Bonjour à Toutes et Tous,
- Le 22 août 1914 s'achève: c'est la décompression nerveuse après une journée épuisante de combat!
« (…) Obéissants, accroupis sur le sol, tous attendirent à nouveau. J’étais moi-même déjà si faible pour pouvoir m’intéresser à l’appel de l’eau. La dernière émotion, celle avec la cavalerie, m’avait passablement épuisée. J’étais assis indifférent avec les yeux fixes et la bouche palpitante sur mon siège de pointeur, la tête appuyée au télescope et j’étais aux écoutes. J’attendais quelque chose.
Ce n’étaient pas à ce moment des envies de manger et de boire, c’étaient plutôt en moi un acompte sourd et une touche musicale, une quête d’une réponse satisfaisante à une centaine de questions secrètes qui martyrisaient mon cerveau. Nous avions accomplis des actes (réalisations) qui seraient peut-être une fois reconnus après des années. Le fait que j’avais rendu inoffensif la mitrailleuse dans le clocher de l’église, était à attribuer, finalement, en premier lieu à l’attention du capitaine. Le destin favorable avait ainsi tenu la main au bon moment à beaucoup de fantassins du 51e IR. Peut-être sont-ils tous tombés l’après-midi ceux qui ont été préservés de la chute dans la matinée ? Seul Dieu le sait. Nous étions redevables du bombardement collectif de la batterie ennemie sur le pont près de Mesnil (Ndlr : Breuvanne) à l’attention du canonnier-pointeur de notre 4e pièce. Quel dégât cette batterie aurait-elle peut-être pu occasionner à notre division toute entière si elle avait pu s’en échapper ? Et le galop à travers Tintigny en feu ! N’était-il pas un chef d’œuvre de l’aptitude à conduire ? La batterie peut être fière de cela. Chapeau bas à nos conducteurs et à leurs pupilles: les chevaux ! Toutes les courses de chars de l’Antiquité pâlirent devant cette course.
Ces expériences et impressions, pas encore ternies ou altérées, tourbillonnaient dans ma tête. Elles ne me laissaient pas considérer mon palais sec. Et après tous les dangers, la batterie n’avait aucune perte ! Etait-ce donc possible ?
Là, j’éprouvai pour la première fois dans ma vie un savoir, qui se grava si profondément: tout est détermination dans la vie. Chacun a son chemin de vie prédestiné, isolément. Aujourd’hui, la mission était revenue à notre batterie d’être séparée de la troupe par des circonstances singulières, pour lutter seule, afin qu’elle devienne (comme) beaucoup d’autres, selon la sentence de leur destin, sous la protection ou sous la fatalité.
Je regrettai à l’instant que l’un de nous, qui était encore plus frais, commença à chanter : « Maintenant remercions tous Dieu ! ». D’une telle disposition, les gens devaient avoir chanté, avec la dernière force, cette chanson lors de batailles précédentes. N’y avait-il plus aujourd’hui un peu de cela (etwas) ? Etions-nous simplement trop fatigués ou dérangés par les appels et les commandements des troupes marchant sur la rue ?
Et dans le sentiment, que la nuit doit interrompre toutes les hostilités, que le calme doit se présenter, l’un après l’autre se laissait choir à côté de sa pièce. Dans la respiration profonde et épuisée des camarades, se mêlait ici de la rue le bruit ferraillant des roues de colonnes s’éloignant. A moitié à droite de nous, le ciel s’éclairait sanglant et rouge : de nouvelles flammes s’élevaient toujours par-dessus Tintigny et Mesnil (Ndlr : Breuvanne). Et sur tout, le ciel s’étendait paisiblement : la toute-puissance de Dieu trônait sur nous. Beaucoup d’étoiles, les mêmes que dans la patrie, clignaient à nous en bas amicalement.
Je tombai en bas avec les yeux larmoyants, le casque sur la tête, du siège de pointeur sur le gazon et léchai avidement la rosée sur les herbes.
Les yeux fatigués effleurèrent encore une fois les alentours : "Bonne nuit, camarades !" Aujourd’hui encore sur la terre, demain peut-être déjà sous le gazon vert ? Et tout en oubliant et regardant vers l’Est, les lèvres murmurèrent, inaudibles, en tressaillant : "Bonne nuit, Mère !"
Vers 22h, le capitaine attrapa dans la rue une cuisine roulante d’infanterie qui revenait du front, n’ayant pas retrouvé sa compagnie. La nourriture devait être versée en chemin. Mes camarades de pièce tentèrent de me réveiller, mais je ne réussis pas à me réveiller. Ils me laissèrent couché mais remplirent quand même ma gourde avec du café.
Quand je me réveillai enfin le matin suivant (23/08/1914) par le secouement, le soleil se trouvait déjà haut dans le ciel. Endormi, je regardai autour de moi. Cela dura plusieurs minutes avant que je comprenne où j’étais à proprement parler. "Los, los, en selle ! Nous continuons à avancer", disait le chef de pièce. "Oui, il n’y a alors rien à manger, Monsieur le lieutenant ?" criai-je auprès du chef de section. Les camarades me tranquillisèrent en montrant mon bidon et me racontèrent le souper d’hier. Ils n’en pouvaient rien que je me sois pas levé, de toute façon cela n’aurait donné à chacun qu’une bagatelle. Je portai avidement le bidon à la bouche et voulus boire. 0n m’en empêcha : "laisse le café pour toi, cours au village : il y a là une ambulance, là tu recevras à boire." Machinalement, je pris la gourde de la bouche et me retournai timidement. J’étais encore endormi et n’avais pas encore compris correctement la situation. Durant des secondes, mes camarades me fixèrent étonnés – alors ils semblèrent découvrir mes pensées, et furent cependant interrompus : le lieutenant, qui avait observé la scène, marcha à la pièce et dit à mi-voix : "courez vite et ne vous laissez pas voir par monsieur le capitaine, car dans un quart d’heure nous nous mettons en marche !" Je me précipitai secrètement hors du jardin.
Quelques centaines de mètres plus loin devant les premières maisons, à moitié sur la rue du village, des grandes tentes étaient dressées. Je restai debout terrifié. Devant les tentes, se trouvaient de longues tables recouvertes de (drap) blanc sur lesquelles étaient couchés des blessés. De même, sur le tas de fumier desséché et sur une longue couche de paille étaient assis ou couchés des blessés, parmi lesquels beaucoup de Français. Quelques uns étaient recouverts de couvertures et de manteaux, ils avaient cessé de combattre. Je marchai assuré plus près. Une demie douzaine de médecins travaillait fiévreusement. Exactement selon la file, ami ou ennemi, les infirmiers levaient les blessés graves sur la table. Les médecins parlaient avec eux, hélas aussi affectueusement qu’une mère à son fils malade. Combien de fois j’ai pensé plus tard, là où ce n’était plus le cas, aux blessés de Tintigny (Ndlr : de Han).
Le spectacle me rendit d’abord très triste, me prépara cependant simultanément à une nouvelle journée de combat.
Un médecin me rudoya : "Que voulez-vous donc ici, êtes-vous blessé ?" Je répondis négligemment énergique : "Monsieur le médecin d’état-major (Stabarzt), je cherche de l’eau et un peu de pain, je n’ai plus rien manger depuis avant-hier." Alors il appela un infirmier : "Donnez au caporal un peu de pain et à boire." Je le remerciai et retournai en vitesse par la rue du village à la batterie. Des impressions recueillies sauvagement par-ci par-là tournoyaient encore dans ma tête.
Chemin faisant, un camarade de batterie vint vers moi en courant. « Mensch kumm ock, die Batterie woart’ uff dich ! Wir rücken ab. Der Hauptmann hoatt schunn soo geschimpft, doass de wegeloofen bist» (Allez, venez. La batterie t’attend. Nous partons. Le capitaine t’a déjà traité de déserteur).
La batterie s’était déjà réellement mise en selle. Je courus auprès du capitaine pour me re-annoncer, mais il refusa de loin, attendit jusqu’à ce que je fus assis sur l’affût et commanda :
"Batterie marche !" Nous passâmes par Tintigny dans la marche. Le village n’était encore qu’un monceau de ruines. Le genre de construction légère des maisons françaises succombait bientôt aux flammes. Des poutres et des tas de fumier couvaient encore par endroits. De minces traînées de fumée s’effilochaient encore. Une odeur horrible empestait l’air. Des cadavres carbonisés se trouvaient devant les maisons. Le spectacle était atroce.
En chemin, on s’arrêta plus souvent. Nous connaissions cela. Des rapports des patrouilles étaient attendus. Nous parlions avec notre infanterie que nous passions. Quelques compagnies, le plus souvent de Haute Silésie, pestaient : « Na, wart ock, ihr Pierons, vous avez tellement tiré sur nous hier ! »
- "Ah, c’est absurde, vous êtes détraqués."
Les compagnies étaient remarquablement au complet. L’espoir grandissait en nous.
De nombreuses conversations provoquées apportèrent des nouvelles de la journée d’hier et, en quelque sorte, de la clarté. Nous avions vaincu complètement. Notre adversaire était le corps colonial, la troupe d’élite de l’armée française. Ce qui nous remplissait cependant, en particulier, d’une satisfaction joyeuse : c’était la nouvelle que, au sein de notre corps (d’armée), nous devrions avoir fait 3000 prisonniers et avoir capturé 39 canons, 101 fourgons à munitions et 6 mitrailleuses. Provoqués, tous discutaient à nouveau le bombardement collectif de la batterie française près de Mesnil (Ndlr : Breuvanne) et pensaient en outre au cheval blanc. (Celui-ci a été d’ailleurs réquisitionné par le Grand Equipage).
Nous entendîmes encore beaucoup d’autres nouvelles qui étaient partiellement correctes, et d’autres qui n’ont jamais été établies partiellement comme vraies. Le village de Tintigny devait encore avoir été occupé par l’infanterie française bien que, derrière le village, une ligne entière de notre artillerie se soit trouvée. (…) »
- Bonne lecture et un bon samedi (frais mais ensoleillé) de Bruxelles !
TINTIGNY 22/08/1914
Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bien cordialement
Paul Pastiels
Paul Pastiels
- terrasson
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Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bonsoir Paul
passionnant comme d habitude merci pour le travail que vous effectuez
avec mes sinceres amities
dab totas las meas d amistats
christian terrasson
passionnant comme d habitude merci pour le travail que vous effectuez
avec mes sinceres amities
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christian terrasson
soldat forcat a pas jamai portat plan lo sac.Es pas l'ome que gana es lo temps vai i mesme pas paur
Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bonjour à Toutes & Tous,
Bonjour Christian,
- Un grand merci pour vos encouragements car j'ai l'étrange impression que ce fil reste quelque peu dans le vide ...! A moins que nos forumeurs retiennent leur souffle avant de réagir ...!
- En ce 23 août 1914, le 6e Fuss AR a repris la route et c'est la découverte émouvante d'une partie du champ de bataille ...:
"(…) Les fantassins du 51e IR libérèrent, lors de l’assaut sur Tintigny, une patrouille de cavalerie – se composant d’un officier, d’un sous-officier et de onze hommes – qui étaient enfermés dans une cave. Une indication à ce sujet nous avait d’ailleurs été faite hier par le chasseur à cheval blessé. De plus, à ce qu’on dit, notre division devait avoir combattu avec la division voisine lors du développement du combat. En cela, une batterie devait presque avoir été épuisée (aufgerieben). Un officier d’artillerie, pendant qu’il chevauchait à travers la ligne ennemie, avait établi la liaison avec la division. Chez les Français, cela devait s’être passé de manière analogue.
Comme notre état-major d’armée se trouvait à Neufchâteau, le tout s’appela « La Bataille de Neufchâteau ». Pour nous, jusqu’à ce jour, cela restera « La Bataille de Tintigny ».
La batterie devait s’arrêter à tous moments. Durant les pauses, les canonniers se rencontraient et discutaient toujours ensemble. Des centaines de questions furent posées : Comment un champ de bataille précité pouvait-il paraître à proprement parler? Des combats de 1870 et du passé, nous connaissions des images et des descriptions de champs de bataille avec des centaines de morts et de blessés. Avons-nous triomphé comme cela ? Nous ne vîmes aucuns prisonniers ! C’était l’affaire de l’infanterie de les transporter vers l’arrière. Sur le succès, seule l’infanterie pouvait en informer : elle était seule capable d’estimer la moisson.
Le soleil brûlait déjà à nouveau bien désagréablement. Plus souvent que nécessaire, on saisissait le bidon. Mais chaque gorgée vivifiait, rendait plus frais.
Les alouettes chassées hier chantaient à nouveau comme dans la paix la plus profonde dans la magnifique matinée dominicale de ce 23 août (1914).
Aucun coup de feu ne tomba.
La région ressemblait à un beau terrain de manœuvres. De tous les côtés, les clochers lointains nous faisaient signe; mais aucune cloche ne sonnait en ce dimanche. Le silence n’était guère naturel.
A nouveau, les canonniers s’opposaient excités les uns aux autres. Ils avaient toujours à nouveau quelque chose de neuf à raconter. Chacun avait parlé avec l’un ou l’autre fantassin ou cavalier.
