Bonjour à tous,
SAVOIE II
Navire armé de 2 canons de 90 mm
Rencontre avec un sous-marin le 31 Janvier 1918. Rapport du capitaine.
Quitté Alger le 30 Janvier 1918 à 17h30 avec 206 passagers, les dépêches et 931 tonnes de ravitaillement à destination de Marseille, dont du vin pour l’intendance française et 200 tonnes de figues pour l’intendance anglaise.
Avions à bord l’équipage du vapeur français DJIBOUTI torpillé Lundi dernier au Nord de Dellys.
A 17h50, quitté le chenal de sécurité et fait route au N29E escorté par l’aviso ANTARES. Beau temps, calme plat, horizon net.
Le 31 Janvier vu de nombreux objets à la surface de la mer : barriques, madriers, portes…etc. Veille augmentée avec 2 hommes à l’avant et à l’arrière, y compris les canonniers de quart, l’homme de vigie, 4 hommes sur la passerelle + l’officier de quart et le capitaine. Route en lacets. Franchi le 40e parallèle et le 5e méridien à midi.
A 12h30, apercevons un objet suspect reconnu comme sous-marin. Je le signale à l’ANTARES qui ouvre aussitôt le feu. Nous l’imitons et tirons 5 ou 6 obus avec la pièce arrière. Mis au poste de combat avec coups de sifflet répétés. Esprit combatif agréable à constater. Le 2e capitaine, Mr. Dapelo, monte au nid de pie pour mieux scruter l’horizon. Machine lancée à toute vitesse avec deux quarts à la chauffe et le 3e quart à l’approvisionnement des pièces.
A 12h40, le capot du sous-marin émerge brusquement à 20° sur bâbord arrière, signalé par le second et la vigie. Abattu de 20° sur tribord et l’ennemi vient dans notre sillage, très visible, kiosque hors de l’eau, faible partie de la coque émergeant par moment car il tangue légèrement. Il présente une cible nette, luisante, vernie et grisâtre, réfléchissant à l’infini les rayons du soleil. L’armement de la pièce arrière tire sous la direction de l’officier de tir et le sous-marin est rapidement encadré. Un coup très précis semble l’atteindre sur bâbord avant. Il plonge aussitôt en apiquant.
A 13h05, le second signale à nouveau un sous-marin à 60° sur tribord avant. C’est un objet fusiforme, renflé au milieu, à 2500 m environ et au ras de l’eau, dans le sillage duquel viennent crever à la surface des bulles de gaz. Mis la barre toute à gauche et le sous-marin oblique, découvrant largement son capot et son pont. A 13h10, il est dans notre sillage et la pièce arrière ouvre le feu et la précision du tir est bien réglée. L’ennemi n’étant qu’à 1200 m, il ne peut faire émerger sa partie avant, ce qui l’empêche de faire usage de son canon. Une dizaine de coups sont tirés, dont un paraît l’atteindre à la suite duquel il abandonne la poursuite.
A 13h15, un hourra formidable s’élève de l’arrière saluant cette victoire. Le sous-marin s’éloigne en plongée craignant les coups de l’ANTARES qui se dirige vers nous, ainsi que l’excellence de son tir. La présence de notre escorte n’a pas permis à l’ennemi de nous combattre en surface et de nous endommager. Notre brusque manœuvre de 13h05 ne lui a pas permis de nous torpiller. L’intervalle entre les deux poursuites peut faire penser à la présence de deux sous-marins.
Positions des attaques :
- 40°07 N 05°01 E
- 40°12 N 05°03 E
Dès le début du poste de combat, le capitaine François Guguen du DJIBOUTI et son second Joseph BRIAT sont venus nous assister sur la passerelle. Ils ont précisé le gisement de l’ennemi en le tenant en permanence dans le champ de leurs jumelles et m’ont aidé à manœuvrer avec précision. Monsieur Briat est monté dans la hune après le 1er engagement. Monsieur Rousseau, second mécanicien du DJIBOUTI a rempli avec zèle le rôle d’agent de liaison entre passerelle, postes de combat et TSF.
