29 et 30 octobre 1914 : la bataille de Vailly (Aisne)

R.I. - R.I.T. - Chasseurs
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machault
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Re: 29 et 30 octobre 1914 : la bataille de Vailly (Aisne)

Message par machault »

Bonjour à tous,

Il y aura un siècle demain (30 octobre) que mon grand père, ARNOULD Louis, soldat à la 17° compagnie du 332° RI était blessé à Vailly (Aisne). Il allait passer un an en soins avant d'être affecté pour le reste de la guerre dans une caserne de Poitiers où il cuisinait, sa claudication ne permettant plus qu'il rejoigne une unité combattante.
C'est donc l'occasion pour moi de lui rendre hommage (ainsi qu'à ses camarades de combat) en retraçant ce que furent ses dernières journées au front.

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Les unités et leurs positions

Depuis le 13 octobre 1914, les hommes de la 69° DI ont relevé les Anglais dans les tranchées dans la région de Vailly. Le front de la division, formant saillants au nord de Vailly ainsi qu'au nord de Soupir, est très étendu (voir carte 55 AFGG, tome 1 volume 4) puisqu'il va des lisières ouest de Vailly au canal de l'Oise à l'Aisne.

La 137°brigade (287° RI, 306° RI et 332° RI) occupe la partie ouest du secteur, la 138° brigade (251°, 254°,267° RI et 48° BCP) se chargeant de la partie est. A Vailly, le 287° RI se trouve à la gauche du dispositif (de la sucrerie, au bord de l'Aisne, jusqu'au bois Marcon le long de la route d'Aizy), le 306° RI est au centre (du bois Marcon à Rouge Maison) et le 332°RI à droite (du ravin de Rouge Maison à la vallée d'Ostel qu'il occupe sur ses 2 versants). Au 332°, le 6° bataillon barre les deux flancs de la vallée d'Ostel et le 5° bataillon se trouve sur les hauteurs entre les bois de la Fosse Marguet et le ravin de Rouge Maison.
Après de durs combats dans la région de Cormicy, Sapigneul, La Neuville, Aguilcourt (13 au 22 septembre 1914), les effectifs ont fondu : la division ne compte plus que 9000 hommes et certaines compagnies en ligne ne dépassent pas 120 fusils environ. L'artillerie de la division est réduite à 32 pièces de campagne qui se trouvent à 2500 m au sud de la rive gauche de l'Aisne, hors de portée des batteries allemandes. Au JMO du 1° groupe d'artillerie divisionnaire, on peut lire : "La limitation de l'approvisionnement en munitions empèche la destruction complète des batteries ennemies repérées". Dans son argumentaire en défense établi suite à son limogeage, le général Néraud, commandant de la division, précisera que les Anglais disposaient sur ce même secteur de 16 000 hommes et 108 pièces d'artillerie.

Le front avant la bataille

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Les prémices de la bataille

A partir du 21 octobre, le feu de l’artillerie allemande augmente d’intensité. Les pertes s'accroissent mais demeurent encore assez faibles. Le 23 octobre, le pont routier de Vailly, qui avait sauté mais avait été aménagé en passerelle, s’écroule complètement dans la soirée sous les obus de l'ennemi. Le pont de bateaux, aménagé un peu en amont, se trouve, pour sa part, submergé par une crue.
Le 25 octobre, une patrouille avait situé les tranchées allemandes à 600 m de la ligne française mais, au matin du 28, on s'aperçoit qu'une nouvelle ébauche ne s'en trouve plus qu'à 300 m.
Durant la nuit suivante, les Allemands s’activent dans la vallée d’Ostel, des bruits de moteurs y ayant été incessants. Dès 8 heures le 29 octobre, de très gros projectiles commencent à tomber sur les tranchées du 306ème et les bouleversent considérablement aux Grands Riez, le long de la route d'Aizy (200 m de tranchées de 2 m de hauteur s'éboulent ensevelissant 2 sections). Vers 16 heures, le feu de l’artillerie allemande augmente d’intensité et de gros obus (de 105 à 220 mm) tombent sur Vailly ville. Les coups arrivent de 5 directions : Rouge-Maison, Folemprise, Aizy, Ostel et du nord des tranchées du 254ème (situées aux Grinons à la droite du 332°RI). Vers 21 heures, le bombardement augmente encore et toute la nuit le tir a lieu par rafales de 20 à 25 minutes avec des accalmies d’une demi heure. De premières attaques d'infanterie allemandes ont lieu sur les tranchées du 287° RI (19 h, 2 h, 6 h 15) et du 306°RI (22h) mais elles sont repoussées.
La division a alerté l'état-major de la VI° armée (à laquelle elle vient d'être rattachée depuis le 17 octobre) d'une attaque imminente sur ses lignes. Il est convenu qu'un renfort, provenant de la V° Armée (un groupe de 95 et la 1° brigade du 1° CA - De Fonclar -), va lui être envoyé. En réalité, des conflits entre les états-majors des 2 armées (attestés dans les annexes des AFGG) vont retarder l'arrivée de ces troupes qui ne seront sur place qu'après le retrait français de la rive nord de l'Aisne.

La journée du 30 octobre

Le 30 octobre entre 7 et 8 heures, l'attaque d'infanterie allemande (24°, 64° et 84° IR commandés par le général von Lochow) se déclenche sur tout le front des trois régiments français et se porte principalement sur les 287° et 306°, l'ennemi s'infiltrant dans le terrain boisé (notamment de Rouge Maison aux Grands Riez).

La situation au 287° RI

Sous l'effet du bombardement, dès les premières heures de la journée, des portions de tranchées du 287°, notamment au niveau de la 18° compagnie qui est voisine du 306°, se renversent et obligent les hommes à se replier. A trois reprises, le sergent Lamy reporte ses hommes en avant mais ils durent céder tant sous la pression de l'ennemi qu'en raison de l'abandon des tranchées voisines par le 306°. De l'autre côté du régiment (partie ouest cad près de la rivière), les Allemands investissent progressivement un petit bois et contraignent vers 8 h 30 des éléments de la 17° compagnie à reculer et à se réfugier dans la sucrerie. Vers 10 heures, les 18°, 19° et 20° compagnies ont rétrogradé et sont allées défendre, rue par rue, divers secteurs du village, la 17° compagnie continuant à combattre jusqu'à 14 heures dans la sucrerie grâce à sa mitrailleuse. Vers 12 h 30, les Allemands atteignent les murs du village. Une heure plus tard, ils commencent à aborder la rive nord de l'Aisne. Les derniers hommes de cette unité traversent la rivière entre 14 h et 14 H 30, poursuivis par des patrouilles ennemies qui sont aussi passées sur l'autre bord.
Le 287° RI a perdu 801 hommes les 29 et 30 octobre 1914 (source JMO).