La batterie avançait tous les quarts d’heure de quelques centaines de mètres. On ne se souciait pas vers où cela menait. La confiance en la conduite était depuis hier infiniment grande. On s’entretenait pêle-mêle, sans trahir son intérêt intérieur, en apparence sans soucis ; on ne pouvait pas réprimer cependant un sentiment de fierté : justement, personne n’avait encore éprouvé une journée comme celle d’hier. Maintenant, on semblait être pour la première fois de véritables soldats en campagne !
Les visages paraissent bien sûrs, conscients de soi-même. Un sentiment joyeux de bien-être envahissait le corps. A ce que nous avions participé, rien ne pouvait plus nous être pris. Et celui qui devait être blessé un peu aujourd’hui, pourrait également déjà raconter quelque chose d’une grande bataille, d’un bon esprit, de la camaraderie fidèle, de la discipline, de l’obéissance jusqu’à l’écroulement physique, de la souffrance et de la mort pour le roi et la patrie.
La batterie avançait toujours lentement, à en juger selon le soleil, vers le sud-ouest.
Notre chemin de traverse menait maintenant à travers une petite forêt de feuillus. Lorsque nous sortîmes du petit bois, une vue si atroce se présenta à nous que tout se figea. La conversation s’interrompit brusquement : le champ de bataille se présenta !
Ce n’était qu’une partie de celui-ci, peut-être 500m de large et de même en profondeur : à gauche le champ de pommes de terre, à droite le champ de blé coupé ; le tout cerné d’arbres sur les quatre côtés. Sur le champ : des centaines de formes grises verdâtres (feldgrauer) immobiles se trouvaient dispersées. Notre chemin menait à travers au milieu. La mort avait obtenu ici une récolte horrible.
Les canonniers et les conducteurs regardaient fixement les véhicules et les chevaux. Nos gorges se trouvèrent comme ficelées. Le cœur s’arrêta un instant, la respiration s’échappait par saccades des poumons.
L’air chantait.
Un chant d’orgue retentit dans les oreilles. Devant les yeux voilés, cela flottait ombrageux, l’ange sérieux de la mort des batailles volait de véhicule en véhicule et semblait exhorter : "ne les dérangez pas, les derniers se sont précisément endormis !"
La batterie rampait vers l’avant centimètre par centimètre. Des yeux fiévreux s’égaraient interrogatifs sur le champ : ainsi paraît un champ de bataille ? Si c’est cela, c’est la fin de tout héroïsme ? Et alors ? Et alors vient peut-être bien le grand oubli ?
La batterie s’arrêta. Les desservants des pièces avancées devaient descendre, pour porter les dépouilles hors du chemin. L’ordre éliminait, en outre, chaque timidité naturelle du mort ; le travail devenait un service charitable. Seulement, on ne voyait pas dans leur visage parce qu’ils paraissaient si noirs. Au troisième, quatrième, cinquième, le regard s’y habituait déjà. Et puis, c’étaient aussi nos propres gens de la garnison : des grenadiers de Breslau !
Mais comme ils étaient couchés : chacun dans une autre position. Avec les bras dépliés, le fusil fixé à la main. Officiers et sergent-major (Feldwebel), l’épée tendue à l’avant, avec le visage sur le sol ; d’autres agenouillés, la tête enfouie dans le champ.
Un se trouvait sur le dos dans une ornière, la main droite tenait le fusil, avec la main gauche il s’était arraché la tunique et la chemise dans le spasme de la mort ; la blessure mortelle s’ouvrait béante. Les yeux vitreux étaient entrouverts et avec cela, il souriait mystérieusement – énigmatique – délivré ?
Autour d’un officier gisaient 12, 15 formes immobiles, toutes avec le visage tourné vers le sol. C’était comme s’ils s’étaient encore ralliés dans la mort autour de leur chef de section. Et à l’autre côté de la route, entre les gerbes, nombreux étaient couchés en de petites lignes de tirailleurs, épaule contre épaule. L’un voulait justement se retirer, le doigt sur la détente, l’œil gauche serré (eingekniffen), l’autre était ouvert ; il regardait fixement encore dans la mort l’ennemi après que la balle l’ait déjà frappé ; l’autre voulait justement boire encore une fois. Egalement, ici, nous vîmes ce sourire énigmatique autour de la bouche. C’était comme si, sur tous les visages, se trouvait encore le reflet de l’enthousiasme de toute la patrie !
(Ndlr : « Heldengräber in Süd-Belgien » à consulter p. 50. La gravure 78 montre une fosse commune de soldats allemands appartenant au 11e GR, dont le sous-officier Robert SCHMIDT, à 900m à l’est de Saint-Vincent en face d’un bois de pin, près de la route vers Tintigny …)
Nous rampions de l’un à l’autre en frissonnant, nous cherchions des connaissances. Il était toujours possible que nous en trouvions un. Nous étions tous des compatriotes. On retirait des morts les carnets de solde, on lisait les noms, et les replaçait dans la musette, on cherchait plus loin. Les lèvres murmuraient en tressaillant mécaniquement les noms devant soi, comme si on voulait les apprendre par cœur, et avec cela, les yeux fatigués erraient tristement à la ronde. Les morts se laissaient-ils compter en général ?
Une unique comparaison est restée conservée en moi : lorsqu’on fait tomber un morceau de futaie, qu’on déboise les troncs séparés, et qu’on les laisse coucher comme ils sont tombés côte à côte, l’un sur l’autre : alors on a peut-être une image approximative de ce petit bout de champ de bataille. Les mitrailleuses avaient-elles fonctionné ici si horriblement ?
Les mains, tremblant doucement, passaient sur les yeux comme si elles voulaient ôter l’image. Le cerveau malmené s’égarait en arrière à la journée d’hier, cherchait des temps, des moments ! Quand cela pouvait-il s’être passé ici ? Que s’est-il donc joué ici ?
Pour les derniers, cela devait avoir été terrible, car ils avaient vu mourir les uns après les autres : ils avaient du entendre les cris de mort, le râle et les gémissements des autres.
Si l’un à la maison venait à mourir à l’hôpital, il était transporté dans une petite chambrette : là, il était seul avec lui-même, là il ne dérangeait et n’inquiétait personne d’autre. Ici dehors, c’était différent : ici on vivait et mourait ensemble, l’un pour l’autre. Ainsi chacun était comme il lui était destiné. L’un rapidement et facilement, l’autre difficilement.
Peut-être il avait été décidé une bienveillante providence de nous montrer cela, déjà dans les premiers jours de combat, ce que la plupart recevrait seulement à voir plus tard. Nous avons vu, au cours de la guerre, infiniment beaucoup de morts, mais ils regardaient presque tous autrement. Là, les pensées sont toujours mélancoliquement ramenées à nos morts de Tintigny.
La batterie se trouvait tristement sur le petit cimetière sur lequel, en dehors d’ici, aucun regard étranger ne tombait. Très haut dans l’air, infiniment gracieuses, quelques alouettes chantaient tristement en suscitant le mal du pays. Elles se déplaçaient en poussant des cris d’allégresse dans l’éther bleu vers lequel les appels, les prières, les cris de mort, les âmes des soldats tombés s’en étaient allés avec leur dernier souffle. Du ciel bleu profond, le soleil de midi brûlait vers le bas.
Aucun ne parlait. Aucun ne troublait la consécration de ce moment. Les forces intérieures luttaient en chaque isolé, qui pressait à la reconnaissance. Ce n’était pas seulement le frisson (Erschauer) naturel devant sa Majesté la Mort, c’était quelque chose de beaucoup plus grand, beaucoup plus puissant qu’on connaissait sombrement de l’enfance, des récits de mort héroïque sur le champ de bataille pour le pays natal (Heimat) et la Patrie (Vaterland). C’était une reconnaissance des devoirs envers ceux qui étaient restés à la maison. Les morts souriants semblaient vouloir nous dire : "Pensez toujours à nous ! Au moins, ne nous oubliez pas ! Vous devez également mourir une fois. Mais si vous deviez mourir en face de l’ennemi, alors vous aurez fait votre devoir comme nous ; alors pense à la Patrie, à la maison ! "
Beaucoup de larmes intérieures furent pleurées que le voisin ne voyait pas. Les cœurs juraient : nous gardons la fidélité en vous, et si nous devions revenir, alors nous nous souviendrons toujours de la vôtre !
Là, un commandement impitoyable nous arracha soudain de nos mornes rêveries pour nous mettre en selle. De l’avant, une estafette à cheval galopa vers nous. La batterie alla au trot.
Le champ de la mort s’évanouit de nos yeux. Nos regards effleurèrent encore une dernière fois les nombreuses formes immobiles : "Dormez bien, vous les camarades en terre étrangère. Nous avons éprouvé (miterleben) votre héroïsme. Nos pensées vous accompagnent jusque vous soyez couchés pour le dernier repos. Nous ne vous oublierons jamais. Le remerciement du pays natal et de la Patrie vous est assuré !"
Le chemin rural déboucha dans une route plus profondément située de 2m. La mitrailleuse ennemie s’était trouvée probablement dans le talus et avait inondé nos gens à l’assaut avec une grêle de balles.
La batterie commença à galoper sur la rue très animée. Des colonnes d’infanterie en marche sautèrent précipitamment sur le côté. La hâte soudaine devait signifier quelque chose !
Le fil qui nous avait encore lié tout à l’heure à nos camarades morts était rompu. L’événement se trouvait déjà relégué en arrière, hélas, et il était seulement vieux de quelques minutes. Les pensées luttaient : "Ne soyez donc pas si tendre ; la grande misère a seulement débuté, et vous vous êtes déjà laissés attraper (unterkriegen) ?" Mais la discipline était ferme et nos chefs étaient sur leurs gardes. Les commandements aigus arrachaient tous de la disposition (d’esprit) accablée ! C’était bon ! De telles dispositions étaient dangereuses ; elles pouvaient affaiblir, dans ces circonstances, la combativité de la troupe, parce qu’elles faisaient perdre le courage de manière superstitieuse et temporaire. (…) »
- Bonne lecture et un bon samedi (bien ensoleillé ... pour un 22 octobre) de Bruxelles!
Bonjour Christian,
- Un grand merci pour vos encouragements car j'ai l'étrange impression que ce fil reste quelque peu dans le vide ...! A moins que nos forumeurs retiennent leur souffle avant de réagir ...!
- En ce 23 août 1914, le 6e Fuss AR a repris la route et c'est la découverte émouvante d'une partie du champ de bataille ...:
"(…) Les fantassins du 51e IR libérèrent, lors de l’assaut sur Tintigny, une patrouille de cavalerie – se composant d’un officier, d’un sous-officier et de onze hommes – qui étaient enfermés dans une cave. Une indication à ce sujet nous avait d’ailleurs été faite hier par le chasseur à cheval blessé. De plus, à ce qu’on dit, notre division devait avoir combattu avec la division voisine lors du développement du combat. En cela, une batterie devait presque avoir été épuisée (aufgerieben). Un officier d’artillerie, pendant qu’il chevauchait à travers la ligne ennemie, avait établi la liaison avec la division. Chez les Français, cela devait s’être passé de manière analogue.
Comme notre état-major d’armée se trouvait à Neufchâteau, le tout s’appela « La Bataille de Neufchâteau ». Pour nous, jusqu’à ce jour, cela restera « La Bataille de Tintigny ».
La batterie devait s’arrêter à tous moments. Durant les pauses, les canonniers se rencontraient et discutaient toujours ensemble. Des centaines de questions furent posées : Comment un champ de bataille précité pouvait-il paraître à proprement parler? Des combats de 1870 et du passé, nous connaissions des images et des descriptions de champs de bataille avec des centaines de morts et de blessés. Avons-nous triomphé comme cela ? Nous ne vîmes aucuns prisonniers ! C’était l’affaire de l’infanterie de les transporter vers l’arrière. Sur le succès, seule l’infanterie pouvait en informer : elle était seule capable d’estimer la moisson.
Le soleil brûlait déjà à nouveau bien désagréablement. Plus souvent que nécessaire, on saisissait le bidon. Mais chaque gorgée vivifiait, rendait plus frais.
Les alouettes chassées hier chantaient à nouveau comme dans la paix la plus profonde dans la magnifique matinée dominicale de ce 23 août (1914).
Aucun coup de feu ne tomba.
La région ressemblait à un beau terrain de manœuvres. De tous les côtés, les clochers lointains nous faisaient signe; mais aucune cloche ne sonnait en ce dimanche. Le silence n’était guère naturel.
A nouveau, les canonniers s’opposaient excités les uns aux autres. Ils avaient toujours à nouveau quelque chose de neuf à raconter. Chacun avait parlé avec l’un ou l’autre fantassin ou cavalier.
La batterie avançait tous les quarts d’heure de quelques centaines de mètres. On ne se souciait pas vers où cela menait. La confiance en la conduite était depuis hier infiniment grande. On s’entretenait pêle-mêle, sans trahir son intérêt intérieur, en apparence sans soucis ; on ne pouvait pas réprimer cependant un sentiment de fierté : justement, personne n’avait encore éprouvé une journée comme celle d’hier. Maintenant, on semblait être pour la première fois de véritables soldats en campagne !
