trophées de guerre 2

asiate
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Re: trophées de guerre 2

Message par asiate »

Je vous livre en vrac l'état de mes réflexions sur les trophées de la Grande guerre. Le terme de "Trophée" étant celui employé à l'époque en concurrence avec celui de « prises » (de guerre) qui semble cependant moins usité.
Si l'on prend la définition du Larousse pour "Trophée", deux articles paraissent intéressants.
- Au sens antique. Armure d'un ennemi vaincu que l'on dressait contre un tronc d'arbre; monument commémoratif d'une victoire où figuraient les dépouilles de l'ennemi.
- Motif de décoration formé d'armes groupées en panoplie autour d'un casque et d'une cuirasse.
En fait je pense que l'on peux d’emblée distinguer deux types de trophées: celui détenu à titre individuel et celui dont on pourrait dire qu'il appartient à la collectivité.
Dans la première catégorie peuvent être rangés casques, armes, petits objets et de manière générale toute ce qui peut être ramassé sur le champs de bataille et être porté dans un sac, une musette, « à dos d’homme ».
Dans la seconde catégories rentrent les gros objets type mitrailleuses, minenwerfer et ainsi de suite jusqu’au Zeppelin, dont la destination n’est pas d’être réutilisée mais d’être présenté au public.
Les trophées ou prises de guerre, quelle que soit la nature de leur volume, semble rencontrer à l’époque une curiosité certaine, si pas un enthousiasme auprès des populations civiles et des militaires. On pourra aisément s’en rendre compte ne serait-ce qu’en relisant Dorgelès qui rend compte du véritable marché aux puces organisé spontanément au retour des lignes après une offensive (probablement Champagne, mais laquelle ?) où casques à pointe, pattes d’épaule et autres lames-chargeur sont l’objet de la convoitise des tringlots soucieux de se procurer des prises de guerre.
Reste à savoir les raisons de cet engouement pour les trophées de guerre. Dorgelès évoque – non sans raison – le terme de « scalp » en parlant des casques à pointe accrochés aux ceinturons des poilus de retour des combats. C’est l’appropriation des valeurs guerrière de l’adversaire – tout au moins symboliquement - que revendique celui qui a pu s’accaparer armes et dépouilles par sa victoire. Même si la plupart des objets de prise ramenés des tranchées n’ont pas été strictus senso pris sur un ennemi tué ou capturé à l’issue d’un combat singulier, il semble que peu de poilus aient échappé à l’attrait des trophées de guerre. Ainsi Barthas qui raille le séminariste qui s’en va risquer sa vie dans le no man’s land pour récupérer une baïonnette-scie accrochée au fusil d’un cadavre, n’échappe pas lui-même au processus, J’en veux pour preuve la carte photo de soldats allemands qu'il ramasse dans une tranchée le 23 octobre 1916 dans la Somme et qu'il colle dans son journal. Si l’on part du principe que la collecte des trophées de guerre correspond à la volonté d’exprimer une supériorité guerrière sur l’adversaire, on peut classer dans cette catégorie le ramassage des objets à connotation symbolique du combattant que sont coiffures, jumelles, ceinturons et autres harnachements, armes à feu et armes blanches qui sont autant de « dépouilles opimes (1) » consacrées non pas au dieu de la guerre mais à soi-même en tant que guerrier vainqueur.
Pourtant cette vision du trophée de guerre me paraît trop limitative, d’une part parce que la majeures partie des pièces ramassée l’étaient sur le champs de bataille, dans les décombres des positions conquises et non suite à d’homériques corps à corps, et d’autre part par la nature même de certains objets à vocation relativement peu guerrière parmi lesquels se trouvent entre autre les cartouchières dont la découpe d’un compartiment fournie une poche à tabac, les petits quart en aluminium, les cartes postale, et sans aller au-delà la kyrielle des petits bouts de métal, fusées, boutons, et autres cartouches destinés à devenir autant d’élément de l’artisanat de tranchées.
A cet engouement généralisé pour la collecte des objets sur le champ de bataille on peut trouver plusieurs raisons autres que celle du guerrier victorieux.
- A un niveau nettement moins belliqueux (et plus fonctionnel que le casque à pointe accroché au sac à dos) figure la volonté d’apparaître au regard des autres par des signes extérieurs comme faisant partie de ceux qui ont vu le feu. Rien de tel pour ceci que de boire son café dans un petit quart allemand, ou encore de fourrer son tabac dans une cartouchière allemande accrochée au ceinturon. Pour ma part j’appellerai ça le « syndrome de vétérance », qui impose l’image de l’ « ancien » à la « bleusaille », et celle du « combattant » à l’ « embusqué ».
- Une autre raison qui peut-être invoquée est celle de relier l’ « arrière » au front au moyen d’envois d’objets de toute sorte. Dans certains cas cela passionne le spectateur de la guerre qui depuis son intérieur pourra éprouver virtuellement le « souffle de la guerre » en manipulant le casque à pointe ou la baïonnette expédiée par le fils, le neveu ou le filleul. Même si le destinataire n’a rien demandé, c’est toujours un moyen de montrer à sa famille, à sa fiancée qu’on est vaillant, que ce soit par l’envoi d’un briquet fait avec une fusée ou par celui du casque à pointe qui fera la fierté des parents (et la jalousie des voisins) une fois posé sur le manteau de la cheminée ou le buffet de la salle à manger.