La situation au 306° RI

Dés 7 heures, l'attaque allemande s'est dirigée à travers bois vers la gauche du 5° bataillon (qui voisine avec le 287°). Peu après, une autre attaque concerne le 6° bataillon alors que sa 21° compagnie avait quitté ses tranchées sous la menace de leur éboulement. La récupération de la position s'avère quasi impossible, compte tenu de la déclivité du terrain. L'ennemi marque un temps d'arrêt avant d'engager une nouvelle offensive vers 8 h. La 20° compagnie, sans le secours de ses voisins du 287°, vient à être débordée. Les 19° et 20° compagnies, tous les chefs de section ou de compagnie étant tués ou blessés, échappent aux ordres du chef de bataillon. Le repli sur les lisières de la ville s'organise tant bien que mal. Des centaines d'Allemands tombent et demeurent sur le terrain. Il est 11 heures.
A 11 h 45, le commandant Auboin du 5° bataillon du 306° reçoit l'ordre de franchir le pont et de se placer en lisière est des bois de Chassemy. Vailly n'est plus qu'un monceau de ruines et de cadavres. La traversée du village ne peut s'effectuer qu'homme par homme et non sans pertes. Le 6° bataillon (Commandant Sonnerat) demeure sur la rive nord jusqu'à midi avant de se replier à son tour.
Le lieutenant colonel Sardi qui commande le régiment est blessé par l'effondrement d'une partie de l'Hôtel de Ville sous lequel il s'était abrité avec le drapeau et sa garde et sera fait prisonnier. Le drapeau sera sauvé au prix de la vie du porte-drapeau, le lieutenant Bourcquart, tué d'une balle, un sous-officier courageux ayant ensuite suppléé ce dernier. En fin de journée, il manque 1534 hommes au 306° RI (source JMO). Ainsi, la 24° compagnie qui comptait le matin 2 officiers et 235 hommes, ne dispose plus au soir de la bataille que d'un sergent et 26 hommes, l'ordre de repli ne l'ayant pas touché.

La situation au 332° RI

De 5 H 15 à 7 h, le bombardement est incessant et général sur toute le ligne du 332° RI.

Au 5° bataillon du 332° RI (sur les hauteurs)

Les Allemands sortent de leurs positions à 7 h. Devant les 17°, 18° et 19° compagnies, ils s'arrêtent à 300 m des Français et se mettent à creuser tout en tirant, subissant de fortes pertes. Devant la 20° compagnie (au contact du 306°), la situation devient tout de suite sérieuse : les Allemands se glissent entre le 306° et les ouvrages de gauche de la 20°. Ils approchent des mitrailleuses qui tirent à 200 m et même à 30 m de notre ligne pour l'une d'entre elles. Ces pièces étaient dissimulées par des feuillages et protégées par des boucliers. Leur feu a été éteint plusieurs fois par la chute des servants qui ont été plusieurs fois remplacés.
A 8 h 30, les tranchées du 306° ont été dégarnies et la gauche de la 20° Cie a été prise d'enfilade. Le commandant du 5° bataillon doit utiliser toutes ses réserves pour la soutenir et défendre les pentes orientales de Rouge Maison. Elle tient jusqu'à 11 h 15, infligeant des pertes énormes à l'ennemi.

Au 6° bataillon du 332° RI (dans la vallée d'Ostel)

La canonnade a été effrayante, le matin. A 7 h, deux attaques d'infanterie se sont produites. L'une, à cheval sur le ruisseau, a concerné la 22° compagnie qui a résisté, soutenue par la 24° qui tenait le chemin d'Ostel. L'autre partait aussi de la Noue et visait la 23° compagnie qui a reçu l'appui de ses voisines (24° et 21°). Elle a également échoué.
La suite de la journée
Les commandants des 306° (Lieutenant-Colonel Sardi) et 332° (Lieutenant-Colonel Sauvage) se sont rencontrés à 9 h 30 à la mairie. Le lieutenant-colonel Sardi a indiqué à son homologue du 332° que ses tranchées avaient été en partie abandonnées et qu'il le préviendrait s'il était obligé de se replier sur le village. Après 10 h, les Allemands, dégringolant les pentes, ont commencé à attaquer à revers les 20° et 18° compagnies du 332° RI. A 11 H 15, sur ordre du général de brigade (Ditte), le lieutenant-colonel Sauvage prescrit au commandant du 5° bataillon de se replier très lentement par les pentes boisées vers le pont du chemin de fer de la banlieue de Reims (CBR), pont qui traversait l'Aisne quelques centaines de mètres à l'ouest de la route d'Ostel. Le canal pouvait être franchi, non loin de là, en passant sur l'écluse de St Audebert. Le 6° bataillon a reçu ordre de ne se replier qu'après que le 5° se soit écoulé. Le mouvement s'est fait lentement et en bon ordre à partir de midi, la traversée des ponts se faisant sous les tirs de l'ennemi.
Le JMO chiffre les pertes du 332° RI à 417 hommes pour les 29 et 30 octobre 1914.


La situation les jours suivants

Après avoir pris Vailly, les Allemands vont poursuivre leur attaque visant à contrôler la rive droite de l'Aisne. Le 2 novembre 1914, la 138° brigade de la 69° DI est débordée à son tour et elle perd le contrôle de Chavonne et Soupir. Les généraux Néraud (69° DI) et Ditte (137° brigade) sont limogés le 6 novembre 1914.

Le front après la bataille

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Remarques : ces éléments sur la bataille de Vailly proviennent essentiellement des JMO des unités qui y ont participé (DI, brigade, RI, batteries). On peut noter parfois des contradictions (habituelles en de telles circonstances) dans la relation des faits par les différentes unités : le voisin ayant toujours craqué le premier.

Cordialement.