Les visages paraissent bien sûrs, conscients de soi-même. Un sentiment joyeux de bien-être envahissait le corps. A ce que nous avions participé, rien ne pouvait plus nous être pris. Et celui qui devait être blessé un peu aujourd’hui, pourrait également déjà raconter quelque chose d’une grande bataille, d’un bon esprit, de la camaraderie fidèle, de la discipline, de l’obéissance jusqu’à l’écroulement physique, de la souffrance et de la mort pour le roi et la patrie.
La batterie avançait toujours lentement, à en juger selon le soleil, vers le sud-ouest.
Notre chemin de traverse menait maintenant à travers une petite forêt de feuillus. Lorsque nous sortîmes du petit bois, une vue si atroce se présenta à nous que tout se figea. La conversation s’interrompit brusquement : le champ de bataille se présenta !
Ce n’était qu’une partie de celui-ci, peut-être 500m de large et de même en profondeur : à gauche le champ de pommes de terre, à droite le champ de blé coupé ; le tout cerné d’arbres sur les quatre côtés. Sur le champ : des centaines de formes grises verdâtres (feldgrauer) immobiles se trouvaient dispersées. Notre chemin menait à travers au milieu. La mort avait obtenu ici une récolte horrible.
Les canonniers et les conducteurs regardaient fixement les véhicules et les chevaux. Nos gorges se trouvèrent comme ficelées. Le cœur s’arrêta un instant, la respiration s’échappait par saccades des poumons.
L’air chantait.
Un chant d’orgue retentit dans les oreilles. Devant les yeux voilés, cela flottait ombrageux, l’ange sérieux de la mort des batailles volait de véhicule en véhicule et semblait exhorter : "ne les dérangez pas, les derniers se sont précisément endormis !"
La batterie rampait vers l’avant centimètre par centimètre. Des yeux fiévreux s’égaraient interrogatifs sur le champ : ainsi paraît un champ de bataille ? Si c’est cela, c’est la fin de tout héroïsme ? Et alors ? Et alors vient peut-être bien le grand oubli ?
La batterie s’arrêta. Les desservants des pièces avancées devaient descendre, pour porter les dépouilles hors du chemin. L’ordre éliminait, en outre, chaque timidité naturelle du mort ; le travail devenait un service charitable. Seulement, on ne voyait pas dans leur visage parce qu’ils paraissaient si noirs. Au troisième, quatrième, cinquième, le regard s’y habituait déjà. Et puis, c’étaient aussi nos propres gens de la garnison : des grenadiers de Breslau !
Mais comme ils étaient couchés : chacun dans une autre position. Avec les bras dépliés, le fusil fixé à la main. Officiers et sergent-major (Feldwebel), l’épée tendue à l’avant, avec le visage sur le sol ; d’autres agenouillés, la tête enfouie dans le champ.
Un se trouvait sur le dos dans une ornière, la main droite tenait le fusil, avec la main gauche il s’était arraché la tunique et la chemise dans le spasme de la mort ; la blessure mortelle s’ouvrait béante. Les yeux vitreux étaient entrouverts et avec cela, il souriait mystérieusement – énigmatique – délivré ?
Autour d’un officier gisaient 12, 15 formes immobiles, toutes avec le visage tourné vers le sol. C’était comme s’ils s’étaient encore ralliés dans la mort autour de leur chef de section. Et à l’autre côté de la route, entre les gerbes, nombreux étaient couchés en de petites lignes de tirailleurs, épaule contre épaule. L’un voulait justement se retirer, le doigt sur la détente, l’œil gauche serré (eingekniffen), l’autre était ouvert ; il regardait fixement encore dans la mort l’ennemi après que la balle l’ait déjà frappé ; l’autre voulait justement boire encore une fois. Egalement, ici, nous vîmes ce sourire énigmatique autour de la bouche. C’était comme si, sur tous les visages, se trouvait encore le reflet de l’enthousiasme de toute la patrie !
(Ndlr : « Heldengräber in Süd-Belgien » à consulter p. 50. La gravure 78 montre une fosse commune de soldats allemands appartenant au 11e GR, dont le sous-officier Robert SCHMIDT, à 900m à l’est de Saint-Vincent en face d’un bois de pin, près de la route vers Tintigny …)
Nous rampions de l’un à l’autre en frissonnant, nous cherchions des connaissances. Il était toujours possible que nous en trouvions un. Nous étions tous des compatriotes. On retirait des morts les carnets de solde, on lisait les noms, et les replaçait dans la musette, on cherchait plus loin. Les lèvres murmuraient en tressaillant mécaniquement les noms devant soi, comme si on voulait les apprendre par cœur, et avec cela, les yeux fatigués erraient tristement à la ronde. Les morts se laissaient-ils compter en général ?
Une unique comparaison est restée conservée en moi : lorsqu’on fait tomber un morceau de futaie, qu’on déboise les troncs séparés, et qu’on les laisse coucher comme ils sont tombés côte à côte, l’un sur l’autre : alors on a peut-être une image approximative de ce petit bout de champ de bataille. Les mitrailleuses avaient-elles fonctionné ici si horriblement ?
Les mains, tremblant doucement, passaient sur les yeux comme si elles voulaient ôter l’image. Le cerveau malmené s’égarait en arrière à la journée d’hier, cherchait des temps, des moments ! Quand cela pouvait-il s’être passé ici ? Que s’est-il donc joué ici ?
Pour les derniers, cela devait avoir été terrible, car ils avaient vu mourir les uns après les autres : ils avaient du entendre les cris de mort, le râle et les gémissements des autres.
Si l’un à la maison venait à mourir à l’hôpital, il était transporté dans une petite chambrette : là, il était seul avec lui-même, là il ne dérangeait et n’inquiétait personne d’autre. Ici dehors, c’était différent : ici on vivait et mourait ensemble, l’un pour l’autre. Ainsi chacun était comme il lui était destiné. L’un rapidement et facilement, l’autre difficilement.
Peut-être il avait été décidé une bienveillante providence de nous montrer cela, déjà dans les premiers jours de combat, ce que la plupart recevrait seulement à voir plus tard. Nous avons vu, au cours de la guerre, infiniment beaucoup de morts, mais ils regardaient presque tous autrement. Là, les pensées sont toujours mélancoliquement ramenées à nos morts de Tintigny.
La batterie se trouvait tristement sur le petit cimetière sur lequel, en dehors d’ici, aucun regard étranger ne tombait. Très haut dans l’air, infiniment gracieuses, quelques alouettes chantaient tristement en suscitant le mal du pays. Elles se déplaçaient en poussant des cris d’allégresse dans l’éther bleu vers lequel les appels, les prières, les cris de mort, les âmes des soldats tombés s’en étaient allés avec leur dernier souffle. Du ciel bleu profond, le soleil de midi brûlait vers le bas.
Aucun ne parlait. Aucun ne troublait la consécration de ce moment. Les forces intérieures luttaient en chaque isolé, qui pressait à la reconnaissance. Ce n’était pas seulement le frisson (Erschauer) naturel devant sa Majesté la Mort, c’était quelque chose de beaucoup plus grand, beaucoup plus puissant qu’on connaissait sombrement de l’enfance, des récits de mort héroïque sur le champ de bataille pour le pays natal (Heimat) et la Patrie (Vaterland). C’était une reconnaissance des devoirs envers ceux qui étaient restés à la maison. Les morts souriants semblaient vouloir nous dire : "Pensez toujours à nous ! Au moins, ne nous oubliez pas ! Vous devez également mourir une fois. Mais si vous deviez mourir en face de l’ennemi, alors vous aurez fait votre devoir comme nous ; alors pense à la Patrie, à la maison ! "
Beaucoup de larmes intérieures furent pleurées que le voisin ne voyait pas. Les cœurs juraient : nous gardons la fidélité en vous, et si nous devions revenir, alors nous nous souviendrons toujours de la vôtre !
Là, un commandement impitoyable nous arracha soudain de nos mornes rêveries pour nous mettre en selle. De l’avant, une estafette à cheval galopa vers nous. La batterie alla au trot.
Le champ de la mort s’évanouit de nos yeux. Nos regards effleurèrent encore une dernière fois les nombreuses formes immobiles : "Dormez bien, vous les camarades en terre étrangère. Nous avons éprouvé (miterleben) votre héroïsme. Nos pensées vous accompagnent jusque vous soyez couchés pour le dernier repos. Nous ne vous oublierons jamais. Le remerciement du pays natal et de la Patrie vous est assuré !"
Le chemin rural déboucha dans une route plus profondément située de 2m. La mitrailleuse ennemie s’était trouvée probablement dans le talus et avait inondé nos gens à l’assaut avec une grêle de balles.
La batterie commença à galoper sur la rue très animée. Des colonnes d’infanterie en marche sautèrent précipitamment sur le côté. La hâte soudaine devait signifier quelque chose !
Le fil qui nous avait encore lié tout à l’heure à nos camarades morts était rompu. L’événement se trouvait déjà relégué en arrière, hélas, et il était seulement vieux de quelques minutes. Les pensées luttaient : "Ne soyez donc pas si tendre ; la grande misère a seulement débuté, et vous vous êtes déjà laissés attraper (unterkriegen) ?" Mais la discipline était ferme et nos chefs étaient sur leurs gardes. Les commandements aigus arrachaient tous de la disposition (d’esprit) accablée ! C’était bon ! De telles dispositions étaient dangereuses ; elles pouvaient affaiblir, dans ces circonstances, la combativité de la troupe, parce qu’elles faisaient perdre le courage de manière superstitieuse et temporaire. (…) »
- Bonne lecture et un bon samedi (bien ensoleillé ... pour un 22 octobre) de Bruxelles!
Bien cordialement
Paul Pastiels
Paul Pastiels
Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bonsoir Popol, à toutes et tous,
C'est très bien et oui l'on retiens son souffle, un récit qui nous montre la détresse des hommes dans l'autre camps, mais un ordre est un ordre tel est la marche à suivre du soldat.
Les décideurs n'y ont pas participé à cette boucherie, du moins pas face à la mitraille.
Merçi de nous faire découvrir ce récit.
Cordialement.
Phil.
C'est très bien et oui l'on retiens son souffle, un récit qui nous montre la détresse des hommes dans l'autre camps, mais un ordre est un ordre tel est la marche à suivre du soldat.
Les décideurs n'y ont pas participé à cette boucherie, du moins pas face à la mitraille.
Merçi de nous faire découvrir ce récit.
Cordialement.
Phil.
Phil.
Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bonsoir à Toutes & Tous
- Voici donc la suite des événements au 6e FAR :
« (…) Lorsque nous passâmes l’infanterie et des acclamations s’envolaient çà et là : on se trouvait à nouveau dans la puissance (Gewalt).
A peine avions-nous dépassé la colonne, que la pointe de la batterie s’incurva à droite dans le village de Saint-Vincent. A l’église, notre chemin déboucha dans la rue principale.
La batterie tourna à gauche sans ralentir son tempo. Au contraire, le galop allait tellement d’un train d’enfer, que les affûts furent jetés dans le virage jusqu’à l’autre côté de la rue. Les chevaux furent emportés pour un instant par le poids.
A ce moment, je vis à l’intérieur de l’église ouverte : deux médecins français en blouse blanche avec les manches retroussées, tenant des instruments dans les mains, avaient sauté devant la porte et regardaient bouches bées vers notre batterie surgissant du terrain.
"Tenez les distances !" criait-on de manière perçante de l’avant.
Cela alla légèrement en descendant.
Des deux côtés, de nombreux soldats français blessés étaient assis sur des chaises et des bancs. Horrifiés, ils sautèrent en l’air. Nous passâmes en courant devant. Lorsque nous fûmes au milieu du village, plusieurs schrapnells explosèrent en une fois au-dessus de la batterie. Un cavalier avant fut blessé à l’avant-bras gauche, il prit la balle dans la main droite et conduisit plus loin. Des chevaux furent également blessés. La rue du village était visible d’une hauteur éloignée se trouvant en face du village: de là venait le feu ennemi. Des compagnies du régiment des grenadiers de Schweidnitz se trouvaient rangées, à la sortie du village, le long du côté gauche de la rue. Ils suivaient avec des yeux écarquillés notre ascension. La batterie s’incurva à environ 600m derrière le village, toujours en galopant, vers la droite dans une petite dépression de terrain (combe).
Les trois batteries d’obusiers de notre régiment (6e FAR), les unes à côtés des autres, se trouvaient déjà ici. Elles regardaient comment nous fûmes suivis par les tirs ennemis.
« Enlevez les avant-trains ! Evacuez les chevaux ! Couvertures ! » commanda le capitaine.
Les schrapnells ennemis étaient bien placés, heureusement le point d’explosion tombait seulement trop haut. L’adversaire avait justement réglé son tir. L’observation devait être brillante pour lui. Quelques coups allèrent en progression directe entre les chevaux. Les animaux se cabrèrent vers le haut, effrayés. Un caisson sauta. L’attelage les traîna avec au loin. Des paniers à munitions, des sacs à dos et des outils restèrent dispersés dans les céréales.
Le maréchal des logis conduisit d’abord, le sifflet à roulettes en bouche, les avant-trains hors de la zone de tir, dans laquelle la batterie se trouvait, de retour sur la route, près du village.
