons-nous donné à l’ère de Paix Universelle qui devait surgir de notre victoire, toute notre foi, toute notre volonté ?
Leurrées par des promesses, ils ont des droits sur nous ! ne portons-nous pas notre part de responsabilité, parce que désabusés et trompés, des erreurs qui ont laissé se perpétrer dans l’instabilité et l’ irresponsabilité des gouvernements qui ont amené à septembre 1939 à la « drôle de guerre » qui se déclenchait vingt ans après la paix du 18 juin 1919.
Juste le temps nécessaire pour faire et lancer une nouvelle génération dans de nouveaux charniers.
Si par dessus toutes les idéologies, toutes les formes de gouvernements, loin des questions raciales, au delà de toutes les frontières, les anciens combattants de toutes les nations avaient tendus et unis leur bras, dans un élan de fraternité humaine et crié : halte à la guerre, peut-être n’aurions nous pas aujourd’hui a rendre hommage à d’autres morts, à d’autres martyrs.
Oui, souvenez-vous d’abord de la drôle de guerre ! on abusait nos soldats sur la ligne de feu. A l’intérieur on préparait la trahison. En mai 1940, les
Panzer divisons s’ébranlèrent, les stukas fondirent sur nos troupes, sur nos usines, sur nos villes. Ce fut l’exode de nos populations mitraillées sur nos routes. En quarante jours nos armées disloquées, deux millions de prisonniers qui prenaient tristement le chemin des stalags en Allemagne où derrière les barbelés ils allaient attendre près de cinq ans l’heure de la délivrance.
120 000 morts, notre plus belle jeunesse couchée à tout jamais dans nos terres bouleversées. Et pourtant les fils étaient dignes des pères. Les Flandres et Dunkerque furent à eux comme Verdun fut à nous.
Dans cette atroce et inimaginable défaite, concrétisé par un honteux armistice signé a-t-on osé dire dans l’honneur, par un vieux maréchal qui fut pourtant un grand soldat, la gloire même de nos morts fut usurpée.
Le lieu n’est pas pour en situer les causes, mais pour témoigner plutôt à ces héros au jour du 50 éme anniversaire de notre victoire, toute notre admiration et toute notre gratitude.
La France était occupée et elle paraissait bien vaincue. Il fallait se soumettre à la loi du plus fort. Et pourtant le 18 juin 1940, une grande voix s’éleva pour rappeler que si la France avait perdu une bataille, elle n’avait pas perdu la guerre. A cet appel du général de Gaulle les patriotes répondirent « présents » A Londres d’abord, dans les territoires d’outre mer ensuite, les Forces françaises libres s’organisèrent. Soldats , marins, aviateurs, allaient pendant quatre ans s’illustrer dans des combats dont les noms sont inscrits dans l’histoire, ou l’héroïsme avait souvent comme aboutissement la mort s ns sépulture, dans les sables brûlants des déserts ou l’immensité profonde de la mer. Koufra, avec Leclerc, Bir-Hakeim avec Koenig, El Alamein avec Montgomery qui décida du sort de la guerre. L’ Algérie, la Tunisie débarrassés de l’envahisseur, l’Italie, Cassino. Le débarquement avec les alliés le 6 Juin en Normandie, le 15 Août sur les côtes de Provence. Paris libéré par les blindés de Leclerc. Strasbourg où flotte le drapeau tricolore. Les glorieuses 1° et 2° D.B. Rhin et Danube, Berchtesgaden, les camps de concentration ouverts, Buchenwald, Dachau, d’où les rescapés, véritables squelettes vivants, apportèrent la preuve de leurs horribles tortures.
Le 8 mai 1945 l’Allemagne capitule pour la seconde fois. De Lattre de Tassigny signe l’armistice à Berlin rendant un éclatant hommage aux Forces françaises de l’intérieur pour leur contribution à la victoire.
A l’intérieur en même temps, anciens de 14/18 qui se souvenaient de cette devise : « celui qui ne se rend pas a toujours raison contre celui qui se rend » jeunes de 39/40 s’unirent dans les ténèbres, sans bruit, pour former cette admirable armée secrète, véritable armée du peuple, dont nous sommes si fiers aujourd’hui. La résistance était née qui avait pour but de préparer l’insurrection. Elle est pour nous , Résistants « le souvenir d’avoir engagé et d’abord avec les mains nues le combat contre un ennemi démesurément plus fort, le souvenir d’avoir tenu dans ses mains périssables le destin de la France ; d’avoir été les compagnons obscurs de l’homme qui maintenait l’honneur comme un invisible songe ; ainsi que l’a écrit André Malraux.
