merci pour ce témoignage et ce beau travail de retranscription
c'était il y a 93 ans jour pour jour,et cela donne une petite note émouvante en plus à la lecture
C'est toujours un très grand plaisir de vous lire, merci pour vos encouragements et votre message sur le fil des navires hôpitaux. Concernant ce journal, j'essaie de me caler au jour le jour. De plus, la compagnie en question est formée de marins du recrutement de Lorient, avec possibilité que mes anciens et le GP de mon épouse en fassent partie. Je découvre en même temps que vous pratiquement, car je retranscris parfois au jour le jour (j'avais un peu d'avance pour les premiers).
Amitiés,
Passez une bonne fin de semaine,
Franck
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Mardi 20 octobre. — Dans la matinée, le bataillon occupe les tranchées, dites de réserve générale, auprès du carrefour de Caeskerke. J'en ai rarement vu de plus incommodes. L'eau, presqu’à fleur du sol, ne permet guère de creuser et les abris sont si étroits, qu'on ne peut y circuler avec le sac. Les grosses pièces (de 150 ?) allemandes commencent à tirer sur le canal, pour démolir le pont. L'après-midi, le commandant m'envoie à Furnes avec l'auto, tâcher d'avoir quelques vivres et surtout de quoi boire, car l'eau n'est pas potable. Les magasins sont démunis. Rencontré un officier d'état-major, qui annonce la venue prochaine de renforts, et me montre dans la rue le général français Grossetti, commandant la 42ème division. Mais ces renforts sont appelés d'urgence dans le Nord, vers Nieuport et Ramscapelle. Ce n'est pas encore pour nous. Bataille acharnée le soir devant Dixmude, où les Belges résistent vaillamment.
(à suivre...)
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Mercredi 21. — Je suis toujours bloqué dans l'auto que le commandant me confie en allant prendre son poste à l'hôtel de ville, sous les ordres du colonel belge qui commande la défense de la place. Successivement, la 10ème compagnie, puis la 9ème sont envoyées en réserve en ville. Les marmites y tombent dru, surtout l'après-midi. Un seul gros obus met hors de combat une quarantaine d'hommes à la 10ème , dont le capitaine de Monts. Une salve de trois obus de 105 tombe sur la 1ère section de la 9ème , blesse le capitaine Demarquay, anéantit presque complètement les deux premières escouades. L'affaire est chaude aux tranchées à partir de quatorze heures quarante-cinq : on dit que les Allemands cherchent à forcer le passage : la 9ème compagnie renforce la ligne aux tranchées du cimetière. Vers quinze heures, je puis voir les obus s'acharner sur l'église qui brûle et s'effondre, ne laissant debout que la tour noircie du clocher. Au carrefour de Caeskerke affluent les fugitifs, lamentables, poussant devant eux des voitures d'enfant, ou portant à deux, sur un bâton qui plie, un ballot noué dans un drap de lit. Deux porteurs traînent sur un fauteuil une vieille infirme. La question qu'ils posent anxieusement est invariablement la même : « Monsieur l'officier, quel chemin faut-il prendre ? — Où voulez-vous aller ? — A Furnes, en France, n'importe où. — Prenez plutôt à gauche, vers Oudecapelle, il y a trop d'obus sur Pervyse. » Et ils reprennent leur course. Deux vieux se sont arrêtés au bord d'un champ et pleurent en regardant brûler l'église.
Vers seize heures, un avion, que l'on ne reconnaît pas tout de suite pour ennemi, survole très bas la route de Caeskerke à Oudecapelle, cherchant sans doute les batteries belges. Il y a sur cette route un extrême encombrement de convois, tout le train de la brigade, vivres, munitions, des canons d'artillerie, des ambulances belges. L'oiseau s'en va tout joyeux rapporter cette bonne nouvelle et, une demi-heure plus tard, les « gros noirs » arrosent avec précision la chaussée. Précipitamment, les hommes regagnent la tranchée, abandonnant à regret la cuisine en train, et c'est une course de voitures emballées. Un obus a atteint en plein une de nos voitures de vivres : on ne retrouve plus rien du cuirassier-conducteur. Un caisson s'est mis en travers, une roue enlevée, et les chevaux s'acharnent à essayer de l'entraîner quand même. Un cuisinier, qui s'est obstiné à surveiller sa marmite, m'arrive la figure et les mains noires de terre, avec un rire nerveux : « L'obus m'a collé dans la tranchée et il m'a enlevé ma gamelle ! » Puis le bombardement se calme. Il y a des intermèdes comiques. Le commandant de Kerros a obligé un médecin un peu corpulent à s'abriter dans la tranchée, et ce dernier, qui se trouve à l’étroit, hurle : « j’étouffe, tirez-moi de ce trou! » Nos rires l'exaspèrent ; on le délivre enfin. « Jamais plus, je ne descendrai dans vos sales fossés. » Nous passons la nuit dans les tranchées de réserve, tandis que des renforts belges arrivent.