A un niveau plus élaboré, tous ces objets sont aussi recherchés par les amateurs de « cabinets de curiosité » qui mettent ainsi sous vitrine cartouches, baïonnettes et coupe papiers à côté des lampes à huiles romaines trouvées au hasard des labours ou encore des écureuils empaillés. Blaise Cendrar évoque dans « La main coupée » un colonel du Service de Santé à Nice qui collectionne les objets militaires par l’entremise des poilus qu’il soigne. Jean Leymonnerie du 175°RI envoi des Dardanelles à sa tante une bande molletière turque, des chargeurs de fusil, une boucle de ceinturon pour son cabinet de curiosité. 70 ans après sa fille interrogée se souvient de l’armoire vitrée qui contenait tout ces objets, qui relégués dans une maison de campagne finirent emportés dans un cambriolage…
- Cette demande en direction de l’arrière, mais aussi en directions des soldats qui voient jamais l’ennemi et veulent aussi leur « trophée de guerre » pour l’envoyer dans la famille induit un véritable trafic des objets capturés et de leur corollaire constitué par l’artisanat de tranchées. Dans son numéro du 27 mars 1915, l’Illustration évoque le procès d’une affaire de détournement et de vol de fournitures militaires, parmi les objets saisis figurent un casque à pointe, des douilles et des paniers d’obus, des sabres… C’est donc probablement pour le poilu débrouillard une source de revenu financier susceptible d’améliorer l’ordinaire que de faire un petit commerce de prise de guerre. A noter que dans les années 30 encore, du côté de Verdun on pouvait acheter dans certaines boutiques à souvenir, outre les increvables douilles d’obus « souvenir de … » des casques à pointe. Pour la petite histoire j’ai entendu parler d’un fond de boutique de l’époque retrouvé dans les années 90 avec une vingtaine de casques à pointe !
- Enfin avant de conclure (si c’est possible ?) sur les trophées individuels la question se pose de situer la limite entre la prise de guerre, le vol et le pillage. Le prisonnier conduit par Cendrar à l’état-major se voit dépossédé dès sa capture de son tabac. Barthas narre la minable histoire de ce prisonnier allemand à qui un sous-officier colonial français vole en gare de Salces son bonnet de police. Que dire des cadavres dépouillés des montres, argents et autres objets de valeur ? Des doigts des morts coupés pour récupérer les alliances par des individus qui au passage récupèrent aussi boucle de ceinturon, croix de fer, etc.… pour faire commerce de tout cet attirail. Il est probable que l’on ait affaire à un contexte de pillage généralisé dans les villages détruits en peine ligne de front. J’ai un ami qui possède, hérité de son arrière grand-père paternel, une magnifique statue en bois polychrome du XVème siècle prise dans une chapelle bombardée de la ligne de front alors qu’il état sergent dans l’infanterie. Alors Trophées de guerre ? Pillage ? Profanation de corps ? Où se situe la limite ? Que vaut la notion de propriété dans la tourmente de la guerre?
Pour en venir maintenant aux trophées de guerre collectifs on peut d’emblée évoquer les expositions de trophées qui se déroulent un peu partout en France avec comme point d’orgue l’exposition permanente des Invalides. Pourquoi ces expositions ? La réponse est assez simple : Montrer la vaillance des troupes française, entretenir l’espoir en la victoire. La question que je me poserai là-dessus est de savoir si ces expos ont aussi été décidées en réponse à une demande de la part du public curieux de voir de plus prés la guerre. Montrer la guerre à travers les dépouilles prises à l’adversaire à ceux de l’arrière a probablement rencontré un sucés certain, mais ce succès s’est il maintenu tout au long de la guerre ? Il est remarquable que la gigantesque exposition de la place de la Concorde n’a été organisée qu’en octobre 1918, alors que la partie était gagnée. Pourquoi si tard si ce n’est par peur de décrédibiliser cette manifestation de victoire en cas de nouvelle stabilisation de la ligne de front?
A mi-chemin entre trophées de guerre individuels et collectifs se situe probablement la démarche américaine de la fin 1918. A cet époque, écumant dépôts capturés et intendance française, les Etats-Unis vont expédier outre-atlantique des milliers de fusils mauser et des dizaine de milliers de casque à pointe qui seront autant de cadeaux-prime au souscripteur du 5ème (je crois) emprunt de guerre américain. C’est là vraiment la propulsion du trophée de guerre à des sommets par le biais d’une gigantesque opération de marketing ! Qu’est-il de la victoire individuelle sur l’adversaire ? De la valeur guerrière ! A une époque où le casque à pointe est relégué déjà depuis plus d’un an dans les dépôts de l’armée impériale, celui-ci, sans même avoir connu les affres du feu ne devient plus qu’un simple objet de plaisir décoratif. Ce sont ces casques connus comme « bond helmet » que l’on trouve de nos jours sur le marché de la collection aux Etats-Unis, souvent en très bel état.
Tout ça m’amène à me demander si la collection de militaria n’a pas commencé avec la Grande Guerre ? On objectera certes que dès le 19ème siècle les souvenirs napoléoniens s’arrachaient à prix d’or au point de susciter déjà à l’époque des copies désormais bien difficiles à déceler de nos jours. On peut aussi parler de l’existence déjà avant 1914 de collectionneurs dont les plus célèbres sont incontestablement les frères Brunon de Marseille dont le fond extraordinaire constitue de nos jour le musée de l’Emperi. Pourtant si l’on regarde les faits, la collection de militaria se développe de manière exponentielle à partir des années 60 puis explose dans le courant des années 70, ce qui correspond à l’époque où la plupart des anciens de 14 nous ont quitté, laissant ainsi leurs souvenirs chez les brocanteurs et dans les décharges. N’est-ce pas l’époque à laquelle la collection de casques à pointe a elle-aussi explosée ?
J’arrête là ma prose car ça fait déjà une tartine, c’est un peu décousu et déséquilibré, probablement plein de fautes, mais j’aimerai bien recueillir vos opinions sur la question, histoire de ne pas réfléchir seul dans mon coin…