Jean Luc Arnould
laurent02
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Re: 29 et 30 octobre 1914 : la bataille de Vailly (Aisne)

Message par laurent02 »

Bonjour à tous,

Il y aura un siècle demain (30 octobre) que mon grand père, ARNOULD Louis, soldat à la 17° compagnie du 332° RI était blessé à Vailly (Aisne). Il allait passer un an en soins avant d'être affecté pour le reste de la guerre dans une caserne de Poitiers où il cuisinait, sa claudication ne permettant plus qu'il rejoigne une unité combattante.
C'est donc l'occasion pour moi de lui rendre hommage (ainsi qu'à ses camarades de combat) en retraçant ce que furent ses dernières journées au front.

mesimages/1094/116Vailly291014monument3321.jpg


Les unités et leurs positions

Depuis le 13 octobre 1914, les hommes de la 69° DI ont relevé les Anglais dans les tranchées dans la région de Vailly. Le front de la division, formant saillants au nord de Vailly ainsi qu'au nord de Soupir, est très étendu (voir carte 55 AFGG, tome 1 volume 4) puisqu'il va des lisières ouest de Vailly au canal de l'Oise à l'Aisne.

La 137°brigade (287° RI, 306° RI et 332° RI) occupe la partie ouest du secteur, la 138° brigade (251°, 254°,267° RI et 48° BCP) se chargeant de la partie est. A Vailly, le 287° RI se trouve à la gauche du dispositif (de la sucrerie, au bord de l'Aisne, jusqu'au bois Marcon le long de la route d'Aizy), le 306° RI est au centre (du bois Marcon à Rouge Maison) et le 332°RI à droite (du ravin de Rouge Maison à la vallée d'Ostel qu'il occupe sur ses 2 versants). Au 332°, le 6° bataillon barre les deux flancs de la vallée d'Ostel et le 5° bataillon se trouve sur les hauteurs entre les bois de la Fosse Marguet et le ravin de Rouge Maison.
Après de durs combats dans la région de Cormicy, Sapigneul, La Neuville, Aguilcourt (13 au 22 septembre 1914), les effectifs ont fondu : la division ne compte plus que 9000 hommes et certaines compagnies en ligne ne dépassent pas 120 fusils environ. L'artillerie de la division est réduite à 32 pièces de campagne qui se trouvent à 2500 m au sud de la rive gauche de l'Aisne, hors de portée des batteries allemandes. Au JMO du 1° groupe d'artillerie divisionnaire, on peut lire : "La limitation de l'approvisionnement en munitions empèche la destruction complète des batteries ennemies repérées". Dans son argumentaire en défense établi suite à son limogeage, le général Néraud, commandant de la division, précisera que les Anglais disposaient sur ce même secteur de 16 000 hommes et 108 pièces d'artillerie.

Le front avant la bataille

mesimages/1094/VaillyavantCarte55Copier.jpg mesimages/1094/Vaillyavantn551.jpg

Les prémices de la bataille

A partir du 21 octobre, le feu de l’artillerie allemande augmente d’intensité. Les pertes s'accroissent mais demeurent encore assez faibles. Le 23 octobre, le pont routier de Vailly, qui avait sauté mais avait été aménagé en passerelle, s’écroule complètement dans la soirée sous les obus de l'ennemi. Le pont de bateaux, aménagé un peu en amont, se trouve, pour sa part, submergé par une crue.
Le 25 octobre, une patrouille avait situé les tranchées allemandes à 600 m de la ligne française mais, au matin du 28, on s'aperçoit qu'une nouvelle ébauche ne s'en trouve plus qu'à 300 m.
Durant la nuit suivante, les Allemands s’activent dans la vallée d’Ostel, des bruits de moteurs y ayant été incessants. Dès 8 heures le 29 octobre, de très gros projectiles commencent à tomber sur les tranchées du 306ème et les bouleversent considérablement aux Grands Riez, le long de la route d'Aizy (200 m de tranchées de 2 m de hauteur s'éboulent ensevelissant 2 sections). Vers 16 heures, le feu de l’artillerie allemande augmente d’intensité et de gros obus (de 105 à 220 mm) tombent sur Vailly ville. Les coups arrivent de 5 directions : Rouge-Maison, Folemprise, Aizy, Ostel et du nord des tranchées du 254ème (situées aux Grinons à la droite du 332°RI). Vers 21 heures, le bombardement augmente encore et toute la nuit le tir a lieu par rafales de 20 à 25 minutes avec des accalmies d’une demi heure. De premières attaques d'infanterie allemandes ont lieu sur les tranchées du 287° RI (19 h, 2 h, 6 h 15) et du 306°RI (22h) mais elles sont repoussées.
La division a alerté l'état-major de la VI° armée (à laquelle elle vient d'être rattachée depuis le 17 octobre) d'une attaque imminente sur ses lignes. Il est convenu qu'un renfort, provenant de la V° Armée (un groupe de 95 et la 1° brigade du 1° CA - De Fonclar -), va lui être envoyé. En réalité, des conflits entre les états-majors des 2 armées (attestés dans les annexes des AFGG) vont retarder l'arrivée de ces troupes qui ne seront sur place qu'après le retrait français de la rive nord de l'Aisne.

La journée du 30 octobre

Le 30 octobre entre 7 et 8 heures, l'attaque d'infanterie allemande (24°, 64° et 84° IR commandés par le général von Lochow) se déclenche sur tout le front des trois régiments français et se porte principalement sur les 287° et 306°, l'ennemi s'infiltrant dans le terrain boisé (notamment de Rouge Maison aux Grands Riez).

La situation au 287° RI

Sous l'effet du bombardement, dès les premières heures de la journée, des portions de tranchées du 287°, notamment au niveau de la 18° compagnie qui est voisine du 306°, se renversent et obligent les hommes à se replier. A trois reprises, le sergent Lamy reporte ses hommes en avant mais ils durent céder tant sous la pression de l'ennemi qu'en raison de l'abandon des tranchées voisines par le 306°. De l'autre côté du régiment (partie ouest cad près de la rivière), les Allemands investissent progressivement un petit bois et contraignent vers 8 h 30 des éléments de la 17° compagnie à reculer et à se réfugier dans la sucrerie. Vers 10 heures, les 18°, 19° et 20° compagnies ont rétrogradé et sont allées défendre, rue par rue, divers secteurs du village, la 17° compagnie continuant à combattre jusqu'à 14 heures dans la sucrerie grâce à sa mitrailleuse. Vers 12 h 30, les Allemands atteignent les murs du village. Une heure plus tard, ils commencent à aborder la rive nord de l'Aisne. Les derniers hommes de cette unité traversent la rivière entre 14 h et 14 H 30, poursuivis par des patrouilles ennemies qui sont aussi passées sur l'autre bord.
Le 287° RI a perdu 801 hommes les 29 et 30 octobre 1914 (source JMO).

