Bonjour Eric,
Bonjour à tous,
Juste une nuance à votre propos (cela semblera peut-être un détail à certains, mais qui mérite quand même d'être souligné) :
Je serais d'accord avec vous si vous disiez "Sans passé, plus d'historiens" et non pas "sans Histoire, plus d'historiens"... Le passé, comme le présent, sont. Ils existent ou ont existé... Mais ce sont les historiens qui les mettent en perspective, en construisant le discours historique, c'est-à-dire donc en écrivant l'Histoire, en l'actant et en l'analysant (histoire des grands hommes, des grands événements - ou des plus petits -, des sciences, des techniques, etc... la liste n'est pas exhaustive)... Si je voulais aller au bout de votre raisonnement, je dirais donc : "Sans passé, plus d'historiens. Et par conséquent sans historiens, il n'y a plus d'Histoire"... Et là, nous serions entièrement d'accord...
Cordialement,
Jean-Michel
La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Bonjour
Pour éclairer ces propos (sans historiens ,il n'y a plus d'Histoire),il serait peut être intéressant de préciser ce qu'est un historien
Juste une nuance à votre propos (cela semblera peut-être un détail à certains, mais qui mérite quand même d'être souligné) :
Je serais d'accord avec vous si vous disiez "Sans passé, plus d'historiens" et non pas "sans Histoire, plus d'historiens"... Le passé, comme le présent, sont. Ils existent ou ont existé... Mais ce sont les historiens qui les mettent en perspective, en construisant le discours historique, c'est-à-dire donc en écrivant l'Histoire, en l'actant et en l'analysant (histoire des grands hommes, des grands événements - ou des plus petits -, des sciences, des techniques, etc... la liste n'est pas exhaustive)... Si je voulais aller au bout de votre raisonnement, je dirais donc : "Sans passé, plus d'historiens. Et par conséquent sans historiens, il n'y a plus d'Histoire"... Et là, nous serions entièrement d'accord...
Jean-Michel
Est ce celui reconnu administrativement par des études spécifiques sanctionnées par des diplômes?
Est ce celui qui s'attache à établir l'arbre généalogique familial?
Est ce celui qui entretient une tombe oubliée dans un recoin du champs de bataille?
........etc
L 'histoire ne doit elle s'écrire qu'avec un grand H ?
L'histoire n'est elle que dans les livres et les discours?
Cordialement
- Eric Mansuy
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Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Bonjour à tous,
"il serait peut être intéressant de préciser ce qu'est un historien" : voici revenu un débat avec lequel je me suis fait quelques amis, ou je ne m'y connais pas...
Plutôt que de m'épancher sur mon credo, moi qui ne suis (toujours) pas historien, une réponse à ce questionnement, ci-dessous, datant de 2007.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"il serait peut être intéressant de préciser ce qu'est un historien" : voici revenu un débat avec lequel je me suis fait quelques amis, ou je ne m'y connais pas...
Plutôt que de m'épancher sur mon credo, moi qui ne suis (toujours) pas historien, une réponse à ce questionnement, ci-dessous, datant de 2007.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
-
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- Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am
Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Bonjour à tous,
Solcarlus me pardonnera de donner une réponse publique à un échange privée mais c’est pour la bonne cause :
Il me dit, en substance à propos de l’histoire :
reconnaissez qu’il peut y avoir des différence de point de vue
je lui réponds :
personne ne dit le contraire....et pour illustrer mon propos je vais donner un exemple concret sur une question que je connais bien.
quand on fait une enquête criminelle, on se forge une intime conviction après avoir étudié le dossier et entendu les témoins. Ensuite on juge..... et on publie le jugement...
L'historien procède un peu de la même manière, il entend le plus possible de témoins….mais à la différence de la justice, il lui est facile de revoir son jugement si de nouvelles pièces, et il y en a toujours, viennent à sa connaissance
Prenons comme exemple l'affaire de Lagarde (10 11 août 1914)
car elle est un vrai cas d’école pour un jeune ( ou un pas jeune) chercheur.
Vous pouvez lire le résultat de ce travail d'investigation sur
http://www.provence14-18.org/lagarde/
ici, je vais exposer , sur ce tout "petit cas", une "méthode" qui n'a rien d'originale mais fixe les idées, ...ce "petit cas" a eu une certaine importance......
Puisqu’il y a plusieurs versions des faits: celle de Lescot, celle de Marillier, celle de Ficonnetti, celle de Callies...etc......il faut les confronter avant de les additionner:
J'ai donc instruit le dossier en confrontant un maximun de témoins et de documents.
J'ai ensuite recoupé les témoignages entre eux et constitué une chronologie fine à partir des sources disponibles.
J'ai relevé qu'il y avait des incohérences dans les récits historiques connus : incohérence de chronologie par exemple, erreurs dans les positionnements des unités, erreurs de nomination des unités... des erreurs dont j’ai cherché les causes, il m’a semblé aussi qu'il y avait des « approximations volontaires » dont j’ai cherché les raisons.
Donc, partant des témoignages - ils sont nombreux-, des comptes-rendus militaires des acteurs, j’ai relevé de petites divergences et des « oublis ». Dans un premier temps je me suis contenté de les noter.
Je me suis ensuite penché sur les JMO, tous les JMO des unités concernées de prés et de loin on a souvent des surprises, j’ai cherché les écarts et les convergences et affiné la chronologie.
