NORD CAPER - Patrouilleur

kgvm
Messages : 1126
Inscription : ven. janv. 18, 2008 1:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par kgvm »

Merci, Franck.
Might be useful to give some background to my question.
WZ-Bilderdienst at Wilhelmshaven (who took over the collection of the well known Foto Drüppel) sells three pictures labelled as "V 1607" (sorry, for copyright reasons I cannot post them). All three display the same prominent triangle at the front of the bridge which "our" ship (the ship I gave the link for) has, too.
Two of them show the same ship, a trawler-type vessel, which - apart from having only one tripod mast on the bridge instead of the two masts, the length of the forecastle (sufficient only to accomodate the foremost gun) and the height of the anchor hawser - is almost identical to the ship on the picture. But the German navy has rebuilt many ships with a tripod mast instead of two pole masts to give a better angle of fire for the AA guns, so only the two other points are valid.
The third picture shows a trawler which differs in the form of the bow: the anchor is positioned higher, just as high as "our" ship carries it. And the forecastle is decidedly longer, but I'm not sure whether it's even longer than the forecastle of "our" ship, their length might be the same..
Of course the difference might be the result of some rebuilding, may be after a heavy damage of the bows, but the third picture shows also a second trawler in the background, whose bridge is identical to the boxy bridge visible on all pictures. The oldfashioned form of the poop (the foreship is hidden :( ) is identical, too. So I assume this picture shows the only two big old trawlers which served with the 16. Vorpostenflottille, namely "V 1607" ex "Nord Caper" and "V 1602" ex "La Provence".
But of course I would like to be sure and to know, which picture shows which trawler.
Regards
Klaus Günther
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »

Bonjour Klaus,

Merci pour ces précisions, je comprends mieux votre démarche. Difficile de dire en effet qui a fait quoi et sur quel bateau (surtout après transformations et sans photo ;) ). Si d'aventure vous pouvez le déterminer avec précision, j'en serai ravi
C'est tout de même étonnant qu'en France, s'agissant du Nord Caper, un des très rares bateaux à avoir obtenu droit à la fourragère pour faits de guerre, nous n'ayons pas davantage d'informations disponibles, je pense aux clichés, notamment.

Bien cordialement,
Franck
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »

Re,

Suite du récit :

Le Nord-Caper est en route vers l'Est. Le 20 octobre, à l'aube, une masse d'ocre surgit, par tribord devant, entre le ciel bleu et la mer bleue : c'est Malte, l'île du miel, l’ile des Chevaliers de Saint-Jean, le havre des flottes de la Religion, le refuge des corsaires chrétiens, la terreur des Barbaresques, le boulevard de la Méditerranée, Malte aux mille cavernes, aux cent catacombes, Malte qu'écrasent les grands souvenirs, Malte, arsenal britannique dont la guerre a fait le point d'appui des escadres de France.
Le chalutier longe la côte Nord, au pied des collines de pierre tendre qui se chauffent aux rayons du matin et s'élèvent, amphithéâtre harmonieux, depuis les anses sablonneuses et couronnées de redoutes, jusqu'à la ligne culminante de Bengemma. La clarté divine, la transparence parfaite de l'atmosphère sèche révèlent, dans ses moindres détails, le travail patient des hommes. La terre précieuse, autrefois apportée de Sicile, est divisée en champs minuscules amoureusement cultivés, tous clos de murs qui atténuent le souffle dur du mistral presque incessant, des « gregales » rares et bénis qu'accompagne la pluie, ou du maudit « levante », plus pénible que le sirocco d'Afrique. Ce versant Nord offre, par endroits, l'aspect d'un échiquier immense où des joueurs géants auraient laissé traîner des pièces colossales, telles que la tour l'Ahmar, toute rose, ou la sévère tour l'Abiat.
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »


Quand le Nord-Caper double Tal Ahrash, promontoire Nord-Est de l'île, le soleil est déjà haut. Sa lumière attaque en plein le flanc oriental, amas formidable d'édifices et de murailles dont chaque pierre a bu du sang. Des canons partout. On devine leurs embrasures taillées dans le roc vif. Pièces du plus gros calibre, impuissantes à protéger les navires mouillés dans le port contre l'assaillant invisible. La vraie défense, la seule efficace, serpente sur l'eau, presque invisible elle aussi. C'est une ligne de bouées minuscules qui supportent le filet indicateur, terreur des sous-marins ; c'est ensuite, à l'orée même du port, une estacade de lourds madriers flottants. Reconnu et guidé par l'arraisonneur, le Nord-Caper franchit les barrages. Le voici dans l'entrée. A droite, c'est la masse du château Saint-Elme, où périrent par milliers les soldats du sultan Suleiman, deuxième du nom, alors que le plateau que couronne aujourd'hui la Valette n'était encore qu'une falaise abrupte, nue et rôtie par le soleil. A gauche, c'est le fort Ricazoly, que domine la T. S. F. de Rinella, quadrille de grands pylônes d'acier portant le réseau arachnéen des antennes.
Puis, lentement, le chalutier embouque le long boyau du Grand Port qu'enserrent les vieilles villes ceinturées de remparts, de bastions, de courtines. Masse extraordinaire et sans brèche, œuvre de vingt-sept grands-maitres, qui tous ont travaillé à rendre plus forte la citadelle de l'Ordre, contre quoi les Infidèles se sont cassé les dents. Une muraille formidable, rectiligne, ininterrompue, plus haute que les plus hautes mâtures, court le long de la rive Nord. Elle flanque et défend le plateau qui porte la fille du grand-maître Jean Parisot de la Valette, la cité aux palais de pierre polie, dorée par la caresse du soleil, la capitale qui contemple orgueilleusement, par-dessus le port, ses aînées qu'elle a détrônées : la cité Vittoriosa, la cité Cottonera, vieilles bourgades dont les maisons brunies se mirent dans les eaux du port des Français, du port des Galères, du port des Anglais, anses profondément découpées dans la rive Sud du Grand Port.
Le Nord-Caper s'avance. Devant les murs de la Valette sont amarrés une dizaine de navires marchands arrêtés dans leur voyage vers Marseille, vers Gibraltar ou vers le Levant. A Malte, on va leur dire où l'ennemi s'est montré pour la dernière fois, les détourner des chemins dangereux, les aiguiller sur les voies les moins malsaines, routes sûres hier encore, peut-être mortelles aujourd'hui... Leurs capitaines regardent passer le chalutier solide et bien assis sur l'eau. Quels seront les heureux qui profiteront de son escorte pour la traversée prochaine ? Le commandant en chef décidera.
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »


Du haut de sa passerelle, Lacombe cherche l'armée navale... Le grand port, qu'il a connu encombré de bout en bout par deux lignes continues de cuirassés amarrés proue contre poupe, le grand port dont les anses grouillaient de torpilleurs et de sous-marins, le grand port est presque vide. La France, dreadnought, la Vérité, cuirassé, le Chateaurenault, croiseur. C'est tout. Où est donc l'armée navale ?
L'armée navale paie en ce moment sa croisière de blocus. Huit mois durant, devant l'entrée de l'Adriatique, quinze cuirassés, six croiseurs cuirassés, quarante contre-torpilleurs ont bourlingué jour et nuit, en ligne de file, aux postes de combat, ne s'arrêtant que pour charbonner au large, quelques heures tous les trois jours. Ligne de blocus que la menace des submersibles de Cattaro a refoulée peu à peu vers le Sud. Tant et si bien qu'après avoir gardé le canal d'Otrante, elle a briqué successivement les parallèles de Corfou, de Zante, de Navarin et enfin de Candie... Deux cent quarante jours de mer, dure épreuve pour le matériel, mais splendide école pour les hommes. Cependant que la flotte d'Autriche, amarrée à Pola, soignait ses appareils et fourbissait ses armes, mais laissait moisir ses équipages dans l'inaction totale, mère de la défaite... A présent, nos arsenaux de Toulon et de Bizerte sont pleins de navires en réparation, et c'est l'Italie, avec son armée navale concentrée à Tarente, qui a pris charge de l'Adriatique.
Le Nord-Caper est mouillé. Lacombe se rend sur la France, qui bat pavillon de l'amiral Dartige du Fournet, depuis dix jours commandant en chef de l'armée navale. Audience rapide. L'amiral Dartige, petit homme alerte et vif, adore ses patrouilleurs, mais les fait trimer dur.
Voici ses ordres. Le Nord-Caper est rattaché à !a division des chalutiers de l'Égée, basée sur Milo. Tandis que les torpilleurs escortent les convois, les chalutiers cherchent les sous-marins et leurs bases de ravitaillement. Le Nord-Caper va, pour cette besogne, croiser dans l'Archipel, où les Allemands sont chez eux. Il n'aura pas un sou pour acheter les consciences, donc pas un renseignement, car ceux des insulaires qui ne sont pas strictement neutres sont à la solde de l'ennemi. Donc, travail à l'aveuglette... Bah ! On se débrouillera.
Le départ pour Milo est fixé au 22 octobre. Le chalutier escortera la Marie-Louise, cargo français, et l'Aréthuse, vapeur anglais. Voici les renseignements d'octobre : vingt commerçants attaqués par deux sous-marins, seize coulés : dix anglais, un italien, un grec et les quatre français Provincia, Sainte-Marguerite, Antonie et Amiral-Hamelin. Un des ennemis a travaillé à cent milles environ dans le Sud de la Crète, l'autre entre la Crète et Cérigo, en plein sur la route Malte-Dardanelles, laquelle est des plus dangereuses, car elle passe à 400 milles de Cattaro, repaire de submersibles. Le dernier torpillage date du 18 octobre, du côté de l'île Kalimno, à toucher Boudroum, sur la côte d'Asie mineure.
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »


5. Deux épaves

Le 22 octobre, le Nord-Caper appareille avec ses deux conserves.
Pour éviter la route directe, mal fréquentée, il pique en grand vers le Sud, vers le désert d'eau qui borde la Tripolitaine. Mais il faudra bien finir par rallier les points critiques, les entonnoirs de routes, Matapan, Cérigo, Candie, régions patrouillées, certes, mais quand même fertiles en catastrophes. Et le sous-marin de Boudroum a eu, depuis le 18, grandement le temps de rallier ces régions-là.
Temps maniable. Juste assez de clapotis pour que le sillage d'un périscope ne se puisse voir. Mauvais tabac. D'autant plus mauvais que l'Aréthuse porte, parait-il, un chargement précieux. Les Anglais n'ont pas précisé. Lacombe a l’ordre de laisser continuer le bateau sans escorte après le cap Malée. Bon. Il fera bien, en tout cas, de
filer plus de dix nœuds quand il sera seul. Après tout, ce n'est pas notre affaire. Si le chargement en vaut vraiment la peine, les Anglais trouveront bien le moyen de détacher un torpilleur au-devant de l’Aréthuse. Mais, jusqu'au cap Malée, ça regarde le Nord-Caper... Ainsi songe Lacombe, sur sa passerelle qu'il n'a pas quittée depuis le départ de Malte. Rien à signaler le 22 et le 23. Encore une journée à courir avant d'apercevoir la Grèce.

Dimanche 24 octobre. Une légère brise de Sud-Est souffle depuis l'aurore. Il fait très doux. Le ciel, jusqu'à présent dégagé, commence de se charger de grosses nuées grises. A midi, dans une éclaircie, l'enseigne de vaisseau auxiliaire Poulallier*, second du bord, grand gaillard solide et rasé de près, prend la hauteur du soleil. Un cri descend de la mâture : « Quelque chose sur l'eau, droit devant. » Quelque chose ? Quoi ? A tout hasard, le signal d'alerte, toujours prêt, est déferlé. Le Nord-Caper fonce. Les cargos font demi-tour.

