Bonjour à tous,
Un complément sur le torpillage de l’ITALIA.
Rapport d’enquête
ITALIA a quitté Tarente le 29 Mai 1917 à 13h00 et, après escale à Gallipoli (nota : le port du sud de l’Italie), faisait route directe sur Corfou à 11 nœuds, vitesse que l’état de sa machine ne lui permettait pas de dépasser. Il était armé de 4 pièces.
A 20h00, un message de Tarente signala la présence d’un sous-marin dans la zone où il se trouvait.
Le lieutenant de vaisseau Golay, commandant, inscrivit sur le cahier de consignes les indications suivantes :
“ Route au N75E. Veille très attentive. Me prévenir de tout incident et de l’approche de tout navire suspect. Au petit jour, mettre les embarcations en dehors et les échelles sur les lisses.”
Chaque homme d’équipage avait une ceinture individuelle. Chaque passager avait reçu une ceinture. 60 ceintures étaient disposées sur les lisses et rambardes. Le reste des ceintures était dans deux coffres ouverts sur le pont arrière.
A 04h15 le 30 Mai, l’aspirant de quart Marchessaux aperçut un périscope à environ 400 m sur tribord arrière et donna l’alerte. L’officier de quart, l’EV1 Favre, second du navire, mit la barre toute à gauche et ordonna aux machines “ Tribord stop, bâbord arrière toute”.
L’explosion de la torpille eut lieu quelques secondes plus tard par le travers de la passerelle sur laquelle le commandant venait d’arriver. La situation parut aussitôt désespérée et il chercha à casser l’erre.
L’officier mécanicien de quart, Monsieur Fondacci, exécuta les ordres reçus, Td stop et Bd AR toute. Percevant l’arrivée d’eau dans la chaufferie, il fit évacuer son personnel et stoppa de lui-même les deux machines. Le bâtiment s’enfonça rapidement et prit une légère gite sur bâbord. Puis il piqua du nez et disparut en trois minutes selon l’EV1 Versbecke qui consulta sa montre.
Voici les phases de sa disparition.
La pièce de 65 arrière tira deux coups sur le périscope, le premier juste avant l’explosion de la torpille, le second quand la gerbe d’eau retombée permit au pointeur de voir à nouveau le périscope. L’inclinaison du navire ne permit pas le pointage de la pièce pour un 3e coup.
La pièce de 47 tribord avant avait été renversée. La pièce de 65 avant s’était enfoncée dans le pont.
Le poste avant était ravagé. Les panneaux de la cale avant et les parois du salon des premières étaient défoncés. Le signal de détresse n’a pu être envoyé faute de courant. Le poste de secours n’était pas en état de fonctionner en raison du mauvais état des accus.
Les 4 embarcations, débordées quatre heures avant le torpillage, furent aussitôt amenées, ainsi que les radeaux. Une des embarcations chavira, l’un de ses garants s’étant engagé. Le personnel prit place dans les canots ou sur les radeaux, ou se jeta à l’eau et se réfugia sur des épaves flottantes.
Les passagers de 1ère tribord et les officiers logés à tribord (EV1 Chevalon, aspirants Rochas et Pommier) ont probablement été tués par l’explosion.
Des deux passagères, l’une ne fut plus revue; l’autre apparut au sabord du salon des 1ère ou l’EV Versbecke s’efforça de la hisser. Mais l’eau qui s’engouffra soudain par le sabord rendit le sauvetage impossible. Les deux enfants qui étaient à bord avaient été hissés par l’EV Versbecke. Mais ils disparurent par la suite, tandis qu’il tentait de sauver la passagère.
Le commandant encouragea ses hommes jusqu’au dernier moment. Puis il se jeta à l’eau. Il a disparu quand le navire a coulé.
Les embarcations se sont dirigées vers la terre à l’aviron. Elles ont été aperçues par les avions de Corfou. Vers 11h00, deux chalutiers anglais (dont le drifter L5 qui remit les naufragés au contre-torpilleur MECANICIEN PRINCIPAL LESTIN) et les deux vedettes françaises V9 et V10 les recueillirent et les ramenèrent à Corfou.
Les documents secrets, enfermés dans le coffre du commandant, ainsi que les codes TSF n’ont pu surnager. Un document portant la mention “confidentiel” (code de signaux) a été aperçu flottant sur l’eau par le quartier maître de timonerie Le Navennec, qui nageait à ce moment-là. Il a pris le document et l’a déchiré.
Il est peu probable que le sous-marin ait pu revenir à temps pour prendre des documents flottant encore.
L’attitude de l’état-major et de l’équipage a été digne des traditions de la Marine française. Pas de panique et diverses manœuvres effectuées avec calme. Les officiers de quart ont montré beaucoup d’esprit de décision.
En revanche, les passagers italiens n’ont montré ni calme, ni courage. C’est ainsi que dans une embarcation où ils n’étaient que 15, ils ont refusé de venir au secours des naufragés dans l’eau et des blessés malgré les appels d’un autre canot surchargé.
Le sous-marin attaquant
Quand ITALIA eut disparu, le sous-marin émergea et fit le tour des embarcations et des radeaux. Son commandant a interrogé en italien (il parlait un excellent italien) les occupants d’un canot, demandant qui était le capitaine, ainsi que nom, nationalité, chargement et tonnage du navire.