Des obus tombaient également sans interruption dans la localité. Cela commençait à brûler en différents endroits. Et les blessés français ? Le village en entier en était rempli !
Nous, les canonniers, nous nous étions jetés à plat sur le sol près des pièces et attendions ce qui devait venir maintenant. Le recevions-nous donc aujourd’hui ? Comment tout cela était-il devenu si soudain ? Quelques minutes avant sur le champ de bataille d’hier, et maintenant subitement dans une grêle d’obus ?
Là, chacun s’était interrogé pour la première fois !
A gauche, à côté de nous, les 2e et 3e batteries s’étaient éveillées sans être importunées, de telle sorte que le régiment complet était ensemble. La desserte (les desservants) des autres batteries regardait avec de longs cous, comment nous nous trouvions dans le feu.
Là, les coups tombèrent tout près devant et derrière nos pièces, nous amenâmes à notre pièce, en rampant sur le ventre, les paniers à munitions dispersés aux alentours.
J’avais encore vite relevé le bouclier supérieur, mais dans la hâte de couverture, le bouclier inférieur n’avait pas été laissé abaissé et les bêches n’avaient pas été décrochées. De la boue et des pierres crépitaient sur le bouclier. Chaque fois, lorsqu’en face des coups s’abattaient à des distances précises, nous pressions le visage sur le sol. L’angoisse ne valait que pour des coups au but éventuels. Mais, Dieu soit loué, il n’en vint aucun.
Les augmentations (Aufschläge) étaient accompagnées par une détonation sourde particulière. Qu’était-ce donc pour des munitions ? Les Français avaient-ils de plus mauvaises munitions que nous ? Cela devait bien être ainsi car, autrement, nos avant-trains ne seraient pas venus de la position pour la plus grande partie.
Là, un obus tomba à environ 2m de ma pièce et je poussai un cri violent au même moment. Quelque objet dur avait atteint, en-dessous de la pièce, le dos de ma main gauche : les doigts se plièrent. Les camarades de pièce sursautèrent effrayés : « Es-tu atteint ? » Le sous-officier dit d’un air moqueur : « Regardez, vous n’avez pas laissé abaisser le bouclier inférieur ! » Avec la main droite, j’allai chercher et arrachai la petite bêche hors de la pièce et jetai de la terre au bouclier ; alors je massai la main qui ne saignait pas.
L’adversaire ne devait cependant pas savoir exactement où nous nous trouvions : il arrosait. Egalement, le feu se rapprochait des avant-trains. Nous levions de temps en temps la tête, lorsque les obus s’en allaient par-dessus nous.
Des avant-trains, plusieurs coups de revolver claquaient périodiquement : le maréchal des logis laissait achever des chevaux blessés. Les canonniers écoutaient inquiets : « Et si ce sont nos chevaux de pièce ? »
Les compagnies du 10e régiment des grenadiers (10e GR) se trouvaient toujours à la sortie du village avec « l’arme au pied ». Soucieuses, elles fixaient notre batterie. Pourquoi n’intervenaient-elles pas ? Avions-nous donc pour nous la protection de l’infanterie ?
Nous nous trouvions dans le feu une heure durant. Lorsqu’il diminua progressivement, des commandements fusèrent : le régiment complet tira successivement plusieurs groupes (d’obus : salves ?).
Et en une fois, quatre explosions sourdes retentirent loin dernière nous : à environ à la même hauteur avec le village, une batterie de lourds obusiers (15 cm) de campagne se trouvait derrière de hautes broussailles (bosquet), que nous n’avions jamais vue jusqu’à présent. Les gros obus hurlaient par-dessus nos têtes. Dans les mêmes distances que les coups, les points d’impact s’en suivirent avec un craquement immense. Un sentiment joyeux nous envahit, un sentiment d’être en sûreté : nous ne sommes pas seuls ! Malgré cela nous croyions également, encore jusqu’à l’heure, que l’artillerie française nous serait supérieure, nous savions que l’adversaire ne possédait pas d’artillerie lourde rapidement mobile.
La batterie lourde tira à nouveau un groupe (d’obus : salve ?) : « Hör och, hör amoll! … Dunner … wetter noch eens, die sitzen der andersch wie unse, woas?! » les canonniers poussaient des cris de joie avec des yeux brillants. Notre régiment tira à nouveau quelques groupes de schrapnells : « Siehste, so is recht, jitze ricken der die Brieder verleicht aus, und wir schissen a wing mot ‘Schrot’ hinter her» disait à nouveau quelqu’un de moqueur et dans un sentiment de supériorité évidente.
On était déjà à nouveau présomptueux.
Quelques minutes plus tard, quelques cavaliers galopèrent de l’arrière à notre position : notre commandant de régiment chevaucha avec son état-major dans la batterie, appelant déjà de loin : « Je vous exprime ma reconnaissance la plus parfaite. La batterie s’est comportée de manière exemplaire lors de sa progression; notre affaire se présente bien. Votre adversaire ne comporte que trois batteries. L’infanterie ennemie n’est plus devant nous, elle reflue. »
Et il cria la tête retournée : « Messieurs les chefs de batterie prenez moi l’artillerie ennemie sous un feu intensif pour lui rendre pénible son tir ! » (Cela vaut bien plus à notre groupe d’obusiers).
Il ne tomba d’en face plus aucun coup. Par contre, notre régiment bombarda durant une heure la position d’artillerie ennemie.
Une accalmie du feu intervint environ vers 17h. Les grenadiers, qui avaient contemplé le spectacle l’après-midi, se mirent en marche sur la chaussée. Après une demie heure, une batterie amena les avant-trains les unes après les autres, et nous suivîmes l’infanterie.
Qu’était ce pour une jubilation chez eux, lorsque nous dépassions les compagnies. Elles se pressaient aux pièces et nous encourageaient par des paroles : « Etes-vous la batterie qui s’est trouvée sous le feu ? Pierronie, das war aber orndlich ‘Pumper im Druck (*); aber ihr chabt eure Sa’he sein gemacht! Na, wir cha’m scheen Angst gehabbt um euch!“
(*) «Pumper im Druck » était l’acclamation moqueuse continuelle de l’infanterie quand un fantassin voyait un artilleur (note de l’auteur).
Cela nous faisait du bien, parce que c’était simultanément une manière de reconnaissance, que nous ne connaissions pas du tout aux Hauts Silésiens moins sensibles.
Après une marche d’environ 2km, nous allâmes dans une prétendue position de surveillance. Entre-temps, les autres batteries suivaient, allaient de leur côté en position de surveillance, sur quoi nous revenions dans le rang. La batterie se trouvant en position couvrait de cette manière la progression de troupes poursuivant les Français. De temps en temps, on tira sur l’ennemi en retraite.
Lorsqu’il commença à faire sombre, notre infanterie tout entière passait devant et se disposait à l’avant de notre position comme un verrou. Encore une fois, nous avançâmes de quelques centaines de mètres et nous nous installâmes en bivouaque dans un champ de pommes de terre. (…) »
- Bonne lecture et une bonne soirée (bien douce) de Bruxelles !
- Voici donc la suite des événements au 6e FAR :
« (…) Lorsque nous passâmes l’infanterie et des acclamations s’envolaient çà et là : on se trouvait à nouveau dans la puissance (Gewalt).
A peine avions-nous dépassé la colonne, que la pointe de la batterie s’incurva à droite dans le village de Saint-Vincent. A l’église, notre chemin déboucha dans la rue principale.
La batterie tourna à gauche sans ralentir son tempo. Au contraire, le galop allait tellement d’un train d’enfer, que les affûts furent jetés dans le virage jusqu’à l’autre côté de la rue. Les chevaux furent emportés pour un instant par le poids.
A ce moment, je vis à l’intérieur de l’église ouverte : deux médecins français en blouse blanche avec les manches retroussées, tenant des instruments dans les mains, avaient sauté devant la porte et regardaient bouches bées vers notre batterie surgissant du terrain.
"Tenez les distances !" criait-on de manière perçante de l’avant.
Cela alla légèrement en descendant.
Des deux côtés, de nombreux soldats français blessés étaient assis sur des chaises et des bancs. Horrifiés, ils sautèrent en l’air. Nous passâmes en courant devant. Lorsque nous fûmes au milieu du village, plusieurs schrapnells explosèrent en une fois au-dessus de la batterie. Un cavalier avant fut blessé à l’avant-bras gauche, il prit la balle dans la main droite et conduisit plus loin. Des chevaux furent également blessés. La rue du village était visible d’une hauteur éloignée se trouvant en face du village: de là venait le feu ennemi. Des compagnies du régiment des grenadiers de Schweidnitz se trouvaient rangées, à la sortie du village, le long du côté gauche de la rue. Ils suivaient avec des yeux écarquillés notre ascension. La batterie s’incurva à environ 600m derrière le village, toujours en galopant, vers la droite dans une petite dépression de terrain (combe).
Les trois batteries d’obusiers de notre régiment (6e FAR), les unes à côtés des autres, se trouvaient déjà ici. Elles regardaient comment nous fûmes suivis par les tirs ennemis.
« Enlevez les avant-trains ! Evacuez les chevaux ! Couvertures ! » commanda le capitaine.
Les schrapnells ennemis étaient bien placés, heureusement le point d’explosion tombait seulement trop haut. L’adversaire avait justement réglé son tir. L’observation devait être brillante pour lui. Quelques coups allèrent en progression directe entre les chevaux. Les animaux se cabrèrent vers le haut, effrayés. Un caisson sauta. L’attelage les traîna avec au loin. Des paniers à munitions, des sacs à dos et des outils restèrent dispersés dans les céréales.
Le maréchal des logis conduisit d’abord, le sifflet à roulettes en bouche, les avant-trains hors de la zone de tir, dans laquelle la batterie se trouvait, de retour sur la route, près du village.
Des obus tombaient également sans interruption dans la localité. Cela commençait à brûler en différents endroits. Et les blessés français ? Le village en entier en était rempli !
Nous, les canonniers, nous nous étions jetés à plat sur le sol près des pièces et attendions ce qui devait venir maintenant. Le recevions-nous donc aujourd’hui ? Comment tout cela était-il devenu si soudain ? Quelques minutes avant sur le champ de bataille d’hier, et maintenant subitement dans une grêle d’obus ?
Là, chacun s’était interrogé pour la première fois !
A gauche, à côté de nous, les 2e et 3e batteries s’étaient éveillées sans être importunées, de telle sorte que le régiment complet était ensemble. La desserte (les desservants) des autres batteries regardait avec de longs cous, comment nous nous trouvions dans le feu.
Là, les coups tombèrent tout près devant et derrière nos pièces, nous amenâmes à notre pièce, en rampant sur le ventre, les paniers à munitions dispersés aux alentours.
J’avais encore vite relevé le bouclier supérieur, mais dans la hâte de couverture, le bouclier inférieur n’avait pas été laissé abaissé et les bêches n’avaient pas été décrochées. De la boue et des pierres crépitaient sur le bouclier. Chaque fois, lorsqu’en face des coups s’abattaient à des distances précises, nous pressions le visage sur le sol. L’angoisse ne valait que pour des coups au but éventuels. Mais, Dieu soit loué, il n’en vint aucun.
Les augmentations (Aufschläge) étaient accompagnées par une détonation sourde particulière. Qu’était-ce donc pour des munitions ? Les Français avaient-ils de plus mauvaises munitions que nous ? Cela devait bien être ainsi car, autrement, nos avant-trains ne seraient pas venus de la position pour la plus grande partie.
Là, un obus tomba à environ 2m de ma pièce et je poussai un cri violent au même moment. Quelque objet dur avait atteint, en-dessous de la pièce, le dos de ma main gauche : les doigts se plièrent. Les camarades de pièce sursautèrent effrayés : « Es-tu atteint ? » Le sous-officier dit d’un air moqueur : « Regardez, vous n’avez pas laissé abaisser le bouclier inférieur ! » Avec la main droite, j’allai chercher et arrachai la petite bêche hors de la pièce et jetai de la terre au bouclier ; alors je massai la main qui ne saignait pas.
L’adversaire ne devait cependant pas savoir exactement où nous nous trouvions : il arrosait. Egalement, le feu se rapprochait des avant-trains. Nous levions de temps en temps la tête, lorsque les obus s’en allaient par-dessus nous.
Des avant-trains, plusieurs coups de revolver claquaient périodiquement : le maréchal des logis laissait achever des chevaux blessés. Les canonniers écoutaient inquiets : « Et si ce sont nos chevaux de pièce ? »
Les compagnies du 10e régiment des grenadiers (10e GR) se trouvaient toujours à la sortie du village avec « l’arme au pied ». Soucieuses, elles fixaient notre batterie. Pourquoi n’intervenaient-elles pas ? Avions-nous donc pour nous la protection de l’infanterie ?
Nous nous trouvions dans le feu une heure durant. Lorsqu’il diminua progressivement, des commandements fusèrent : le régiment complet tira successivement plusieurs groupes (d’obus : salves ?).