Ensuite a commencée une enquête de terrain qui n’avait jamais été faite : photos aériennes, recherche des cartes des enfouissement des corps, carte des exhumations, comptes rendus des exhumations pour dresser un tableau géographique, superposition des résultats obtenus qui donnent des indications précieuses sur les faits puisqu’on ne transporte pas trop loin les corps, -quand le terrain s’y prête on enterre sur place- donc les plus grandes tombes sont probablement les lieux des plus grandes pertes, ça infirme ou confirme les récits connus….
ensuite il faut chercher dans les sources allemandes, les trouver, les faire traduire correctement les recouper entre elles elles aussi et voir ce qu’elles disent des pertes.
Ce travail d’investigation terminé, je passe sur bien des étapes, il y a un travail d’interprétation, ensuite il faut construire un récit qui prend en compte tout ce qui a été découvert, enfin le confronter aux récits existants et comprendre les raisons qui expliquent les divergences s'il y en a.
Le dernier temps consiste à replacer le sujet traité dans le temps historique, en voir les conséquences, en évaluer l’importance…..
Tout ceci pour dire que le chercheur n’invente pas un récit, il s’appuie sur des méthodes de travail scientifiques, des outils dont on ne soupçonne pas l’importance- par exemple les confrontations linguistiques entre les témoignages et les récits, l’étude des champs lexicaux qui ouvre des confrontations entre les récits et la littérature du moment ( journaux par exemple, livres) et permet assez souvent de voir à quelle famille de pensées appartient le producteur du récit…etc…
Donc s'il peut y avoir différentes interprétations des faits il y en a peu dans leur exposé....
Sur de petits évènements comme Lagarde: peu de variations sur les faits…..des variations sur leurs conséquences oui
un dernier mot pour Eric...
ASSOULINE, certes, a bien raison mais BOURDIEU avait, il y a longtemps, déjà décrit la "médiocre culture " des journalistes...des propos qu'ils ne lui ont jamais pardonnés
Cordialement
CC
Solcarlus me pardonnera de donner une réponse publique à un échange privée mais c’est pour la bonne cause :
Il me dit, en substance à propos de l’histoire :
reconnaissez qu’il peut y avoir des différence de point de vue
je lui réponds :
personne ne dit le contraire....et pour illustrer mon propos je vais donner un exemple concret sur une question que je connais bien.
quand on fait une enquête criminelle, on se forge une intime conviction après avoir étudié le dossier et entendu les témoins. Ensuite on juge..... et on publie le jugement...
L'historien procède un peu de la même manière, il entend le plus possible de témoins….mais à la différence de la justice, il lui est facile de revoir son jugement si de nouvelles pièces, et il y en a toujours, viennent à sa connaissance
Prenons comme exemple l'affaire de Lagarde (10 11 août 1914)
car elle est un vrai cas d’école pour un jeune ( ou un pas jeune) chercheur.
Vous pouvez lire le résultat de ce travail d'investigation sur
http://www.provence14-18.org/lagarde/
ici, je vais exposer , sur ce tout "petit cas", une "méthode" qui n'a rien d'originale mais fixe les idées, ...ce "petit cas" a eu une certaine importance......
Puisqu’il y a plusieurs versions des faits: celle de Lescot, celle de Marillier, celle de Ficonnetti, celle de Callies...etc......il faut les confronter avant de les additionner:
J'ai donc instruit le dossier en confrontant un maximun de témoins et de documents.
J'ai ensuite recoupé les témoignages entre eux et constitué une chronologie fine à partir des sources disponibles.
J'ai relevé qu'il y avait des incohérences dans les récits historiques connus : incohérence de chronologie par exemple, erreurs dans les positionnements des unités, erreurs de nomination des unités... des erreurs dont j’ai cherché les causes, il m’a semblé aussi qu'il y avait des « approximations volontaires » dont j’ai cherché les raisons.
Donc, partant des témoignages - ils sont nombreux-, des comptes-rendus militaires des acteurs, j’ai relevé de petites divergences et des « oublis ». Dans un premier temps je me suis contenté de les noter.
Je me suis ensuite penché sur les JMO, tous les JMO des unités concernées de prés et de loin on a souvent des surprises, j’ai cherché les écarts et les convergences et affiné la chronologie.
Ensuite a commencée une enquête de terrain qui n’avait jamais été faite : photos aériennes, recherche des cartes des enfouissement des corps, carte des exhumations, comptes rendus des exhumations pour dresser un tableau géographique, superposition des résultats obtenus qui donnent des indications précieuses sur les faits puisqu’on ne transporte pas trop loin les corps, -quand le terrain s’y prête on enterre sur place- donc les plus grandes tombes sont probablement les lieux des plus grandes pertes, ça infirme ou confirme les récits connus….
ensuite il faut chercher dans les sources allemandes, les trouver, les faire traduire correctement les recouper entre elles elles aussi et voir ce qu’elles disent des pertes.
Ce travail d’investigation terminé, je passe sur bien des étapes, il y a un travail d’interprétation, ensuite il faut construire un récit qui prend en compte tout ce qui a été découvert, enfin le confronter aux récits existants et comprendre les raisons qui expliquent les divergences s'il y en a.
Le dernier temps consiste à replacer le sujet traité dans le temps historique, en voir les conséquences, en évaluer l’importance…..
