Bonjour à tous,
Complément sur le naufrage du 26 Mai 1918
Déposition du 3e mécanicien Henri BERTREUX
J’étais à côté de l’escarbilleur avec le 1er mécanicien quand l’explosion s’est produite. Nous avons été renversés par la violence de l’explosion et une gerbe d’eau mélangée de charbon et de débris s’est abattue sur nous. La machine était complètement démolie et envahie de vapeur à haute température.
Voyant qu’il n’y avait plus rien à faire, je me suis dirigé vers mon canot et l’ai fait amener sur ordre du second capitaine. J’ai embarqué dedans et poussé quand elle fut pleine. Recueilli par LA DEDAIGNEUSE.
Déposition du radio télégraphiste Alexis LE GUILLOU.
J’étais de quart au moment de l’explosion. La cabine fut secouée et la lumière s’éteignit. Je mis immédiatement le poste sur les accumulateurs, mais ne pus arriver à transmettre. En allumant une petite lampe à pétrole, je constatai que certaines connexions avaient sauté. Je réparai aussitôt et, ne pouvant transmettre, je cherchai s’il y avait quelque chose du côté des accumulateurs. Je constatai qu’ils étaient avariés. Sortant de la cabine, je remarquai que les trois antennes étaient cassées. Je me rendis sur la passerelle pour expliquer les faits au commandant et me mettre à sa disposition.
Le commandant, qui savait que le SOS serait transmis par le convoi, m’envoya donner la main à la manœuvre à l’avant. Je rejoignis le lieutenant et, après de multiples difficultés pour aller de la passerelle au gaillard, je commandai à une soixantaine de soldats de mettre deux radeaux à l’eau. C’étaient les deux derniers qui étaient restés à plat sur le pont.
Je prêtai ensuite la main à l’accostage de PIQUE où tout le monde embarqua aussitôt à l’exception de 2 blessés.
Rapport de l’officier enquêteur, Capitaine de Corvette MOREAU
Le 26 Mai 1918 vers 20h00, LE GARD se trouvant à son poste venait de réparer une avarie de condenseur qui avait réduit pendant plus d’une heure la vitesse du convoi de 10 à 6 nœuds. Une très violente explosion s’est produite à bâbord, par le travers des chaufferies, renversant les gens de service sur la passerelle. De forts jets de vapeur ont ébouillanté le personnel des chaufferies, les canonniers logés au dessus des chaufferies sous le château central, et le personnel occupé dans les coursives voisines. Une torpille lancée de bâbord avait manqué de peu ALSACE, placé à ce moment par la phase de zigzag n° 3 à 30° bâbord sur l’avant de LE GARD. Elle avait provoqué l’explosion ou la déchirure des chaudières. Brèche de 10 m dans la muraille bâbord, à 3 m sous la flottaison.
Une très forte voie d’eau s’est produite et le bâtiment, très abimé à bâbord dans sa partie milieu, s’est couché sur tribord. Les deux canots de bâbord étaient brisés et les garants de ceux de tribord volaient en l’air, ne formant plus qu’un paquet. Toutes les machines du bord ont stoppé et le commandant a fait mettre aux postes d’évacuation, et a fait amener à tribord tous les engins de sauvetage disponibles. Malheureusement, ceux placés à même le pont n’étaient pas munis de bosses ou de faux bras et dès leur mise à l’eau s’éloignaient du navire sans être complet.
L’équipage a gardé calme et belle humeur et grâce à PIQUE, qui a accosté LE GARD d’abord à l’avant où un groupe important restait avec peu de moyens de sauvetage, puis à l’arrière où un autre groupe plus important séjournait encore, tout le personnel encore à bord a pu être sauvé.
De son côté, DEDAIGNEUSE a recueilli 135 personnes.
Le commandant n’a pu sauver les papiers confidentiels.
A 21h30, LE GARD s’est plié en deux, le pont formant charnière, et a coulé. ALSACE était venu sur bâbord, cherchant à éperonner le sous-marin puis s’est éloigné à toute vitesse.
Position de l’attaque et du naufrage : 38°18 N 03°34 W
Voici la position des navires lors de l’attaque.
Rapport de l’officier AMBC
Au moment de l’explosion la veille était assurée par le breveté Salaun et l’aide canonnier Bernard, l’un devant et l’autre derrière. Les veilleurs ne firent pas attention à l’embardée de l'ALSACE qui correspondait à un changement de route régulier. Le choc de l’explosion a sans doute projeté à la mer l’aide canonnier Bernard. L’aide canonnier Le Bihan a été ébouillanté dans la coursive alors qu’il rejoignait sa cabine après sa garde. Il est mort quelques heures plus tard sur PIQUE. L’aide canonnier Moulier a probablement été tué dans sa cabine.