Et en une fois, quatre explosions sourdes retentirent loin dernière nous : à environ à la même hauteur avec le village, une batterie de lourds obusiers (15 cm) de campagne se trouvait derrière de hautes broussailles (bosquet), que nous n’avions jamais vue jusqu’à présent. Les gros obus hurlaient par-dessus nos têtes. Dans les mêmes distances que les coups, les points d’impact s’en suivirent avec un craquement immense. Un sentiment joyeux nous envahit, un sentiment d’être en sûreté : nous ne sommes pas seuls ! Malgré cela nous croyions également, encore jusqu’à l’heure, que l’artillerie française nous serait supérieure, nous savions que l’adversaire ne possédait pas d’artillerie lourde rapidement mobile.
La batterie lourde tira à nouveau un groupe (d’obus : salve ?) : « Hör och, hör amoll! … Dunner … wetter noch eens, die sitzen der andersch wie unse, woas?! » les canonniers poussaient des cris de joie avec des yeux brillants. Notre régiment tira à nouveau quelques groupes de schrapnells : « Siehste, so is recht, jitze ricken der die Brieder verleicht aus, und wir schissen a wing mot ‘Schrot’ hinter her» disait à nouveau quelqu’un de moqueur et dans un sentiment de supériorité évidente.
On était déjà à nouveau présomptueux.
Quelques minutes plus tard, quelques cavaliers galopèrent de l’arrière à notre position : notre commandant de régiment chevaucha avec son état-major dans la batterie, appelant déjà de loin : « Je vous exprime ma reconnaissance la plus parfaite. La batterie s’est comportée de manière exemplaire lors de sa progression; notre affaire se présente bien. Votre adversaire ne comporte que trois batteries. L’infanterie ennemie n’est plus devant nous, elle reflue. »
Et il cria la tête retournée : « Messieurs les chefs de batterie prenez moi l’artillerie ennemie sous un feu intensif pour lui rendre pénible son tir ! » (Cela vaut bien plus à notre groupe d’obusiers).
Il ne tomba d’en face plus aucun coup. Par contre, notre régiment bombarda durant une heure la position d’artillerie ennemie.
Une accalmie du feu intervint environ vers 17h. Les grenadiers, qui avaient contemplé le spectacle l’après-midi, se mirent en marche sur la chaussée. Après une demie heure, une batterie amena les avant-trains les unes après les autres, et nous suivîmes l’infanterie.
Qu’était ce pour une jubilation chez eux, lorsque nous dépassions les compagnies. Elles se pressaient aux pièces et nous encourageaient par des paroles : « Etes-vous la batterie qui s’est trouvée sous le feu ? Pierronie, das war aber orndlich ‘Pumper im Druck (*); aber ihr chabt eure Sa’he sein gemacht! Na, wir cha’m scheen Angst gehabbt um euch!“
(*) «Pumper im Druck » était l’acclamation moqueuse continuelle de l’infanterie quand un fantassin voyait un artilleur (note de l’auteur).
Cela nous faisait du bien, parce que c’était simultanément une manière de reconnaissance, que nous ne connaissions pas du tout aux Hauts Silésiens moins sensibles.
Après une marche d’environ 2km, nous allâmes dans une prétendue position de surveillance. Entre-temps, les autres batteries suivaient, allaient de leur côté en position de surveillance, sur quoi nous revenions dans le rang. La batterie se trouvant en position couvrait de cette manière la progression de troupes poursuivant les Français. De temps en temps, on tira sur l’ennemi en retraite.
Lorsqu’il commença à faire sombre, notre infanterie tout entière passait devant et se disposait à l’avant de notre position comme un verrou. Encore une fois, nous avançâmes de quelques centaines de mètres et nous nous installâmes en bivouaque dans un champ de pommes de terre. (…) »
- Bonne lecture et une bonne soirée (bien douce) de Bruxelles !
Bien cordialement
Paul Pastiels
Paul Pastiels
Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bonsoir à Toutes et Tous,
- Une nouvelle journée s'achève et il est grand temps de bivouaquer pour le 6e FAR ... :
« (…) Il devint progressivement sombre. Non loin de notre aile gauche commençait la forêt. Dernière nous et à droite de nous, des villages en feu éclairaient. Plus il devenait sombre, d’autant plus calme devenait la batterie. Les canonniers suivaient le cours de leurs pensées.
Alors, l’ordre arriva : "Dresser l’écurie, apporter de l’eau, faire bouillir !" Le capitaine laissa distribuer aux canons les rations en fer du fourgon d’observation. De chaque véhicule, deux hommes devaient se rendre au village le plus proche, sous la conduite d’un sous-officier avec des sacs pour transporter l’eau. Ils ne revinrent avec l’eau seulement après presque deux heures. Chaque pièce reçut deux chaudrons (marmites) remplis, le reste pour les chevaux. Les conducteurs avaient, dans l’entre-temps, apporté à grand peine des champs avoisinants des gerbes de céréales pour les chevaux, des pommes de terre et nourrissaient les chevaux. Le feu ouvert ne pouvait pas être fait parce que, à côté de nous, des Français devaient se trouver dans la forêt. Cela sembla ridicule à tous : faire bouillir de l’eau, mais ne faire aucun feu ! Nous étions tous assis autour du trou du feu et attendions avidement jusqu’à ce que l’eau devienne à tout le moins chaude. Des manteaux étaient tenus au-dessus pour masquer chaque lueur de feu. Comme on n’avait pas de bois sous la main, on mit le feu avec des céréales. Et comme cela ne brûlait pas avec une flamme claire, on l’avait torsadé comme une saucisse, et cela couvait à découvert. Le « cuisinier » à chaque véhicule essayait à tout instant, si l’eau – dans laquelle les conserves de petits pois étaient déjà versées - était presque chaude et les plus avides étaient d’avis : « Gibb mir amoll a Leffel (donnes-moi une fois une cuillère), du wirscht ja balde vum Kusten soatt sein ! (tu deviendras bientôt …)».
Vers minuit (12 Uhr nachts), les conserves de soupe furent finalement suffisamment dissoutes , que nous pûmes manger.
Derrière notre pièce d’aile gauche, quelques camarades avaient trouvé un mort et deux artilleurs français dans les rangées de pommes de terre. Ils appartenaient aux batteries, qui nous avaient bombardées aujourd’hui après-midi de manière redoutable. Les deux blessés s’étaient cachés tout le temps dans les rangées de pommes de terre et s’y étaient maintenus sans le moindre bruit. Ah, avec quelle haine les pauvres gars devaient penser de nous ! Ils reçurent la première soupe et on leur fit, au milieu de leurs ennemis, un beau campement comme il faut sur des gerbes de céréales.
Après le repas, chacun rampa sous la pièce ou l’avant-train et s’enveloppa dans son manteau. Le deuxième jour de combat était passé. La tension n’était aujourd’hui pas aussi grande qu’hier. Les yeux ouverts tenaient encore un court dialogue avec les étoiles dans le ciel et adressaient des salutations sincères au pays natal. De temps en temps, un cheval soufflait dans le campement. Par moment, une petite chouette hululait: l’oiseau de la Mort !
En frissonnant je tirai le manteau sur les oreilles. Mais cela servait à rien : le souvenir revit. Tintigny : le clocher, la marche à travers le village en feu ! L’attaque de cavalerie imaginaire ! Mesnil (Ndlr : Breuvanne) : les civils criant, les vaches beuglant, la batterie se révélant : 2300, encore un groupe (d’obus), le cheval blanc se tient encore debout ! Les morts près de Saint-Vincent !
"Veux-tu enfin rester calmement couché ? Je veux dormir !" grommelait le voisin irrité. Je rampai complètement sous l’affût. Oui, pourtant ; je me suis trouvé si mal ! Et après que le voisin ait réagi sur moi, je devins plus calme. Je savais maintenant à nouveau, que je n’étais pas seul et je m’endormis.
Un superbe nouveau matin revint à nouveau (24 août 1914). Comme depuis des millénaires, les étoiles pâlissaient devant le soleil. Les rayons de l’astre éternel tombaient sur quelques douzaines de formes immobiles, qui entouraient de manière curieuse dans un petit tas autour des véhicules. Les chevaux se trouvaient à distances.
Entre-temps courait à tour de rôle une forme variable, comme si elle voulait garder le sommeil des autres.
Il était déjà presque 7h du matin avant que tout le monde soit éveillé. Automatiquement chacun se préparait à la marche. Les conducteurs voulaient atteler les chevaux, cependant on ordonna que la mise en marche soit différée encore de plusieurs heures, on devait d’abord prendre le « petit déjeuner ». De chaque pièce, deux canonniers devaient à nouveau se rendre au village avec des sacs pour chercher de l’eau pour les chevaux. Avec un camarade d’active des jeunes années, je me joignis à l’ « expédition », avec un sac pour transporter de l’eau.
Le village le plus proche avait brûlé le soir d’avant à plusieurs endroits; il devait presque se trouver dans l’espace occupé hier par la division. La localité était presque complètement habitée. Nous allions dans quelques maisons pour prendre peut-être là quelque chose de comestible.
Ainsi avec mes camarades, j’entrai dans la première meilleure maison. Lorsque nous ouvrîmes la porte, je restai quelque peu honteux : autour d’une grande table ronde étaient assis un couple d’époux, une jeune femme, trois jeunes filles de 16 à 10 ans et un jeune homme en train de déjeuner. A notre entrée, tous se levèrent craintifs et reculèrent de la table. Je souhaitai très embarrassé : "Bonjour !" et demandai un peu de pain. La femme prit la moitié de la miche de pain de la table et me la remit sans dire un mot. Elle me regardait en outre tellement inquiète et suppliante que je ne pouvais pas me résoudre à prendre tout le pain pour moi. Je coupai pour nous deux un gros morceau, bien que nous n’ayons plus reçu de pain depuis trois jours de notre équipage, et lui donnai l’autre en retour qu’elle reprit à nouveau avec les yeux brillants. Ensuite, elle demanda aimablement : "Voulez-vous un peu de café ?" Je répondis affirmativement. Avec cela, elle nous versa à chacun un grand bol qui nous régala à merveille. Nous ne mangeâmes que la moitié de notre pain.
Alors nous allâmes dans une autre maison, dans laquelle un homme barbu était assis à table, qui nous regarda avec de grands yeux pleins de haine. A notre entrée, il resta assis, planta un grand couteau, avec lequel il avait pris apparemment justement le petit déjeuner, sévèrement dans la table et demanda de manière peu amène ce que nous voulions. "Nous voulons du pain !" répondis-je. "Il n’en a plus... ! "
J’avais pourtant vu dans le buffet ouvert à pots (Topfschrank = confiturier ?) au mur d’en face, dont la porte se trouvait à demi ouverte, une miche et demie de pain. Sans me soucier de l’homme, je dis à mon camarade : "Restes à la porte et ne quittes pas le gars des yeux !" Il le fit pendant que j’allai de l’autre côté à l’armoire et retirai le demi pain.
Le Français (*) avait bondi furieusement, mais mon camarade le tint en échec.
(*) Ndlr : l’auteur se croyait donc déjà en France … !
Nous nous sommes fâchés par après que nous n’ayons pas pris tout le pain pour nous. Tantôt la grande famille avait voulu nous remettre volontairement tout ce qui se trouvait sur la table et, ici, l’homme solitaire ne voulut même pas donner un morceau de pain à chacun. Je lui aurais souhaité d’être venu auprès de gens corrects.
Cette façon de réquisitionner, que nous étions contraints de pratiquer occasionnellement une fois durant la progression en avant, était due à l’approvisionnement déficient - qui résultait des conditions variables – était aussi pardonnable que sous les circonstances habituelles un pillage de la bouche. Il n’est passé aucun jour, sans que le capitaine n’exhorta la batterie le matin au départ à ne pas se rendre dans les maisons habitées et, en aucun cas, de se commettre avec des civils ou, d’une manière quelconque, de s’approprier du plus petit bien que ce soit, aussi quand cela était encore nécessaire. Les chefs de section et les sous-officiers faisaient vivement attention. (…) »
- Bonne lecture aux fidèles de ce fil et une bonne soirée dominicale (bien douce...!) de Bruxelles !
- Une nouvelle journée s'achève et il est grand temps de bivouaquer pour le 6e FAR ... :
« (…) Il devint progressivement sombre. Non loin de notre aile gauche commençait la forêt. Dernière nous et à droite de nous, des villages en feu éclairaient. Plus il devenait sombre, d’autant plus calme devenait la batterie. Les canonniers suivaient le cours de leurs pensées.
Alors, l’ordre arriva : "Dresser l’écurie, apporter de l’eau, faire bouillir !" Le capitaine laissa distribuer aux canons les rations en fer du fourgon d’observation. De chaque véhicule, deux hommes devaient se rendre au village le plus proche, sous la conduite d’un sous-officier avec des sacs pour transporter l’eau. Ils ne revinrent avec l’eau seulement après presque deux heures. Chaque pièce reçut deux chaudrons (marmites) remplis, le reste pour les chevaux. Les conducteurs avaient, dans l’entre-temps, apporté à grand peine des champs avoisinants des gerbes de céréales pour les chevaux, des pommes de terre et nourrissaient les chevaux. Le feu ouvert ne pouvait pas être fait parce que, à côté de nous, des Français devaient se trouver dans la forêt. Cela sembla ridicule à tous : faire bouillir de l’eau, mais ne faire aucun feu ! Nous étions tous assis autour du trou du feu et attendions avidement jusqu’à ce que l’eau devienne à tout le moins chaude. Des manteaux étaient tenus au-dessus pour masquer chaque lueur de feu. Comme on n’avait pas de bois sous la main, on mit le feu avec des céréales. Et comme cela ne brûlait pas avec une flamme claire, on l’avait torsadé comme une saucisse, et cela couvait à découvert. Le « cuisinier » à chaque véhicule essayait à tout instant, si l’eau – dans laquelle les conserves de petits pois étaient déjà versées - était presque chaude et les plus avides étaient d’avis : « Gibb mir amoll a Leffel (donnes-moi une fois une cuillère), du wirscht ja balde vum Kusten soatt sein ! (tu deviendras bientôt …)».
