Bonjour à tous,
□ L’Indiana fut capturé le 9 avril 1915 en rade de Mersin (Empire ottoman) par le croiseur cuirassé Latouche-Tréville (Capitaine de frégate Charles Henri Dumesnil), alors qu’il venait de Dédéagatch (Bulgarie) — aujourd’hui Alexandroúpoli (Grèce) — et allait à Beyrouth, après avoir auparavant touché à Voula, au Pirée et à Rhodes. La capture fut constatée par un procès-verbal établi par l’enseigne de vaisseau de 1re classe Maurice Aubert. La cargaison saisie comprenait :
— Une caisse d’ustensiles de cuisine en cuivre et hors d’usage ;
— Deux petits sacs de figues et 21 caisses de raisin ;
— 2.519 sacs de sucre, 2.002 sacs de riz et 763 sacs de café ;
— 1.201 caisses de tabac, 53 caisses de papier, 3 caisses d’objets manufacturés non identifiés et 197 colis de tombaki ;
— 22 sacs de matières tannantes ;
— Quelques fusils, cartouches et poignards à simple usage défensif.
Lors de sa capture, l’Indiana était la propriété d’une société dénommée American Archipelago Steam-ship Company, constituée et enregistrée dans l’État du Maine (États-Unis), mais dont le siège social était à Smyrne (Turquie) ; elle l’avait acquis le 21 mai 1911 sous le nom d’Eurotas de MM. Alexandre A. Kapparis, Georges G. Phiakis et Athan. I. Krinos, armateurs associés dans une compagnie grecque de navigation à vapeur. Armé à Portland (États-Unis) et battant donc pavillon américain, le bâtiment avait pour capitaine un ressortissant grec du nom de Cromousis.
La décision d’armer l’Indiana comme croiseur auxiliaire fut prise le 22 juin 1915 par le vice-amiral commandant la 3e Escadre. Il fut alors conduit d’Alexandrie à Port-Saïd, base de ladite escadre, par un équipage restreint, commandé par le lieutenant de vaisseau Roger Lafon. Après avoir été renommé l’Indien le 28 juin, il fut armé en guerre à partir du lendemain — pour le prix estimé de 12.000 francs — par un atelier de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, et ce grâce à l’entremise du lieutenant de vaisseau de réserve Pierre Henri Châteauminois, l’un des directeurs de l’exploitation du canal ; furent notamment installés sur son pont deux canons de 65 mm et deux canons de 47 mm, fournis par le cuirassé Jauréguiberry. L’effectif complet fut arrêté à 60 hommes : un lieutenant de vaisseau commandant (Émile Forget), trois enseignes de vaisseau de réserve (MM. Eugène Saint-Lô, Jean Nicolas et François Roulet), pilotes du canal de Suez, un second maître mécanicien (Charles Cariou), un second maître fusilier (Gilles Coupannec), 54 quartiers-maîtres et marins. Plus tard, le quartier-maître fourrier fut remplacé par un second-maître, secrétaire-comptable du commandant (Bernard). Et le 12 juillet, l’Indien était prêt à prendre la mer.
Par une décision en date du 6 mai 1916, le Conseil des prises déclara néanmoins nulle la capture de l’Indiana, de ses accessoires et armes, ainsi que de son chargement. Cette juridiction considéra en effet que « les preuves apportées par le ministre de la Marine pour établir qu’au moment de la capture la propriété de l’Indiana appartenait à des sujets ottomans, dissimulés sous le nom de l’American Archipelago Steamship Company, [étaient] insuffisantes », dans la mesure où rien ne permettait, en l’état du dossier dont elle était saisie, « de dire que l’Indiana, quoique non enregistré comme navire américain, n’était pas, au moment de la capture, une propriété neutre et n’avait pas le droit de battre pavillon américain d’après la législation des États-Unis. »
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— Émile FORGET : « En action en mer. Extraits du Journal de bord du croiseur auxiliaire Indien (Juin ~ Septembre 1915) », in « En patrouille à la mer », préface du commandant Auguste Thomazi, éd. Payot, « Collection de mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la guerre mondiale », Paris, 1929, 304 p., avec 10 cartes, 21 photographies et 9 dessins de Pierre Le Comte.
« L’INDIANA.
