Témoignage d'une épouse

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oratorio
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Re: Témoignage d'une épouse

Message par oratorio »

Salut bien,
Recherche un texte - n'a pas besoin d'être énorme - où une épouse exprimera combien cette guerre est difficile pour ceux qui sont restés derrière. Cette citation/texte sera utilisé avec des photos de couples de l'époque sur un site dédié à la Grande Guerre.
Merci d'avance,

O.
Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été.
Albert Camus
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Frederic S.
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Re: Témoignage d'une épouse

Message par Frederic S. »

Bonjour,

Je ne sais pas si ça correspond à ce que vous cherchez, mais voilà 4 lettres écrites par Renée Deline à son fiancé Pierre Le Goff, tambour au 2e bataillon, 8e compagnie du 48e RI (correspondance trouvée en brocante).

Bonne lecture.

Lettre de Renée Deline reçue le 9.12.15 :

Dimanche soir à 9 heures
Mon cher petit Pierre,
Comme je te le disais sur ma lettre d’à midi que je venais de recevoir tes deux lettres du 10 avec plaisir de te savoir en parfaite santé et aussi que tu penses bientôt venir, mais, pour nous marier, il ne faudrait que cela recule davantage car ça nous causera encore de l’ennui. Mais je pense que tu ne vas pas tarder maintenant, comme tu le penses toi-même. Mon cher petit mari, je puis te remercier de ces deux lettres car elles me font prendre courage, mais cela ne vaut pas l’année 1914 comme tu me rappelles nos beaux jours. Non mon chéri, ce n’est pas si plaisant en cette guerre qu’en ce moment que tu te souviens parfaitement bien. Mais il faut quand même espérer qu’un jour viendra, cela se renouvellera comme avant cette guerre. Mais malheureusement pas pour tout le monde car ceux qui sont tombés, les braves ne reviendront pas recommencer les beaux jours d’avant cette affreuse guerre. Et malheureusement, combien il y en aura, et aussi qui y resteront encore cet été quand les attaques reprendront. Mon petit mari n’y pensons pas car c’est assez lorsque le malheur nous en veut. Espérons toujours comme du reste nous le faisons depuis le début de cette affreuse boucherie. Mon aimé, Cartry, ce pauvre vieux, se plaint joliment d’avoir beaucoup de travail mais guère de nourriture. Il nous dit être plus maigre qu’au mois de janvier. Ce pauvre vieux a 47 ans passés, c’est honteux. Pour mon dimanche, mon chéri je suis allée me désennuyer à l’herbe et en même temps épandre environ 20 perches de fumier. Mais je t’assure que je n’ai pas été longue à épandre cela et faire 4 paniers d’herbe, comme cela je ne m’ennuie pas, même je n’ai pas le temps de me dire où est mon petit Pierrot tellement j’ai l’idée au travail. Je voulais terminer ma pièce, il y en a 30 perches, mais j’ai vu que le jour baissait alors j’en ai laissé 14 tas pour demain car j’en ai environ 20 perches en dessous ma pièce. C’était dans le chemin de l’Orne à Mimi mais qui descend à Enfer. Et après ce fumier nous planterons mes pommes de terre ainsi que celles d’Amélie. Je profite à t’écrire ce soir car demain matin au fumier, s’il fait beau, et l’après-midi aux chardons. Ce matin je suis restée à la maison car il a plu. Tu sais je peux travailler car les chaussures que l’on prend pour l’été au lieu de 7f 50 l’année dernière, cette année 10f 75, alors tu vois que l’on peut turbiner pour y arriver, et ils gueulent encore que l’on prend 30c de l’heure. Ah ! bon sang vivement la fin que j’ai un homme pour me défendre, après ce n’est pas moi qui fixera le prix, n’est-ce pas mon amour adoré ? Mille fois merci de ta gentillesse de me faire une jolie bague avec mon nom, merci petit cœur.
En attendant l’heureux jour de te revoir, je te quitte en te remerciant de tes bonnes nouvelles et t’embrasse bien affectueusement, mais toujours de loin malheureusement. Ta petite chérie t’envoie de gros et bons bécots sur ta petite frimousse. A demain mon ange bien aimé. Ta petite femme qui pense bien à toi et qui désire te revoir, ta Renée.
Romain est reparti d’aujourd’hui, mais je ne l’ai pas vu.




Lettre de février 1916:

Vendredi 18, le soir à 8h moins 10
Mon cher petit mari,
A midi je n’avais rien reçu de toi, mais ce soir j’ai eu le bonheur de te lire. J’ai reçu ta lettre du 14 du matin et celle du soir avec grand plaisir te sachant en bonne santé. Tant qu’à moi ça va, mon doigt est presque guéri, ça ne s’est pas trop aggravé, encore heureux, mais j’aurai une petite cicatrice. Mais ce rien car au doigt ce n’est pas bien gênant, n’est-ce pas mon chéri. Ça m’a fait un peu souffrir car quand je m’attrape dessous ça me fait mal, mais cela va disparaître d’ici quelques jours, ne crains rien, je ne mourrai pas pour cela. Mon cher ange bien aimé, je te remercie bien des fois de tes bonnes nouvelles qui me font prendre courage et patience, mais je ne cesse de penser aux terribles attaques qui auront lieu au printemps, même elles commencent en ce moment puisque tu me dis, mon cher petit, qu’en Champagne le canon tonne jour et nuit. Pourvu que vous ne soyez pas obligés d’y aller. Cela me tourmente déjà car tu m’en parles, mais je conserve toujours un petit rayon d’espoir malgré que toi, mon petit voyou aimé, tu ne cesses de penser au malheur qui peut nous désunir, mais certes je comprends très bien, mon petit, tes raisons comme tu me dis souvent, mais malgré cela on ne doit pas s’abrutir à penser à ce malheur car si parfois tu serais protégé, comme je le désire, eh bien c’est du tourment inutile. Mais oui, je sais comprendre qu’on ne le sait nullement, mais on doit conserver un peu d’espoir et son courage. Enfin, mon petit Pierrot, ne t’en contrarie pas car ce n’est que mon idée que je te dis cela, car tu comprends que je préfère que tu sois protégé comme tu l’as été depuis le début. Raison de plus que je t’engage à garder un peu d’espoir en pensant que tu pourras me revenir sain et sauf ou que peu blessé, comme sur ton rêve. Tu fais de beaux rêves mon blond, mais, hélas, ils sont faux. Je suis assez de ton avis, mon chéri, je sais comprendre que vous êtes tous à penser à cela, c’est la peur qui nous force à penser à cela. Raison de plus que je crains que cela te porte des fois malheur car tu vois, l’année dernière tu étais un peu trop brave, et cette année pas assez. Enfin, ce n’est pas cela qui y fait peut-être, mais voilà l’année dernière tu étais fou et tu n’étais pas animé au point que tu es cette année, alors tu t’en foutais. Enfin, qui vivra verra, on ne peut aller outre. Alors Mme Tallec t’a écrit, elle t’apprend du nouveau. Je le savais moi mais cela est guère intéressant pour nous car nous nous n’avons pas cette chance. Le major ne se presse toujours pas. Je perd espoir mon petit mari adoré. Enfin, que veux-tu, on est forcé de vivre ainsi. Ne t’en fais pas trop mon cher aimé, il me semble que tu as le caractère susceptible en ce moment, mon petit cœur, mais c’est des moments comme cela. Moi je suis de même. Je termine ma lettre, mon cher petit, en espérant qu’elle te trouvera en bonne santé, comme je le désire. Je t’embrasse bien gentiment de loin sur tes lèvres aimées. Ta toute à toi, ta petite femme aimée pour la vie R. L. G. Celle qui t’aime à la folie et qui ne t’oublie pas. Bonsoir, à demain mon chéri. Ta Renée.




Lundi 28.2.16 le soir à 8h 30
Mon cher petit fiancé,
Je m’empresse de te répondre à ta mignonne lettre du 23 et à ta carte-lettre du 24. Mon petit, j’étais encore heureuse en recevant tes bonnes nouvelles, vu que ta santé est bonne. Mais depuis jeudi, ça a pu changer. Mais malgré cela, j’espère que tu es en parfaite santé car les journaux nous donnent de bons résultats. Ça va mieux à l’heure actuelle, ça devient moins terrible que ces jours derniers. Tant mieux, n’est-ce pas mon petit ange. Où es-tu à l’heure actuelle ? Cela m’ennuie beaucoup malgré que j’ai reçu de tes bonnes nouvelles. Je m’ennuie quand même, c’est forcé, mon cher petit. En attendant des jours meilleurs, je te remercie beaucoup de tes gentilles lettres qui me consolent un peu et qui me donnent un peu d’espoir. Et je suis heureuse que toi, mon petit, tu espères toujours. J’aime mieux te sentir ainsi que découragé. Je te souhaite bonne santé et courage. Mon petit, ne te désespère pas pour ce que je mets des fois sur mes lettres car, mon petit, je suis un peu comme toi, je suis contrariante, je suis un peu susceptible. Mais tu sais comprendre mon caractère, n’est-ce pas mon chéri. Je voudrais vieillir de quelques mois à la fois, pour savoir ce que l’avenir nous réserve, mon bien cher aimé. Je demande que tu puisses me revenir. Mais hélas, je ne le sais pas, j’ose espérer mais ça me tourmente rudement, en ce moment encore plus qu’avant. C’est triste, n’est-ce pas petit chou. Je te dirai que j’ai expédié ton colis de papier aujourd’hui, et tu me dis que tu en as assez pour l’instant. Mais ça ne fait rien, mon petit, tu le garderas, tu n’as pas besoin de le gâcher, puisqu’il sera dans une boîte tu le laisseras si tu le veux, mon cher petit mari. Il fait toujours très mauvais temps, comme par là-bas : il neige et gèle. C’est pénible de vous sentir vous défendre de ce mauvais temps, on ne peut pas très bien marcher, on glisse, c’est l’hiver. Il prend un peu tard, mon chéri, pour vous surtout. Pour nous, on ne travaille pas dehors, on reste à coudre, on est pas si à plaindre que vous, mon pauvre chou chéri. J’espère que demain je pourrai te lire. Mais je n’ose pas y penser car je crains rester quelques jours sans nouvelles, mon petit mari aimé. Tant mieux si nous pouvons détruire des avions, car il y en a bien de trop. Toute la famille s’unit à moi pour bien t’embrasser de loin et pour te souhaiter une bonne chance pour que tu puisses nous revenir, n’est-ce pas chéri. A demain mon cher aimé et je t’envoie mes bons bécots ainsi que mes bonnes caresses qui ne sont que pour toi seul et pour la vie. Et ne te tourmente pas de trop, mon chéri, pense à ta petite Renée qui ne t’oublie pas. Ne crois pas, chéri, que je t’oublierai, non jamais. Je t’embrasse, ta petite femme chérie pour la vie, ou sinon jamais d’autres. Ta petite Renée pour la vie. Bonsoir mon chéri et bonne nuit. Je me demande où tu es chéri.