Le breveté Salaun a été projeté par l’explosion de la plateforme sur le gaillard.
Le QM Cabot, chef de section s’est précipité à la pièce arrière où il a été rejoint par le breveté Gressine. Ils ont gardé leur sang froid, se tenant prêts à tirer, puis ont donné la main à la manœuvre.
Rapport du commandant de PIQUE, Lieutenant de Vaisseau GUIRAUD
Le convoi des vapeurs LE GARD et ALSACE, escortés par le torpilleur d’escadre PIQUE, chef d’escorte, et les canonnières DEDAIGNEUSE et CURIEUSE avait quitté Marseille le 25 Mai à 08h30 à destination d’Alger.
A 20h20, le sous-marin a attaqué par bâbord. Il était du côté de la lune, dans de mauvaises conditions. La torpille destinée à ALSACE est passée sous l’avant de ce bâtiment et est venu frapper en plein milieu LE GARD.
Au moment de l’explosion, j’étais assis dans l’abri de navigation sur la passerelle. J’ai appelé aux postes d’alerte et suis venu en grand sur la gauche, en mettant avant toute vers LE GARD. Je n’avais pas vu de sillage et LE GARD continuait à avancer. Je ne savais si c’était une explosion de chaudière ou de torpille. Explorant la mer quelques secondes avec notre projecteur, j’ai aperçu une tache blanchâtre couverte de débris et entendu des cris. J’ai déposé toutes mes embarcations et le grand radeau en donnant l’ordre de sauver les gens et de rallier vers LE GARD. Tout en cherchant le sous-marin, je me suis rapproché de LE GARD. J’ai sauvé des passagers embarqués sur les radeaux. L’inclinaison du navire et le nombre considérable d’hommes encore à bord m’a fait abandonner la recherche du sous-marin et j’ai décidé d’accoster LE GARD. L’arrière était très encombré et l’accostage en venant de l’avant impossible. Je suis venu en arrière et j’ai placé mon arrière à hauteur de la passerelle. Tous les passagers de l’avant ont embarqué de plein pied, le liston du GARD se trouvant à hauteur de notre pont. Puis battant 2 tours en arrière, j’ai culé légèrement pour engager mon arrière sous la passerelle du GARD. J’ai alors embarqué les passagers de l’arrière qui sont descendus du château milieu sur nos rails de lancement de grenades.
Le commandant du GARD a évacué son bâtiment le dernier après avoir fait une ronde pour s’assurer qu’il ne restait personne à bord. Le transbordement s’est fait rapidement et dans le plus grand calme. Nous avons embarqué 6 blessés et environ 220 hommes qui n’avaient pu prendre passage sur les radeaux. L’équipage du GARD s’est très bien comporté.
A 21h10, largué LE GARD et accosté divers radeaux pour embarquer leurs passagers. Notre vergue, engagée sous la passerelle du GARD s’est cassée. Je n’ai pas appareillé en faisant avant, craignant d’engager les grenades.
21h25, hissé les embarcations.
21h30, LE GARD coule en se cassant en deux et en se fermant comme un livre. Je me rapproche de DEDAIGNAUSE qui me dit qu’elle a sauvé 170 rescapés. Ronde avec elle autour des débris. PIQUE étant le navire le plus rapide, et très encombré, je décide de rallier ALSACE.
22h07, route sur Alger après avoir donné l’ordre à DEDAIGNEUSE de patrouiller pendant une heure sur les lieux.
22h10 Aperçu CURIEUSE qui a entendu notre SOS et rallie. CURIEUSE était très en avant de son poste, suite à l’avarie de condenseur du GARD, qui avait diminué la vitesse du convoi.
27 Mai à 03h45, aperçu ALSACE et pris poste dans ses eaux.
A 04h35, entré dans le port d’Alger et amarré à l’appontement de la Compagnie Générale Transatlantique. Les soldats sont contrôlés et identifiés par le second capitaine et le capitaine d’armes. Mais un employé de la Transat ayant crié que l’appontement allait chavirer, les portes furent ouvertes en grand et, malgré le personnel du bord, beaucoup de soldats permissionnaires se sont échappés. On n’a pu identifier que 250 hommes qui se sont finalement présentés à la caserne des isolés. Or le capitaine d’armes avait compté 268 hommes sur le pont, dans les chaufferies et dans les postes équipage. De plus il y avait 6 blessés dans mes appartements, et 12 officiers ainsi qu’une femme et sa fille dans les appartements des officiers.