Tout ceci pour dire que le chercheur n’invente pas un récit, il s’appuie sur des méthodes de travail scientifiques, des outils dont on ne soupçonne pas l’importance- par exemple les confrontations linguistiques entre les témoignages et les récits, l’étude des champs lexicaux qui ouvre des confrontations entre les récits et la littérature du moment ( journaux par exemple, livres) et permet assez souvent de voir à quelle famille de pensées appartient le producteur du récit…etc…
Donc s'il peut y avoir différentes interprétations des faits il y en a peu dans leur exposé....
Sur de petits évènements comme Lagarde: peu de variations sur les faits…..des variations sur leurs conséquences oui
un dernier mot pour Eric...
ASSOULINE, certes, a bien raison mais BOURDIEU avait, il y a longtemps, déjà décrit la "médiocre culture " des journalistes...des propos qu'ils ne lui ont jamais pardonnés
Cordialement
CC
Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Bonjour Troyon,
Bonjour Chanteloube,
Bonjour à tous,
Vous soulevez une question essentielle, en posant cette question de ce qu'est un Historien. Et je pense qu'il est intéressant d'y réfléchir tant ce terme a été galvaudé et tant de personnes s'affublant de ce titre ou se voyant conférer ce titre, à mon avis de manière tout à fait abusive (j'ai ainsi lu récemment, dans un tract rédigé par un gamin de 16 ou 17 ans, lycéen en seconde et porte-drapeau d'une section locale d'anciens combattants de l'Aisne - le président de cette association l'ayant d'ailleurs aidé à rédiger ce tract -, jeune garçon certes passionné d'histoire et qui a monté tout seul une petite exposition avec quelques objets de collection personnels - et d'ailleurs pas tous de 1914-1918 - et de nombreux fac-similés de documents d'époque tirés de publications récentes, se présentant comme "HISTORIEN" (???) et demandant purement et simplement à ce titre aux gens de lui donner leurs archives familiales et leurs objets personnels - casques, uniformes, matériels, armement, etc, dont, assure-t-il, "il prendra grand soin et fera bon usage" !...)
Je suis assez d'accord avec les écrits de Pierre Assouline : par définition, l'Historien est celui qui a poursuivi des études d'histoire, c'est-à-dire qui a reçu une formation aux techniques et aux méthodes de recherches historiques, sanctionnée par l'attribution d'un diplôme (ce dernier validant les "acquis" intellectuels et méthodologiques). Lorsqu'on est étudiant en histoire, on est en effet non seulement formé - initialement du moins, avant de se spécialiser sur une période précise, qui nécessite l'acquisition de méthodes de recherches spécifiques, la matière historique n'étant pas systématiquement la même selon que l'on soit "antiquaire", "médiéviste" ou historien contemporain et nécessitant ses outils propres pour les déchiffrer et les analyser -, à l'étude des quatre grandes périodes historiques (histoire ancienne, histoire médiévale, histoire moderne et enfin histoire contemporaine), mais on reçoit également un enseignement ou une sensibilisation aux langues vivantes, aux langues anciennes, à la paléographie, à l'archéologie, à l'étude de la démographie historique, aux statistiques, à la géographie et d'autres sciences auxiliaires à l'Histoire. Cette formation intervient lors des quatre premières années de la vie de l'étudiant en Histoire. Fait intéressant : le premier travail d'écriture n'intervient qu'au terme de cette quatrième année de formation et est aujourd'hui sanctionné par l'attribution (ou non) du Master (ce qu'on appelait autrefois la "Maîtrise" d'histoire, qui passait à l'époque par des travaux de recherches, l'écriture d'un "mémoire" de 80-100 pages, et la soutenance devant un jury de professeurs de ce travail de recherches. Il semble avec l'instauration du "Master" que ce travail se soit considérablement complexifié - pour ceux qui en doute, je vous invite à aller vous promener sur les sites internet des facultés d'histoire régionales et à lire un peu les sujets traités. Vous verrez qu'effectivement, et ce n'est pas mépriser qui que ce soit, ce ne sont pas des sujets qui sont à la portée du premier venu)...
Contrairement à une idée reçue, il ne suffit pas d'avoir tout lu, exploré tout ou partie d'un lieu historique et disposer d'une impressionnante collection d'objets ou de documents pour gagner le titre d'Historien... Je rappelle à toutes fins utiles que l'Histoire fait toujours partie de ce que l'on appelle aujourd'hui encore les "Sciences Humaines".
Il existait, au début du XXe siècle, dans les sociétés historiques nées dans la 2e partie du XIXe siècle et qui existent toujours aujourd'hui, un terme très précis pour désigner ce type de personne, qui, en dehors du milieu scientifique et universitaire, effectue des recherches et des travaux historiques, mais sans être titulaire d'aucune qualification sanctionnant une formation spécifique : celui d' "érudit" local. Le nom d' "Historien" qu'on emploie aujourd'hui un peu à tort et à travers et à "toutes les sauces" pour désigner n'importe quel passionné, n'importe quelle personne qui met le nez dans des archives ou se contente même parfois de recopier quelques extraits de livres ou d'historiques pour alimenter une petite exposition dans un petit village, ou qui y présente sa collection de vieilles cartes postales, n'importe quel collectionneur, ainsi que n'importe quelle personne qui fait des recherches, qu'elles soient d'ordre familial, généaologiques ou qu'elles portent sur un aspect plus général (histoire d'un lieu, d'une bataille, d'une catégorie de personne, histoire d'une communauté villageoise, etc), voire n'importe quel amateur d'histoire, a en effet eu tendance à brouiller les cartes et à faire quelque peu tomber en "désuétude" ce terme qui n'a pourtant absolument rien de péjoratif, ni d'humiliant.