Au cours des premiers mois de 1915 et à trois reprises différentes, à bord du D’Entrecasteaux, nous avions rencontré, soit en rade d’Alexandrette, soit en rade de Mersina, un petit paquebot mixte, l’Indiana. On l’avait visité. Il naviguait sous pavillon américain, était commandé par un Grec, avait un équipage grec et appartenait à une société gréco-germano-américaine. Son chargement était varié... et apparemment ne tombait pas sous le coup de la contrebande de guerre. Chaque fois, il avait été laissé libre de continuer son trafic, et pourtant il paraissait suspect à tous...
Un jour d’avril 1915, le Latouche-Tréville, commandé par le capitaine de frégate Dumesnil, trouve l’Indiana en rade de Mersina. Visite. La situation générale du bâtiment, de son équipage, de son pavillon, de son chargement, parait plus que suspecte au commandant Dumesnil.
Il n’est pas possible de vérifier en rade de Mersina ce qu’il renferme véritablement dans ses flancs. Pour s’en rendre compte, il faut absolument le décharger dans un port.
Le commandant Dumesnil décide de considérer l’Indiana comme prise de guerre... jusqu’à plus ample informé. Un noyau d’équipage, ayant à sa tête le lieutenant de vaisseau Roger Lafon, est mis à bord, et le bâtiment est envoyé à Alexandrie.
Bien manœuvré.
La Commission des prises discutera, mais le navire ne trafiquera plus pour le compte de l’ennemi.
Le 22 juin 1915, le vice-amiral commandant la troisième escadre décide d’armer en guerre l’Indiana comme croiseur auxiliaire. Il me désigne pour en prendre le commandement provisoire et le conduire d’Alexandrie à Port-Saïd, base de la troisième escadre. C’est pour moi la perspective splendide de commander enfin un flotteur et de pouvoir travailler à la mer comme il convient, " pour le bien du pays et le succès des armes de la France ", suivant la vielle formule que la marine emploie pour la remise officielle d’un bateau à son commandant.
Un noyau d’équipage est désigné — mécaniciens et hommes de pont — et deux enseignes de vaisseau de première classe de réserve me sont adjoints : M. Saint-Lô et M. Nicolas, pilotes du canal de Suez.
Le 22 juin, nous nous rendons par voie ferrée à Alexandrie.
L’Indiana se trouve amarré dans le port. Il a été déchargé, visité de fond en comble, puis déclaré de bonne prise. Il n’y a plus à discuter.
A bord se trouvent encore le commandant grec et quelques hommes, dont le chef mécanicien M..., qui me produit une excellente impression. Homme très intelligent, connaissant le français, l’anglais, l’allemand, le turc, l’arabe et le grec. Pour la mission qu’aura à remplir l’Indiana, ce citoyen levantin pourra me rendre de très bons services... comme interprète. D’autre part, il est à bord depuis longtemps. Il connaît le bateau et sa machine, et pourra servir à mettre mon personnel au courant. Je lui demande s’il veut rester à bord, comme chef mécanicien auxiliaire, aux appointements de 300 francs par mois. Sans hésitation, il accepte... Je ferai régulariser la situation plus tard par l’amiral.
Recensement rapide, avec le commandant, de tout ce qui reste à bord, et je renvoie à terre, définitivement, le citoyen commandant et ses acolytes.
En compagnie du chef mécanicien M..., je fais le tour du bord. Le navire est d’une saleté repoussante. Il aura besoin d’être nettoyé et désinfecté. Ce sera la première opération à faire.
C’est un navire de 1.800 tonnes environ, de 85 mètres de long. Une machine robuste, une chaudière, plus une chaudière auxiliaire. A toute puissance, la vitesse peut atteindre 12 nœuds, et 10 nœuds normalement sans forcer.
Pas de cloisons étanches. Une grande cale à l’avant, une grande cale à l’arrière de la machine, deux grands panneaux donnant accès à ces cales. Sous le pont, les cabines de 1re et 2e classe. Un salon, une salle à manger à l’arrière, où donnent les cabines de 1re classe. On y accède par un escalier sous un roufle.
Sur le pont à l’arrière, et faisant suite au roufle, un kiosque. Au milieu du pont, un spardeck, allant du panneau de la cale arrière à la passerelle, élevée d’un étage. Sur la passerelle, une chambre de veille, et un abri de navigation au centre.
A l’aplomb de la passerelle et sur le pont, la chambre du commandant, placée directement au dessus des chaudières. Feux allumés, il doit y faire très chaud. Cela n’a aucune importance.
Sur l’avant du panneau de la cale avant, se trouve la descente aux cabines des secondes.