* M. Poulallier a publié, sous le pseudonyme Bernard-Frank, le "Carnet d’un enseigne de vaisseau", dans lequel est contée l’odyssée du Nord-Caper, et "En plongée", conte sous-marin.

Un des Boulonnais a escaladé les haubans, en renfort de vigie. Un coup d'œil lui suffit :
— Deux canots peints en blanc, un grand et un petit. Personne dedans.

Le Nord-Caper rappelle les deux vapeurs et s'approche. Le canot, criblé de balles, est, comme la baleinière, maculé de trainées brunes de sang séché. Sous les bancs, des vivres, des caisses d'eau douce, des avirons. Dans le canot, deux ou trois calots de soldats français, une veste d'artilleur portant le chiffre 17. Sur le plat-bord, une inscription : Amiral-Hamelin. Inutile de chercher davantage. On a vu les gens de l'Hamelin en passant à Bizerte.
Voici leur histoire.
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,

La suite :

6. L’Amiral Hamelin

Les Chargeurs Réunis avaient autrefois toute une série de cargos mixtes, navires à passagers et à marchandises, portant des noms d'amiraux Les gens peu pressés, et que rebutaient les prix de passage des grands courriers, embarquaient sur ces navires et s'en trouvaient bien. Robuste barque de 5 000 tonnes, l'Amiral Hamelin était commandé par le capitaine Guibert, de Binic. L'état-major était moitié normand, moitié breton. Lannion, Tréguier, Paimpol, Saint-Malo avaient fourni presque tout l'équipage, à l'exception de quelques chauffeurs noirs ou arabes, d'un boy annamite et d'un maitre d'hôtel suisse.
Le 2 octobre 1915, l'Hamelin embarque 312 passagers militaires, en route pour Salonique, renforts pour les 17e et 23e régiments d'artillerie et pour le 2e groupe d'aviation. L'Amiral Hamelin part seul… Tous les torpilleurs de l'armée navale sont au travail dans les parages de Matapan et de la Crète, où les sous-marins donnent en grand. Et notre misère est telle que, pour habiller Pierre, le commandant en chef est obligé de laisser Paul complètement nu.
Peut-être pourrait-on attendre ? Impossible. Il faut gagner du temps. La Guerre fait charger et partir, au plus tôt parés, tous ses transports. Sitôt prêts, on les pousse dehors, sans même les grouper par deux, souvent sans prévenir la marine. Et quand il s'agit d'un envoi de munitions, — on en manque en Macédoine comme partout, — c'est une bousculade inouïe. Or l'Amiral Hamelin emporte 2 000 obus de gros calibre, 15 000 coups de 75 et 2 millions de cartouches pour fusils et mitrailleuses. Comment voulez-vous retarder cette expédition ?
Corse, Sardaigne, cap Bon, Pantellaria. Le cargo a franchi sans incident toutes ces étapes. Dans la nuit du 6 au 7 octobre, il arrive au seuil de l'étendue déserte qui s'étale entre Malte et la grande Syrte. Terrain vague où sans doute les sous-marins ne vont pas perdre leur temps et brûler leur benzine pour rien...
L'aube du 7 octobre. Dans l'Est, le ciel et la mer calme s'éclairent d'une lueur tendre, c'est réellement l'aurore aux doigts de rose. L'Ouest reste sombre et voilé d'une brume légère qui rapproche l'horizon.

Cordialement,
Franck
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »


5 heures. — L’Amiral Hamelin s'éveille. Des artilleurs, tôt levés, émergent des écoutilles, calots posés à la diable, vestes ouvertes ; quelques-uns, demi-nus, se dirigent vers les bailles d'eau douce pour l'ablution matinale ; d'autres, gamelles en main, gagnent la cuisine, en quête du jus. De la passerelle, une voix tonitrue :
— Kerleau, faites faire demi-tour à tous les pelletas qui n'ont pas leur ceinture de sauvetage. Et tâchez de dénicher un gradé pour leur appuyer la chasse. Si ça continue, nous verrons une belle pagaye si nous sommes seringués...
C'est Cariou, le second capitaine, de quart de 4 à 8 heures du matin. Sa carrure de Brestois peu patient se penche sur la rambarde. Et Kerleau, maître d'équipage, un gars de Tréguier, accentue d'un parler sonore et peu choisi les ordres de l'officier. Ils savent bien, l'un et l'autre, qu'il n'y aura pas de pagaye. Deux fois par jour, en a fait l'exercice d'évacuation. Tous les soldats connaissent leurs postes, et la question, posée mille fois : « Arrive ici, canonnier. Où est ton canot ? » attire maintenant une réponse immédiate et précise. De plus en plus nombreux, les artilleurs sortent des panneaux ; leurs bonnes figures, hilares et reposées, les montrent heureux de la détente que leur offre cette traversée, après les horreurs du front, jouissant d'instinct de ce spectacle admirable : le lever du soleil sur la mer très douce.
Cariou, lui, est blasé là-dessus depuis longtemps, car son métier de second lui octroie, chaque matin, le quart du jour. Il poursuit les opérations rituelles du branle-bas : ordres aux maîtres pour la propreté du navire, envoi d'un gabier dans le nid de pie, relèvement du soleil pour le calcul de la variation.
Boum... Un bruit sourd, ouaté, mangé par les bruits du bord, venu on ne sait d'où... Seuls, les gens de la passerelle l'ont perçu.
— Du silence sur le pont ! hurle Cadiou.
Kerleau siffle un coup long suivi de cinq ou six coups piqués, suraigus. Plus un souffle... Le commandant Guibert sort de sa chambre de veille. Boum !... C'est net, cette fois, cela vient de l'Ouest, et tous ont entendu. Dans le sillage d'écume, très loin, une toute petite gerbe jaillit, retombe.
www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »


Et voici l'ennemi. A mille mètres peut-être, juste sur l'arrière, une infime tache noire sur la mer. C'est à peine aussi gros qu'une chaloupe, dirait-on. Guibert, à la jumelle, observe cet infiniment petit... Tiens, on le voit mieux, il a sûrement changé de route. On dirait une planche mince surmontée d'une guérite basse. Un éclair rouge derrière la guérite... puis la planche mince disparaît. Le sous-marin a remis le cap sur l'Hamelin. Évidemment, son canon est sur l'arrière du kiosque, et il est forcé d'embarder, pour envoyer chaque coup. Et chaque embardée lui fait perdre du terrain. On pourra peut-être s'échapper.
En bas, on pousse les feux. Cuny, chef des machines, Huet, troisième mécanicien, donnent l'exemple. La pression monte vite. La coque du grand cargo vibre sous la pulsation hâtée des pistons. Un coup double et un coup simple piqués par la cloche du bord : cinq heures trente. A cet instant, le quatrième obus éclate sur la dunette, le cinquième crève une cheminée, les suivants font grêler sur les superstructures des balles de shrapnells...
L'ennemi gagne main sur main. Il n'est plus qu'à 800 mètres. Sûr du résultat, il tire lentement sur la cible imposante qui se détache, toute noire, contre le soleil dont la réfraction fait une énorme ellipse rouge-sang. Fuite impossible, et pas une pièce pour riposter... Il faut arrêter cette canonnade qui va détruire les canots de sauvetage et massacrer inutilement les soldats. Le commandant Guibert se décide : la sirène de l'Amiral Hamelin pousse trois grands cris douloureux, prolongés et graves, le signal d'abandon.
En un clin d'œil, les soldats se rassemblent et s'alignent, chacun devant son canot. Les maréchaux des logis font l'appel, comme à l'exercice ; les « présent » résonnent clairs et calmes. Et les gradés rendent compte à leurs chefs, au capitaine de Vaumas, aux lieutenants de Cazenove et Hustruy, au sous-lieutenant Vilmin, enfin, au capitaine Vigneron, le plus ancien de tous, chef du détachement embarqué.
En même temps, des pavillons du code international montent au grand mât : « Je suis stoppé ».