Il y a bien des façons de définir l’honneur, mais il n’y en ai qu’une de ressentir l’humiliation. La botte et le sabre d’Hitler, comme l’escarpin et le couteau de Mussolini s’attaquaient au corps de tout notre peuple. La présence de leurs sbires chez nous était une insulte à la raison, une injure au courage. Avides de liberté, ce mot que l’on ne prononçait plus qu’en tremblant sur les places d’appel Nous avons senti que le temps était révolu où ne pas se révolté était indigne, où la vie sans lutte était une bassesse. Nous rappelant l’esprit de nos aïeuls nous disions : plutôt mourir qu’être esclave. Plutôt la mort dans l’honneur que la servitude dans la honte, et le combat clandestin fut engagé et c’est pour cet idéal que nous fûmes des rebelles.
Fidèles à la pensée des anciens, fidèles à la parole donnée, nous avons continué à nous battre
Et aujourd’hui s’il est pour nous, pour moi en particulier un hommage dont je suis fier c’est d’avoir obtenu l’estime et l’amitié de mes camarades anciens combattants du front dont les sentiments purs avaient conçu une autre forme de patriotisme.
J’ai déjà rappelé au pied de ce monument la mémoire de mes compagnons qui moururent, soldats sans uniforme, sous les balles des Allemands et de leurs complices de la Gestapo. Plus grand encore que ceux qui tombèrent face à l’ennemi, vous fûtes dignes des plus beaux exemples de notre fière race. Morts du Vercors et du plateau des Glières, vous avez atteint le sublime dans le sacrifice.
PUIS : ( cette dernière phrase dont je ne sais pas où elle doit être…)
Ceux de La biffe, les diables bleus, les marsouins, la légion étrangère, les fusillés marins, les cavaliers, les artilleurs, les marins, chaque régiments, sous la garde d’honneur des plus vaillants, les poitrines couvertes de croix, les drapeaux noircis déchirés, guenilles tachées de sang et de fumée, tous passent sous l’arc de triomphe. »
2° DISCOURS DE JEAN FERRARI OFFICIER DE LA LEGION D’HONNEUR 1968
Par décret paru au journal officiel du 14 juillet, Jean Ferrari, ancien maire de Brignoles, directeur d’école honoraire, chevalier de la légion d’honneur au titre de la résistance, a été promu officier dans l’ordre national de la légion d’honneur au titre du ministère des anciens combattants.
Appartenant à la classe 1915, mobilisé au 112° RI à Toulon le 17 déc 1914 il part pour le front en mai 1915 et il est versé au 42 éme bataillon de chasseurs à pied, faisant partie de la 70 ° D.I. réserve de la division de fer de Nancy. Il reçoit le baptême du feu devant Carency en Artois et connaît tout de suite les combats les plus meurtriers devant Souchez, Vimy, la côte 140, Notre dame de Lorette, le Bois de la folie, etc…
Le 4 février 1916, sous un terrible bombardement d’obus de gros calibres, de minenwerfer, au cours d’une courte attaque pour reprendre une tranchée bouleversée par les mines, à coups de grenades Jean Ferrari fait casser le tir d’une mitrailleuse. C’est sa première citation. C’est ensuite Verdun en Mars Avril 1916 : le Bois de la Caillette, le ravin de la mort, le Fort de Douaumont. Sa division perd dans le secteur 65 officiers et 2865 hommes. Il prend part aux combats de la Woëvre, au Bois le Prêtre. La bataille de la Somme le trouve en ligne à Cléry sur Somme, Bouchavesnes, Biaches, Barleux, La Maisonnette.
Il est à nouveau blessé et cité le 13 Sept. Il occupe un secteur sous l’Aisne, c’est la poursuite de l’armée allemande qui se retire sur la ligne Hindenburg , la délivrance de Blérancourt, de Coucy-le-château.