Dans la matinée, l’inspection a été passée. Le second maître mécanicien, qui doit avoir la charge de la machine, a pris contact avec ses appareils. Tout est très simple, et avec quelques indications d’ordre pratique que donnera l’ancien chef mécanicien anglo-grec de l’Indiana, on se tirera bien d’affaire dès le début.
L’après-midi, dès la fin du déjeuner, allumé les feux. Je veux faire un simili-essai au point fixe, pour servir d’école au personnel, avant de prendre la mer.
Très tard dans la soirée, on met " bas l’ouvrage ". La popote est vite faite à bord.
Au branle-bas, je dis quelques mots de félicitation à mes guerriers.
Tout le monde est content.
Couché à bord dans les hamacs que les hommes ont emporté avec eux. Je ne tiens pas à les faire dormir dans la literie des Grecs, avant de l’avoir désinfectée.
23 juin. 5 heures, branle-bas. Nous sommes restés sous les feux pendant toute la nuit . On est prêt à reprendre les leçon de la veille.
Les rôles de navigation et de manœuvre ont été établis rapidement. Chacun connaît sa fonction, pour conduire l’Indiana, comme un " patouillard " qu’il est pour le moment. On a fait exercice de transmission, manœuvré la machine, la barre, les treuils et le guindeau, vérifié les deux compas du bord... J’estime que nous pouvons prendre la mer.
16 heures. Appareillage.
Tour d’horizon, et rectifié la compensation des compas, dès la sortie du port.
Très beau temps, petite brise d’Est, mer plate. Nous défilons devant les feux du delta du Nil.
24 juin. 5 heures, atterrissage correct sur les feux de Port-Saïd.
Visite de l’amiral. Compte-rendu. Réglé la situation du chef mécanicien de l’Indiana. L’amiral approuve pleinement la mesure que j’ai prise.
28 juin. Le vice-amiral commandant la troisième escadre, après autorisation du comman-dant en chef et du ministère, me nomme définitivement au commandement de l’Indiana, qui change de nom et s’appellera l’Indien.
L’amiral me charge, en liberté de manœuvre, d’armer le bateau et de le transformer en croiseur auxiliaire.
Bien. Je sais déjà tout ce qu’il faut faire. Ce sera fait rondement, et aux moindres frais.
M. Chateauminois, lieutenant de vaisseau de réserve, l’un des directeurs de l’exploitation du canal de Suez, se trouve à Port-Saïd. C’est l’un de mes camarades — et un chic officier. Il me donne toutes indications utiles pour m’aboucher avec un des ateliers du Canal.
L’ingénieur anglais de l’atelier vient à bord. Je lui expose ce qu’il faut faire.
1° — Canons : je prévois 4 pièces de 100, 2 à tribord, 2 à bâbord par le travers du panneau de cale avant. Il faut faire des consolidations sérieuses sous le pont, renforcer la membrure et assurer la liaison avec le bordé.
2° — Soutes à munitions : dans la cale avant, à l’aplomb des pièces. Les soutes seront de simples " box " avec traverses pour tenir les munitions au roulis.
3°— Poste de T.S.F. : à installer.
4° — Projecteur mobile : sur le spardeck à l’avant et sous la passerelle. Le projecteur, sur rouleaux, pourra être disposé soit au milieu, soit à tribord ou à bâbord.
5° — Guindeau : à mettre en état.
Procéder à quelques réparations essentielles.
Le service de santé se charge du nettoiement et de la désinfection générale.
Devis établi, le montant des dépenses s’élèvera à 12.000 francs environ, que j’ai la faculté de régler par une traite.
Rendu compte à l’amiral. Approbation, sauf en ce qui concerne le projet d’armer l’Indien avec quatre pièces de 100, dont les bâtiments de la troisième escadre ne peuvent pas se démunir. L’amiral m’accorde quatre pièces de 65. Les consolidations prévues pour les 100 seront bonnes pour les 65. Le Jauréguiberry est désigné pour céder les canons à l’Indien. Finalement, il ne livrera que deux 65 et deux 47.
L’ingénieur anglais a été convaincu par mes soins de la nécessité de ne pas faire traîner les travaux en longueur. Il est possible de mener de front plusieurs chantiers sans qu’ils se gênent mutuellement. Dès le 29 juin, des ouvriers spécialistes, avec un excellent contremaître, viennent à bord. Ces gens connaissent leur métier et savent travailler sans perdre de temps. Jamais aucun d’eux ne sera surpris assis sur son derrière et baillant aux corneilles ; de ce côté, je suis tranquille.