La situation au 306° RI

Dés 7 heures, l'attaque allemande s'est dirigée à travers bois vers la gauche du 5° bataillon (qui voisine avec le 287°). Peu après, une autre attaque concerne le 6° bataillon alors que sa 21° compagnie avait quitté ses tranchées sous la menace de leur éboulement. La récupération de la position s'avère quasi impossible, compte tenu de la déclivité du terrain. L'ennemi marque un temps d'arrêt avant d'engager une nouvelle offensive vers 8 h. La 20° compagnie, sans le secours de ses voisins du 287°, vient à être débordée. Les 19° et 20° compagnies, tous les chefs de section ou de compagnie étant tués ou blessés, échappent aux ordres du chef de bataillon. Le repli sur les lisières de la ville s'organise tant bien que mal. Des centaines d'Allemands tombent et demeurent sur le terrain. Il est 11 heures.
A 11 h 45, le commandant Auboin du 5° bataillon du 306° reçoit l'ordre de franchir le pont et de se placer en lisière est des bois de Chassemy. Vailly n'est plus qu'un monceau de ruines et de cadavres. La traversée du village ne peut s'effectuer qu'homme par homme et non sans pertes. Le 6° bataillon (Commandant Sonnerat) demeure sur la rive nord jusqu'à midi avant de se replier à son tour.
Le lieutenant colonel Sardi qui commande le régiment est blessé par l'effondrement d'une partie de l'Hôtel de Ville sous lequel il s'était abrité avec le drapeau et sa garde et sera fait prisonnier. Le drapeau sera sauvé au prix de la vie du porte-drapeau, le lieutenant Bourcquart, tué d'une balle, un sous-officier courageux ayant ensuite suppléé ce dernier. En fin de journée, il manque 1534 hommes au 306° RI (source JMO). Ainsi, la 24° compagnie qui comptait le matin 2 officiers et 235 hommes, ne dispose plus au soir de la bataille que d'un sergent et 26 hommes, l'ordre de repli ne l'ayant pas touché.

La situation au 332° RI

De 5 H 15 à 7 h, le bombardement est incessant et général sur toute le ligne du 332° RI.

Au 5° bataillon du 332° RI (sur les hauteurs)

Les Allemands sortent de leurs positions à 7 h. Devant les 17°, 18° et 19° compagnies, ils s'arrêtent à 300 m des Français et se mettent à creuser tout en tirant, subissant de fortes pertes. Devant la 20° compagnie (au contact du 306°), la situation devient tout de suite sérieuse : les Allemands se glissent entre le 306° et les ouvrages de gauche de la 20°. Ils approchent des mitrailleuses qui tirent à 200 m et même à 30 m de notre ligne pour l'une d'entre elles. Ces pièces étaient dissimulées par des feuillages et protégées par des boucliers. Leur feu a été éteint plusieurs fois par la chute des servants qui ont été plusieurs fois remplacés.
A 8 h 30, les tranchées du 306° ont été dégarnies et la gauche de la 20° Cie a été prise d'enfilade. Le commandant du 5° bataillon doit utiliser toutes ses réserves pour la soutenir et défendre les pentes orientales de Rouge Maison. Elle tient jusqu'à 11 h 15, infligeant des pertes énormes à l'ennemi.

Au 6° bataillon du 332° RI (dans la vallée d'Ostel)

La canonnade a été effrayante, le matin. A 7 h, deux attaques d'infanterie se sont produites. L'une, à cheval sur le ruisseau, a concerné la 22° compagnie qui a résisté, soutenue par la 24° qui tenait le chemin d'Ostel. L'autre partait aussi de la Noue et visait la 23° compagnie qui a reçu l'appui de ses voisines (24° et 21°). Elle a également échoué.
La suite de la journée
Les commandants des 306° (Lieutenant-Colonel Sardi) et 332° (Lieutenant-Colonel Sauvage) se sont rencontrés à 9 h 30 à la mairie. Le lieutenant-colonel Sardi a indiqué à son homologue du 332° que ses tranchées avaient été en partie abandonnées et qu'il le préviendrait s'il était obligé de se replier sur le village. Après 10 h, les Allemands, dégringolant les pentes, ont commencé à attaquer à revers les 20° et 18° compagnies du 332° RI. A 11 H 15, sur ordre du général de brigade (Ditte), le lieutenant-colonel Sauvage prescrit au commandant du 5° bataillon de se replier très lentement par les pentes boisées vers le pont du chemin de fer de la banlieue de Reims (CBR), pont qui traversait l'Aisne quelques centaines de mètres à l'ouest de la route d'Ostel. Le canal pouvait être franchi, non loin de là, en passant sur l'écluse de St Audebert. Le 6° bataillon a reçu ordre de ne se replier qu'après que le 5° se soit écoulé. Le mouvement s'est fait lentement et en bon ordre à partir de midi, la traversée des ponts se faisant sous les tirs de l'ennemi.
Le JMO chiffre les pertes du 332° RI à 417 hommes pour les 29 et 30 octobre 1914.


La situation les jours suivants

Après avoir pris Vailly, les Allemands vont poursuivre leur attaque visant à contrôler la rive gauche de l'Aisne. Le 2 novembre 1914, la 138° brigade de la 69° DI est débordée à son tour et elle perd le contrôle de Chavonne et Soupir. Les généraux Néraud (69° DI) et Ditte (137° brigade) sont limogés le 6 novembre 1914.

Le front après la bataille

mesimages/1094/Vaillyapresn562Copie.jpg

Remarques : ces éléments sur la bataille de Vailly proviennent essentiellement des JMO des unités qui y ont participé (DI, brigade, RI, batteries). On peut noter parfois des contradictions (habituelles en de telles circonstances) dans la relation des faits par les différentes unités : le voisin ayant toujours craqué le premier.

Cordialement.

