Bonjour à tous,
Voici pour terminer, une vue sur le fond de Buval (le Bois des Boches et le Bois Carré sont derrière l'appareil).
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http://vlecalvez.free.fr/vuefondebuval.jpg/[img]
Pour compéter cette vue, voici un terrible récit : il s’agit du compte rendu du sergent Gaudillière du 10e BCP. Ce régiment de chasseurs se situe à droite de la 11e brigade (24 et 28e RI) et doit mener l’attaque du fond de Buval tandis que le 24e RI doit prendre le Bois carré, et ainsi ouvrir la direction de Souchez. Le 28e RI attend à l’arrière du 24e RI et fait partie d’une seconde vague d’assaut. Merci à Frédéric Videlaine qui m'a transmis ce texte.
L’attaque du 25 mai 1915 par la 1re compagnie du 10e BCP. Récit du sergent Gaudillière
Extrait de L‘Enfer de 14 et 15 vécu par les chasseurs du 10e BCP, Mâcon, p.49-52
La 1re compagnie (1) monte en ligne dans la nuit du 23 au 24 mai, dépasse Noulette en ruines, traverse le Bois 4 puis le Bois des Boches, dans les boyaux bordés de gabions, puis de cagnas remplis de cadavres sur lesquels on a répondu de la chaux vive. La journée du 24 est utilisée à se reposer, malgré un bombardement violent et presque ininterrompu. La nuit venue, la compagnie descend aux abris du Ravin près d’une batterie d’artillerie de 220. La compagnie a mission d’attaquer le lendemain (2), c’est l’adjudant Bailly qui nous en informe. Nous prendrons la première tranchée allemande seulement, puis une seconde vague d’assaut nous dépassera et poursuivra les Boches. L’assaut aura lieu après un bombardement consécutif de quatre heures. Nous serons soutenus par toute la brigade. Par conséquent, je suis absolument sûr du succès. Faites reposer les hommes et compléter vivres et cartouches. Les caporaux s’occupent de faire compléter les approvisionnements en cartouches de chaque chasseur à 250 et distribuent un jour de vivres de réserve supplémentaire et un peu de goutte à chacun. Le peu de temps qui nous reste est employé à nous reposer mais il est impossible de dormir, car nous sommes plus ou moins surexcités. Le chasseur Teranziani change de linge: il pense être blessé et ne veut pas arriver à l’« hosto » sale comme un cochon.
A minuit, nous partons après avoir laissé nos sacs à la garde de deux chasseurs exempts de service.
Vers 8 heures du matin, notre artillerie muette depuis le 12 mai commence un bombardement continu des arrières allemands (3). Malheureusement, elle ne s’en tient pas là. Pour la première fois, quelques artilleurs placés à la lisière du Bois des Boches utilisent un crapouillot pour lancer des torpilles à ailettes. C’est la première fois qu’ils en envoient. Ils ne sont pas heureux : la première tombe en arrière de notre ligne, la seconde éclate avec un bruit terrible dans notre tranchée, sur la gauche, faisant plusieurs morts et blessés. La troisième monte au ciel puis s’arrête comme une alouette faisant le Saint-Esprit…
Impossible d’aller ni à droite ni à gauche dans la tranchée où nous sommes très nombreux. Elle va tomber sur nous. On ferme les yeux pour ne pas voir ce qui va arriver… On n’entend rien qu’un bruit sourd. Elle est entrée en terre à 3 m de l’endroit où j’étais et n’a pas explosé. Nous l’avons échappé belle dans notre coin. Cet essai nous suffit et l’adjudant Magnien envoie l’ordre d’arrêter l’expérience. Il en profite pour faire préciser le tir du 75 sur la première tranchée allemande. Des quantités de choses sont alors projetées en l’air au-dessus de cette tranchée.
L’attaque a lieu à midi. Au coup de sifflet (4) donné nous nous déployons en tirailleurs, au pas et sans bruit, alignés autant que possible, puis au pas de course et en criant de toutes nos forces, lorsque nous avons parcouru plus de la moitié de la distance qui sépare les deux tranchées. Nous apercevons alors des Allemands qui s’enfuient déséquipés et sans armes. Certains n’ont pas le temps de s’enfuir. Quelques-uns se constituent prisonniers dont trois officiers et un pasteur. Il y a parmi aux des catholiques du 5e Bavarois tenant à la main une image de la Vierge.