Je cite de façon toute particulière Mr. Dapelo Antoine, 2e capitaine, pour le concours efficace et précieux qu’il m’a apporté en tant que vigie et que chef de la pièce avant, Mr. Raoult René, officier de tir, resté très calme et très courageux en accomplissant sa mission, Mr. Codou, chef mécanicien, pour le concours très précieux qu’il m’a apporté en faisant donner le maximum de rendement à sa machine, le maître d’équipage Retali Erasme, le second maître Monnier Dominique, sur la passerelle, les matelots Morazzani Ange, à la barre, et Guillesser Pierre, à la vigie, qui m’ont servi avec un zèle et un sang froid auxquels il convient de rendre hommage. La conduite de l’équipage a été plus que satisfaisante.
Chez les canonniers, je cite particulièrement le QM Schutz Charles, chef de la pièce arrière, pour l’adresse, le calme et le sang froid qu’il a montré pendant le combat. Les 5 autres canonniers ont été très décidés et ont servi avec beaucoup d’entrain.
Déposition du second capitaine DAPELO
Le 1er coup tiré a été long et le 2e sur l’ennemi, mais un peu court. J’ai vu le 2e sous-marin pendant à peu près 4 minutes. Il a toujours cherché à venir dans notre sillage. Nous avons tout le temps manœuvré pour le garder derrière nous.
L’équipage s’est très bien comporté. Il y a eu un peu de panique au début du combat parmi les travailleurs kabyles, mais l’ordre a été aussitôt rétabli par le second capitaine du DJIBOUTI, le maître d’équipage et le capitaine d’armes.
Déposition du lieutenant Louis RAOULT, officier de tir
A propos de la deuxième alerte le lieutenant Raoult déclare :
A 13h19, aperçu le sous-marin en demi-plongée à un quart sur tribord arrière. Ouvert el feu avec hausse de 1200 m. Tiré trois coups légèrement à droite, corrigés de la dérive. 4e et 5e coups bons en direction, mais longs. Réduit de 200 m. 6e et 7e coups bon en direction mais courts. 8e coups long. Le but est encadré. De l’avis général, le 9e coup semble porter et tous les hommes poussent un véritable Hourrah. Cessé le feu.
Chronométrie très faible et non utilisée car le sous-marin nous poursuivait à la même vitesse.
La pièce étant restée chargée, tiré un 22e coup à la tombée de la nuit, après avoir reçu autorisation de l’ANTARES. A noter que la fermeture de la culasse est très dure.
Personnel admirable, QM Schutz remarquable de sang froid pendant toute la durée de l’action.
Extraits de la déposition du QM canonnier SHUTZ Charles
Nous n’avions jamais fait d’exercice en branle-bas de combat. Le servant de hausse de la pièce avant était allé une fois à l’exercice au centre AMBC d’Alger. Celui de la pièce arrière était un matelot du bord ne connaissant presque pas le placement de la hausse. J’ai donc dû surveiller moi-même le placement de la hausse et corriger la dérive.
Le premier tir a été exécuté à 5000 m. L’officier de tir a ordonné une correction de dérive et un bond de hausse de 1600m. Puis le commandant a ordonné la suspension du feu.
La deuxième fois, j’ai ouvert le feu à 1000 m, sur une masse que je n’ai pu reconnaître, et tiré deux coups encadrant.
La troisième fois, j’ai nettement vu le kiosque du sous-marin et j’ai même été gêné dans mon pointage par les rayons du soleil réfléchis vers moi. J’ai placé la hausse à 1200 m de ma propre initiative et tiré deux coups bons en direction qui m’ont parus longs. L’officier de tir m’a dit de placer la hausse à 900 ou 1000 m mais le coup a été court et le sous-marin a plongé.
Ce sous-marin marchait à 10 ou 11 nœuds et avait un gros déplacement. L’écume couvrait parfois le kiosque. La poursuite a duré 4 à 5 minutes.
Conclusions du rapport de l’officier AMBC
L’officier AMBC s’étend longuement sur l’armement des pièces, la veille et le déroulement des tirs. Il conclut que le service de veille n’était pas organisé conformément au règlement, le veilleur de hune ne pouvant assurer une veille sur 360 ° et les canonniers effectuant des veilles de trop longue durée.
A propos du tir, il note que l’officier de tir a retenu quelques principes de la méthode de tir enseignée, mais n’a pas dû réfléchir longuement à sa mise en application. Il a peu surveillé les exercices d’entraînement et a désigné des servants de hausse non entraînés.
Il conclut à chaque engagement à un rapprochement nul, or on ne peut imaginer un sous-marin marchant à 14,5 nœuds en plongée presque complète (vitesse de SAVOIE). L’appréciation donnée par le QM canonnier, 10 ou 11 nœuds, quoique surprenante, est certainement plus proche de la réalité.