L’offensive d’Avril 1917 est déclenchée au Chemin des dames. Le 42° BCP est en ligne au ravin d’Ostel, à l’Epine de Chevregny. Mitraillé par un avion, en terrain découvert, Jean Ferrari remplit la mission de liaison qui lui est confiée ( juillet 1917 nouvelle citation). Retiré du front, il est envoyé en Alsace où il passe l’hiver terrible de 1917-1918. C ’est la bataille de Picardie, les allemands ont enfoncé le front. Avec son bataillon il se trouve engagé à Rollot, le Transloy. Jean Ferrari est atteint par les gaz et passé au 8 éme Régiment du génie. Transporté dans l’Oise, de Juillet à Septembre 18 il est engagé dans la 3 éme bataille de Picardie vers Lassigny, le Plémont.
Transporté dans le Nord vers Hazebrouck, Merckem, le Mont des Cats en Belgique. L’occupation d’un secteur en foret d’Houthulst, c’est la 2 éme bataille de Belgique. Jean Ferrari est blessé à Staden le 14 octobre 1918, à quelques kilomètres de Tielt, ville jumelée avec Brignoles. Soigné par les Belges d’abord, puis évacué sur son ambulance divisionnaire, il retourne au front fin octobre. C’est la bataille de la Lys et de l’Escaut : le 11 novembre 1918, l’armistice, la victoire. L’avance délirante à travers la Belgique : Bruxelles, Liège, Verviers. L’occupation en Allemagne, à Aix la Chapelle. La dissolution de la 70 éme division.
Affecté au parc automobile de Lille, un stage de gymnastique à Dinard le 14 Juillet 1919-fin Août la démobilisation.
Jean Ferrari entre dans la vie civile, avec une grande passion : lutter par tous les moyens pour faire cesser ce crime contre l’humanité qu’on appelle la guerre. Nommé instituteur à Montfort sur Argens, blessé dans sa chair, atteint dans ses affections les plus vives : ses deux frères ont été tués au cours de la grande géhenne : le premier au 163 éme R.I. le 16 sept 1914 dans les Vosges, le deuxième au 44 éme R.I. le 12 sept 1917 à Verdun, il adhère au parti socialiste en oct 1919 et ne l’abandonnera plus. Il commence une vie de militant : la patrie humaine, la ligue des droits de l’homme, le syndicat des instituteurs, les groupements d’anciens combattants, les milieux sportifs. Il crée l’ASB de Brignoles et lui donne son maillot celui qu’il portait à la VI éme armée. Il fonde la fédération des coopératives de boulangeries du Var, il présente les statuts d’une confédération paysanne à l’image de la CGT, toujours penché vers les déshérités en 1937, il prend la charge ingrate d’ouvrir à l’école des garçons la classe de perfectionnement et obtient son diplôme de certificat d’études à l’enseignement des arriérés, à Paris en 1938.
Le 2 septembre 1939 – Jean Ferrari, mobilisé comme caporal au 155 eme régiment régional. Son passé politique est connu. Il subit les vexations d’un officier, demi-fou il est menacé de conseil de guerre. La conclusion : l’officier est cassé de son grade. Jean Ferrari est nommé sergent et démobilisé en mai 1940 et reprend son poste dans l’enseignement à Brignoles. L’armistice de Juin 1940 – il ne peut s’y résoudre. En août 40 il prend contact avec des éléments de la résistance. Il s’y donne tout entier. On sait le rôle qu’il y a joué. L’historique de son action a été écrite, tout récemment encore Jean Ferrari a été l’objet d’une interview d’un reporteur de Paris-Match – cité personnellement par le Général de Gaulle, la croix de guerre, la médaille de la résistance, lui sont décernées ainsi qu’à son épouse, et sa fille.
1948 : la légion d’honneur.
Officier homologue des FFC il est nommé membre de l’office départemental des A C V G ; membre de la commission départementale des CVR .
Il consacre sa principale activité aux anciens combattants du front. Président de la section locale, secrétaire général de la Fédération départementale du var. Ancien juge au tribunal des pensions, président du comité de brignoles de la société d’entre aide des membres de la légion d’honneur, délégué cantonal.
En juin 1957 il a fait partie de la délégation des officiers chargés de mission spéciale sous le couvert de l’amicale action, présenté à Londres à la Reine mère d’Angleterre. Dans toutes ces organisations il ne recherche que l’expression de la justice. Son large esprit de tolérance son honnêteté
Politique lui valent le respect l’estime et souvent l’amitié de tous les gens sincères dans leurs convictions. S’il s’attache à faire revivre la gloire du passé, il se tourne surtout vers l’avenir de notre pays, de nos enfants, vers l’amélioration des relations humaines, la construction d’une Europe fraternelle, la sauvegarde de la paix mondiale.