Jeudi 2 mars 1916, le soir
Mon cher petit Pierre,
Ce n’est pas avec goût, ni consolation, que j’écris ces quelques mots. Car, mon petit mari, voilà 3 longs jours de passés sans que je puisse te lire, pas seulement deux mots, non, rien. Mon Dieu, que cela m’ennuie et m’occupe, car je me demande ce que tu es devenu. Et je ne sais pas si tu es en bonne santé, mon pauvre chéri, comme la situation reste bonne, mais la bataille continue. Le 24, le jour que tu m’as écrit, mon petit ange, peut-être pour la dernière fois – ah ! je n’ose espérer ! – et bien la bataille était furieuse, mais heureusement bonne. Il faut que j’ai du courage, mon petit, pour t’écrire, car j’ai un terrible mal aux dents et la fluxion. Je souffre à ne plus pouvoir y tenir par moments. Mais en plus, le chagrin que je me cause, n’ayant plus de tes nouvelles, mon petit mari. J’espère encore jusqu’à demain, mais mon espoir n’est plus le même que quand je puis lire tes mignonnes lettres. Je te souhaite, mon chéri, une bonne chance ainsi que la santé. La mienne est mauvaise pour aujourd’hui mais peut-être cela se passera assez vite. Mais depuis quelques jours, je souffre et je suis courbaturée, les membres me font mal. Enfin, courage et espoir. Mais hélas mon espoir est peut-être brisé. Ces 3 jours me semblent bien longs. Pardonne mon écriture, mon cher bien aimé, je souffre. Je termine en t’embrassant bien tendrement, de trop loin malheureusement. Aurai-je encore ce plaisir de le faire en réalité. Je m’ennuie en ce moment. Reçois mes meilleurs amitiés. Je te prouve, mon chéri, que je ne t’oublie pas malgré que je suis sans nouvelles de toi depuis le 28 que j’ai reçu ta carte-lettre du 24 à 11 h 40. Ta petite Renée pour la vie. Celle qui t’aimera toute sa vie, R. L. G.




Frédéric S.



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Jean RIOTTE
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Re: Témoignage d'une épouse

Message par Jean RIOTTE »

Bonsoir,
Je viens d'attaquer la lecture du journal de Marie Escholier, Les saisons du vent, chez Garae/Hesiode.
Voici ce que j'ai trouvé:

" Lundi 28 septembre ( 1914 ).
.....Ce soir une frayeur me prend tout à coup de n'avoir pas eu de lettres depuis si longtemps. Je cours voir la date de la dernière reçue, elle a été écrite le 18. Voilà que j'ai peur, mais peur...Il y a au fond de moi une personne raisonnable qui tâche de me rassurer. Je n'écoute rien. Je m'affole et les moindres bruits me font sursauter. Je donnerais tout pour quelques lignes, un mot qui ferait cesser cette angoisse.
Mardi 29 septembre.
J'attends et je ne sais plus ce que j'attends puisque l'heure du facteur est passée sans me rien apporter. Il fait presque froid, nous cousons dans la chambre du midi. J'ai l'air d'être là, penchée sur mon ouvrage, mais je suis bien loin dans un pays qui existe mais que je vois pour la première fois, au nord de l'Aisne, dans les Ardennes peut-être, il fait plus froid qu'ici. Je cherche une voiture qui chemine à travers la France derrière un régiment. Personne ne sait, la guerre est passée par là, il n'y a plus que des ruines. J'erre comme dans les cauchemars. Je me sens seule, seule à pleurer. Je me dis " s'il me voyait, comme il viendrait! ".
Le soir j'envoie Marie à la poste. Du moins tout le temps que j'attendrais son retour, j'attendrais quelque chose. Elle rentre. Rien de la poste! Maintenant je ne fais que prier tout bas, sans paroles. Combien y a-t-il à cette même heure de pauvres coeurs humains torturés, angoissés qui se consument en attente, en larmes et en prières pour des êtres chers que la mort menace.
Mercredi 30 septembre.
Des lettres enfin! Celles que j'ai tant attendues, tant désirées m'arrivent chaque fois par un jour radieux comme celui-ci. Il me semble que ma joie éclaire la terre. ....... ".

Cordialement.
Jean RIOTTE.
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