Pendant que les travaux d’installation suivent leur cours normal, à mon entière satisfaction (on travaille jusqu’à minuit, en deux équipes), je complète l’équipage.
Ça n’est pas une petite affaire, car je dépends des voisins : les grands bâtiments de la troisième escadre.
Parmi les hommes qui nous sont destinés, la plupart proviennent du Desaix, après 24 mois de séjour en Chine.
L’effectif complet a été fixé à 60 hommes : un lieutenant de vaisseau commandant, 3 enseignes de vaisseau de réserve, pilotes du canal de Suez, un second-maître mécanicien, un second-maître fusilier, 54 quartiers-maîtres et marins. Plus tard, le quartier-maître fourrier sera remplacé par un second-maître, secrétaire du commandant comptable — mon fidèle et sympathique Bernard.
Les ordres de l’amiral sont formels : les bâtiments de la troisième escadre doivent désigner des hommes d’excellente conduite.
Mais l’expérience prouve que, dans ces circonstances, les commandants en second n’hésitent pas à se débarrasser des indésirables ; ... c’est humain. Et l’Indien subira la loi commune.
Les rôles ont été établis. Au fur et à mesure que les hommes qui nous sont destinés embarquent à bord, chacun est informé de son poste de combat, de son poste de veille, de son poste de propreté, de son poste de manœuvre, etc. Personnellement, je vois et j’interroge chaque homme à son arrivée. Son livret matricule me donne une idée de ce qu’il est, de ce qu’il a fait antérieurement, de ce que je pourrai attendre de lui. Et j’en profite pour donner quelques conseils.
12 juillet. Tout est paré. [...] » (op. cit., p. 13 à 18)
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• Conseil des prises, 6 mai 1916, 24e espèce. — « Vapeur Indiana. » — MM. Fromageot, rapporteur ; Chardenet, commissaire du Gouvernement ; Mes Bernier et Bickart-Sée, avocats (Rec. Lebon, p. 648).
Entre : d’une part, les propriétaire, capitaine et chargeurs du vapeur Indiana, capturé le 9 avril 1915 sur rade de Mersina (Asie Mineure) par le croiseur français Latouche-Tréville, — et, d’autre part, le ministre de la Marine agissant pour le compte des capteurs et de la Caisse des invalides de la marine ;
Vu la lettre du ministre de la Marine en date du 23 juillet 1915, enregistrée au secrétariat du Conseil des prises le 12 août 1915, portant envoi du dossier concernant la capture du vapeur Indiana et concluant à ce qu’il plaise au Conseil déclarer valable la capture dudit vapeur avec ses accessoires et de toute sa cargaison, y compris les armes trouvées à bord embarquées sans autorisation régulière ;
Vu les pièces et documents composant ledit dossier et notamment : 1° – Le procès-verbal de capture en date du 9 avril 1915 et l’inventaire sommaire de la prise ; 2° – Deux certificats du consul général des États-Unis à Smyrne des 26 juin et 30 décembre 1914 et concernant le port du pavillon américain par l’Indiana, ensemble un acte de transfert de propriété dudit navire, en date du 21 mai 1911, au profit de l’American Archipelago Steamship Company ; 3° – Le manifeste de déchargement et deux connaissements ; 4° – L’interrogatoire du capitaine et de l’équipage ;
Vu le mémoire en date du 14 septembre 1915, présenté par Me Bernier (Charles), avocat au Conseil d’État, au nom de la société dite Archipelago American Steamship Company, se disant propriétaire du vapeur Indiana, ledit mémoire..., concluant à ce qu’il plaise au Conseil : 1° – Ordonner la restitution immédiate de l’Indiana ; 2° – Dire et juger que toutes sommes dues à ce navire, à titre d’indemnité et de dépens par l’État français, seront versées à ladite société, avec intérêts de droit à dater du jour dudit mémoire ;
Vu le mémoire présenté par le consul général d’Italie à Paris le 20 septembre 1915 et enregistré au secrétariat du Conseil des prises le 21 septembre 1915, pour la maison de commerce italienne « Figli di C. Veropoulos », concluant à ce qu’il plaise au Conseil ordonner la restitution de 2.000 sacs de riz, 764 sacs de café, 1.755 et 759 sacs de sucre, et 97 balles de tombac capturés à bord de l’Indiana, dire et juger qu’une indemnité devra être payée aux propriétaires, comprenant un intérêt de 9 % sur le prix actuel des marchandises saisies et le prix du fret de ces marchandises d’Alexandrie à Larnaca ;
Vu les observations et pièces complémentaires présentées par ledit Me Bernier (Charles), au nom de l’American Archipelago Steamship Company ;
Vu le mémoire présenté par Me Bickart-Sée, avocat au Conseil d’État, au nom de M. Mermingas, négociant, demeurant au Pirée (Grèce)..., et concluant à ce qu’il plaise au Conseil déclarer non valable la saisie de 100 sacs de tombac de marque X. capturés à bord de l’Indiana, ordonner que l’État français devra restituer la marchandise si elle existe en nature, sinon en payer la valeur telle qu’elle est fixée par la police d’assurance, dont production est faite ;
