Il y aura un siècle demain (30 octobre) que mon grand père, ARNOULD Louis, soldat à la 17° compagnie du 332° RI était blessé à Vailly (Aisne). Il allait passer un an en soins avant d'être affecté pour le reste de la guerre dans une caserne de Poitiers où il cuisinait, sa claudication ne permettant plus qu'il rejoigne une unité combattante.
C'est donc l'occasion pour moi de lui rendre hommage (ainsi qu'à ses camarades de combat) en retraçant ce que furent ses dernières journées au front.

Les unités et leurs positions
Depuis le 13 octobre 1914, les hommes de la 69° DI ont relevé les Anglais dans les tranchées dans la région de Vailly. Le front de la division, formant saillants au nord de Vailly ainsi qu'au nord de Soupir, est très étendu (voir carte 55 AFGG, tome 1 volume 4) puisqu'il va des lisières ouest de Vailly au canal de l'Oise à l'Aisne.
La 137°brigade (287° RI, 306° RI et 332° RI) occupe la partie ouest du secteur, la 138° brigade (251°, 254°,267° RI et 48° BCP) se chargeant de la partie est. A Vailly, le 287° RI se trouve à la gauche du dispositif (de la sucrerie, au bord de l'Aisne, jusqu'au bois Marcon le long de la route d'Aizy), le 306° RI est au centre (du bois Marcon à Rouge Maison) et le 332°RI à droite (du ravin de Rouge Maison à la vallée d'Ostel qu'il occupe sur ses 2 versants). Au 332°, le 6° bataillon barre les deux flancs de la vallée d'Ostel et le 5° bataillon se trouve sur les hauteurs entre les bois de la Fosse Marguet et le ravin de Rouge Maison.
Après de durs combats dans la région de Cormicy, Sapigneul, La Neuville, Aguilcourt (13 au 22 septembre 1914), les effectifs ont fondu : la division ne compte plus que 9000 hommes et certaines compagnies en ligne ne dépassent pas 120 fusils environ. L'artillerie de la division est réduite à 32 pièces de campagne qui se trouvent à 2500 m au sud de la rive gauche de l'Aisne, hors de portée des batteries allemandes. Au JMO du 1° groupe d'artillerie divisionnaire, on peut lire : "La limitation de l'approvisionnement en munitions empèche la destruction complète des batteries ennemies repérées". Dans son argumentaire en défense établi suite à son limogeage, le général Néraud, commandant de la division, précisera que les Anglais disposaient sur ce même secteur de 16 000 hommes et 108 pièces d'artillerie.
Le front avant la bataille


Les prémices de la bataille
A partir du 21 octobre, le feu de l’artillerie allemande augmente d’intensité. Les pertes s'accroissent mais demeurent encore assez faibles. Le 23 octobre, le pont routier de Vailly, qui avait sauté mais avait été aménagé en passerelle, s’écroule complètement dans la soirée sous les obus de l'ennemi. Le pont de bateaux, aménagé un peu en amont, se trouve, pour sa part, submergé par une crue.
Le 25 octobre, une patrouille avait situé les tranchées allemandes à 600 m de la ligne française mais, au matin du 28, on s'aperçoit qu'une nouvelle ébauche ne s'en trouve plus qu'à 300 m.
Durant la nuit suivante, les Allemands s’activent dans la vallée d’Ostel, des bruits de moteurs y ayant été incessants. Dès 8 heures le 29 octobre, de très gros projectiles commencent à tomber sur les tranchées du 306ème et les bouleversent considérablement aux Grands Riez, le long de la route d'Aizy (200 m de tranchées de 2 m de hauteur s'éboulent ensevelissant 2 sections). Vers 16 heures, le feu de l’artillerie allemande augmente d’intensité et de gros obus (de 105 à 220 mm) tombent sur Vailly ville. Les coups arrivent de 5 directions : Rouge-Maison, Folemprise, Aizy, Ostel et du nord des tranchées du 254ème (situées aux Grinons à la droite du 332°RI). Vers 21 heures, le bombardement augmente encore et toute la nuit le tir a lieu par rafales de 20 à 25 minutes avec des accalmies d’une demi heure. De premières attaques d'infanterie allemandes ont lieu sur les tranchées du 287° RI (19 h, 2 h, 6 h 15) et du 306°RI (22h) mais elles sont repoussées.