Jean Luc Arnould
Bonjour, à lire dans le n°19 de Tranchées un dossier de Franck BEAUCLERC "Les victoires Allemandes de Vailly et de Soupir".
Ci-joint le programme des commémorations.
Cordialement.
Laurent

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armand
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Re: 29 et 30 octobre 1914 : la bataille de Vailly (Aisne)

Message par armand »

Bonjour

Merci Jean-Luc
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Amicalement
Armand
Sur les traces du 132ème RI " Un contre Huit " et du 294ème RI (le "29-4")
php
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Re: 29 et 30 octobre 1914 : la bataille de Vailly (Aisne)

Message par php »

C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai lu votre récit de la bataille de Vailly. Je me permet de vous adresser celui que mon Grand Père nous a transmis dans ses carnets de notes de Guerre. Il corrobore celui que vous faites et ajoute des informations intéressantes sur ces journées du 20 et 30 octobre 1914, en particulier sur la défense (et la prise) de la sucrerie.
Bien cordialement
PhP

Jeudi 29 Octobre 1914
A 8h du matin, je reçois la visite d’un officier de la compagnie qui est à ma gauche, le lieutenant M. Nous montons dans la tour du four à chaux d’où je lui explique en détail, l’organisation de ma ligne de défense. Lui de son côté me met au courant des positions occupées par sa compagnie et nous concluons à la nécessité urgente de rapprocher cette compagnie jusqu’à la hauteur de la mienne. Je sais par certains habitants que les Allemands franchissent l’Aisne chaque nuit près de Celles ; ils viennent même d’établir un poste permanent sur un pont du canal à 300 mètres en avant de la sucrerie.
En cas d’attaque de ce côté, la position de ma compagnie peut devenir très critique ; l’ennemi peut profiter du terrain très coup é pour avancer assez facilement jusqu’à la hauteur de la sucrerie et me gêner considérablement par des feux de flanc. Après avoir fait un tour d’horizon complet, nous quittons le four à chaux et nous nous portons en arrière de la sucrerie, le long de la voie ferrée du CBR. A ce moment quelques balles viennent siffler à nos oreilles ; notre présence a dû être repérée. Il est dix heures environ lorsque je rentre à la sucrerie.
Depuis ce matin, l’artillerie allemande a augmenté l’intensité de son feu ; vers midi le bombardement redouble de violence sur le village et nos tranchées. A plusieurs reprises, les sentinelles me rendent compte de mouvements de factions ennemies en avant de nos lignes. Du haut du four à chaux, j’observe moi-même et suis de plus en plus intimement convaincu que les Allemands montent une attaque. A 4h du soir, le feu allemand augmente encore son intensité ; quelques-unes de nos tranchées commencent à être bouleversées. J’ordonne aussitôt de manger la soupe et fais rentrer les hommes complètement équipés dans les caves et abris ne laissant dans les tranchées de tir que quelques guetteurs pour prévenir immédiatement de toute attaque ennemie.
La lourde artillerie allemande105 et 210 concentre son tir sur Vailly où plusieurs incendies s’allument. De mon poste de commandement, j’assiste à un spectacle qui s’il n’était pas aussi triste, serait imposant. Au milieu du crépuscule qui descend lentement, Vailly disparaît presque complètement et je ne distingue plus que les éclats des obus aux diverses couleurs et les flammes des brasiers. Les Allemands emploient pour la première fois contre nous les torpilles et les lance-mines.
A 6h, je reçois une note du général de brigade m’informant que le poste du pont fourni par ma compagnie ne serait pas relevé ce soir. A 6h30 mon fourrier vient me communiquer le rapport et en même temps quelques corvées que j’avais envoyées à Vailly regagnent la compagnie. L’artillerie allemande n’a pas cessé de tirer ; jusqu’ici la nôtre n’a pas donné signe de vie.
A 7h le canon allemand cesse heureusement et des coups de fusil précipités se font entendre dans la direction des tranchées du 306. L’attaque se déclenche et s’étend en un clin d’œil à toute notre ligne, sauf à la sucrerie où tout est encore calme. J’ai par bonheur ce soir-là, comme chefs des petits postes deux bons sous-officiers bien conscients des consignes et de la mission à remplir. En cas d’attaque de notre secteur, ils ne doivent pas résister sur place, mais forcer l’ennemi à se déployer sans perdre le contact, dégager mon champ de tir en allant occuper une position en parterre parallèlement à l’Aisne et me tenir constamment au courant de ces diverses phases.
Vers 7h15, le petit poste n°1 fait un feu de salve auquel les Allemands répondent et la fusillade s’engage sur ma ligne. A 7h30 un agent de liaison me rend compte qu’une demi-compagnie environ vient de déboucher du chemin de Vauxcelles et attaquent. Les petits postes dégagent progressivement notre champ de tir et occupent la position qui leur est assignée. La fusillade continue du côté allemand seulement ; à la faveur de la lune qui brille assez vivement, j’aperçois vaguement quelques mouvements en avant de notre position. A ma droite la lutte semble se poursuivre avec acharnement, si j’en juge par l’intensité du feu. Vers 8h le fusil se tait et tout rentre brusquement dans le calme. J’envoie aux petits postes l’ordre de reprendre leur emplacement primitif.
Le mouvement s’exécute très lentement et entraîne quelques coups de fusils. Le petit poste n°1 ne peut dépasser la voie ferrée du CBR. Le canon allemand lui aussi s’est tu ; j’en profite pour faire une ronde dans toutes mes sections. Mais cependant les Allemands ne restent pas inactifs et nous inondent à chaque minute de fusées afin d’épier tous les mouvements de notre ligne. J’ai pour toutes ressources à ma compagnie une seule et unique fusée de feu d’artifice que l’on m’a recommandé de n’employer qu’à bon escient car »elle coute 3f50 ».
A 10h l’attaque recommence et la fusillade s’allume sur toute la ligne, mais sans beaucoup plus de succès que la première fois. Cette seconde reprise dure une demi-heure environ.


