Il y a quelques jours, j’ai fait l’acquisition d’une cantine sur un vide grenier de l’Ile et Vilaine. Elle ne payait pas de mine cette malle, faite de bric et de broc, de planches de récup’, et recouverte d’une peinture vert fade. Elle portait sur le devant le nom du propriétaire et son unité, inscrit grossièrement à la va vite, au pinceau large et d’un orangé bizaroïde. J’ai bien failli ne pas la prendre tant elle me semblait atypique. La somme très modique demandée par le vendeur et le goût des objets personnels de poilus m’ont décidé. De retour chez moi, je me suis mis en quête du parcours de l’officier propriétaire.

Ce récit est d’autant plus émouvant pour moi que dans quelques semaines ce sera l’anniversaire de son décès. En effet, le sous-lieutenant françois Carlet, de la 24eme compagnie du 333e RI est mort pour la France le 25 juin 1915 à Vého en Meuthe-et-Moselle.

Le hasard veut que Le Chamois publia en septembre 2006 des photos du Monument aux Morts d’Argis, lieu de naissance de françois Carlet, et de sa tombe nichée au creux du petit cimetière jouxtant le Monument.



« Le Sous-lieutenant Abbé CARLET François, naquit le 23 décembre 1885.
Professeur au collège de Belley depuis 1911, mobilisé le 2 août 1914, comme sergent de réserve au 333e Régiment d’Infanterie, partit immédiatement pour le front et prit part aux durs combats livrés en Lorraine, à Rozelieures et à Gerbéviller où sa belle conduite au feu lui valut les galons de sous-lieutenant, le 2 octobre 1914 » (source : Livre d’or de la Grande-Guerre du collège de Belley in Le Chamois)
Le Sous-lieutenant françois Carlet fit l’objet d’une citation dans le tableau d’Honneur de l’Illustration

Fin juin 1915, le 333° (74e DI) occupait le secteur Vého-Lintrey-Reillon, et fut mis à disposition de la 2e DC.

(source extrait carte 100e RI 3e volume p 2)
Voici ce que dit le JMO du 333 :
Le 22 juin au matin, le régiment est mis en alerte. Ordre est donné au 6e bataillon (celui de françois Carlet) de se rendre à Vého à disposition du général Varin. Dans la nuit, les compagnies relèvent un bataillon du 230 dans le secteur du point d’appui X, au nord de Vého. La 24e compagnie occupe des positions à cheval sur la route Vého/Lintrey.
A 11h00, ordre est donné aux troupes du secteur du point d’appui X d’attaquer les tranchées allemandes situées au sud de Lintrey, entre la route de Vého à Lintrey et le ruisseau de Lintrey.

L’attaque est déclenchée le 23 juin à 16h00 par la 24e compagnie (lieutenant Dumont, sous-lieutenant Carlet, sous-lieutenant Raynaud) après une préparation d’artillerie. Les tranchées allemandes, dites tranchées 6, sont brillement enlevées à la baïonnette malgré le feu de l’infanterie et de l’artillerie ennemie. La 24e s’y organise rapidement. Pendant toute la journée, l’artillerie ennemie envoie des obus de tous calibre sur les tranchées occupées par le régiment ce qui occasionne quelques pertes. A 22H00, la 22e compagnie relève la 24e sur ses emplacements de combat.

25 juin 1915 : Par ordre particulier N°148 du général Varin commandant le groupement Ouest, le 6e bataillon du 333 reçoit l’ordre d’enlever le soir l’ouvrage ennemi sur la croupe au sud de Lintrey, dit ouvrage 7, et d’assurer l’occupation de toute cette croupe entre le Lintrey et ses deux affluents au nord et au sud des tranchées 6 et 7.
De 19h30 à 19h45, l’artillerie prépare l’attaque. A 19h45, une section de la 21e compagnie sous les ordres du sous-lieutenant Pesaut et une section de la 22e sous les ordres du sous-lieutenant Carlet de la 24e, vont à l’attaque. Ils s’élancent à la baïonnette mais sont bientôt arrêtés par un feu terrible d’artillerie, d’infanterie, et de mitrailleuses. Le sous-lieutenant Carlet tombe frappé d’une balle au front. L’ouvrage est extrêmement fortifié, défendu par un effectif sérieux et des mitrailleuses. Les troupes d’attaque sont obligées de se replier sur les tranchées de départ.

(source extrait cartes 2e DC, 2e volume p 31)
« Le lendemain, quatre de ses soldats allèrent, au péril de leur vie – l’un fut tué, un autre blessé grièvement – chercher son corps.
Les funérailles de l’abbé Carlet furent splendides ; la dépouille mortelle fut accompagnée par deux de ses condisciples et amis, le lieutenant abbé Reynaud, et l’abbé Morand qui représentaient le régiment ainsi que par le colonel et un grand nombre d’officiers du 37e territorial. Il repose maintenant, dans le petit cimetière de Domjevin, au milieu des soldats qu’il aimait tant.
Le colonel Franchet d’Esperey, parlant du sous-lieutenant Carlet, faisait de lui le plus bel éloge : « Je regrette profondément la mort de Carlet. C’était un bon prêtre et je perds en lui un excellent officier. » - De plus, en souvenir de notre héros, on a donné le nom de « Bois Carlet » a un bois situé devant Reillon. (Décision du 24 juillet 1915). » (source : Livre d’or de la Grande-Guerre du collège de Belley)
Citation à l’ordre de l’armée : « A toujours donné l’exemple du plus grand sang-froid et du plus grand courage. A été tué à la tête de sa section qu’il entraînait à l’assaut d’un ouvrage ennemi sous un feu d’une violence extraordinaire. »
La croix de Chevalier de la Légion d’Honneur a été « attribuée à la mémoire du sous-lieutenant Carlet François, mort pour la France. »
J’aurai une pensée émue le 25 de ce mois en regardant cette malle si particulière. Elle semble avoir été assemblée de planches hétérogènes, peintes à la va-vite. Peut n'est-ce qu'une caisse de munitions bricolée au cantonnement. Détail singulier, l’abbé Carlet avait d’abord tracé au crayon ses nom et unité avant de les peindre. Ils apparaissent encore aujourd’hui sur le bois, 95 ans plus tard.
Si quelqu’un possède plus d’amples renseignements sur les funérailles du sous-lieutenant Carlet, je suis preneur.
Cordialement
Patrice
PS: désolé pour les oreilles du chat pris en flagrant délit de curiosité ...