La division a alerté l'état-major de la VI° armée (à laquelle elle vient d'être rattachée depuis le 17 octobre) d'une attaque imminente sur ses lignes. Il est convenu qu'un renfort, provenant de la V° Armée (un groupe de 95 et la 1° brigade du 1° CA - De Fonclar -), va lui être envoyé. En réalité, des conflits entre les états-majors des 2 armées (attestés dans les annexes des AFGG) vont retarder l'arrivée de ces troupes qui ne seront sur place qu'après le retrait français de la rive nord de l'Aisne.
La journée du 30 octobre
Le 30 octobre entre 7 et 8 heures, l'attaque d'infanterie allemande (24°, 64° et 84° IR commandés par le général von Lochow) se déclenche sur tout le front des trois régiments français et se porte principalement sur les 287° et 306°, l'ennemi s'infiltrant dans le terrain boisé (notamment de Rouge Maison aux Grands Riez).
La situation au 287° RI
Sous l'effet du bombardement, dès les premières heures de la journée, des portions de tranchées du 287°, notamment au niveau de la 18° compagnie qui est voisine du 306°, se renversent et obligent les hommes à se replier. A trois reprises, le sergent Lamy reporte ses hommes en avant mais ils durent céder tant sous la pression de l'ennemi qu'en raison de l'abandon des tranchées voisines par le 306°. De l'autre côté du régiment (partie ouest cad près de la rivière), les Allemands investissent progressivement un petit bois et contraignent vers 8 h 30 des éléments de la 17° compagnie à reculer et à se réfugier dans la sucrerie. Vers 10 heures, les 18°, 19° et 20° compagnies ont rétrogradé et sont allées défendre, rue par rue, divers secteurs du village, la 17° compagnie continuant à combattre jusqu'à 14 heures dans la sucrerie grâce à sa mitrailleuse. Vers 12 h 30, les Allemands atteignent les murs du village. Une heure plus tard, ils commencent à aborder la rive nord de l'Aisne. Les derniers hommes de cette unité traversent la rivière entre 14 h et 14 H 30, poursuivis par des patrouilles ennemies qui sont aussi passées sur l'autre bord.
Le 287° RI a perdu 801 hommes les 29 et 30 octobre 1914 (source JMO).
La situation au 306° RI
Dés 7 heures, l'attaque allemande s'est dirigée à travers bois vers la gauche du 5° bataillon (qui voisine avec le 287°). Peu après, une autre attaque concerne le 6° bataillon alors que sa 21° compagnie avait quitté ses tranchées sous la menace de leur éboulement. La récupération de la position s'avère quasi impossible, compte tenu de la déclivité du terrain. L'ennemi marque un temps d'arrêt avant d'engager une nouvelle offensive vers 8 h. La 20° compagnie, sans le secours de ses voisins du 287°, vient à être débordée. Les 19° et 20° compagnies, tous les chefs de section ou de compagnie étant tués ou blessés, échappent aux ordres du chef de bataillon. Le repli sur les lisières de la ville s'organise tant bien que mal. Des centaines d'Allemands tombent et demeurent sur le terrain. Il est 11 heures.
A 11 h 45, le commandant Auboin du 5° bataillon du 306° reçoit l'ordre de franchir le pont et de se placer en lisière est des bois de Chassemy. Vailly n'est plus qu'un monceau de ruines et de cadavres. La traversée du village ne peut s'effectuer qu'homme par homme et non sans pertes. Le 6° bataillon (Commandant Sonnerat) demeure sur la rive nord jusqu'à midi avant de se replier à son tour.
Le lieutenant colonel Sardi qui commande le régiment est blessé par l'effondrement d'une partie de l'Hôtel de Ville sous lequel il s'était abrité avec le drapeau et sa garde et sera fait prisonnier. Le drapeau sera sauvé au prix de la vie du porte-drapeau, le lieutenant Bourcquart, tué d'une balle, un sous-officier courageux ayant ensuite suppléé ce dernier. En fin de journée, il manque 1534 hommes au 306° RI (source JMO). Ainsi, la 24° compagnie qui comptait le matin 2 officiers et 235 hommes, ne dispose plus au soir de la bataille que d'un sergent et 26 hommes, l'ordre de repli ne l'ayant pas touché.