Comme le souligne Pierre Assouline et comme l'intervention de Chanteloube le décrit concrètement pour les combats de Lagarde, les méthodes de recherches et de travail de l'Historien sont en effet toutes proches de celle de l'enquête policière, menée par les Officiers de Police Judiciaire (fonctionnaires ou militaires qui, issus de la "base" des policiers et gendarmes - lesquels ont tous reçu la même formation initiale dans les mêmes écoles -, ont ensuite subi une spécialisation et reçu une formation complémentaire pour recevoir des outils et une méthode spécifiques de travail, utilisant de nombreux autres outils et compétences, dont le but est de faire éclater la lumière sur un fait délictuel ou criminel). De la même manière que l'enquête judiciaire, l'enquête historique a de plus en plus souvent recours aux sciences annexes, auxquels l'érudit local ou le simple passionné n'ont pas nécessairement recours (cela demande du temps et surtout d'importants moyens techniques et financiers dont érudits et passionnés ne disposent pas forcément).
Cette mise au point sur les termes effectuée, cela n'enlève absolument rien au travail des érudits que nous appelons aujourd'hui plus communément "historiens" locaux, qui bien souvent, débroussaillent des territoires (parfois au sens propre comme au sens figuré) dont se servent les Historiens (de formation et de profession) pour leurs études globales. Ceux qui ont un jour poussé la porte des facultés d'Histoire et qui s'y sont un peu usé leurs pantalons sur les bancs des amphithéâtres et salles de "TD" savent d'ailleurs que le choix des sujets de "master" comme autrefois de "maîtrise" sont souvent validés par les professeurs, qui deviennent alors "directeurs de recherches" parce qu'ils orientent en effet leurs étudiants dans leurs travaux... Et les sujets choisis par les étudiants, ou à défaut, si les étudiants n'ont pas d'idée précise du sujet sur lequel ils pourraient travailler, qui leur sont suggérés par leur professeur, s'inscrit souvent dans un thème plus global de recherches sur lequel cet enseignant travaille... De sorte que la recherche faite par les étudiants dans le cadre de leurs travaux universitaires alimente elle-même les recherches des professeurs d'Histoire de faculté. Assouline indique bien lui-même que les travaux des historiens locaux sont connus et parfois utilisés par les historiens et chercheurs travaillant au CNRS... Les historiens ne sont donc nullement dans leur petit monde et ne se coupent pas totalement du travail fait en aval, qu'il s'agisse des recherches de leurs étudiants ou de particuliers ou associations qui contribuent souvent à mettre en lumière ce qu'on appelle la "micro-histoire" (celle qui effectivement n'intéresse pas nécessairement au premier chef l'historien qui travaille sur des aspects beaucoup plus généraux, mais dont il se sert pour alimenter son propre discours).
En fait, quels qu'ils soient, et à quel que niveau qu'ils se situent, tous les travaux menés du simple amateur à l'historien professionnel, sont utiles et complémentaires pour faire avancer notre connaissance du passé (qu'il s'agisse de l'étude d'une figure locale ou d'un personnage célèbre, d'un lieu, d'une bataille, ou qu'il s'agisse de recherches plus techniques et scientifiques). Il ne saurait nullement être question d'établir un ordre de valeur, où le travail d'un tel serait meilleur que le travail de tel autre sous prétexte que le premier a le titre et le second pas... Les choses ne fonctionnent pas aussi simplement... Tout travail est utile, pour soi, comme pour les autres, pour faire avancer notre connaissance du passé.
Il n'est pas nécessairement utile d'avoir le titre et les qualifications pour avoir la passion, l'envie de faire vivre le passé, de le faire partager, en mettant sans cesse nos connaissances à jour. Ce forum suffit en lui-même, me semble-t-il, à le prouver.
Cordialement,
Jean-Michel
Bonjour Chanteloube,
Bonjour à tous,
Vous soulevez une question essentielle, en posant cette question de ce qu'est un Historien. Et je pense qu'il est intéressant d'y réfléchir tant ce terme a été galvaudé et tant de personnes s'affublant de ce titre ou se voyant conférer ce titre, à mon avis de manière tout à fait abusive (j'ai ainsi lu récemment, dans un tract rédigé par un gamin de 16 ou 17 ans, lycéen en seconde et porte-drapeau d'une section locale d'anciens combattants de l'Aisne - le président de cette association l'ayant d'ailleurs aidé à rédiger ce tract -, jeune garçon certes passionné d'histoire et qui a monté tout seul une petite exposition avec quelques objets de collection personnels - et d'ailleurs pas tous de 1914-1918 - et de nombreux fac-similés de documents d'époque tirés de publications récentes, se présentant comme "HISTORIEN" (???) et demandant purement et simplement à ce titre aux gens de lui donner leurs archives familiales et leurs objets personnels - casques, uniformes, matériels, armement, etc, dont, assure-t-il, "il prendra grand soin et fera bon usage" !...)