Vu la dépêche du ministre de la Marine en date du 2 mai 1916, concluant à ce qu’il plaise au Conseil décider qu’en cas de relaxe, aucuns frais ou dépens soient mis à la charge de l’État ;
Vu les conclusions du commissaire du Gouvernement tendant à ce qu’il plaise au Conseil décider : 1° – Que soit déclarée nulle la capture du vapeur Indiana, de son chargement et des armes trouvées à bord ; 2° – Que le navire, sa cargaison et les armes soient restitués à ceux qui justifieront devant le ministre de la Marine en être propriétaires ; 3° – Que, dans le cas où le navire et lesdites marchandises et objets n’existeraient plus en nature, l’État soit condamné à payer à leurs propriétaires une somme représentant leur valeur au moment de la capture ou le prix soit de leur vente, soit de leur réquisition ; 4° – Que toute demande
d’indemnité soit rejetée ; 5° – Que les dépenses qu’a entraînées la capture soient supportées par les propriétaires du navire et des marchandises, conformément au règlement de Décembre 1705 ;
Vu la notification publiée au Journal officiel du 14 août 1915 ;
Vu les arrêtés des 6 germinal an VIII et 2 prairial an XI ;
Vu la déclaration du Congrès de Paris du 16 avril 1856 ;
Vu le décret du 6 novembre 1914 déclarant applicable, sous réserve de certaines additions et modifications, la déclaration signée à Londres le 26 février 1909 ;
Vu les décrets des 9 mai 1859 et 28 novembre 1861 ;
Le Conseil, après en avoir délibéré,
CONSIDÉRANT que le vapeur Indiana, de 703 tonneaux, battant pavillon américain et venant de Dédéagatch (Bulgarie), a été capturé en rade de Mersina (Turquie d’Asie) par le croiseur français Latouche-Tréville, le 9 avril 1915 ; que ladite capture a été constatée par un procès-verbal en la forme, régulièrement dressé auxdits lieu et jour et ainsi conçu :
« L’an mil neuf cent quinze, le neuf avril, à sept heures du matin, étant sur rade de Mersina, je soussigné Aubert (Maurice), enseigne de vaisseau de 1re classe, désigné à cet effet par le commandant du croiseur cuirassé Latouche-Tréville, me suis rendu à bord du vapeur américain Indiana armé à Main in Portland, venant de Dédéagatch, Voulas, Pirée Rhodes, à destination de Beyrouth, sous le commandement de B. Cromousis ;
» Attendu que le bâtiment porte pavillon américain, bien que le commandant et les officiers soient de nationalité grecque, contrairement aux conditions indiquées au tableau n° 1 de l’annexe II. à l’instruction du 19 décembre 1912, sur l’application du droit international en cas de guerre ;
» Attendu que le bâtiment possède un certificat du 30 décembre 1914, délivré par le consul général des États-Unis à Smyrne, l’autorisant à naviguer sous pavillon américain, mais que, dans ce certificat, il n’est nullement fait mention d’une dérogation possible aux conditions imposées par les États-Unis pour le droit au pavillon national ;
» Attendu que le bâtiment navigue sans manifeste ;
» Attendu que le bâtiment transporte de la contrebande conditionnelle consistant en : 1° – 2.490 kilos de matières tannantes à destination de Tripoli (Syrie) ; 2° – Une caisse de 1 mètre cube environ, contenant des ustensiles de cuisine en cuivre, hors d’usage, ne pouvant être utilisés que pour la fonte et dont il n’est fait mention dans aucun des papiers de bord ;
» Attendu que le bâtiment transporte des marchandises d’origine ou de destination finalement ennemie (c’est-à-dire visées par le télégramme ministériel du 19 mars 1915), consistant en : sucre, 240 tonnes de provenance autrichienne (fabrique des frères Skene, ainsi que le prouvent les étiquettes apposées sur les sacs) ; tabac, 65 tonnes de la régie ottomane, pour différentes villes de la Syrie ;
» Ainsi qu’il résulte de la visite que j’ai faite et de l'examen des papiers de bord, je l’ai déclaré de bonne prise ;
» Comme justification de la capture, j’ai saisi et renfermé dans un sac dûment scellé les papiers de bord énumérés dans l’inventaire ci-joint ;
» J’ai dressé un état portant, en outre des papiers de bord, inventaire sommaire du bâtiment et du chargement, des effets, argent, instruments nautiques et autres objets appartenant au capitaine et à l’équipage ;
» J’ai fait fermer les panneaux des cales, fermer et sceller la chambre 14, où sont déposées les armes et munitions, etc., saisi la clé de cette chambre et apposé les scellés au nombre de treize sur les divers locaux, soit quatre sur chacun des panneaux des cales et un sur le cadenas fermant la chambre 14 ;
» Requis d'apposer également son sceau sur lesdits sacs et ouvertures, le capitaine de l’Indiana a refusé de procéder à cette opération ;
» De tout ce qui précède, j’ai dressé le présent procès-verbal en double expédition, dont l’une pour être remise au capitaine de l’Indiana, lequel a refusé de signer avec moi après lecture.