Vendredi 30 Octobre 1914
Vers minuit, je profite d’une accalmie pour inspecter toute ma position. Les pertes jusqu’ici sont très minimes et se chiffrent seulement par quelques blessés. A 3h du matin, le bombardement reprend : des rafales de projectiles s’abattent sur la sucrerie et emportent complètement la façade ouest.
En quelques minutes, ma compagnie est encombrée de blessés graves que je fais descendre dans les sous-sols où j’ai préparé un poste de secours. Le service y est assuré par le caporal brancardier et le caporal infirmier assistés des quatre brancardiers de la compagnie. A 6h l’attaque recommence pour la troisième fois ; devant la sucrerie, l’ennemi témoigne de beaucoup de mordant et semble disposer de forces importantes. A la 17e tout le monde est à son poste ; tous les créneaux sont garnis et les mitrailleuses se font entendre très souvent.
La route de Condé est complètement interdite à l’ennemi par notre feu ; il est obligé de s’infiltrer homme par homme le long du ruisseau de Vauxcelles et non sans pertes. A 7h la 4e section dont les tranchées sont bouleversées est délogée de sa position où la résistance est devenue impossible.
Les tranchées sont encombrées de cadavres et de blessés. La moitié de la section environ vient s’installé dans le fossé aménagé faisant suite à la tranchée de la section Damiens. Je donne l’ordre de reprendre immédiatement le terrain perdu ; à trois reprises, le sous-lieutenant Gineste lance les hommes à l’assaut mais sans succès. Il ne peut parvenir jusqu’à la crête déjà occupée par une mitrailleuse et l’infanterie ennemies. Finalement les débris de la 4e section demeurant dans le fossé aménagé et forme la droite de ma ligne.
7h30, je rends compte à mon chef de bataillon de la situation à la sucrerie où ma compagnie est engagée toute entière. L’attaque allemande continue avec violence sur toute la ligne et déjà, en regardant sur ma droite, les positions du 306 et du 332, j’aperçois des groupes d’hommes toujours plus nombreux descendre des crêtes et se replier sur le village. Mauvais signe. A ce moment même, l’artillerie allemande au nord et au nord-est de Vailly commence à allonger son tir.
Vers 8h30 les Allemands font un nouvel effort sur la sucrerie : une section de mitrailleuses vient de prendre position le long de l’Aisne et fauche mon secteur de ses feux croisés. J’aperçois en même temps, une compagnie allemande qui s’infiltre le long du canal en se dissimulant dans les broussailles et les fossés. Cette compagnie ennemie est munie d’un fanion tricolore qui apparaît très ostensiblement ainsi que les pointes des casques. Malheureusement les feux de ma compagnie ne gênent que fort peu les mouvements de l’ennemi de ce côté et ce que j’avais tant craint sur ma gauche se produit infailliblement. L’infanterie allemande parvient à se déployer le long du talus du canal prenant ainsi de flanc toute ma position. A partir de 9h, ma gauche est complètement débordée et je rends compte au chef de bataillon du danger imminent qui nous menace de ce côté. J’ignore si mon agent de liaison a pu parvenir jusqu’au chef de bataillon.
Ma situation à partir de cette heure devient critique : les fractions déployées le long de l’Aisne ont des pertes énormes et le feu est tellement intense qu’il n’est plus question de ramener les blessés à l’intérieur de la sucrerie. La 3e section est presque entièrement décimée et l’adjudant Massonet grièvement blessé, n’a plus que quelques fusils en ligne.
Il ne faut plus songer à me maintenir hors des murs de la sucrerie et je concentre toute la défense à l’intérieur. Il ne reste plus à mon extrême gauche que quelques hommes derrière une barricade sous le feu des mitrailleuses ennemies. A l’intérieur de la sucrerie d’ailleurs, la situation n’est pas brillante non plus : nous sommes au milieu des ruines car le bombardement a touché sérieusement plusieurs bâtiments. Une de nos mitrailleuses a été endommagée par l’éboulement d’un pan de mur et nous n’en avons plus qu’une en service. Elle fait d’ailleurs un excellent travail : les pavés de la route de Condé sont remplis de cadavres ennemis et une des mitrailleuses allemandes a été réduite au silence.
A 9h45 deux hommes de bonne volonté se présentent sur ma demande pour porter mon dernier message au chef de bataillon. Je rends compte à mon commandant de la situation : environ deux compagnies allemandes attaquent la sucrerie, j’ai repéré trois emplacements de mitrailleuses et de nouvelles forces ennemies au moins une compagnie s’avancent le long du canal. Je tiendrai jusqu’au bout ; mais je demande des munitions si possible car nous avons déjà touché aux caisses de cartouches des mitrailleuses.
Par suite de l’affaiblissement de mes forces et du rétrécissement de mon front, les Allemands deviennent plus entreprenants et leur attaque gagne du terrain. Déjà les tirailleurs ennemis parviennent jusqu’au mur extérieur de la sucrerie : malheur à ceux qui se montrent aux créneaux, car mes hommes bien abrités, tirent comme à la cible. Près de la meule de paille, la section Massonet n’existe plus ; il y a à sa place un tas de cadavres derrière lequel s’abritent les Allemands qui se sont avancés en longeant les fossés en bordure de la rivière. A l’intérieur de la sucrerie, fenêtres, portes, encoignures embrasures sont garnis de tireurs ; en certains endroits, Allemands et Français sont à peine à 10 mètres les uns des autres. Les balles et les obus tombent dru comme la grêle au milieu de nous ; certaines portes sont littéralement trouées, des fenêtres arrachées, les vitres volent en éclats et la toiture s’écroule en plusieurs endroits. Le vacarme est infernal et au milieu des décombres et de la poussière qui voltige épais, nous avons de la peine à nous reconnaître nous-mêmes.
Mon poste de secours est encombré, les blessés restent sur place dans tous les coins parmi les agonisants et les morts. J’apprends la mort de l’adjudant Massonet tué d’une balle à la tête. A 10h30 un sous-officier de la section de mitrailleuses me rend compte qu’un groupe de tirailleurs ennemis est posté le long de l’Aisne.
Je donne l’ordre de continuer le feu et immédiatement le tir de l’artillerie allemande redouble d’intensité sur la sucrerie. Une demi-heure plus tard, même rapport, même ordre de ma part et même riposte de l’ennemi. Il est alors onze heures : aucun obus ennemi n’apparaît sur notre ligne primitive, tous tombent maintenant sur le village et les abords immédiats. J’en conclus que toutes nos compagnies ont dû se replier dans Vailly et que les crêtes sont au pouvoir de l’ennemi. Il ne reste donc plus en avant du village que ma compagnie entièrement accrochée et pressée de trois côtés par l’adversaire. Parmi mes hommes, aucune défection : tous accomplissent leur devoir courageusement.
Je n’ai plus qu’une seule préoccupation : tenir coûte que coûte jusqu’au soir pour me replier sur le village à la faveur de la nuit s’il est encore temps et si la situation n’est pas changée d’ici-là. Mais pour cela il faut ménager nos munitions, je fais ramasser toutes celles des blessés et des tués : ce sont nos dernières cartouches. Vers midi, j’entends sonner la charge dans Vailly. Est-ce le salut pour nous ? Non ! Nos camarades refoulés de la partie nord du village déjà aux mains de l’ennemi, essayent de se dégager par une vaine contre-attaque ; à midi et demi la charge sonne de nouveau et peu à peu, la fusillade que j’entends dans le village diminue d’intensité.
Devant la sucrerie, la situation n’a pas changée : les Allemands sont toujours aussi rapprochés de nous ; en certains endroits, seule l’épaisseur d’un mur nous sépare. Les Allemands hésitent d’ailleurs à s’avancer. Sur ma gauche, quelques-uns après avoir fait sauter une porte ont pénétré dans la cour intérieure d’où ils furent chassés aussitôt avec pertes. Malheureusement les munitions s’épuisent et je suis obligé de prescrire la plus stricte économie et ne faire tirer que les bons tireurs dans certains groupes.
Vers 2h la fusillade qui depuis environ une heure avait considérablement diminué dans le village, reprend subitement avec beaucoup d’intensité. Un agent de liaison de la section Damiens vient me rendre compte que les Allemands débouchent du village et attaquent la sucrerie à revers. Nous sommes complètement entourés. Je prescris à Damiens de disposer la moitié de ses forces contre ce nouveau danger mais à 2h15, l’adjudant Damiens v en personne vient me trouver et me rend compte que sa position n’est plus tenable : la section n’étant pas abritée du côté du village subit des pertes considérables. Damiens me propose alors, la situation étant désespérée, de rassembler toutes nos forces disponibles pour contre-attaquer dans la direction du village afin de nous dégager.