Vers minuit (12 Uhr nachts), les conserves de soupe furent finalement suffisamment dissoutes , que nous pûmes manger.
Derrière notre pièce d’aile gauche, quelques camarades avaient trouvé un mort et deux artilleurs français dans les rangées de pommes de terre. Ils appartenaient aux batteries, qui nous avaient bombardées aujourd’hui après-midi de manière redoutable. Les deux blessés s’étaient cachés tout le temps dans les rangées de pommes de terre et s’y étaient maintenus sans le moindre bruit. Ah, avec quelle haine les pauvres gars devaient penser de nous ! Ils reçurent la première soupe et on leur fit, au milieu de leurs ennemis, un beau campement comme il faut sur des gerbes de céréales.
Après le repas, chacun rampa sous la pièce ou l’avant-train et s’enveloppa dans son manteau. Le deuxième jour de combat était passé. La tension n’était aujourd’hui pas aussi grande qu’hier. Les yeux ouverts tenaient encore un court dialogue avec les étoiles dans le ciel et adressaient des salutations sincères au pays natal. De temps en temps, un cheval soufflait dans le campement. Par moment, une petite chouette hululait: l’oiseau de la Mort !
En frissonnant je tirai le manteau sur les oreilles. Mais cela servait à rien : le souvenir revit. Tintigny : le clocher, la marche à travers le village en feu ! L’attaque de cavalerie imaginaire ! Mesnil (Ndlr : Breuvanne) : les civils criant, les vaches beuglant, la batterie se révélant : 2300, encore un groupe (d’obus), le cheval blanc se tient encore debout ! Les morts près de Saint-Vincent !
"Veux-tu enfin rester calmement couché ? Je veux dormir !" grommelait le voisin irrité. Je rampai complètement sous l’affût. Oui, pourtant ; je me suis trouvé si mal ! Et après que le voisin ait réagi sur moi, je devins plus calme. Je savais maintenant à nouveau, que je n’étais pas seul et je m’endormis.
Un superbe nouveau matin revint à nouveau (24 août 1914). Comme depuis des millénaires, les étoiles pâlissaient devant le soleil. Les rayons de l’astre éternel tombaient sur quelques douzaines de formes immobiles, qui entouraient de manière curieuse dans un petit tas autour des véhicules. Les chevaux se trouvaient à distances.
Entre-temps courait à tour de rôle une forme variable, comme si elle voulait garder le sommeil des autres.
Il était déjà presque 7h du matin avant que tout le monde soit éveillé. Automatiquement chacun se préparait à la marche. Les conducteurs voulaient atteler les chevaux, cependant on ordonna que la mise en marche soit différée encore de plusieurs heures, on devait d’abord prendre le « petit déjeuner ». De chaque pièce, deux canonniers devaient à nouveau se rendre au village avec des sacs pour chercher de l’eau pour les chevaux. Avec un camarade d’active des jeunes années, je me joignis à l’ « expédition », avec un sac pour transporter de l’eau.
Le village le plus proche avait brûlé le soir d’avant à plusieurs endroits; il devait presque se trouver dans l’espace occupé hier par la division. La localité était presque complètement habitée. Nous allions dans quelques maisons pour prendre peut-être là quelque chose de comestible.
Ainsi avec mes camarades, j’entrai dans la première meilleure maison. Lorsque nous ouvrîmes la porte, je restai quelque peu honteux : autour d’une grande table ronde étaient assis un couple d’époux, une jeune femme, trois jeunes filles de 16 à 10 ans et un jeune homme en train de déjeuner. A notre entrée, tous se levèrent craintifs et reculèrent de la table. Je souhaitai très embarrassé : "Bonjour !" et demandai un peu de pain. La femme prit la moitié de la miche de pain de la table et me la remit sans dire un mot. Elle me regardait en outre tellement inquiète et suppliante que je ne pouvais pas me résoudre à prendre tout le pain pour moi. Je coupai pour nous deux un gros morceau, bien que nous n’ayons plus reçu de pain depuis trois jours de notre équipage, et lui donnai l’autre en retour qu’elle reprit à nouveau avec les yeux brillants. Ensuite, elle demanda aimablement : "Voulez-vous un peu de café ?" Je répondis affirmativement. Avec cela, elle nous versa à chacun un grand bol qui nous régala à merveille. Nous ne mangeâmes que la moitié de notre pain.
Alors nous allâmes dans une autre maison, dans laquelle un homme barbu était assis à table, qui nous regarda avec de grands yeux pleins de haine. A notre entrée, il resta assis, planta un grand couteau, avec lequel il avait pris apparemment justement le petit déjeuner, sévèrement dans la table et demanda de manière peu amène ce que nous voulions. "Nous voulons du pain !" répondis-je. "Il n’en a plus... ! "
J’avais pourtant vu dans le buffet ouvert à pots (Topfschrank = confiturier ?) au mur d’en face, dont la porte se trouvait à demi ouverte, une miche et demie de pain. Sans me soucier de l’homme, je dis à mon camarade : "Restes à la porte et ne quittes pas le gars des yeux !" Il le fit pendant que j’allai de l’autre côté à l’armoire et retirai le demi pain.
Le Français (*) avait bondi furieusement, mais mon camarade le tint en échec.
(*) Ndlr : l’auteur se croyait donc déjà en France … !
Nous nous sommes fâchés par après que nous n’ayons pas pris tout le pain pour nous. Tantôt la grande famille avait voulu nous remettre volontairement tout ce qui se trouvait sur la table et, ici, l’homme solitaire ne voulut même pas donner un morceau de pain à chacun. Je lui aurais souhaité d’être venu auprès de gens corrects.
Cette façon de réquisitionner, que nous étions contraints de pratiquer occasionnellement une fois durant la progression en avant, était due à l’approvisionnement déficient - qui résultait des conditions variables – était aussi pardonnable que sous les circonstances habituelles un pillage de la bouche. Il n’est passé aucun jour, sans que le capitaine n’exhorta la batterie le matin au départ à ne pas se rendre dans les maisons habitées et, en aucun cas, de se commettre avec des civils ou, d’une manière quelconque, de s’approprier du plus petit bien que ce soit, aussi quand cela était encore nécessaire. Les chefs de section et les sous-officiers faisaient vivement attention. (…) »
- Bonne lecture aux fidèles de ce fil et une bonne soirée dominicale (bien douce...!) de Bruxelles !
Bien cordialement
Paul Pastiels
Paul Pastiels
Re: TINTIGNY 22/08/1914
Vivement la suite, passionnant récit qui se poursuit jusqu’à la bataille de la Marne ?
Cordialement J.D
Cordialement J.D
- terrasson
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Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bonsoir a tous
bonsoir Popol
encore une belle evocation passionante...a travers ce recit mais quel boulot de traduction ...merci a vous
bien cordialement
Christian Terrasson
adischats
bonsoir Popol
encore une belle evocation passionante...a travers ce recit mais quel boulot de traduction ...merci a vous
bien cordialement
Christian Terrasson
adischats
soldat forcat a pas jamai portat plan lo sac.Es pas l'ome que gana es lo temps vai i mesme pas paur
Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bonsoir à Toutes & Tous,
Bonsoir Christian, J.D ,
- Pour les assidus, voici la suite du témoignage. Hélas, il va bientôt s'achever car je ne dispose que d'un extrait. Peut-être que cet ouvrage se trouve à la bibliothèque de Vincennes? Si quelqu'un est de passage ... je veux bien alors poursuivre la traduction à mon rythme!
« (…) Lorsque nous revînmes avec de l’eau à boire, la batterie était déjà prête pour la marche. Notre chemin menait par un pays boisé magnifique, traversé par une double voie ferrée. La maison de la garde-barrière ainsi que les lignes télégraphiques étaient détruites (Ndlr : passage à niveau à identifier sur la ligne « Bertrix - Virton165 ! ». La région entière était vallonnée et très riche en forêts : elle constituait pour nos chevaux un terrain difficile. Le capitaine n’avait plus besoin de commander de descendre des véhicules et de marcher. Nous le faisions de nous-mêmes car, depuis avant-hier, tous étaient attachés par un amour particulier aux animaux.
Les Français s’étaient repliés loin en arrière, et nous marchâmes toute la matinée derrière eux, quelque peu en direction Sud. La montre et la position respective du soleil nous donnaient la direction dans laquelle nous marchions. Vers midi, nous devions conduire en position les pièces et des fourgons à munitions sous des conditions particulièrement difficiles.
Les desservants de tous les trains devaient s’aider mutuellement à amener les véhicules sur une petite montagne assez raide. Et quand le tourment s’acheva après une heure et demie, nous pouvions ramener en bas les pièces sans seulement avoir à lâcher un coup de feu. Ici on pesta pour la première contre le capitaine parce qu’il nous ne laissa pas amener les avant-trains à la rencontre.
Après coup, chacun aurait pu manger tout un pain complet de munition.
Dans l’intervalle, plusieurs sous-officiers de notre batterie avaient effectué à cheval une patrouille (de reconnaissance), parmi lesquels mon chef de pièce. Ils avaient chevauché tout droit sur la chaussée, de laquelle nous nous étions tantôt écartés, et ils essuyèrent peu de temps après dans la forêt le feu violent de l’infanterie ennemie. Le cheval de notre brigadier fut tué, les autres s’échappèrent et annoncèrent plus tard à la batterie que notre chef de pièce manquait.
A nouveau, toute la batterie fut inquiète : « Comment venait-il que, peut-être à quelques centaines de mètres devant nous, se trouvaient de l’infanterie ennemie ou des patrouilles, où cependant nos propres gens étaient déjà en train de marcher en avant ? Une erreur était ici, par laquelle nous pouvions deviner une embuscade ? » Nous semblions être tout seuls sur le terrain. On ne voyait même pas quelqu’un de l’état-major de notre groupe (d’artillerie).
Sans se soucier de notre crainte intérieure et comme si les patrouilles de l’ennemi n’avaient rien vu, le capitaine laissa remettre les avant-trains. Juste comme la batterie était sur le point de se mettre en marche, notre chef de pièce wurtembergeois, considéré comme déjà mort et couvert de sueur, accourut de la chaussée vers nous, sans aucun doute sans cheval : il était resté. Il annonça au capitaine qu’il roula de la route dans le fossé, lorsque le cheval s’écroula sous lui, et qu’il se remit à l’abri. Pendant que nous nous réjouissions beaucoup que rien ne lui soit arrivé, il s’affligeait sur ses paquetages perdus et sur leur contenu.
Alors, nous allâmes plus loin sur la chaussée en un vif trot sans être importunés. Après une copieuse demie heure, nous atteignîmes près d’un étang le château de forêt idyllique d’Orval, lequel, comme il nous avait été dit, appartenait à un ancien Allemand. Nous les canonniers n’osions pas quitter les pièces bien que nous nous arrêtions directement devant le château ; mais les officiers et les sous-officiers nous informèrent horrifiés comment cela se présentait à l’intérieur : les meubles comme tout l’équipement intérieur étaient saccagés ; la nausée était stimulée de devoir avoir tolérer cela. Ce que l’un avait établi : les troupes allemandes n’avaient pas causé cette dégradation ; de plus, elles n’auraient pas eu le temps suffisant lors de cette marche en avant urgente. Mais peu d’heures avant, les Français étaient passés par ici et y avaient séjourné ici et avaient fait des ravages.
Tous les états-majors le constatèrent avec intérêt. Nous canonniers, que nous ne discernions peut-être pas la portée de telles constatations, détestions une telle expression d’un pur vandalisme. Nous ne le tenions pas pour possible que des soldats pourraient faire une pareille chose. En outre, nous ne pressentions pas que, à cause de telles et semblables infamies - que nous n’avions jamais faites - nous devions être marqués au fer rouge un jour devant le monde et être déshonorés.
Pendant que nous nous arrêtions en attendant devant le château, plusieurs batteries nous suivaient en arrière sur la chaussée, dont également notre 2e batterie. Aucun homme ne savait d’où elle venait d’un seul coup. Soudain, plusieurs obus – d’une distance pas très grande – tombèrent dans l’étang. Avec un craquement sourd, des fontaines d’eau mélangées avec de la vase et des saletés s’élevèrent. Les chevaux devenaient inquiets. Ils savaient déjà maintenant que nous ne nous trouvions plus sur la place d’exercices des troupes.
« Aux chevaux ! » commandèrent les chefs de section aux conducteurs.