(à suivre...)
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Un grand merci pour ce journal.
De nombreux fusiliers marins reposent à la Nécropole de Koksijde. Si vous voulez les photos de leurs tombes, faites moi signe.
J'ai trouvé ce lien sur "La brigade des Fusiliers Marins sur l'Yser" par l'Amiral Ronarc'h. Je ne sais pas s'il a déjà été donné. Si c'est un doublon, excusez moi : http://perso.orange.fr/grande.guerre/fusiliers.html
Bonne soirée à tous
Annie
Jeudi 22. — Enfin délivré de l'auto, qui, d'ailleurs, m'a échappé lors du bombardement d'hier soir, je vais clopin-clopant au devant de la compagnie qui revient du cimetière. Mais en quel état ! A l'appel, il me manque 60 hommes, dont 7 sont sûrement morts. Les deux premières escouades comptent respectivement 3 et 5 présents : elles étaient de 16 hommes chacune hier matin. Pris le commandement et mis ces hommes au repos dans les tranchées de réserve de la briqueterie. La 10ème arrive aussi, n'ayant plus d'officiers. On la case à côté de nous et je vois venir l'un après l'autre six ou sept matelots que je ne connais pas : « Lieutenant, nous n'avons plus d'officier. Venez avec nous. Demandez au commandant qu'il nous en donne d'autres. — Soyez tranquilles, mes garçons, le commandant va vous en donner. D'ailleurs vous avez un premier maître. — Ce n'est pas la même chose! — Courage, mes enfants, reposez-vous un peu, rien n'est perdu. — Oh ! on les aura tout de même, lieutenant, nous retournerons bien leur régler leur compte ! » Je n'avais pas encore senti aussi vif l'attachement des hommes pour leurs officiers... Le commandant envoie son enseigne adjoint, Carrelet, prendre le commandement de la 10ème .
Le soir, ordre du jour de l'amiral, annonçant une victoire russe sur la Vistule et nous demandant de tenir bon.
(à suivre...)
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
Bonjour à tous,
Bonjour Annie, Laurent, Yves, content que çà vous plaise
(...suite)
Vendredi 23. — Passé la journée avec la compagnie en réserve aux tranchées de la briqueterie, entre la gare de Caerkeske et le pont. Au début de l'après midi, violent bombardement de la tête de pont de Caeskerke et de nos tranchées. Les maisons de ce maigre faubourg commencent à n'être plus que des ruines. Ce soir, pour rédiger un rapport, cherché vainement une bougie ; un bout de cierge bénit, trouvé au fond d'un tiroir, nous sert de luminaire.
(à suivre..)
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Samedi 24. — Alerte à trois heures : nous partons en ville aux ordres du commandant de Kerros ; il envoie mon meilleur peloton, avec l'officier des équipages Le Gall, aux tranchées du cimetière que nous commençons à bien connaître. J'emmène l'autre dans le prolongement de ces tranchées vers l'est, Le Gall a des mitrailleuses françaises ; je sers de soutien à une section de mitrailleuses belges du brave lieutenant Pirson, du 11ème de ligne. A droite et gauche, les sections sont enchevêtrées. Belges et marins alternent ou même se mêlent dans la tranchée commune, avec ou sans officier. Le bombardement simultané au gros calibre et au shrapnell est intense, surtout du côté du cimetière et au point où la ligne de défense Est coupe la route d'Eessen. Pendant la nuit, aux heures impaires, quatre violentes attaques d'infanterie sur ces mêmes points. En face de moi les Allemands bougent peu. Ils sont retranchés sous bois, entre 600 et 800 mètres, et entretiennent une fusillade presque ininterrompue, mais, en général, trop haute. Le petit saule au pied duquel est creusé mon trou laisse tomber sur nous les débris de ses branches et des lambeaux d'écorce enlevés par les balles. La 2ème section est assez éprouvée par le bombardement. Un moment, nos mitrailleuses sont retirées pour occuper un autre poste. Je suis à peine installé dans leur abri, plus spacieux, qu'une balle, traversant les mottes de gazon trop minces, me frappe l'épaule sans pénétrer, et atteint en plein front un petit matelot assis derrière moi. Je le crois perdu, essaye de l'encourager. Bientôt il se remet un peu : la balle a glissé sur le crâne sans pénétrer; il s'en tirera. Par grognements, car il ne peut parler, il fait comprendre qu’il veut son sac, ses lettres. On les lui donne. Alors, mettant ses précieuses lettres dans sa capote, il tire du paquet une photographie, la sienne, et me la donne... Geste qui m'émeut profondément, venant d'un brave petit garçon que tout à l'heure je connaissais à peine. Ils ont de ces mouvements d'affection spontanés, qu'on n'attendait pas, et qui touchent.
(à suivre...)
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