» N. B. — Pendant la visite du bâtiment, j’ai constaté que les marchandises déposées dans la cale avaient été mouillées.
» L’officier visiteur,
» Signé : M. Aubert ».
Qu’audit procès-verbal a été joint un inventaire portant :
« Papiers de bord. — a) Deux certificats du consul général des États-Unis à Smyrne, l’un du 26 juin 1911, l’autre du 30 décembre 1914, avec le contrat de vente ; b) Deux patentes de santé, l’une délivrée à Dédéagatch le 12 mars 1915, l’autre à Mersina le 7 avril 1915 ; c) La feuille matriculaire du bâtiment ; d) La liste des passagers ; e) Neuf connaissements sur papier blanc et deux connaissements sur papier bleu.
» N. B. — Il n’existe pas de police d’assurance. Le journal de bord et le journal de la machine ont été laissés à la disposition du commandant et du chef mécanicien pour les besoins de la navigation ».
En ce qui concerne le navire : — Considérant qu’il résulte du procès-verbal de capture et de l’inventaire des papiers de bord ci-dessus rapportés, que l’Indiana n’a, au moment de la visite, justifié d’aucune preuve constatant son enregistrement régulier aux États-Unis comme navire américain ;
Considérant que le navire avait seulement à bord, comme justification de son pavillon, deux certificats délivrés par l’autorité consulaire américaine à Smyrne, les 26 juin 1911 et 30 décembre 1914, dont la traduction certifiée conforme est ainsi conçue :
« Formule n° 35. — Certificat à, délivrer aux citoyens des États-Unis qui se rendent acquéreurs dans les ports étrangers de navires américains ou de navires construits à l’étranger.
» Je, Lucien Memminger, vice-consul général adjoint, chargé du consulat général des États-Unis pour le port de Smyrne (Turquie), certifie par les présentes que, le contrat de vente portant la date du 21 mai 1911 du vapeur Eurotas de 703, 15 tonneaux, vendu et transféré par MM. Alexandre A. Kapparis, Georges G. Phiakis et Athan. I. Krinos, propriétaires armateurs de la compagnie grecque de navigation à vapeur de Syria, à l’Archipelago American Steamship Company, ainsi qu’il m’a été prouvé d’une façon satisfaisante, a été dûment passé par les parties qui l’ont signé et je certifie en outre que l’Archipelago American Steamship Company, qui y est mentionnée comme acheteuse dudit navire, est une société constituée et enregistrée dans l’État du Maine (États-Unis d’Amérique).
» En foi de quoi j’appose ici ma signature et le sceau du consulat général ce 26 juin de l’an de grâce 1911.
» L. S. Signé : Lucien Memminger,
» Vice-consul général délégué, chargé du consulat général ».
SERVICE CONSULAIRE AMÉRICAIN.
« A tous ceux qu’il appartiendra, je, Georges Horton, consul général des États-Unis d’Amérique à Smyrne (Turquie), certifie par les présentes que le vapeur Indiana est la propriété de l’Archipelago American Steamship Company, société enregistrée dans l’État du Maine.
» Le vapeur Indiana arbore le pavillon américain en vertu de l’article 20 des règlements consulaires, et cela à la pleine connaissance et avec le consentement du département d’État.