Les canonniers se mirent à couvert derrière les pièces. Un groupe (d’obus) suivit à nouveau. Même spectacle. Lors du prochain groupe, un coup frappa dans la 2e batterie arrêtée derrière nous et tua / blessa trois hommes et plusieurs chevaux. Pendant que l’excitation compréhensible dominait auprès les batteries se trouvant derrière nous, nous avions calculé, comme de vieux artilleurs plein d’avenir, que notre batterie se trouvait après un angle mort puisque la chaussée formait un coude tout près devant notre pointe. Si nos calculs s’accordaient, il restait non éclairci, bien que nous nous trouvions là jusque dans l’après-midi tardif ; en outre, les Français tiraient relativement peu.
Plus tard, nous progressâmes d’environ 3km sans apercevoir notre propre infanterie, ce qui continuait à nous inquiéter ; car le Français avait tiré tantôt approximativement à cette même distance.
Lors de cette marche, nous fûmes garés une fois, pour un court moment, sur le côté droit de la route pour laisser passer des batteries de notre régiment-frère. Lors du passage, je reconnus un ancien camarade d’école à qui je n’avais plus certainement pensé depuis l’enfance. Il me reconnut également tout de suite, bien que je me trouvais au milieu de plusieurs camarades derrière ma pièce et que j’avais comme lui la même disposition de barbe hirsute et sale. Nous nous interpellâmes par nos noms dans la joie impulsive de nous revoir, que les cliquetis des roues dévoraient. Le pays natal plus restreint nous apparut à tous les deux pour quelques secondes et, ensuite, on était à nouveau seul.
Lorsque le soleil s’était déjà couché, la batterie alla en position et tira ici derrière l’ennemi en fuite. Celui-ci se trouvait apparemment à nouveau en retraite car nous commencions à tirer avec 3200 (m de hausse) pour finir à 5000. Alors, plus rien n’était à repérer.
Nos avant-trains se trouvaient à quelque 800-1000m derrière nous dans un fond au bord d’un ruisseau. Nous fîmes bouillir ici à nouveau convenablement depuis trois jours : pommes de terre avec sel et des conserves. Nous nous cherchions du bois dans un bosquet se trouvant à côté avec la lanterne de la pièce (d’artillerie) : pendant que l’un tenait la lanterne et qu’un autre cassait les branches sèches des arbres, parce que celles-ci étaient sèches comme de la paille et n’émettant pas de fumée abondante en brûlant. Après le repas du soir, nous devions entourer nos pièces, jusque tard dans la nuit, de remblai de terre, car l’infanterie ennemie devait encore se trouver dans un bosquet à environ 500m devant nous à mi-gauche. La garde du parc ne fut pas établie, pour cela les canonniers devaient veiller à tour de rôle la garde à chaque pièce. (…) »
- Bonne lecture et une bonne soirée (assez fraîche ...) de Bruxelles !
Bonsoir Christian, J.D ,
- Pour les assidus, voici la suite du témoignage. Hélas, il va bientôt s'achever car je ne dispose que d'un extrait. Peut-être que cet ouvrage se trouve à la bibliothèque de Vincennes? Si quelqu'un est de passage ... je veux bien alors poursuivre la traduction à mon rythme!
« (…) Lorsque nous revînmes avec de l’eau à boire, la batterie était déjà prête pour la marche. Notre chemin menait par un pays boisé magnifique, traversé par une double voie ferrée. La maison de la garde-barrière ainsi que les lignes télégraphiques étaient détruites (Ndlr : passage à niveau à identifier sur la ligne « Bertrix - Virton165 ! ». La région entière était vallonnée et très riche en forêts : elle constituait pour nos chevaux un terrain difficile. Le capitaine n’avait plus besoin de commander de descendre des véhicules et de marcher. Nous le faisions de nous-mêmes car, depuis avant-hier, tous étaient attachés par un amour particulier aux animaux.
Les Français s’étaient repliés loin en arrière, et nous marchâmes toute la matinée derrière eux, quelque peu en direction Sud. La montre et la position respective du soleil nous donnaient la direction dans laquelle nous marchions. Vers midi, nous devions conduire en position les pièces et des fourgons à munitions sous des conditions particulièrement difficiles.
Les desservants de tous les trains devaient s’aider mutuellement à amener les véhicules sur une petite montagne assez raide. Et quand le tourment s’acheva après une heure et demie, nous pouvions ramener en bas les pièces sans seulement avoir à lâcher un coup de feu. Ici on pesta pour la première contre le capitaine parce qu’il nous ne laissa pas amener les avant-trains à la rencontre.
Après coup, chacun aurait pu manger tout un pain complet de munition.
Dans l’intervalle, plusieurs sous-officiers de notre batterie avaient effectué à cheval une patrouille (de reconnaissance), parmi lesquels mon chef de pièce. Ils avaient chevauché tout droit sur la chaussée, de laquelle nous nous étions tantôt écartés, et ils essuyèrent peu de temps après dans la forêt le feu violent de l’infanterie ennemie. Le cheval de notre brigadier fut tué, les autres s’échappèrent et annoncèrent plus tard à la batterie que notre chef de pièce manquait.
A nouveau, toute la batterie fut inquiète : « Comment venait-il que, peut-être à quelques centaines de mètres devant nous, se trouvaient de l’infanterie ennemie ou des patrouilles, où cependant nos propres gens étaient déjà en train de marcher en avant ? Une erreur était ici, par laquelle nous pouvions deviner une embuscade ? » Nous semblions être tout seuls sur le terrain. On ne voyait même pas quelqu’un de l’état-major de notre groupe (d’artillerie).
Sans se soucier de notre crainte intérieure et comme si les patrouilles de l’ennemi n’avaient rien vu, le capitaine laissa remettre les avant-trains. Juste comme la batterie était sur le point de se mettre en marche, notre chef de pièce wurtembergeois, considéré comme déjà mort et couvert de sueur, accourut de la chaussée vers nous, sans aucun doute sans cheval : il était resté. Il annonça au capitaine qu’il roula de la route dans le fossé, lorsque le cheval s’écroula sous lui, et qu’il se remit à l’abri. Pendant que nous nous réjouissions beaucoup que rien ne lui soit arrivé, il s’affligeait sur ses paquetages perdus et sur leur contenu.
Alors, nous allâmes plus loin sur la chaussée en un vif trot sans être importunés. Après une copieuse demie heure, nous atteignîmes près d’un étang le château de forêt idyllique d’Orval, lequel, comme il nous avait été dit, appartenait à un ancien Allemand. Nous les canonniers n’osions pas quitter les pièces bien que nous nous arrêtions directement devant le château ; mais les officiers et les sous-officiers nous informèrent horrifiés comment cela se présentait à l’intérieur : les meubles comme tout l’équipement intérieur étaient saccagés ; la nausée était stimulée de devoir avoir tolérer cela. Ce que l’un avait établi : les troupes allemandes n’avaient pas causé cette dégradation ; de plus, elles n’auraient pas eu le temps suffisant lors de cette marche en avant urgente. Mais peu d’heures avant, les Français étaient passés par ici et y avaient séjourné ici et avaient fait des ravages.
Tous les états-majors le constatèrent avec intérêt. Nous canonniers, que nous ne discernions peut-être pas la portée de telles constatations, détestions une telle expression d’un pur vandalisme. Nous ne le tenions pas pour possible que des soldats pourraient faire une pareille chose. En outre, nous ne pressentions pas que, à cause de telles et semblables infamies - que nous n’avions jamais faites - nous devions être marqués au fer rouge un jour devant le monde et être déshonorés.
Pendant que nous nous arrêtions en attendant devant le château, plusieurs batteries nous suivaient en arrière sur la chaussée, dont également notre 2e batterie. Aucun homme ne savait d’où elle venait d’un seul coup. Soudain, plusieurs obus – d’une distance pas très grande – tombèrent dans l’étang. Avec un craquement sourd, des fontaines d’eau mélangées avec de la vase et des saletés s’élevèrent. Les chevaux devenaient inquiets. Ils savaient déjà maintenant que nous ne nous trouvions plus sur la place d’exercices des troupes.
« Aux chevaux ! » commandèrent les chefs de section aux conducteurs.
Les canonniers se mirent à couvert derrière les pièces. Un groupe (d’obus) suivit à nouveau. Même spectacle. Lors du prochain groupe, un coup frappa dans la 2e batterie arrêtée derrière nous et tua / blessa trois hommes et plusieurs chevaux. Pendant que l’excitation compréhensible dominait auprès les batteries se trouvant derrière nous, nous avions calculé, comme de vieux artilleurs plein d’avenir, que notre batterie se trouvait après un angle mort puisque la chaussée formait un coude tout près devant notre pointe. Si nos calculs s’accordaient, il restait non éclairci, bien que nous nous trouvions là jusque dans l’après-midi tardif ; en outre, les Français tiraient relativement peu.
Plus tard, nous progressâmes d’environ 3km sans apercevoir notre propre infanterie, ce qui continuait à nous inquiéter ; car le Français avait tiré tantôt approximativement à cette même distance.
Lors de cette marche, nous fûmes garés une fois, pour un court moment, sur le côté droit de la route pour laisser passer des batteries de notre régiment-frère. Lors du passage, je reconnus un ancien camarade d’école à qui je n’avais plus certainement pensé depuis l’enfance. Il me reconnut également tout de suite, bien que je me trouvais au milieu de plusieurs camarades derrière ma pièce et que j’avais comme lui la même disposition de barbe hirsute et sale. Nous nous interpellâmes par nos noms dans la joie impulsive de nous revoir, que les cliquetis des roues dévoraient. Le pays natal plus restreint nous apparut à tous les deux pour quelques secondes et, ensuite, on était à nouveau seul.
Lorsque le soleil s’était déjà couché, la batterie alla en position et tira ici derrière l’ennemi en fuite. Celui-ci se trouvait apparemment à nouveau en retraite car nous commencions à tirer avec 3200 (m de hausse) pour finir à 5000. Alors, plus rien n’était à repérer.
Nos avant-trains se trouvaient à quelque 800-1000m derrière nous dans un fond au bord d’un ruisseau. Nous fîmes bouillir ici à nouveau convenablement depuis trois jours : pommes de terre avec sel et des conserves. Nous nous cherchions du bois dans un bosquet se trouvant à côté avec la lanterne de la pièce (d’artillerie) : pendant que l’un tenait la lanterne et qu’un autre cassait les branches sèches des arbres, parce que celles-ci étaient sèches comme de la paille et n’émettant pas de fumée abondante en brûlant. Après le repas du soir, nous devions entourer nos pièces, jusque tard dans la nuit, de remblai de terre, car l’infanterie ennemie devait encore se trouver dans un bosquet à environ 500m devant nous à mi-gauche. La garde du parc ne fut pas établie, pour cela les canonniers devaient veiller à tour de rôle la garde à chaque pièce. (…) »
- Bonne lecture et une bonne soirée (assez fraîche ...) de Bruxelles !
Bien cordialement
Paul Pastiels
Paul Pastiels
Re: TINTIGNY 22/08/1914
Bonsoir à Toutes & Tous,
- Voici donc la fin de la traduction annoncée du témoignage de Gerhard SIEGERT, canonnier-pointeur du 6e FAR. Hélas, je ne dispose pas des pages suivantes ....! Nous sommes donc le 25/08/1914 :
« (…) De nouveau, tous remercièrent Dieu pour le troisième jour de combat surmonté de manière heureuse.
La nuit se passa calmement et, pourtant, chacun pressentait que l’adversaire se posterait bientôt à nouveau. Nous n’avions pas de cartes à disposition : nous ne savions pas une fois où nous nous trouvions.
Un nouveau jour commença (le 25/08/1914). Le silence de la nature nous entourait, et nous nous sentions à nouveau comme à la manœuvre. Notre grand bagage (train) arriva encore également tôt le matin, que nous n’avions plus vu depuis le jour devant Tintigny, et nous apporta des moyens de subsistance et le courrier de campagne. Je fus renversé, par le conducteur du 2e fourgon d’approvisionnement - qui chevauchait un cheval d’artillerie français réquisitionné (de la batterie bombardant sur le pont à Mesnil), et jeté sous le fourgon suivant circulant au trot, tiré par quatre chevaux. J’ai eu la présence d’esprit de me dégager des sabots des chevaux avant que les roues me saisissent. Le capitaine, qui était spectateur de la scène, cria puissamment au sergent : cependant il retint à peine son cheval, parce que la monture française ne comprenait pas l’allemand (sic !). J’échappai encore raisonnablement à quelques ruades vigoureuses et j’étais joyeux qu’aucun des chevaux n’ait marché sur moi. Le bagage avait amené pour chaque véhicule, excepté du pain, des biscottes, du gruau et des conserves de viande et aussi de la viande fraîche de porc. Il revint au moins 1 livre et demie pour chaque homme. Le canonnier n° 1, un réserviste, fit fonction de cuisinier à notre pièce et il attribua à chacun ce qu’il lui revenait. Mais aujourd’hui wurde nichts aus dem Essen ; car comme la viande commençait à devenir tendre, le feu devait être éteint : on avançait déjà à nouveau plus loin. (…)
Je proposai au canonnier n° 1 de retirer les morceaux de viande du dessous du chaudron, pour les essayer en chemin, s’ils étaient déjà assez tendres. Ma proposition trouva le consentement général. Le pain de munition et la viande (Wellfleisch) chaude goûtaient merveilleusement, bien que je ne me sois jamais fait jusque là.