J’estime que nous avons eu à bord entre 280 et 290 rescapés, chiffre que confirme le nombre de brassières de sauvetage laissées à bord, soit 269.
Nous avons enregistré à bord les décès de :
- LE BIHAN matelot canonnier du GARD le 27 Mai à 00h00
- BOURRAT matelot électricien du GARD le 27 Mai à 00h20
J’ai été très satisfait de la conduite de tous les officiers, officiers mariniers et de l’équipage de PIQUE. Je signale tout particulièrement :
- Mr BORDE, officier en second (manœuvres de sauvetage, installation à bord des rescapés
- COSTE, QM infirmier, qui bien que malade et alité depuis Marseille, s’est dévoué en pansant et apportant tous ses soins aux 6 blessés, dont 4 très grièvement brûlés,
- jusqu’à l’arrivée à Alger.
Je signale aussi l’attitude très digne du commandant de LE GARD. Le sang froid dont il a fait preuve a été très apprécié et son équipage nous a apporté le concours le plus précieux.
Rapport de la commission d’enquête
Elle précise que les deux vapeurs, LE GARD et ALSACE, devaient naviguer en ligne de front à 500 m l’un de l’autre, éclairés à 6 milles en avant par CURIEUSE, protégés par PIQUE à tribord et DEDAIGNEUSE à bâbord. Vitesse 10 nœuds et zigzags du diagramme n° 3.
Un avis de guerre envoyé de Toulon signalait la présence d’un sous-marin par 38°29 N et 00°39 W le 25, soit 140 milles du lieu de l’attaque. Mais ce renseignement vieux et trop indéterminé sur la position du sous-marin ne justifiait pas un déroutement.
La vitesse du convoi avait été réduite à 6 nœuds suite à une avarie de condenseur sur LE GARD. La torpille fut aperçue par ALSACE à 100 m sur son bâbord et passa sous son brion pour aller frapper LE GARD par le travers bâbord des chaufferies. ALSACE fit à gauche toute pour éviter une éventuelle 2e torpille et pour tenter d’éperonner le sous-marin puis s’éloigna à toute vitesse, en zigzags, vers Alger.
Malgré la réussite de son lancement, le sous-marin a dû être surpris par les deux changements de route sur la gauche de 20h05 et de 20h10, car il était du côté de la lune et dans de mauvaises conditions. Il a sans doute attendu que les deux bâtiments présentent un profil de muraille continue, l’un faisant suite à l’autre, sa torpille ayant alors deux fois plus de chance d’atteindre une cible que si celle-ci avait été unique.
On dit que la perte du navire est due à une explosion de chaudière et non de torpille. En fait, l’explosion des chaudières a suivi d’une seconde celle de la torpille et c’est d‘ailleurs ce qui a principalement causé la perte du personnel disparu.
La mise à l’eau des engins de sauvetage s’est faite avec beaucoup de calme et sans panique. On a même dû intervenir à plusieurs reprises pour écarter des passagers qui regardaient les opérations accoudés à la lisse, comme si le sauvetage ne les concernait pas…Ce fut difficile à cause de la bande qui atteignait 25° et des effets de l’explosion qui avait chaviré les filins et rendait impossible les communications. Les deux canots tribord, bien qu’avariés, furent mis à l’eau ainsi qu’un certain nombre de flotteurs qui, n’ayant pas de faux bras, partirent à la dérive et furent l’occasion de divers actes grand courage.
Au moment de l’explosion, PIQUE appela aux postes d’alerte et mit le cap sur LE GARD, explorant la mer avec son projecteur à la recherche du sous-marin. Voyant une tache blanche derrière LE GARD, elle rallia ce point et recueillit des rescapés tout en continuant la recherche du sous-marin. Puis, dans une manœuvre périlleuse, voyant que LE GARD menaçait de couler avec beaucoup de personnel à son bord, elle se décida à l’accoster à l’avant, puis à l’arrière, sauvant ainsi une centaine d’hommes. LE GARD coula 20 minutes plus tard.
Le commandant, son second et le commandant d’armes embarquèrent les derniers sur PIQUE, après avoir fait une ronde pour s’assurer qu’il ne restait à bord personne de vivant.