Mais de la joie de voir les Allemands se sauver une fois comme des lapins, les renforts chargés de continuer la poursuite ne venant pas, l’adjudant Bailly saute sur le parapet et nous entraîne en avant. Nous sommes à nouveau à découvert, nous courons du plus vite que nous pouvons en tirant en avant sur les fuyards tout en marchant. Nous arrivons au fond de Buval, petite vallée étroite en bordure de laquelle se trouve la seconde tranchée allemande avec des abris. La vallée est remplie de tombes aux petites croix blanches régulièrement placées et toutes semblables. De la tranchée on aperçoit en contrebas la route d’Arras, le Bois Carré, ainsi que les premières batteries de 77, puis Angres, Liévin et Lens dans lointain. Dans la tranchée allemande plus de résistance, ni d’occupant qui bouge. En circulant dans cette tranchée j’aperçois dans une cagna deux soldats allemands recroquevillés dont la tête n’est pas visible. Mon premier geste est de lancer mon fusil armé de sa baïonnette contre l’un deux, mais instinctivement je retiens mon bras par horreur du geste et je continue mon chemin. Tous mes voisins se replient, sans savoir pourquoi, sans que l’ordre paraisse en avoir été donné. Est-ce parce que nous ne sommes plus assez nombreux pour occuper la position et par crainte d’être faits prisonniers. On abandonne bêtement et à contre cœur cette fameuse tranchée du Fond de Buval pour revenir à la première tranchée allemande prise auparavant.
Au cours de ce repli, la compagnie subit de grandes pertes sous les explosions de 77 fusants d’abord, puis entremêlés de 210 percutants. Je rencontre le sergent Fléchon blessé à la joue gauche pendant l’attaque par un tireur imprudent placé en arrière lui. Nous revenons ensemble et voilà que vient vers nous l’adjudant Bailly. Il semble vouloir nous causer, mais un flot de sang sort de sa bouche, Fléchon prend mon fusil et me demande de l’emmener. Je ne revois plus Fléchon. Après avoir aidé Bailly à marcher, il tombe dans un étroit boyau profond d’à peine 50 cm, la face contre terre. J’essaie de le relever, de le prendre pour l’emporter, mais je n’en puis plus et son corps se laisse aller. Il perd connaissance et bientôt il râle d’une voix plaintive et meurt (5). Je suis même incapable de le placer sur le côté pour prendre ses papiers ou ses objets et les ramener. Alors je pars chercher du secours et je le laisse là avec remords.
Continuant mon chemin, en courant la bouche ouverte, je m’aplatis subitement, car un 210 a explosé pas loin projetant une masse de terre et d’éclats de ferraille. J’hérite d’un petit éclat à la figure, je crache du sang et deux dents et j’ai l’impression d’avoir la moitié de la figure emportée. Peu après je trouve le sous-lieutenant Bellanger. Je lui annonce la mort de l’adjudant Bailly, son camarade de l’active, et je lui demande deux hommes pour aller chercher son corps et le ramener. Mais il est affolé et ne prête aucune attention. Il m’envoie porter des sacs à terre dans le boyau en avant de la tranchée pour faire un barrage. On a abandonné notre cher adjudant aux mains de l’ennemi.
Notes personnelles sur ce texte
1. La 1re compagnie est commandée par le capitaine Henri du Perron de Revel (1883-1915) décédé suite à des blessures le 2 juin 1915. Inhumé dans un premier temps à Noeux-les-Mines, il repose à Grâne (Drôme), son lieu de naissance. Sources : fiche « Mort pour la France » du site Internet « Mémoires des hommes » et site Internet « Mémorial Gen Web ».
2. Dans le JMO du 28e RI, on note « Nos troupes se sont emparées hier de la ligne Vp3n4, dominant ainsi tout le fond de Buval. Dans ces conditions, l’attaque du fond de Buval étant devenue possible, son flanquement Sud étant assuré, la 86e Bde (Gal Olléris) en liaison intime avec la 95e Bde à droite et la 11e Bde à gauche, aura pour mission de s’emparer de la tranchée du fond de Buval et de prendre pied sur la croupe à l’Est marquée par le Chemin de la Chapelle (carte au 1/5000e)». La 86e brigade est la brigade du 10e BCP.
3. Albert Thierry, du 28e RI notera ce mardi 25 mai dans son carnet : « Énormité du bombardement. Au boyau de l’après-midi, le désordre, la bousculade, les contre-ordres, la chaleur, l’ennui, la tumultueuse et invisible proximité du combat. Ce bombardement, de huit heures du matin jusque vers deux heures, phénoménal ! », « Carnets de guerre », La Grande Revue, Paris, 1917.
4. A. Thierry note également : « Le coup du départ, les sifflements, les éclats se confondaient presque sans interruption. Un fracas continu qui ébranlait les fibres et la poitrine, éblouissait les oreilles et semblait un orage double ou triple, et insensé justement par la démesure des mesures… Au loin la fumée sur l’horizon des bois, des collines et des mines, une écume argentée, ou verdâtre, ou fauve, aux rebords de la Gohelle ! », ibid.
5. On trouve la fiche « Mort pour la France » de l’adjudant Bailly sur le site Internet « Mémoire des hommes » : Maurice Bailly, né le 10 novembre 1891 à Paris (17e). On y notera que sa mort est datée du 26 mai. Il me semble qu'il y a une plaque ex-voto en sa mémoire, posée dans la chapelle basilique de la nécropole de ND de Lorette.
Voilà pour ce récit qui fait assez mal.
N'hésitez pas à me faire part de vos remarques ou corrections sur les notes et la vue.
Très bonne journée
Vincent