» En foi de quoi, j’ai apposé ici ma signature et le sceau du consulat général des États-Unis ce 30 décembre 1914.
» L.S. Signé : Georges Horton,
» Consul général des États-Unis d’Amérique ».
Considérant que le ministre de la Marine, se référant aux lois des États-Unis du 15 août 1912 et du 18 août 1914, soutient que l’autorisation consulaire américaine permettant à l’Indiana de battre pavillon américain aurait été donnée irrégulièrement et que la nationalité du navire ne se peut déterminer dans l’espèce que par celle de ses propriétaires, lesquels seraient en réalité des sujets ottomans, se dissimulant sous le nom de American Archipelago Steamship Company ;
Considérant qu’il résulte d’une quittance notariée en date à Hermopolès de Syra (Grèce) du 21 mai 1911 et qu’il n’est pas contesté que l’Indiana a fait l’objet d’un transfert de propriété au profit de la société dite American Archipelago Steamship Company, déclarée dans ladite quittance comme ayant son siège à Smyrne (Turquie d’Asie) ;
Considérant que les certificats délivrés les 26 juin 1911 et 30 décembre 1914 par l’autorité consulaire des États-Unis à Smyrne, attestent que ladite société est enregistrée dans l’État du Maine (États-Unis d’Amérique) et sont délivrés conformément à l’article 20 des règlements consulaires des États-Unis ; qu’aux termes des règlements pour le service consulaire des États-Unis, article 20, il est prescrit :
« §. 341 — Droit d’acquérir la propriété sur des navires étrangers. — Le droit des citoyens des États-Unis d’acquérir la propriété sur des navires étrangers a été considéré comme un droit naturel indépendant des lois écrites, et cette propriété a droit, comme telle, à la protection des États-Unis comme toute autre propriété d’un citoyen des États-Unis. »
« §. 343. — Enregistrement des actes de vente, certificat., etc. — En présence des règlements existants et pour permettre aux propriétaires d’un navire de cette espèce de protéger leurs droits, s’ils sont molestés ou contestés, un fonctionnaire consulaire, quoiqu’il lui soit interdit par la loi de délivrer aucun document maritime ou certificat de propriété, peut légalement enregistrer dans sa chancellerie l’acte de vente, constater son exécution et délivrer à l’acheteur un certificat à cet effet attestant également que le propriétaire est un citoyen des États-Unis. Avant d’accorder un semblable certificat, l’agent consulaire deman-dera que le tonnage du navire soit régulièrement déterminé, conformément la loi, et le mentionnera dans la désignation du navire dans son certificat (Formule n° 35). Ces faits ainsi constatés, si le transfert est de bonne foi, donnent au navire le droit à protection comme propriété légitime d’un citoyen des États-Unis, et la constatation de l’acte de vente et de la nationalité vaudront comme présomption de cette bonne foi, sauf preuve contraire. »
« §. 347. — Droit d’arborer le pavillon. — Le privilège de battre le pavillon des États-Unis est réglé par le congrès, et il peut avoir été dans l’intention de cette assemblée que ce privilège profite seulement aux navires régulièrement documentés. Toutefois, aucune semblable intention ne se trouve dans aucune loi. Or, comme il n’est pas défendu à un citoyen d’acheter et d’employer à l’étranger un navire étranger, il est considéré comme raisonnable et comme convenable qu’il lui soit permis d’arborer le pavillon de son pays comme une marque de sa propriété et pour la due protection de son bien. La pratique d’arborer le pavillon pour ces navires est aujourd’hui établie. Le droit ne sera pas contesté, et il est probable qu’il serait respecté par les tribunaux. »
Considérant que ces dispositions sont confirmées et expliquées, en tant que de besoin, notamment par les instructions suivantes du secrétaire d’État des États-Unis du 26 décembre 1879 (Foreign Relations of the United States, 1879, p. 894 ; Moore's Digest, vol. VII, p. 421) :
« Les navires dans ces conditions ne peuvent pas naturellement réclamer les privilèges et les immunités ainsi que la protection absolue qui sont accordés aux navires régulièrement enregistrés comme navires américains trafiquant entre les ports des États-Unis et les ports des pays étrangers. Les propriétaires américains domiciliés à l’étranger, engagés dans ces sortes d'affaires, assument tous les risques de ce genre de trafic. S’ils sont saisis par des bâtiments de guerre de l’un ou de l’autre belligérant et traduits devant des cours d’amirauté siégeant comme cours de prises, ils n’ont pas le droit de demander aux agents diplomatiques des États-Unis qu’il leur soit accordé plus qu’un traitement loyal devant ces cours. En d’autres termes, le fait qu’ils sont munis de certificats consulaires de propriété américaine leur assure seulement une présomption que tel est le fait, et ils n’ont pas nécessairement droit de ce chef à demander aux légations des États-Unis autre chose de plus que la protection accordée à toute autre espèce de biens appartenant à des citoyens américains domiciliés en pays étrangers. »