PIQUE a sauvé 290 personnes, tant sur les radeaux qu’à bord, et DEDAIGNEUSE 135. On regrette 9 disparus et 7 morts parmi l’équipage. Tous les passagers civils (11) ont été sauvés.
Le sous-marin est certainement celui qui a ensuite torpillé le 27 Mai à 01h00 du matin l’UGANDA.
La commission estime que le capitaine REYNAUD de TRETS n’a pas démérité, qu’il n’est pas responsable de la perte de son bâtiment et qu’il reste apte à commander.
Récompenses LE GARD
Citation à l’Ordre de la Division
REYNAUD DE TRETS Capitaine au Long Cours. Commandant
A montré le plus grand calme et sang froid après le torpillage. A dirigé avec succès l’évacuation de son bâtiment et n’a quitté le bord qu’après s’être assuré que toute personne vivante était embarquée.
Citation à l’Ordre de la Brigade
HEURTEL Henri Capitaine au Long Cours 2e capitaine
A efficacement secondé son commandant et a dirigé énergiquement le personnel pour la mise à l’eau des engins de sauvetage.
REGIS Matelot
A fait preuve de courage et de dévouement dans la mise à l’eau des engins de sauvetage et dans le sauvetage des passagers.
DIGUET Mousse
Malgré son très jeune âge, a refusé de se rendre sur un radeau et a coopéré efficacement au sauvetage et à la mise à l’eau des engins de sauvetage. A sauvé deux enfants.
C’est le 2e torpillage auquel est confronté ce jeune mousse.
LE GUILLOU Alexis Télégraphiste
N’a quitté son poste qu’après s’être assuré dans tous les détails qu’il n’y avait plus moyen d’en tirer parti. Sur ordre du commandant, a pris la direction du gaillard d’avant. A montré une vive énergie et du sang froid en rassemblent les soldats et en leur commandant la mise à l’eau d’engins. A fait ensuite appel au personnel de PIQUE pour évacuer deux blessés.
Témoignage de satisfaction
LEMERLE Charles Lieutenant
LEROUX François Matelot
Ont fait preuve de dévouement et de courage lors du sauvetage
Vapeur LE GARD
Pour le calme de l’équipage et le dévouement montré par lui pendant l’évacuation du navire après torpillage.
Récompenses PIQUE
Citation à l’Ordre de l’Armée
GUIRAUD Lieutenant de Vaisseau
A montré les plus grandes qualités de sang froid, de courage de dévouement et de sens manœuvrier lors du torpillage du GARD.
Malgré le danger et les difficultés que présentait l’opération, n’a pas hésité à accoster LE GARD pour évacuer les passagers restés à bord, dont une partie, sans cette manœuvre audacieuse, se serait vraisemblablement noyée. Le bâtiment a coulé 30 minutes après l’évacuation.
Témoignage de satisfaction
BORDE Enseigne de Vaisseau
Pour le dévouement et le secours très précieux apporté dans la manœuvre de sauvetage du personnel du GARD et dans l’installation à bord des rescapés.
COSTE Quartier maître infirmier
Quoique atteint de fièvre et alité depuis Marseille, a pansé et soigné les blessés, dont 4 brûlés très grièvement.
Equipage de PIQUE
Pour le calme, l’initiative et le sang froid qu’il a montrés à l’occasion du sauvetage du personnel de LE GARD
Autre personnel
Citation à l’Ordre de la Brigade
GUEBERON Commandant d’Armes capitaine au 94e BTS
A dirigé l’évacuation des personnels du GARD avec le plus grand sang froid. A quitté le bord en dernier avec le commandant.
Citation à l’ordre du Régiment
MEDAF Tirailleur. Dépôt du 3e régiment
S’est jeté à la mer pour ramener le long du bord du vapeur torpillé un radeau sur lequel on a pu placer une femme, deux fillettes et plusieurs passagers.
MICALLEF Charles 1ère section de chemin de fer. Réseau Est/ Meurthe et Moselle En permission 8 rue Montaigne à Alger
ANTONINI Alfred 118e section auto 17e autoripart. 4e parc Zona di Guerra Italia. En permission au Nouvel Ambert à Hussein dey
Ont plongé à plusieurs reprises et se sont plusieurs fois jetés à l’eau, ramenant des passagers sur les radeaux. Ont tenté, par leur entrain et leurs plaisanteries, de remonter le moral des passagers.
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