La situation au 332° RI
De 5 H 15 à 7 h, le bombardement est incessant et général sur toute le ligne du 332° RI.
Au 5° bataillon du 332° RI (sur les hauteurs)
Les Allemands sortent de leurs positions à 7 h. Devant les 17°, 18° et 19° compagnies, ils s'arrêtent à 300 m des Français et se mettent à creuser tout en tirant, subissant de fortes pertes. Devant la 20° compagnie (au contact du 306°), la situation devient tout de suite sérieuse : les Allemands se glissent entre le 306° et les ouvrages de gauche de la 20°. Ils approchent des mitrailleuses qui tirent à 200 m et même à 30 m de notre ligne pour l'une d'entre elles. Ces pièces étaient dissimulées par des feuillages et protégées par des boucliers. Leur feu a été éteint plusieurs fois par la chute des servants qui ont été plusieurs fois remplacés.
A 8 h 30, les tranchées du 306° ont été dégarnies et la gauche de la 20° Cie a été prise d'enfilade. Le commandant du 5° bataillon doit utiliser toutes ses réserves pour la soutenir et défendre les pentes orientales de Rouge Maison. Elle tient jusqu'à 11 h 15, infligeant des pertes énormes à l'ennemi.
Au 6° bataillon du 332° RI (dans la vallée d'Ostel)
La canonnade a été effrayante, le matin. A 7 h, deux attaques d'infanterie se sont produites. L'une, à cheval sur le ruisseau, a concerné la 22° compagnie qui a résisté, soutenue par la 24° qui tenait le chemin d'Ostel. L'autre partait aussi de la Noue et visait la 23° compagnie qui a reçu l'appui de ses voisines (24° et 21°). Elle a également échoué.
La suite de la journée
Les commandants des 306° (Lieutenant-Colonel Sardi) et 332° (Lieutenant-Colonel Sauvage) se sont rencontrés à 9 h 30 à la mairie. Le lieutenant-colonel Sardi a indiqué à son homologue du 332° que ses tranchées avaient été en partie abandonnées et qu'il le préviendrait s'il était obligé de se replier sur le village. Après 10 h, les Allemands, dégringolant les pentes, ont commencé à attaquer à revers les 20° et 18° compagnies du 332° RI. A 11 H 15, sur ordre du général de brigade (Ditte), le lieutenant-colonel Sauvage prescrit au commandant du 5° bataillon de se replier très lentement par les pentes boisées vers le pont du chemin de fer de la banlieue de Reims (CBR), pont qui traversait l'Aisne quelques centaines de mètres à l'ouest de la route d'Ostel. Le canal pouvait être franchi, non loin de là, en passant sur l'écluse de St Audebert. Le 6° bataillon a reçu ordre de ne se replier qu'après que le 5° se soit écoulé. Le mouvement s'est fait lentement et en bon ordre à partir de midi, la traversée des ponts se faisant sous les tirs de l'ennemi.
Le JMO chiffre les pertes du 332° RI à 417 hommes pour les 29 et 30 octobre 1914.
La situation les jours suivants
Après avoir pris Vailly, les Allemands vont poursuivre leur attaque visant à contrôler la rive droite de l'Aisne. Le 2 novembre 1914, la 138° brigade de la 69° DI est débordée à son tour et elle perd le contrôle de Chavonne et Soupir. Les généraux Néraud (69° DI) et Ditte (137° brigade) sont limogés le 6 novembre 1914.
Le front après la bataille

Remarques : ces éléments sur la bataille de Vailly proviennent essentiellement des JMO des unités qui y ont participé (DI, brigade, RI, batteries). On peut noter parfois des contradictions (habituelles en de telles circonstances) dans la relation des faits par les différentes unités : le voisin ayant toujours craqué le premier.
Cordialement.
Jean Luc Arnould