www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Avatar de l’utilisateur
Ar Brav
Messages : 6122
Inscription : mar. avr. 25, 2006 2:00 am

Re: NORD CAPER - Patrouilleur

Message par Ar Brav »


6 h. 30. L'ennemi tire depuis une heure. Tout siffle à bord : éclats qui giclent au-dessus des têtes, trilles du maître Kerleau rythmant la manœuvre des garants d'embarcation, fuite assourdissante de la vapeur par les collecteurs crevés. La manœuvre s'opère. A tribord, du côté de l'ennemi, sont les canots 1, 3, 5, 7 et la baleinière ; à bâbord, 2, 4, 6, 8 et le youyou.
Le sous-marin est à 400 mètres à peine. Posément, il tire sur les embarcations. La baleinière, bosse larguée par un maladroit, part à la dérive, inutile... Le canot 1, coupé en deux, coule ; le cuisinier Chastan, le maître d'hôtel Marchon et deux soldats déjà embarqués sont engloutis...
Cadiou surveille le mouvement ; sa tranquillité est contagieuse. Penché sur le plat-bord, il s'étonne :
— Eh bien ! Le canot 3, qu'attendez-vous pour dégager de là ?
— J'attends d'avoir tout mon monde, répond froidement Nédellec, troisième lieutenant du bord.
Et, pendant cette attente, autour de Nédellec, les chauffeurs Clous et Urvoy sont tués, une dizaine de soldats sont blessés. Enfin, l'embarcation déborde et s'éloigne.
Cordier, premier lieutenant, fait parer les garants du canot 5. Un éclat l'empoigne et l'abat. Et, comme un chauffeur se précipite :
— T'occupe pas de moi, dit l'officier, sauve-toi vite.
Du bord opposé au feu, les bâbordais ont pu s'éloigner sans casse. Mais soudain les canots 6 et 8 nagent à pleins bras vers la pluie de shrapnells ; ils ont aperçu le canot 5 criblé, coulant bas d'eau. Ils accostent. Tranquillement, sous les balles, le lieutenant Hustruy, du 17e, répartit son monde dans les embarcations intactes, puis débarque le dernier, comme doit faire un chef.*
Le sous-marin qui vient d'interroger le canot 6 est tout près.**
C'est un grand navire camouflé en zigzags blancs et noirs. Sur son flanc bâbord, trois valises à torpilles sont ouvertes, vides... Il bat pavillon autrichien, camouflage encore qui lui permet, à lui, Allemand, d'envoyer au fond les navires marchands d'Italie, bien que l'Italie ne soit pas encore en guerre avec l'Allemagne. Il n'y a plus grand monde sur l'Amiral Hamelin. Le dernier canot a emmené Pichouron, médecin auxiliaire du 25e, son infirmier Bernard et les blessés. Sur la passerelle demeurent Guibert, Vigneron, de Cazenove. Sur le pont restent encore les gens des embarcations disparues, canot 1 et baleinière.

* Je voudrais pouvoir citer tous ceux dont les rapports officiels indiquent la belle conduite. Mais ils sont trop... Que les autres me pardonnent. Dans ce canot 5, le maréchal des logis Roux, du 17e, vient d'être tué, tandis qu'il écopait l'eau, tel un vieux gabier, aidé de son collègue Gaillot, du trompette Defroésart et du canonnier Frotté. Près d'eux sont étendus, grièvement blessés, le matelot malouin Rault et le boy annamite.

** Le sous-marin a posé les questions habituelles : Votre nom ? — D'où venez-vous ? — Où allez-vous ? — Quel est votre chargement ? — Le nom de votre commandant ? — Où est-il ? — Pourquoi avez-vous tiré ? —Les Allemands posent toujours cette question-là et affirment, dans tous les cas, et contre toute évidence, que c'est le navire marchand qui a commencé…


www.navires-14-18.com
Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Répondre

Revenir à « Navires et équipages »