Je suis assez d'accord avec les écrits de Pierre Assouline : par définition, l'Historien est celui qui a poursuivi des études d'histoire, c'est-à-dire qui a reçu une formation aux techniques et aux méthodes de recherches historiques, sanctionnée par l'attribution d'un diplôme (ce dernier validant les "acquis" intellectuels et méthodologiques). Lorsqu'on est étudiant en histoire, on est en effet non seulement formé - initialement du moins, avant de se spécialiser sur une période précise, qui nécessite l'acquisition de méthodes de recherches spécifiques, la matière historique n'étant pas systématiquement la même selon que l'on soit "antiquaire", "médiéviste" ou historien contemporain et nécessitant ses outils propres pour les déchiffrer et les analyser -, à l'étude des quatre grandes périodes historiques (histoire ancienne, histoire médiévale, histoire moderne et enfin histoire contemporaine), mais on reçoit également un enseignement ou une sensibilisation aux langues vivantes, aux langues anciennes, à la paléographie, à l'archéologie, à l'étude de la démographie historique, aux statistiques, à la géographie et d'autres sciences auxiliaires à l'Histoire. Cette formation intervient lors des quatre premières années de la vie de l'étudiant en Histoire. Fait intéressant : le premier travail d'écriture n'intervient qu'au terme de cette quatrième année de formation et est aujourd'hui sanctionné par l'attribution (ou non) du Master (ce qu'on appelait autrefois la "Maîtrise" d'histoire, qui passait à l'époque par des travaux de recherches, l'écriture d'un "mémoire" de 80-100 pages, et la soutenance devant un jury de professeurs de ce travail de recherches. Il semble avec l'instauration du "Master" que ce travail se soit considérablement complexifié - pour ceux qui en doute, je vous invite à aller vous promener sur les sites internet des facultés d'histoire régionales et à lire un peu les sujets traités. Vous verrez qu'effectivement, et ce n'est pas mépriser qui que ce soit, ce ne sont pas des sujets qui sont à la portée du premier venu)...
Contrairement à une idée reçue, il ne suffit pas d'avoir tout lu, exploré tout ou partie d'un lieu historique et disposer d'une impressionnante collection d'objets ou de documents pour gagner le titre d'Historien... Je rappelle à toutes fins utiles que l'Histoire fait toujours partie de ce que l'on appelle aujourd'hui encore les "Sciences Humaines".
Il existait, au début du XXe siècle, dans les sociétés historiques nées dans la 2e partie du XIXe siècle et qui existent toujours aujourd'hui, un terme très précis pour désigner ce type de personne, qui, en dehors du milieu scientifique et universitaire, effectue des recherches et des travaux historiques, mais sans être titulaire d'aucune qualification sanctionnant une formation spécifique : celui d' "érudit" local. Le nom d' "Historien" qu'on emploie aujourd'hui un peu à tort et à travers et à "toutes les sauces" pour désigner n'importe quel passionné, n'importe quelle personne qui met le nez dans des archives ou se contente même parfois de recopier quelques extraits de livres ou d'historiques pour alimenter une petite exposition dans un petit village, ou qui y présente sa collection de vieilles cartes postales, n'importe quel collectionneur, ainsi que n'importe quelle personne qui fait des recherches, qu'elles soient d'ordre familial, généaologiques ou qu'elles portent sur un aspect plus général (histoire d'un lieu, d'une bataille, d'une catégorie de personne, histoire d'une communauté villageoise, etc), voire n'importe quel amateur d'histoire, a en effet eu tendance à brouiller les cartes et à faire quelque peu tomber en "désuétude" ce terme qui n'a pourtant absolument rien de péjoratif, ni d'humiliant.
Comme le souligne Pierre Assouline et comme l'intervention de Chanteloube le décrit concrètement pour les combats de Lagarde, les méthodes de recherches et de travail de l'Historien sont en effet toutes proches de celle de l'enquête policière, menée par les Officiers de Police Judiciaire (fonctionnaires ou militaires qui, issus de la "base" des policiers et gendarmes - lesquels ont tous reçu la même formation initiale dans les mêmes écoles -, ont ensuite subi une spécialisation et reçu une formation complémentaire pour recevoir des outils et une méthode spécifiques de travail, utilisant de nombreux autres outils et compétences, dont le but est de faire éclater la lumière sur un fait délictuel ou criminel). De la même manière que l'enquête judiciaire, l'enquête historique a de plus en plus souvent recours aux sciences annexes, auxquels l'érudit local ou le simple passionné n'ont pas nécessairement recours (cela demande du temps et surtout d'importants moyens techniques et financiers dont érudits et passionnés ne disposent pas forcément).
Cette mise au point sur les termes effectuée, cela n'enlève absolument rien au travail des érudits que nous appelons aujourd'hui plus communément "historiens" locaux, qui bien souvent, débroussaillent des territoires (parfois au sens propre comme au sens figuré) dont se servent les Historiens (de formation et de profession) pour leurs études globales. Ceux qui ont un jour poussé la porte des facultés d'Histoire et qui s'y sont un peu usé leurs pantalons sur les bancs des amphithéâtres et salles de "TD" savent d'ailleurs que le choix des sujets de "master" comme autrefois de "maîtrise" sont souvent validés par les professeurs, qui deviennent alors "directeurs de recherches" parce qu'ils orientent en effet leurs étudiants dans leurs travaux... Et les sujets choisis par les étudiants, ou à défaut, si les étudiants n'ont pas d'idée précise du sujet sur lequel ils pourraient travailler, qui leur sont suggérés par leur professeur, s'inscrit souvent dans un thème plus global de recherches sur lequel cet enseignant travaille... De sorte que la recherche faite par les étudiants dans le cadre de leurs travaux universitaires alimente elle-même les recherches des professeurs d'Histoire de faculté. Assouline indique bien lui-même que les travaux des historiens locaux sont connus et parfois utilisés par les historiens et chercheurs travaillant au CNRS... Les historiens ne sont donc nullement dans leur petit monde et ne se coupent pas totalement du travail fait en aval, qu'il s'agisse des recherches de leurs étudiants ou de particuliers ou associations qui contribuent souvent à mettre en lumière ce qu'on appelle la "micro-histoire" (celle qui effectivement n'intéresse pas nécessairement au premier chef l'historien qui travaille sur des aspects beaucoup plus généraux, mais dont il se sert pour alimenter son propre discours).
