LA MORT GLORIEUSE D'UN OFFICIER FRANCAIS EN RUSSIE

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peyo
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Re: LA MORT GLORIEUSE D'UN OFFICIER FRANCAIS EN RUSSIE

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Extraits du journal L’ ILLUSTRATION du 20 Octobre 1917



LA MORT GLORIEUSE D’ UN OFFICIER FRANÇAIS EN RUSSIE

« Albert JUTEAU, sous-lieutenant de l’armée française, chevalier de la légion d’honneur, décoré de la Croix de guerre et de la Croix de Saint Georges, tué par un éclat d’obus allemand dans les lignes Russes !…. »
Cet appel – qui était, hélas ! un adieu – était lancé le 7/20 juin dernier, par le colonel TAFFANEL, chef de la mission française des munitions en Russie, au cimetière des étrangers de Moscou, devant une tombe creusée au pied du monument du Souvenir Français. Cette tombe venait de recevoir la dépouille d’un héros, un jeune officier français, mort glorieusement dans une tranchée Russe de première ligne, en accomplissant la noble mission qui lui avait été confiée.
Albert JUTEAU, sous-lieutenant au 407° RI, après avoir brillamment conquis la Croix de Guerre sur notre front, avait été appelé, il y a un an environ, à faire partie d’une mission technique envoyée en Russie par notre ministère des Munitions. Sa compétence d’ingénieur chimiste lui avait fait confier la tache ardue de créer en Roumanie, des usines de coton-poudre. La retraite de nos alliés ne lui ayant pas permis de poursuivre l’exécution de ses travaux, le lieutenant JUTEAU fut chargé d’une mission analogue à Chterovka, où il réorganisa avec succès une production défectueuse et insuffisante , malgré les sérieuses difficultés rencontres dans l’accomplissement de sa tache. Rappelé à Moscou, il reçoit la mission de donner à la grande usine de Baranovski l’impulsion énergique que réclament les circonstances. Il étudie attentivement cet organisme industriel, dépose un lumineux rapport, et, après avoir demandé l’exécution de quelque perfectionnement techniques, accepte de diriger la fabrication de ces importants ateliers.
En attendant l’achèvement des travaux dont il a dressé les plans, le jeune officier ne veut pas rester inactif. Il a deux ou trois semaines devant lui, il va les consacrer à un labeur d’une haute portée morale. Depuis quelque temps, le moral des troupes russes est profondément troublé. Livré à tous les assauts d’une déprimante propagande, le combattant des tranchées commence à ne plus distinguer nettement son devoir. Le relâchement et la discipline, l’ivresse démagogique qui s’empare des nouveaux affranchis, la perfidie des manœuvres allemandes qui trouvent dans la masse ignorante de l’armée un terrain trop bien prépare, préoccupent vivement le haut commandement. Il faut faire entendre au paysan russe sous les armes des paroles viriles et exaltantes, le mettre face à ses devoirs nationaux, de se devoirs de solidarité envers ses alliés et de ses devoirs de défenseurs de la civilisation universelles. Qui, mieux qu’un soldat de la France, pourrait parler haut sur de tels sujets ? Il faut que ces mots soient dits par les frères des héros de la Marne et de Verdun pour garder, dans une tranchée à quelques mètres de l’ennemi, toute leur autorité et leur éloquence.
L’esprit de généreux prosélytisme qui anime Albert JUTEAU le pousse a faire partie d’une des missions d’officiers français qui vont porter la bonne parole aux soldats de l’armée de l’Ouest. Il part. Il visite le front de la région de Minsk ; il parle ; il serre des mains, il donne toute son intelligence et tout son cœur à ses nouveaux amis. Son journal de route retrace, en notes brèves, les étapes de ce voyage, des consolations, des tristesses et ses angoisse d’apôtre, parfois acclamé, parfois écouté avec indifférence, parfois aussi, accueilli avec une évidente mauvaise volonté. Son ardent patriotisme souffre des résistances qu’il rencontre dans certaines unités, mais s’exalte en constatant les bons effets de sa propagande auprès des régiments demeurés clairvoyants.
Sa mission touche à sa fin. Il a obtenu des résultats inespérés et les chefs russes se félicitent de son passage. Il va parler, une fois encore, dans une tranchée de première ligne, à 400 mètres de l’ennemi,au Sud de Baranovitchi, près de la rivière Chara. Mais au moment ou il y pénètre, son arrivée est signalée : une bombe, lancée par un mortier de tranchées, vient éclater à ses côtés, le frappant mortellement, tuant deux de ses compagnons, un officier et un sous-officier russe, et blessant un soldat qui les suit. Le lieutenant JUTEAU avait été atteint à la tête et au côté gauche : il expire immédiatement et sans souffrances.
L’émotion causée par cette mort fut considérable parmi nos alliés. Le 9° corps d’armée se chargea d’organiser d’importantes funérailles au vaillant Français tombé loin de sa patrie, victime de sa foi. Du village de Grouchovka à la gare de Siniavka, de solennels honneurs furent rendus par la 15° division sibérienne et des délégués de toutes les unités séparées du corps d’armée, en présence du général JANIN, chef de missions militaires françaises, et du général WALCH.
A Minsk, une cérémonie fut organisée à la gare pour permettre au général GOURKO, commandant en chef des armées de l’Ouest, de faire une éloquent oraison funèbre du lieutenant JUTEAU et, en sa qualité de président de la Douma de l’Ordre, d’épingler à son cercueil il la Croix de Saint Georges martyr et victorieux, q’une décision du 3/16 juin venait de lui attribuer.
De Minsk, le wagon funéraire, orné de croix fleuries et de guirlandes de feuillages, gagna Moscou. Un cortège splendide accompagna le cercueil de la gare Alexandrowski au cimetière des étrangers.
Ainsi s’en est allé, respectueusement salué par tous ses frères d’armes, un jeune officier de la France, frappé symboliquement par la haine de l’Allemagne, au moment où, déjouant ses sournoiseries menées, il cherchait à lui barrer la route de l’Est en décrétant une nouvelle mobilisation des cœurs. Ainsi est tombé prêchant d’exemple, un missionnaire de l’héroïsme Français, un porteur de flambeau, élevant haut la flamme sacrée de la torche allumée au brasier de Verdun.



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