On lui a répondu que le capitaine avait disparu, qu’il s’agissait du courrier postal français ITALIA, 1040 tx, chargé de foin. Il a paru très déçu. Mais son attitude fut correcte. Il a demandé si l’ITALIA avait envoyé un SOS. Sur la réponse négative, il a demandé si l’on voulait qu’il en envoie un lui-même. On lui a répondu que non.
Le sous-marin était de taille moyenne avec un pont très dégagé et l’avant légèrement relevé.
Il portait un canon court et une mitrailleuse. Peint en gris clair.
Filière entre le sommet du kiosque et les deux extrémités.
Globe de verre sur l’avant du kiosque dont la fonction n’est pas connue.
Voici deux dessins de ce sous-marin, effectués par des rescapés.
(Nota : Il s’agissait donc du KUK U4, autrichien, du LSL Rudolf SINGULE.)
Liste des disparus
Rectificatif à la fiche ci-dessus : le matelot décédé à l'Achilleion est le matelot fusilier Le Nen, et non Oliva
Propositions de récompenses
LV GOLAY Jean Commandant
Avait pris des mesures judicieuses qui ont permis de sauver une grande partie du personnel. A entretenu dans l’armement de ses pièces un esprit militaire qui a permis de canonner le sous-marin avec la seule pièce disponible. A disparu avec son bâtiment.
EV1 FAVRE Second
A manœuvré avec calme et décision. A contribué à la bonne organisation qui a permis de sauver une grande partie du personnel.
EV1 VERSBECKE
A fait preuve d’un très grand courage pour tenter de sauver une femme et deux enfants. S’est jeté à l’eau au tout dernier moment.
EV1 CHEVALON
A disparu avec le navire. Avant de quitter son quart, avait désigné deux hommes pour s’occuper des femmes et des enfants.
Mécanicien de 2e classe FONDACCI
N’a quitté la machine qu’après avoir exécuté les ordres et évacué son personnel.
Mécanicien de 1ère classe REYNAUD et mécanicien de 2e classe ROSELLI
Ont quitté le bord au dernier moment après avoir dirigé avec calme le sauvetage du personnel. Se sont ensuite occupés des blessés, sur les radeaux, avec le plus grand dévouement.
Canonnier breveté DALMASSO
A fait feu sur le sous-marin avec la pièce de 65 avec une initiative et un sang froid digne des plus grands éloges. N’a cessé de tirer que lorsque l’inclination du navire l’a empêché de pointer sa pièce.
Fusiliers breveté CLOAREC et LUCAS
Ont servi leur pièce jusqu’à ce qu’il soit impossible de tirer.
QM timonier LE NAVENNEC
A secouru, à la nage, avec beaucoup de courage et de sang froid, un matelot gravement blessé. A montré de la conscience professionnelle en détruisant un document confidentiel flottant.
Fusilier breveté LE NEN
Très gravement blessé, a montré la plus grande énergie. Dès qu’il fut recueilli, après avoir séjourné longtemps dans l’eau avec une grave plaie, et bien que très faible, a aussitôt demandé des nouvelles de ses camarades. Est décédé à l’hôpital de l’Achilleion des suite de sa blessure.
Nota :
Il semble y avoir eu par la suite une petite polémique concernant l’aspirant Marchessaux qui en 1919 fut proposé pour la Légion d’Honneur “ étant mourant suite à une grave blessure reçue lors du torpillage”.
L’EV1 FAVRE, second de l’ITALIA, s’étonna, par la voie hiérarchique, de cette proposition concernant son ancien subordonné. Il n’avait aucun souvenir que Marchessaux ait été blessé lors du torpillage. Le chef mécanicien Reynaud non plus. L’aspirant avait ensuite été affecté 4 mois sur le JEAN BART, puis 4 mois sur le torpilleur SENEGALAIS. Si blessure il y avait eu, elle n’avait pas du être si grave...
Une enquête fut diligentée, mais aucune conclusion ne figure aux archives et Marchessaux reçut bien la Légion d’Honneur au 1er Janvier 1921. Il semblerait d’ailleurs qu’il soit décédé assez jeune.
En réalité, l’aspirant Marchessaux avait été victime d’une luxation de la colonne vertébrale qui, plus tard, occasionna sans doute des lésions vertébrales. Il fut en tous cas mis en non activité en Février 1920 pour infirmité temporaire.
Autres documents
En Juin 1917, le Ministre de la Marine écrit au père du lieutenant de vaisseau Golay :
“ J’ai le regret de vous faire connaître qu’aucun renseignement ne m’est parvenu à ce jour sur le lieutenant de vaisseau Golay, votre fils, disparu en mer en accomplissant son devoir.
Veuillez croire à la part très vive que je prends au malheur qui vous frappe.”
En Avril 1957, le Ministre des Anciens Combattants demande au Service Historique de la Marine :
“Je vous serai reconnaissant de me faire connaitre si le corps du lieutenant de vaisseau Golay, disparu en mer le 30 Mai 1917 lors du naufrage de l’ITALIA a été retrouvé et, dans l’affirmative, m’indiquer le lieu d’inhumation.
Indiquez-moi, par la même occasion, si d’autres marins de cet équipage n’auraient pas été inhumés comme inconnus.”
Aucune réponse ne figure dans les archives.
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