En fait, quels qu'ils soient, et à quel que niveau qu'ils se situent, tous les travaux menés du simple amateur à l'historien professionnel, sont utiles et complémentaires pour faire avancer notre connaissance du passé (qu'il s'agisse de l'étude d'une figure locale ou d'un personnage célèbre, d'un lieu, d'une bataille, ou qu'il s'agisse de recherches plus techniques et scientifiques). Il ne saurait nullement être question d'établir un ordre de valeur, où le travail d'un tel serait meilleur que le travail de tel autre sous prétexte que le premier a le titre et le second pas... Les choses ne fonctionnent pas aussi simplement... Tout travail est utile, pour soi, comme pour les autres, pour faire avancer notre connaissance du passé.
Il n'est pas nécessairement utile d'avoir le titre et les qualifications pour avoir la passion, l'envie de faire vivre le passé, de le faire partager, en mettant sans cesse nos connaissances à jour. Ce forum suffit en lui-même, me semble-t-il, à le prouver.
Cordialement,
Jean-Michel
JMN02
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- Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am
Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
rebonjour,
Je vous suis parfaitement ...
Marc Bloch dans son travail de médiéviste a toujours souligné l'intérêt majeure des monographies locales et leur apport dans la recherche historique, il parlait souvent "des travailleurs", de ceux qui mettent les mains dans la poussière.......
Bien cordialement à tous.
CC
Je vous suis parfaitement ...
Marc Bloch dans son travail de médiéviste a toujours souligné l'intérêt majeure des monographies locales et leur apport dans la recherche historique, il parlait souvent "des travailleurs", de ceux qui mettent les mains dans la poussière.......
Bien cordialement à tous.
CC
Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Bonsoir à tous,
Pour répondre avec un certain temps de retard à Solcarlus, je citerais Serge Barcellini qui donnant une conférence le mois dernier au conservatoire de musique de Saint-Quentin (Aisne) sur "les enjeux mémoriels" et qui s'appuyant sur deux exemples bien d'actualité (le 70e anniversaire du débarquement et de la Libération de la France et le 100e anniversaire de la Grande Guerre), dégageait trois temps dans le processus mémoriel :
1. Le temps du souvenir,
2. Le temps de la mémoire,
3. Le temps de l'Histoire.
Suivant toujours son raisonnement, le temps du souvenir est précisément celui que vous illustrez avec ces périodiques très intéressants (dommage que les vues soient un peu floues) : on est encore au temps où les acteurs du conflit sont présents en grand nombre et où on se remémore entre "gens du front", entre ceux qui ont connu la guerre et qui l'ont faite, ceux qui y étaient et qui en sont revenus, les événements de cette guerre que l'on "privatise", "ceux qui n'y sont pas allés" n'y connaissant forcément rien et n'ayant pas droit à la parole, et par conséquent pas leur mot à dire (les plus anciens d'entre nous ont sans doute des anecdotes au sujet du monde des anciens combattants entre les deux guerres qui avaient seuls le droit de parler de la Grande Guerre, de "leur" guerre)... On est dans le temps des grandes commémorations, des grands pèlerinages d'anciens combattants sur les sites des batailles. Ce souvenir, qui est l'occasion de la publication de nombreux témoignages et de nombreux écrits, s'inscrit aussi dans la pierre : c'est le temps des stèles, des monuments aux morts, de l'art funéraire et du recueillement...