J’hésite à donner cet ordre car il me coûte beaucoup d’abandonner ma position que l’Allemand n’a pu prendre et en second lieu une contre-attaque dans de pareilles conditions est destinée à un échec certain car nous avons à franchir 300 mètres à découvert et c’est la mort assurée et inutile pour beaucoup d’entre nous. Je finis par m’y résoudre cependant sur les rapports de plusieurs de mes gradés qui me rendent compte qu’ils n’ont plus de munitions.
Les hommes valides de la 1ère et de la 4e section se rassemblent dans le grand hall, je fais mettre baïonnette au canon et au commandement de « En avant ! Vive la France ! Tous ces braves s’élancent à la suite du sous-lieutenant G. et de l’adjudant Damiens. J’envoie un agent de liaison prévenir le lieutenant Q. et lui demander de suivre avec le restant des défenseurs de la sucrerie et pars moi-même avec un groupe d’hommes à quelques mètres de la première vague.
Nous sommes à peine sortis de la sucrerie que l’ennemi nous mitraille et envoie sur nous un feu des plus nourris. Les mitrailleuses crépitent de tous les côtés et je vois mes pauvres soldats tomber les uns après les autres. Le sifflement des balles est continu et ressemble au bourdonnement d’une nuée de taons acharnés après notre peau. Au bout de 100 mètres de course, nous en sommes réduits à ramper dans un champ de betteraves. Dans le bruit de la bataille, j’entends les plaintes, les cris de souffrance des blessés.
Les Allemands qui nous dominent des hauteurs tirent avec précision sur nous, leur feu rase le sol et j’aperçois les rafales de balles faucher les feuilles de betteraves. En franchissant la voie ferrée du CBR, je reçois un petit éclat de projectile à la figure et à peu près une balle dans la main droite. Au même moment, je reçois dans le dos un choc violent qui me cloue au sol et m’étourdit complètement. Lorsque quelques instants plus tard, je veux me dégager, mes efforts sont impuissants ; un fait me frappe : la fusillade a complètement cessée et j’entends des voix près de moi. Je me soulève pour voir ce qui se passe et suis empoigné par deux fantassins allemands : je suis prisonnier.
Ces soldats me prennent chacun par un bras ; je suis couvert de sang : le choc que j’avais reçu avait été causé par un de mes hommes tué net qui, dans sa chute, était tombé sur moi ; ma main droite est barbouillée de sang et de boue. Les deux Allemands enlèvent mon équipement sauf mon sac et ma musette qu’ils me laissent et me conduisent aux premières maisons du village où je trouve quelques-uns de mes hommes qui me font un pansement.
Vailly est complètement aux mains de l’ennemi ; un convoi de prisonniers est rassemblé dans la rue, j’y rencontre le colonel S. A travers les rues de Vailly, jonchées de débris de toutes sortes, notre défilé lamentable commence encadré par les fantassins allemands qui semblent avoir pitié de notre malheureux sort. Chez les hommes de troupe, gradés et officiers, je ne remarque aucune parole, aucun geste hostile ou vexatoire à notre égard.
Sur la place de l’église, nous sommes obligés de faire un détour pour éviter une maison qui est la proie des flammes ; l’hôtel de ville est entièrement effondré, une partie du clocher a été emportée par les obus et une grande partie des maisons ne sont plus que des ruines. De tous les côtés, s’avancent des fractions ennemies dont l’effectif semble être considérablement réduit. Je suis frappé par le grand nombre de jumelles, lampes électriques, fusées, grenades dont sont porteurs de nombreux soldats ennemis. Quelques-uns au lieu de sac, ont attaché par des bretelles sur leur dos de grands réservoirs.
Nous prenons la route de Jouy et à flanc de coteau, j’aperçois au milieu des champs et des vergers, les cadavres de nos malheureux camarades. L’artillerie allemande est en train de se mettre en batterie à la crête : une dernière salve de 75 vient éclater à quelques cent mètres de notre convoi qui descend tout doucement vers le château de Vauxcelles où s’arrêtent les blessés. Un colonel allemand s’approche de moi pour s’enquérir de ma blessure et de notre fatigue : « Oui dit-il, la journée a été mauvaise pour vous, mais le succès nous a couté cher. » Il me prie ensuite de le suivre pour aller me faire panser par un médecin allemand. A l’intérieur du château, un médecin allemand est en grande discussion avec un médecin français.
L’Allemand qui tient à la main deux cartouches D. prétend que nous employons des balles dum-dum et son interlocuteur français ne parvient pas à lui faire changer d’avis. On me montre les deux cartouches en question et je n’y découvre absolument rien pouvant justifier les accusations du médecin allemand. Dans les salons, antichambres, jusqu’au milieu de la cour, les grands blessés sont étendus sur des matelas ; les uns se tordent et gémissent, d’autres sont immobiles et livides. A 6h du soir, les pansements sont terminés, tous ceux qui peuvent se mouvoir sont placés par quatre et conduits jusqu’à la ferme de Colombe où nous nous arrêtons une demi-heure.
Les Allemands profitent de cet arrêt pour nous donner un peu de pain. La plupart d’entre nous n’ont pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, toutefois la fatigue et les émotions nous ont tellement affaiblis que nous avons perdu tout appétit. On laisse à la ferme de Colombe les plus malades et notre petite colonne repart encadrée par les fantassins ennemis baïonnettes au canon. Je suis en tête à côté du docteur G. du 332. A 9h30, nous arrivons à l’Ange Gardien, résidence d’un quartier général. Les hommes sont rassemblés dans une grande remise et un lieutenant allemand vient prier le docteur G. et moi de le suivre. Il nous introduit dans une pièce lui servant de bureau et de chambre à coucher et nous fait immédiatement servir par son ordonnance quelques tartines de beurre et deux bouteilles de vin blanc.
Au cours de la conversation qui roule sur la guerre, j’apprends que l’attaque allemande sur Vailly a été menée par une division puissamment soutenue par de l’artillerie de tous calibres : 77 – 100 – 150 – 210. Mon interlocuteur me prodigue des sentiments de sympathie et d’animosité à l’égard de l’Angleterre. L’officier allemand me dit qu’il est chargé du service téléphonique de tout un secteur et il me montre quelques schémas et plans du réseau qu’il administre et dont les dernières ramifications aboutissent aux tranchées de première ligne. Finalement nous apprenons que l’empereur était passé ici il y a trois jours.
A minuit, nous sommes reconduits au milieu de nos hommes, l’officier allemand s’excuse de ne pouvoir nous offrir un local plus convenable. Je m’étends au milieu du foin, il fait froid, j’ai la fièvre et ne puis dormir. Nous repartons à six heures du matin conduits par un sous-officier qui chemin faisant, me témoigne de son antipathie pour nos canons de 75. Quelques soldats nous regardent passer sans mot dire. A Pinon, nous rencontrons plusieurs officiers allemands qui nous saluent les premiers. Sur la place de l’église, un vieux curé se découvre à notre passage et élève la main pour bénir les soldats français prisonniers. Cette scène me cause une profonde émotion et je ne puis retenir les larmes que je refoule depuis la veille.
A 8h nous arrivons à Aniry-le-Château où tout est déjà germanisé : chemins de fer et poste avec leurs employés en uniforme. Sur la place on laisse approcher de nous les habitants pour distribuer des provisions aux soldats français. Nous sommes ensuite enfermés tous dans l’église où je retrouve plusieurs hommes de ma compagnie, mon sergent-major, l’adjudant du bataillon 9 et mon camarade H. de la 20e compagnie.
Ici encore, un médecin allemand se met à raconter des histoires et tire de sa poche une lettre qu’il prétend avoir reçue d’un de ses collègues et contenant des détails sur le mauvais traitement des prisonniers allemands en France. On nous classe par régiment et une fois toutes les formalités d’appel terminées nous nous dirigeons vers le quai d’embarquement.
Nos hommes sont gardés dans un enclos où on va leur distribuer à manger, les officiers sont conduits à un wagon de 1ère classe où je retrouve le colonel S., mon ami Q. et quelques autres officiers de la brigade j’étais sans nouvelles depuis la veille. C’est dans ce compartiment qu’on nous servit à déjeuner : un plat de viande de conserve, quelques pommes de terre et du vin blanc.
Une heure plus tard, les hommes sont embarqués et nous sommes emmenés en captivité
.
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machault
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Re: 29 et 30 octobre 1914 : la bataille de Vailly (Aisne)