(1) Dépouilles opimes : armes du général ennemi tué et dépouillé de la propre main du général romain, qui les consacrait à Jupiter. Dixit le Larousse
asiate
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Re: trophées de guerre 2

Message par asiate »

Allez j'exhume ce post de la fin août, en espérant qu'il inspire quelqu'un ou qu'à défaut il m'amène d'autres références bibliographiques qui me permette d'alimenter mes recherches... :wink:
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FX Bernard
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Re: trophées de guerre 2

Message par FX Bernard »

Bonjour,

vous avez bien fait d'exhumer ce post, je l'avais raté... Je dois dire que c'est un sujet qui m'intéresse, dès que j'ai 5 mn j'essaierai de retouver ce que raconte Fussel à ce sujet, et je dois avoir quelques témoignages ici et là.

Je partage à 100% vos théories ; à la limite on pourrait en hasarder une qui s'ajoute aux autres... Selon moi, un tel engouement pour les trophées de guerre en 14-18 provient du fait qu'il s'agissait d'une guerre où les soldats ennemis étaient invisibles (guerre d'artillerie, combats et activités la nuit, je ne reviens pas là dessus). Du coup, posséder/envoyer à l'arrière des prises de guerre sert à (se) rassurer, cela "humanise" l'ennemi.
C'est peut-être un peu mal formulé, mais je pense que l'on peut explorer cette piste. Il pourrait être également intéressant de tracer des parallèles avec les "souvenirs" des pélerins au Moyen-Age et des touristes aujourd'hui...

A bientôt,

f-xavier
bernard berthion
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Re: trophées de guerre 2

Message par bernard berthion »

Bonjour,
ceux de première ligne pouvaient faire du troc avec les cuistots et autres soldats de l'arrière .
Les permissionnaires pouvaient ramener un souvenir . Qui n'a pas retrouvé dans son grenier un casque, une paire de jumelles, une baionnette etc .....
Dans les années 60, je me souviens d'un ferrailleur à Souain, maintenant disparu, qui avait dans sa cour une montagne de " trophées " .... et à l'époque ca partait au prix du kg de fer .... une misére ....
Cordialement BB
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