Tel a été le combattant de 1914 1918. Tel est le citoyen à qui vient d’être attribuée la Croix d’officier de la légion d’honneur. Nous sommes fiers pour lui, pour sa famille, pour ses amis, pour les anciens combattants du front, résistance et libération. Nous lui présentons nos félicitations les plus vives et le remercions de nous avoir permis, en forçant sa modestie, de faire connaître ses mérites et sa haute distinction.
3° DISCOURS DU DEPART A LA RETRAITE DE JEAN FERRARI 1955
Mes chers collègues, mes chers enfants,
Je suis extrêmement sensible au témoignage d’amitié qui vous me donnez et je vous suis profondément reconnaissant de votre délicate attention.
Vos souhaits et vos vœux me touchent particulièrement et je vous prie d’en recevoir toute ma gratitude. Certes la fin d’une carrière est un événement marquant dans la vie d’un homme et surtout dans celle d’un fonctionnaire. On arrive au déclin de son existence et lorsqu’on fait un retour sur le passé on se demande si ce n’est pas un long rêve que l’on a vécu. Le rappel des souvenirs, si lointains soient-ils restent pourtant assez clair dans ma mémoire. Et je me revoit encore jeune normalien plein de vivacité et d’enthousiasme pour la difficile carrière que les événements m’avaient fait adopté car je n’étais pas destiné à être un enseignant. A dix huit ans on a car même la foi et j’ai cru longtemps à la noblesse de notre tâche. J’y crois d’ailleurs toujours. Puis ce fut la première guerre mondiale et dés décembre 1914 j’endossais l’uniforme de fantassin képi et pantalons rouges. Le front durant quatre ans l’horrible charnier et les souffrances, les blessures, la mort de mes frères ont fait du jeune instituteur que j’étais en 1919 un pacifiste passionné et j’ai mieux compris peut-être que d’autres que l’on ne pouvait séparer l’éducation et l’instruction des enfants de l’impérieuse nécessité, je dirais plus du devoir sacré pour un éducateur de prêcher la paix et la concorde universelles.
Je ne crois pas avoir failli à cet apostolat et vous m’excuserez si je commets un pêché d’orgueil en vous l’avouant : j’éprouve en moi-même une immense fierté d’être resté fidèle et de demeurer encore fidèle à cet idéal. Un peu de naïveté à travers la nette vision de l’évolution des événements depuis 1919 ne m’afflige pas. Et si j’ai payé assez cher l’expression publique de mes sentiments, je n’ai pas aujourd’hui a en manifester des regrets. Je n’ai pas oublié non plus qu’au contact des hommes de pensées divergentes et dans l’opposition quelques fois violentes des opinions, l’esprit de tolérance dont l’exercice de nos fonctions nous imprègne, a constamment guidé mes actes.
Laïque convaincu, au début comme à la fin de ma carrière, aucun mea culpa me paraît nécessaire. Notre école nous a appris à penser librement ; les enfants qui nous sont confiés nous demeurent sacrés.
Leur esprit évolue parfois selon l’exemple que nous leur donnons par notre vie privée comme dans notre vie publique. Le jugement des hommes qui réfléchissent et qui raisonnent sur notre action compte encore moins que la satisfaction personnelle du devoir accompli dans l’harmonie des actes, et des principes. Nous sommes des bâtisseurs de la future humanité !
Paix et joie à tous les hommes dans les siècles à venir ! a dit Maurice Blanchot : traçons la voie et ne craignons pas l’effort.
Pour vous aussi mes chers collègues, mes chers enfants, le temps coulera rapide. La vie est une roue qui tourne plus vite que l’on ne pense.
Dans les joies de la famille, dans le travail à la campagne, j’espère pouvoir encore vivre des années sereines et calmes. Je suivrai, si j’en ai le bonheur, votre développement heureux à travers le temps, et ma joie sera, en terminant et en vous remerciant encore une fois, de penser que modestement, parfois courageusement, mais toujours dans la droiture, j’ai apporté mon humble contribution à cette œuvre de progrès acquis par le travail et la justice.