Attaque du 14 Décembre 1915.
Rapport du capitaine
Quitté Port Saïd le 12 Décembre 1915 à 21h00 à destination de Valence. Le 14, très beau temps, mer plate.
Par 33°44’ N et 21°23 E, le 2e capitaine me fait remarquer deux points noirs à l’horizon, droit devant. On dirait un remorqueur et son remorqué avançant très peu. Quoique ne pouvant croire à deux sous-marins naviguant de conserve, à 16h36, je mets la barre toute à droite et fuis en présentant l’arrière. A 16h40, un coup de canon dissipe mes doutes. Mis à l’allure maximum.
Les deux sous-marins nous poursuivent en tirant sur nous. Nous ripostons avec notre pièce de 47 embarquée à Port Saïd sur ordre ministériel. L’un des poursuivants renonce, mais l’autre continue à tirer et reste hors de notre portée. Comme il gagne de vitesse, il se met parfois en travers pour rester hors d’atteinte et nous voyons que c’est un grand sous-marin. Plusieurs projectiles tombent tout prêt du navire, éclaboussant l’arrière.
A 17h05, le sous-marin cesse sa poursuite et son tir, et nous cessons le nôtre en continuant notre route. Nous n’avons pas été atteints. Sondes des cales normales. Cette demi-heure de chasse du sous-marin m’a paru fort longue, malgré mon impassibilité.
Notre chargement se composait de 18000 balles de jute, matière hautement inflammable, et de 250 fûts de 750 litres d’alcool, encore plus inflammables. Un seul projectile ennemi atteignant le MEINAM aurait causé sa perte.
Dès l’attaque, Monsieur Pieroni, TSF, a envoyé le signal de détresse. Le vapeur espagnol LEGASPI est venu à notre aide, restant trois heures près du point indiqué. Un navire de guerre anglais et un français ont aussi répondu. Recevant l’avis de l’abandon de la poursuite, ils nous ont souhaité bonne chance et félicités.
J’ai été très bien assisté par
- Monsieur Pally, 2e capitaine
- Monsieur Sorin, 1er lieutenant
- Monsieur Lamy, 2e lieutenant qui dirigeait le tir de la pièce
- Monsieur Saldou Alfred, quartier-maître canonnier, de Bayonne
- Monsieur Béranger, chef mécanicien
- Monsieur Tieren 2e mécanicien
ainsi que par les hommes de quart dans la machine et la chaufferie et ceux qui faisaient passer les munitions. Les autres étaient à l’abri sur le pont, avec leurs ceintures de sauvetage, près des canots 1 et 2 débordés et munis de vivres.
Les sous-marins ont tiré entre 70 et 80 coups et nous 50. Tout le monde a fait son devoir et je n’ai constaté aucun désordre.
A 17h06, mis cap au NE, puis au N à 17h36 et enfin au N65W, route initiale, à 18h30.
Je suis heureux, après 25 ans passés à la compagnie et 33 à la mer, d’avoir pu bien terminer ce voyage en faisant mon devoir.

Les sous-marins attaquants
Ne sont pas identifiés.
Toutefois, le seul grand sous-marin se trouvant alors exactement sur cette zone était l’U 39 du KL Walter Forstmann.
Lettre du capitaine François VEZIA, commandant du MEINAM, à l’Amiral LEFEVRE commandant la Marine à Marseille
Je vous transmets un dossier relatant divers épisodes de ma navigation en temps de guerre à l’effet d’obtenir la Croix de la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre, me basant sur la citation de mon collègue Gentile.
« Tous égaux devant la Loi » et « A mérite égal, récompense égale » me font croire que vous prendrez ma demande en considération et l’apostillerez favorablement auprès du commandement de la Marine.
Dans sa lettre, le capitaine Vezia revient sur l’attaque du 14 Décembre1915 lors du voyage Calcutta, Valence, Gênes, Marseille avec un chargement valant vingt millions (chiffre souligné) et signale plusieurs autres voyages du MEINAM. Affrété en time-charter par le Ministère de la Guerre, il a effectué deux voyages du Tonkin, ramenant plusieurs milliers d’ouvriers annamites, puis un voyage sur Bône pour embarquer 2020 Sénégalais et leur encadrement à destination de Salonique. Il a ensuite chargé 7000 tonnes de sel pour Rangoon, et est revenu par Chin Wang Tao et Saïgon, ramenant des coolies Chinois ou Vietnamiens.
Il termine en donnant ses références :
VEZIA François, capitaine du MEINAM. CLC brevet supérieur, inscrit à Cette n° 56.
33 ans de service. Engagé volontaire en 1916.
- Médaille commémorative du Tonkin (Campagnes de Chine de 1884/85 sous l’Amiral Courbet)
- Chevalier de l’Ordre Royal du Cambodge
- Titulaire du Kin Kanh de la cour de Hué
- Médaillé de la Société pour l’avancement des sciences
- Possesseur d’une longue-vue sémaphorique délivrée par le Ministère de la Marine
Note du Contre Amiral Lefevre du 8 Décembre 1916
Au point de vue de la forme, la demande du capitaine Vezia constitue une véritable revendication dont le principe est absolument inadmissible. Semblable revendication ne serait admissible que formulée par les autorités militaires –ou chefs civils- dont dépend l’intéressé.
Le rapport du capitaine Vezia a été transmis au Ministre la 1er Janvier 1916. A l’époque, la doctrine n’était pas établie et il n’y avait pas de questionnaire type.
Le capitaine Gentile avait été attaqué par un sous-marin le 24 Novembre 1915 sur le TAFNA et avait du faire face à un début de panique, n’ayant pas été soutenu par son second. Il avait à nouveau été attaqué le 10 Janvier 1916 et avait eu une brillante conduite. De plus, il avait déjà été proposé en temps de paix pour la Légion d’Honneur. Sa promotion était donc le résultat de plusieurs propositions successives, y compris en temps de paix, chose dont son collègue du MEINAM ne semble pas s’être rendu compte. Si le capitaine du MEINAM devait recevoir la Légion d’Honneur, il n’y aurait plus qu’à la donner à tout capitaine qui, attaqué par un sous-marin, n’abandonne pas son navire et a la chance de ne pas être atteint par le canon.
La conduite du capitaine Vezia a été plus qu’honorable et correcte et mérite une récompense, mais qui ne saurait être la Croix de la Légion d’Honneur. J’estime qu’il pourrait recevoir un témoignage de satisfaction du Ministre.
Cdlt