Considérant que le certificat délivré, le 20 juin 1911, par le consul américain à Smyrne est en tous points conforme à la formule légale n° 35 annexée aux règlements ci-dessus rapportés et visés au susdit §. 343 de l’article 20 de ces règlements ;
Considérant que les preuves apportées par le ministre de la Marine pour établir qu’au moment de la capture la propriété de l’Indiana appartenait à des sujets ottomans, dissimulés sous le nom de l’American Archipelago Steamship Company, sont insuffisantes ; que, dans ces conditions, rien ne permet dans l’état du dossier de dire que l’Indiana, quoique non enregistré comme navire américain, n’était pas, au moment de la capture, une propriété neutre et n’avait pas le droit de battre pavillon américain d’après la législation des États-Unis
En ce qui concerne la cargaison : — Considérant qu’il résulte du procès- verbal de capture, de l’inventaire et de l’instruction de la prise, qu’en fait, la cargaison comprenait : 1° – Une caisse d’ustensiles de cuisine en cuivre et hors d’usage ; 2° – 2 petits sacs de figues et 21 caisses de raisin ; 3° – 2.519 sacs de sucre, 2.002 sacs de riz et 763 sacs de café ; 4° – 1.201 caisses de tabac, 53 caisses de papier, 3 caisses d’objets manufacturés non identifiés et 197 colis de tombaki ; 5° – 22 sacs de matières tannantes ; 6° – Des armes ;
Considérant que, parmi ces marchandises, seuls les lots de sucre, riz et café faisaient l’objet de connaissements ;
Considérant qu’il n’est pas établi que les ustensiles de cuisine en cuivre et hors d’usage, non plus que les petits sacs ou caissettes de figues et de raisins et les trois caisses d’objets manufacturés aient eu une destination hostile ; qu’en ce qui concerne le sucre, le riz, le café et les manières tannantes, les pièces versées au dossier sont insuffisantes pour constituer la preuve nécessaire, d’une destination hostile ;
Considérant que les autres marchandises n’étaient pas, par leur nature, classées au moment de la capture parmi les articles désignés comme contrebande de guerre ; qu’aux termes de la déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856, le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l’exception de la contrebande de guerre ; que, dès lors, ces marchandises ne sauraient être confisquées, quels qu’en puissent être les propriétaires, chargeurs ou destinataires ;
Considérant que les quelques fusils, cartouches et poignards trouvés à bord de l’Indiana, lequel avait uniquement le caractère de navire marchand, constituaient par leur nature et leur faible importance de simples moyens de défense, dont il est légitime de pourvoir les navires de commerce ;
En ce qui concerne la responsabilité du bâtiment capteur et les dommages-intérêts réclamés : — Considérant qu’en trafiquant sans pouvoir justifier d’un enregistrement établissant légalement le caractère de navire américain, l’Indiana naviguait à ses risques et périls et pouvait à bon droit paraître suspect ; qu’à une semblable situation, irrégulière, sinon d’après la loi américaine, du moins au point de vue international, se joignait une documentation incomplète en ce qui concerne le chargement ; qu’en fait, le navire a été capturé sur rade de Marsina, alors que cette escale n’apparaissait comme prévue sur aucun des papiers trouvés à bord ; que, dans ces conditions, la capture a été amplement justifiée par des motifs suffisants ; qu'il ne saurait donc y avoir lieu à dommages-intérêts ;
Décide : I. – Est nulle la capture du vapeur Indiana, de ses accessoires et armes ainsi que de son chargement, effectuée le 9 avril 1915 par le croiseur français Latouche-Tréville ; — II. – Le navire, ses accessoires et armes ainsi que sa cargaison, ou, si ceux-ci n’existent plus en nature, leur valeur à l’époque de la capture ou de leur vente, seront rendus a ses propriétaires, déduction faite de tous frais et charges auxquels a donné lieu la prise, conformément à l'arrêt de règlement du 23 décembre 1705; — III. – Toutes conclusions à fin de dommages-intérêts sont rejetées.