Le deuxième temps que Barcellini distinguait ensuite était donc celui de la mémoire, qui intervient une vingtaine ou une trentaine d'années après les faits : les acteurs de l'événement historique, ici en l'occurrence de la Grande Guerre commencent à vieillir, un certain nombre de camarades décèdent, les Grands Chefs eux-mêmes ont pratiquement tous disparu et commence alors à se poser la question du passage du flambeau à la génération suivante, celle qui n'a pas connu directement la guerre. Cette période de transition qui dure environ, toujours selon Serge Barcellini une trentaine ou une quarantaine d'années, voit encore un certain nombre de cérémonies et de commémorations, mais de moins en moins nombreuses et de plus en plus souvent éclipsées par le souvenir tout récent de la Deuxième Guerre mondiale, de l'occupation, de la résistance et de la déportation... Vient alors le temps de la mémoire familiale qui se prolonge jusqu'au moment où les derniers témoins disparaissent. Les publications sont toujours aussi nombreuses, mais la parole et le discours historique sont encore largement tenus par ces derniers vétérans. Les quelques auteurs qui n'ont pas connu la guerre et qui se hasardent sur ce terrain doivent encore le faire avec une certaine prudence pour ne pas heurter la sensibilité des derniers survivants et de leurs familles. Durant ce temps, la Grande Guerre s'inscrit donc essentiellement à travers les cérémonies commémoratives et la mémoire familiale : on est donc encore bien dans le temps de la mémoire, celle des descendants directs des anciens combattants, où si des auteurs qui n'ont pas fait la guerre écrivent ou prennent la parole, ils doivent donc encore le faire avec retenue et ne doivent pas prendre le contre-pied du discours officiel, qui est encore sacré, et d'ailleurs, une partie de la documentation est encore fermée (c'est particulièrement vrai dans les années Soixante, Soixante-Dix et pratiquement jusqu'au début des années Quatre-Vingt-Dix, où les archives commence alors seulement à s'ouvrir au grand public, bien qu'il faudra encore attendre jusqu'en 2008 pour que tous les journaux des marches et opérations des unités de la Grande Guerre soient directement accessibles à tous sur internet). Et Serge Barcellini de citer en exemple, pour illustrer son propos sur cette prégnance de la mémoire, les cérémonies du 70e anniversaire du débarquement en Normandie de juin dernier, où on a vu, très certainement pour la dernière fois (les grandes cérémonies commémoratives d'Etat de dimension internationale, étant décennales : 1984, 1994, 2004, 2014...) quelques ultimes vétérans, souvent très âgés, présents auprès des grands chefs d'Etat du monde sur les plages normandes, ce qui a suscité une très vive émotion des familles présentes sur place, mais aussi des médias qui se sont littéralement rués sur ces derniers survivants pour tenter d'obtenir quelques bribes de témoignages...
Vient ensuite le dernier temps : celui de l'Histoire, quand il ne reste plus aucun témoin vivant et que la mémoire des anciens combattants s'est étiolée dans les familles, où le souvenir de la Grande Guerre et du grand-père ou de l'arrière-grand-père s'est dissipé avec les nouvelles générations qui n'ont connu ni l'une, ni l'autre des guerres et dont les préoccupations sont désormais ailleurs. En quelque sorte, la transmission directe a été rompue. Dès lors, la Grande Guerre entre pleinement dans l'Histoire, celle-ci n'étant plus portée que par les Historiens qui peuvent enfin relater les faits et les analyser, avec des outils scientifiques, quitte à ébranler les idées reçues et les discours officiels, en s'appuyant sur l'ensemble de la documentation et des témoignages désormais presque entièrement accessibles. La Grande Guerre devient alors un objet d'étude en soi, à part entière, de même que le souvenir et la mémoire eux-mêmes. Nous ne sommes plus non plus dans le temps du souvenir, ni celui de la mémoire, au sens où l'émotionnel et l'affectif ne jouent pratiquement plus aucun rôle, les témoins et leurs descendants directs n'étant plus là. Ainsi libérée de toutes les contraintes mémorielles, émotionnelles et affectives, la Grande Guerre peut ainsi être analysée et décryptée en toute objectivité et en toute impartialité...
Voilà pour le propos de Serge Barcellini sur cette question (propos auquel j'adhère pratiquement entièrement), dans les grandes lignes...
Le document que vous nous présentez s'inscrit donc bien dans cette première phase (celle du souvenir), mais on voit que la préoccupation du devenir de ce souvenir (et donc de la mémoire) est déjà un enjeu, dès les années Vingt ou Trente, alors que les vétérans de la Grande Guerre sont encore très nombreux, ce qui tend à illustrer parfaitement le propos de Serge Barcellini.
Cordialement,
Jean-Michel
Pour répondre avec un certain temps de retard à Solcarlus, je citerais Serge Barcellini qui donnant une conférence le mois dernier au conservatoire de musique de Saint-Quentin (Aisne) sur "les enjeux mémoriels" et qui s'appuyant sur deux exemples bien d'actualité (le 70e anniversaire du débarquement et de la Libération de la France et le 100e anniversaire de la Grande Guerre), dégageait trois temps dans le processus mémoriel :
1. Le temps du souvenir,
2. Le temps de la mémoire,
3. Le temps de l'Histoire.
Suivant toujours son raisonnement, le temps du souvenir est précisément celui que vous illustrez avec ces périodiques très intéressants (dommage que les vues soient un peu floues) : on est encore au temps où les acteurs du conflit sont présents en grand nombre et où on se remémore entre "gens du front", entre ceux qui ont connu la guerre et qui l'ont faite, ceux qui y étaient et qui en sont revenus, les événements de cette guerre que l'on "privatise", "ceux qui n'y sont pas allés" n'y connaissant forcément rien et n'ayant pas droit à la parole, et par conséquent pas leur mot à dire (les plus anciens d'entre nous ont sans doute des anecdotes au sujet du monde des anciens combattants entre les deux guerres qui avaient seuls le droit de parler de la Grande Guerre, de "leur" guerre)... On est dans le temps des grandes commémorations, des grands pèlerinages d'anciens combattants sur les sites des batailles. Ce souvenir, qui est l'occasion de la publication de nombreux témoignages et de nombreux écrits, s'inscrit aussi dans la pierre : c'est le temps des stèles, des monuments aux morts, de l'art funéraire et du recueillement...