Vers midi, nous franchîmes la frontière belgo-française.
Au cours de la journée, nous nous heurtâmes alors avec presque tous les régiments de notre division qui s’écoulaient des différents chemins latéraux sur notre route principale et, déjà en fin d’après-midi, toute la division s’étirait en une colonne infiniment longue vers le sud-ouest. A droite et à gauche devant nous, nous entendîmes toute l’après-midi des fusillades violentes, et nous nous attendions à chaque instant d’être utilisé d’autant plus que la marche allait de l’avant presque sans à-coups.
Lorsque nous passâmes un des prochains villages (Margny), nous vîmes dans le verger d’une métairie 30 francs-tireurs fusillés en rangs, couchés l’un à côté de l’autre sur le gazon, qui avaient livré à nos gens un combat régulier. Les Français en fuite avaient ameuté la population civile sur l’adversaire poussant de près, pour arrêter temporairement celui-ci.
Quelle troupe avait entrepris l’exécution, nous ne le savions pas.
Une surprise horrible suivait les autres. On semblait être dans cette guerre de même qu’en l’année 1870.
Les Français avaient encore campé ici il y a peu de temps. Les endroits du campement étaient clairement reconnaissables à de nombreux objets usagés, à des objets d’équipement jetés et abandonnés.
Ils se trouvaient dans les fossés de la chaussée et sur les emplacements du camp : sacs à dos, fusils (la plupart brisés), sabres, cartouchières, tuniques, toiles de tente, manteaux, képis, dragonnes, courroies, etc … Ils devaient avoir également un approvisionnement plus abondant que nous car toute la route de marche était comme parsemée de restes de repas, de boîtes à conserves vides ou à moitié vides.
La marche alla vers Margut par Herbeuval. Vers le soir, la batterie s’écarta latéralement de la route et bombarda un avion, à nouveau sans résultat. Nous pouvions certainement tirer, mais pour une cible aérienne, nos canons étaient cependant mal appropriés.
Le ciel s’était chargé de lourds nuages de pluie et il sembla aujourd’hui faire sombre très tôt.
Plus loin, nous aperçûmes quelque chose de plus horrible : dans l’accotement droit de la route, un fantassin se trouvait agenouillé, touché au milieu du front, le visage et l’uniforme ensanglanté. Il avait baissé la tête, il levait les mains pliées à hauteur de poitrine, comme en prière.
La batterie passa en trottant devant. Les canonniers s’étonnaient pourquoi nous nous arrêtions pas pour prendre soin du pauvre homme, car derrière nous la route était vide.
Nous cherchions en vain, impressionnés, une liaison entre des cavaliers en patrouille et les fantassins. Le sort des cavaliers était absolument compréhensible, mais celui des fantassins était inexplicable. Ils avaient été tous les deux tiraillés dans quelque embuscade, cela était établi. Le fantassin, cependant, n’avait été seul dans aucun piège, et nous nous étonnions qu’on l’ait laissé dans une telle posture.
Nous nous promettions de ne plus jamais nous éloigner seul de la batterie et d’aller seul dans les villages pour chercher de l’eau. Car partout guettaient la fatalité et quelque embuscade, bien qu’il n’y avait souvent plus rien à voir des troupes françaises. Dès cet instant, nous regardions les civils avec d’autres yeux et nous nous en méfions.
Il commençait déjà à faire fort sombre, lorsque nous atteignîmes la troupe restante. Après avoir dépassé l’infanterie au trot, nous arrivâmes à la pleine obscurité dans le gros village de La Ferté sur Chiers. Ici nous ne pouvions pas aller plus loin, comme les Français avaient fait sauter le pont sur la petite rivière. Les batteries devaient se mettre en bas de la chaussée et pouvaient camper sur les prés marécageux jusqu’à ce que les sapeurs aient construit un pont provisoire. Entre-temps c’était devenu noir. Nous n’osions pas faire bouillir de l’eau et les chevaux ne furent pas abreuvés parce que l’eau de la petite rivière devait être contaminée (verseucht). Nous mangions seulement de la viande froide en conserve avec un morceau de pain de munition et nous nous assoyions alors en attendant sur la pièce (d’artillerie). L’eau sur les prés marécageux était très froide et nous gelions fortement.
A 1h de la nuit, on avança. Les sapeurs éclairaient le pont provisoire achevé entre-temps avec des flambeaux. A environ 1200 jusqu’à 1500m derrière la localité, on s’arrêta à nouveau et nous allâmes vers 3h du matin en bivouaque. J’étais personnellement joyeux que je n’avais pas de garde et que je pouvais dormir d’une traite, car j’étais très fatigué. Les impressions du dernier jour m’avaient fait du fil à retordre.
Quand nous nous réveillâmes au petit matin, une journée magnifique nous saluait (26/08/1914). Tout (le monde) bondissait étonné. Les conducteurs donnaient à manger (….?) »
- Nous sommes donc en pleine guerre de mouvement vers la Meuse, vers la Marne... Si un artilleur érudit passe par ici, j'aimerais bien connaître:
- la vitesse théorique d'une batterie en marche ;
- la vitesse théorique d'une batterie au trot;
- la capacité en obus d'un caisson, d'un avant-train pour canon allemand de 77.
- Merci d'avance!
- Bonne lecture, bonne soirée (bien froide ...) de Bruxelles!
- Voici donc la fin de la traduction annoncée du témoignage de Gerhard SIEGERT, canonnier-pointeur du 6e FAR. Hélas, je ne dispose pas des pages suivantes ....! Nous sommes donc le 25/08/1914 :
« (…) De nouveau, tous remercièrent Dieu pour le troisième jour de combat surmonté de manière heureuse.
La nuit se passa calmement et, pourtant, chacun pressentait que l’adversaire se posterait bientôt à nouveau. Nous n’avions pas de cartes à disposition : nous ne savions pas une fois où nous nous trouvions.
Un nouveau jour commença (le 25/08/1914). Le silence de la nature nous entourait, et nous nous sentions à nouveau comme à la manœuvre. Notre grand bagage (train) arriva encore également tôt le matin, que nous n’avions plus vu depuis le jour devant Tintigny, et nous apporta des moyens de subsistance et le courrier de campagne. Je fus renversé, par le conducteur du 2e fourgon d’approvisionnement - qui chevauchait un cheval d’artillerie français réquisitionné (de la batterie bombardant sur le pont à Mesnil), et jeté sous le fourgon suivant circulant au trot, tiré par quatre chevaux. J’ai eu la présence d’esprit de me dégager des sabots des chevaux avant que les roues me saisissent. Le capitaine, qui était spectateur de la scène, cria puissamment au sergent : cependant il retint à peine son cheval, parce que la monture française ne comprenait pas l’allemand (sic !). J’échappai encore raisonnablement à quelques ruades vigoureuses et j’étais joyeux qu’aucun des chevaux n’ait marché sur moi. Le bagage avait amené pour chaque véhicule, excepté du pain, des biscottes, du gruau et des conserves de viande et aussi de la viande fraîche de porc. Il revint au moins 1 livre et demie pour chaque homme. Le canonnier n° 1, un réserviste, fit fonction de cuisinier à notre pièce et il attribua à chacun ce qu’il lui revenait. Mais aujourd’hui wurde nichts aus dem Essen ; car comme la viande commençait à devenir tendre, le feu devait être éteint : on avançait déjà à nouveau plus loin. (…)
Je proposai au canonnier n° 1 de retirer les morceaux de viande du dessous du chaudron, pour les essayer en chemin, s’ils étaient déjà assez tendres. Ma proposition trouva le consentement général. Le pain de munition et la viande (Wellfleisch) chaude goûtaient merveilleusement, bien que je ne me sois jamais fait jusque là.
Vers midi, nous franchîmes la frontière belgo-française.
Au cours de la journée, nous nous heurtâmes alors avec presque tous les régiments de notre division qui s’écoulaient des différents chemins latéraux sur notre route principale et, déjà en fin d’après-midi, toute la division s’étirait en une colonne infiniment longue vers le sud-ouest. A droite et à gauche devant nous, nous entendîmes toute l’après-midi des fusillades violentes, et nous nous attendions à chaque instant d’être utilisé d’autant plus que la marche allait de l’avant presque sans à-coups.
Lorsque nous passâmes un des prochains villages (Margny), nous vîmes dans le verger d’une métairie 30 francs-tireurs fusillés en rangs, couchés l’un à côté de l’autre sur le gazon, qui avaient livré à nos gens un combat régulier. Les Français en fuite avaient ameuté la population civile sur l’adversaire poussant de près, pour arrêter temporairement celui-ci.
Quelle troupe avait entrepris l’exécution, nous ne le savions pas.
Une surprise horrible suivait les autres. On semblait être dans cette guerre de même qu’en l’année 1870.
Les Français avaient encore campé ici il y a peu de temps. Les endroits du campement étaient clairement reconnaissables à de nombreux objets usagés, à des objets d’équipement jetés et abandonnés.
Ils se trouvaient dans les fossés de la chaussée et sur les emplacements du camp : sacs à dos, fusils (la plupart brisés), sabres, cartouchières, tuniques, toiles de tente, manteaux, képis, dragonnes, courroies, etc … Ils devaient avoir également un approvisionnement plus abondant que nous car toute la route de marche était comme parsemée de restes de repas, de boîtes à conserves vides ou à moitié vides.
La marche alla vers Margut par Herbeuval. Vers le soir, la batterie s’écarta latéralement de la route et bombarda un avion, à nouveau sans résultat. Nous pouvions certainement tirer, mais pour une cible aérienne, nos canons étaient cependant mal appropriés.
Le ciel s’était chargé de lourds nuages de pluie et il sembla aujourd’hui faire sombre très tôt.
Plus loin, nous aperçûmes quelque chose de plus horrible : dans l’accotement droit de la route, un fantassin se trouvait agenouillé, touché au milieu du front, le visage et l’uniforme ensanglanté. Il avait baissé la tête, il levait les mains pliées à hauteur de poitrine, comme en prière.
La batterie passa en trottant devant. Les canonniers s’étonnaient pourquoi nous nous arrêtions pas pour prendre soin du pauvre homme, car derrière nous la route était vide.
Nous cherchions en vain, impressionnés, une liaison entre des cavaliers en patrouille et les fantassins. Le sort des cavaliers était absolument compréhensible, mais celui des fantassins était inexplicable. Ils avaient été tous les deux tiraillés dans quelque embuscade, cela était établi. Le fantassin, cependant, n’avait été seul dans aucun piège, et nous nous étonnions qu’on l’ait laissé dans une telle posture.
Nous nous promettions de ne plus jamais nous éloigner seul de la batterie et d’aller seul dans les villages pour chercher de l’eau. Car partout guettaient la fatalité et quelque embuscade, bien qu’il n’y avait souvent plus rien à voir des troupes françaises. Dès cet instant, nous regardions les civils avec d’autres yeux et nous nous en méfions.
Il commençait déjà à faire fort sombre, lorsque nous atteignîmes la troupe restante. Après avoir dépassé l’infanterie au trot, nous arrivâmes à la pleine obscurité dans le gros village de La Ferté sur Chiers. Ici nous ne pouvions pas aller plus loin, comme les Français avaient fait sauter le pont sur la petite rivière. Les batteries devaient se mettre en bas de la chaussée et pouvaient camper sur les prés marécageux jusqu’à ce que les sapeurs aient construit un pont provisoire. Entre-temps c’était devenu noir. Nous n’osions pas faire bouillir de l’eau et les chevaux ne furent pas abreuvés parce que l’eau de la petite rivière devait être contaminée (verseucht). Nous mangions seulement de la viande froide en conserve avec un morceau de pain de munition et nous nous assoyions alors en attendant sur la pièce (d’artillerie). L’eau sur les prés marécageux était très froide et nous gelions fortement.
A 1h de la nuit, on avança. Les sapeurs éclairaient le pont provisoire achevé entre-temps avec des flambeaux. A environ 1200 jusqu’à 1500m derrière la localité, on s’arrêta à nouveau et nous allâmes vers 3h du matin en bivouaque. J’étais personnellement joyeux que je n’avais pas de garde et que je pouvais dormir d’une traite, car j’étais très fatigué. Les impressions du dernier jour m’avaient fait du fil à retordre.
Quand nous nous réveillâmes au petit matin, une journée magnifique nous saluait (26/08/1914). Tout (le monde) bondissait étonné. Les conducteurs donnaient à manger (….?) »
- Nous sommes donc en pleine guerre de mouvement vers la Meuse, vers la Marne... Si un artilleur érudit passe par ici, j'aimerais bien connaître:
- la vitesse théorique d'une batterie en marche ;
- la vitesse théorique d'une batterie au trot;
- la capacité en obus d'un caisson, d'un avant-train pour canon allemand de 77.
- Merci d'avance!
- Bonne lecture, bonne soirée (bien froide ...) de Bruxelles!
Bien cordialement
Paul Pastiels
Paul Pastiels