En plus de sa lenteur à régler le tir en direction, l’officier de tir commence par un bond de 200 m sur des coups « paraissant longs » et déclare néanmoins que le tir a été « encadrant ». Il aurait dû conduire son tir suivant la méthode de « tir contre périscope » ce qui aurait pu mettre le sous-marin hors de combat puisqu’il est resté 5 minutes entre 1000 et 1200 m du canon AR.
Le lent débit de la pièce arrière (1 coup / 50 secondes) vient de la difficulté de fermeture de la culasse. Le gonflement de l’obturateur plastique nécessite l’utilisation d’un maillet pour frapper le levier de manœuvre de la culasse. J’avais constaté cette dureté lors des tirs d’instruction pour les officiers.
Enfin, la mauvaise disposition de la soute arrière n’a pas échappée au centre AMBC de Marseille qui a pris des dispositions pour mettre les munitions dans un endroit plus accessible à la mer.
Rapport de la commission d’enquête
Elle reprend les éléments des divers interrogatoires et conclut :
ANTARES n’a rien vu de suspect dans les environs des points de chute des obus de SAVOIE et a seulement constaté une grande dispersion de ses tirs.
La commission estime que la vapeur SAVOIE a été attaqué par un seul sous-marin, signalé par le matelot en vigie au nid de pie et par le second. Ce sous-marin est sans doute celui signalé le 30 Janvier à 17h00 par 40°08 N et 05°00 E. Pour les autres alertes, les veilleurs ont sans doute été trompés par les effets du sillage du bâtiment. En effet, la commission ne s’explique pas la manœuvre d’un sous-marin émergeant à 1000 m d’un bâtiment pour se faire canonner sans pouvoir torpiller et avec toutes les chances d’être atteint avant d’avoir pu riposter. En fait, le sous-marin, voyant sa chance de torpillage disparaître du fait du changement de route de SAVOIE, a gagné à toute allure une meilleure position, ce qui explique le grand remous qu’il faisait. Mais sans ces alertes précédentes et le renfort de la veille par les hommes de DJIBOUTI, le sous-marin aurait peut-être échappé au veilleur de hune et c’était le torpillage certain.
La commission constate que les prescriptions sur l’entraînement du personnel défensif étaient perdues de vue. Elle regrette que l’officier de tir n’ait pas su mettre mieux à profit l’enseignement reçu pour essayer de couler, ou tout au moins d’endommager un sous-marin tenu pendant 5 minutes sous le feu de sa pièce.
La commission souligne le calme qui a régné à bord pendant les alertes successives, malgré la présence des ouvriers kabyles, et ceci grâce à l’énergique intervention du second capitaine de DJIBOUTI et du maitre d’équipage de SAVOIE.
Récompenses
Témoignage Officiel de Satisfaction
FABRE Marius Capitaine
A montré beaucoup de décision dans la manœuvre de soin bâtiment et n’a pas hésité à faire ouvrir le feu sur des objets lui paraissant suspects.
DAPELO Antoine 2e capitaine
A secondé avec beaucoup de dévouement son capitaine en n’hésitant pas à se rendre dans la hune pour surveiller lui-même une mer couverte d’épaves. A permis par son initiative d’éviter l’attaque d’un sous-marin.
BRIAT Joseph 2e capitaine du DJIBOUTI
RETALI Erasme Maître d’équipage de SAVOIE
Ont su, par leur attitude énergique, maintenir l’ordre et le calme parmi les passagers kabyles.
Capitaine et rescapés du DJIBOUTI
Etat-major et équipage pont et machine du SAVOIE
Ont fait preuve de calme, de sang froid et d’esprit de discipline pendant les alertes successives faites à bord et la poursuite de leur bâtiment par un sous-marin.
Témoignage Officiel de Satisfaction et récompense pécuniaire
GUILLESSER Pierre Matelot
A, par sa veille attentive, prévenu à temps pour éviter l’attaque d’un sous-marin.
Le sous-marin aperçu
N’est pas identifié.
Il est décrit comme étant arrondi sur l’avant, plat au dessus avec des tubes cylindriques rentrés.
On pourrait penser, mais sans certitude à l’UB 52 de l’Oblt Otto Launburg, qui patrouillait le long des côtes tunisiennes et algériennes.
Cdlt