Message par machault »

Bonjour Php,

Merci beaucoup pour la communication du témoignage de votre grand père qui combattait au sein du 287° RI à voir les positions décrites. C'est très intéressant.
Je vous laisse un message privé pour obtenir quelques éléments supplémentaires.

Cordialement.

JL Arnould.
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docteurno
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Re: 29 et 30 octobre 1914 : la bataille de Vailly (Aisne)

Message par docteurno »

Bonjour
Bonjour à tous,
(...)
Les unités et leurs positions

Depuis le 13 octobre 1914, les hommes de la 69° DI ont relevé les Anglais dans les tranchées dans la région de Vailly. Le front de la division, formant saillants au nord de Vailly ainsi qu'au nord de Soupir, est très étendu (voir carte 55 AFGG, tome 1 volume 4) puisqu'il va des lisières ouest de Vailly au canal de l'Oise à l'Aisne.

La 137°brigade (287° RI, 306° RI et 332° RI) occupe la partie ouest du secteur, la 138° brigade (251°, 254°,267° RI et 48° BCP) se chargeant de la partie est. A Vailly, le 287° RI se trouve à la gauche du dispositif (de la sucrerie, au bord de l'Aisne, jusqu'au bois Marcon le long de la route d'Aizy), le 306° RI est au centre (du bois Marcon à Rouge Maison) et le 332°RI à droite (du ravin de Rouge Maison à la vallée d'Ostel qu'il occupe sur ses 2 versants). Au 332°, le 6° bataillon barre les deux flancs de la vallée d'Ostel et le 5° bataillon se trouve sur les hauteurs entre les bois de la Fosse Marguet et le ravin de Rouge Maison.
Après de durs combats dans la région de Cormicy, Sapigneul, La Neuville, Aguilcourt (13 au 22 septembre 1914), les effectifs ont fondu : la division ne compte plus que 9000 hommes et certaines compagnies en ligne ne dépassent pas 120 fusils environ. L'artillerie de la division est réduite à 32 pièces de campagne qui se trouvent à 2500 m au sud de la rive gauche de l'Aisne, hors de portée des batteries allemandes. Au JMO du 1° groupe d'artillerie divisionnaire, on peut lire : "La limitation de l'approvisionnement en munitions empèche la destruction complète des batteries ennemies repérées". Dans son argumentaire en défense établi suite à son limogeage, le général Néraud, commandant de la division, précisera que les Anglais disposaient sur ce même secteur de 16 000 hommes et 108 pièces d'artillerie.
(...)
Cordialement
Jean Luc Arnould
Comme vous mentionnez la carte 55 AFGG, tome 1 volume 4 : serait-elle par hasard en votre possession ?
Si oui, y a-t-il possibilité d'en avoir un scan ?
Me contacter par MP (si vous avez cette possibilité) pour que je vous communique mes adresses mail

Merci d'avance
Cordialement
Jean-Pierre
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