Le deuxième temps que Barcellini distinguait ensuite était donc celui de la mémoire, qui intervient une vingtaine ou une trentaine d'années après les faits : les acteurs de l'événement historique, ici en l'occurrence de la Grande Guerre commencent à vieillir, un certain nombre de camarades décèdent, les Grands Chefs eux-mêmes ont pratiquement tous disparu et commence alors à se poser la question du passage du flambeau à la génération suivante, celle qui n'a pas connu directement la guerre. Cette période de transition qui dure environ, toujours selon Serge Barcellini une trentaine ou une quarantaine d'années, voit encore un certain nombre de cérémonies et de commémorations, mais de moins en moins nombreuses et de plus en plus souvent éclipsées par le souvenir tout récent de la Deuxième Guerre mondiale, de l'occupation, de la résistance et de la déportation... Vient alors le temps de la mémoire familiale qui se prolonge jusqu'au moment où les derniers témoins disparaissent. Les publications sont toujours aussi nombreuses, mais la parole et le discours historique sont encore largement tenus par ces derniers vétérans. Les quelques auteurs qui n'ont pas connu la guerre et qui se hasardent sur ce terrain doivent encore le faire avec une certaine prudence pour ne pas heurter la sensibilité des derniers survivants et de leurs familles. Durant ce temps, la Grande Guerre s'inscrit donc essentiellement à travers les cérémonies commémoratives et la mémoire familiale : on est donc encore bien dans le temps de la mémoire, celle des descendants directs des anciens combattants, où si des auteurs qui n'ont pas fait la guerre écrivent ou prennent la parole, ils doivent donc encore le faire avec retenue et ne doivent pas prendre le contre-pied du discours officiel, qui est encore sacré, et d'ailleurs, une partie de la documentation est encore fermée (c'est particulièrement vrai dans les années Soixante, Soixante-Dix et pratiquement jusqu'au début des années Quatre-Vingt-Dix, où les archives commence alors seulement à s'ouvrir au grand public, bien qu'il faudra encore attendre jusqu'en 2008 pour que tous les journaux des marches et opérations des unités de la Grande Guerre soient directement accessibles à tous sur internet). Et Serge Barcellini de citer en exemple, pour illustrer son propos sur cette prégnance de la mémoire, les cérémonies du 70e anniversaire du débarquement en Normandie de juin dernier, où on a vu, très certainement pour la dernière fois (les grandes cérémonies commémoratives d'Etat de dimension internationale, étant décennales : 1984, 1994, 2004, 2014...) quelques ultimes vétérans, souvent très âgés, présents auprès des grands chefs d'Etat du monde sur les plages normandes, ce qui a suscité une très vive émotion des familles présentes sur place, mais aussi des médias qui se sont littéralement rués sur ces derniers survivants pour tenter d'obtenir quelques bribes de témoignages...
Vient ensuite le dernier temps : celui de l'Histoire, quand il ne reste plus aucun témoin vivant et que la mémoire des anciens combattants s'est étiolée dans les familles, où le souvenir de la Grande Guerre et du grand-père ou de l'arrière-grand-père s'est dissipé avec les nouvelles générations qui n'ont connu ni l'une, ni l'autre des guerres et dont les préoccupations sont désormais ailleurs. En quelque sorte, la transmission directe a été rompue. Dès lors, la Grande Guerre entre pleinement dans l'Histoire, celle-ci n'étant plus portée que par les Historiens qui peuvent enfin relater les faits et les analyser, avec des outils scientifiques, quitte à ébranler les idées reçues et les discours officiels, en s'appuyant sur l'ensemble de la documentation et des témoignages désormais presque entièrement accessibles. La Grande Guerre devient alors un objet d'étude en soi, à part entière, de même que le souvenir et la mémoire eux-mêmes. Nous ne sommes plus non plus dans le temps du souvenir, ni celui de la mémoire, au sens où l'émotionnel et l'affectif ne jouent pratiquement plus aucun rôle, les témoins et leurs descendants directs n'étant plus là. Ainsi libérée de toutes les contraintes mémorielles, émotionnelles et affectives, la Grande Guerre peut ainsi être analysée et décryptée en toute objectivité et en toute impartialité...
Voilà pour le propos de Serge Barcellini sur cette question (propos auquel j'adhère pratiquement entièrement), dans les grandes lignes...
Le document que vous nous présentez s'inscrit donc bien dans cette première phase (celle du souvenir), mais on voit que la préoccupation du devenir de ce souvenir (et donc de la mémoire) est déjà un enjeu, dès les années Vingt ou Trente, alors que les vétérans de la Grande Guerre sont encore très nombreux, ce qui tend à illustrer parfaitement le propos de Serge Barcellini.
Cordialement,
Jean-Michel
JMN02
Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Bonjour Jean-Michel.
Il doit y avoir une erreur sur la personne, je n'ai pas posté de document.
Cdlt solcarlus.
Il doit y avoir une erreur sur la personne, je n'ai pas posté de document.
Cdlt solcarlus.
Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Bonsoir Solcarlus,
En effet, vous avez tout à fait raison : il s'agissait de Troyon...
Nous mettrons cette petite erreur sur le compte de l'heure tardive de rédaction...
Cordialement,
Jean-Michel
En effet, vous avez tout à fait raison : il s'agissait de Troyon...
Nous mettrons cette petite erreur sur le compte de l'heure tardive de rédaction...
Cordialement,
Jean-Michel
JMN02
Re: La Mission du centenaire 14-18 prolongée mais réduite
Qui ne restera pas dans l'histoire...
cette petite erreur ...

Cdlt solcarlus.