Bonsoir,
Je viens de recevoir le livre du Capitaine Regnault: Loin de France, Pages détachées du Carnet de route d’un officier de l’Armée d’Orient 1915-1917, Société Française d’imprimerie et de publicité, Paris, Angers, 1921.
Je vous livre le passage qui nous intéresse:
"L'avion abattu.
Gros émoi dans le camp. Des cris, des appels m'éveillent. Au dessus de nous, à faible hauteur, se déroule un combat aérien. La jumelle aux yeux, je regarde. Le français soudain, fonce sur son adversaire. Là-haut, les mitrailleuses crépitent. Clameur formidable: l'allemand tombe. A pic, l'appareil descend pour se renverser soudain. Un point noir est projeté en avant et je vois nettement l'homme tomber en boule, tandis que l'appareil renversé glisse plus doucement vers le sol.
L'avion est tombé dans la partie sud du lac Ardzan, marécage couvert de roseaux, dépassant l'eau de plus de deux mètres.
Discussion hâtive avec les aviateurs français qui ont atterri au bord du lac, des barques sont réquisitionnées par mes zouaves et nous embarquons.
Un chenal frayé nous permet d'espacer les cinq barques sur un vaste front et face au sud, nous nous enfonçons dans les roseaux.
Seul dans ma barque avec un adjudant et un pécheur grec, nous allons, restant en liaison à la voix avec les barques voisines.
Les roseaux serrés empêchent de ramer et coupent les mains qui les écartent. Une odeur fétide monte de cette eau croupie, où grouillent des larves informes, des nuages de moustiques tourbillonnent autour de nous.
Une heure durant, nous avançons ainsi, les appels des voisins se font rares, las de cette navigation pénible, ils nous abandonnent.
Seuls dans les roseaux, nous voguons, la gaffe ne rencontre plus le fond, la barque fait eau et l'écope, passée de main en main a peine à la vider. Une avarie, une fissure, ce sera la mort sans rémission, la noyade sans espoir de secours, en plein marais. Pourtant, nous le sentons, nous sommes sur la bonne voie et pourtant, en vain de l'avant de la barque, je fouille l'épais taillis des joncs. Encore un effort, des deux bras, j'écarte les tiges et soudain, un cri nous échappe: "le voilà!"
Les roseaux brisés sur un large espace, dans une grande tâche d'huile et d'essence, entouré de débris, l'oiseau abattu est là, dans un grand silence. Retourné, les deux ailes brisées le soutenant encore, il étale fièrement au ciel, ses croix noires, tandis que le vent joue une fanfare grêle aux cimes des roseaux.
Notre barque aborde l'appareil. Hissé sur le fuselage, j'atteins et défonce le capot. Un casque, des papiers, des cartes mouillées, je recueille ce butin et soudain, mon bras plongé dans l'eau touche quelque chose: le corps du pilote allemand....
Demain, des zouaves réussiront à ramener l'avion au rivage et le cadavre sera enterré avec les honneurs militaires.
Et puis, plus tard....
Kalenik, octobre 1916. Un soldat entre et salue: "Mon lieutenant, l'officier payeur vous prie de vouloir signer ceci". Et tandis que ma main signe l'acte de décès de "Koestle Joseph de Hanovre (Allemagne) aviateur, décoré de la Croix de Fer, mort dans un combat aérien le 23 mars 1916, à Amatovo, Grèce", je revois soudain le ciel si clair de mars, l'avion abattu flottant sur le lac, tandis que le vent se jouait dans les roseaux et ma pensée va très loin, vers l'officier, vers l'autre qui , projeté de cinq cent mètres de hauteur, s'est enfoui à tout jamais, lui, sans laisser aucune trace dans les roseaux d'Ardzan."
Ce qu'on peut en tirer:
- Les photos présentées datent du lendemain du crash, 24 mars, jour où les zouaves ramènent l'épave et le corps sur la terre ferme. Les personnes qui y figurent ne sont donc pas nécessairement les découvreurs de la veille.
Cordialement
Benoît