Voici quelques éléments sur le bien mystérieux char Schneider CA 2, éléments recueillis dans plusieurs dossiers du SHD. Il reste beaucoup de questions en suspend et cette base de reflexion permettra peut-être à d'autre d'aller un peu plus loin dans la recherche. . . . .
La première mention d'un char de commandement est une note manuscrite du 27 Septembre 1916 écrite par le Général Estienne. Cette note est en brouillon destiné à un de ses camarades, probablement bien placé au GQG pour la proposer au Général en Chef.
" . . . / . . . . J'estime que les unités d'artillerie d'assaut en formation doivent manoeuvrer sur le champ de bataille et il convient de prévoir pour leurs chefs, des chars de commandement ayant les caractéristiques suivantes :
- Vitesse en terrain non bouleversé de 10 km/h,
- Franchissement des boyaux de 1m de large,
- Equipages de 4 hommes,
- Armement réduit à une ou deux mitrailleuses et un canon de 37 mm de manière à donner les feux en chasse et en retraite sacrifiant les feux latéraux. Protection sérieuse en tête assurée par des toles d'au moins 15 mm. Il y a lieu de prévoir cinquante chars de commandement. . . ./ . . . ".
Il est intéressant de noter que cette note a été rédigée alors que seul quelques exemplaires du char Schneider avaient été livrés à Cercottes et Marly le Roi, et que l'ordre de création du camp de Champlieu avait été donné quatre jours plus tôt. La veille, le 25 Novembre, le Général Estienne, venait de faire sa première visite sur le site de Champlieu.
Dans une note du 15 Mars 1917 au Général Cdt en Chef (n° 928 B du 170315), le Général Estienne, parlant des améliorations du programme Schneider, demande que :
- les chenilles soient élargies et rendues plus prenantes à l'avant.
- un canon de 47 ou de 37 mm soit placé en tourelle.
- la masse de ce char ne dépasse pas les 13 tonnes.
et dans cette même note, le Général Estienne parle :
- de l'étude lancée par Schneider sur cette base, dont il attend les plans définitifs. . . . .
- de la nécessité de lancer une commande de 400 chars de ce type (à chenille prenante à l'avant) pour assurer la relève des Schneider CA 1.
Cette note est un peu le lancement de ce qui deviendra le programme CA 3, et Il reste à trouver les documents rédigées entre septembre 16 et Mars 17 sur le sujet CA 2 et CA 3 . . . .
A cette date, alors que les chars français n'avaient pas encore été engagés, un défaut important du Schneider CA 1 avait déjà été mis en avant : dans un tranchée élargie ou un trou d'obus profond, le bec avant empêchait les chenilles de "prendre" dans la terre et le char restait bloqué au fond de son trou.
Si le bec avant et la queue arrière était une aide sur le franchissement d'une tranchée franche de 2 m, il n'en était plus de même sur une tranchée élargie ou éboulée. C'est dans ce contexte que l'idée de "chenille prenante" à l'avant, et donc de suppression du bec avant a fait son chemin.
En Décembre 1916, un tryptique d'avant projet, allant dans ce sens, avait été réalisé par le Lt Saar (Artillerie Spéciale de Marly). Cette étude, sur la base du Schneider CA 1 allait en partie dans le sens des idées émises par le Général Estienne en Mars 17. Les avant-projets du CA 3 de Juillet 1917 de la Société Schneider reprendront les idées développées dans l'avant-projet du Lt Saar.
Le dossier du SHD peut laisser penser qu'il s'agit de son travail. La fonction de ce lieutenant dans l'AS et à Marly le Roi reste à trouver.

En Mars 17, un Schneider de Commandement était en essai à Champlieu. Le 26 Mars 1917, le capitaine Lefebvre, commandant du Groupe AS 1, rend-compte en ces termes au Général Estienne de l'essai réalisé.
"L'essai d'un char type CA 2 (Schneider à chenilles prenantes) pour le franchissement des trous d'obus a donné les résultats suivant :
L'avant de l'appareil, étant descendu jusqu'au fond du trou d'obus, a gravi facilement la pente opposée sans que la partie avant du blindage vienne en contact avec la terre.
L'appareil a pris la position figurée par le croquis. A ce moment les chenilles ont patiné sur la terre grasse. L'appareil n'a pas pu sortir du trou par ses propres moyens, ni par l'avant parce que les chenilles patinaient, ni par l'arrière parce que l'arrière bec, formant cuillère venait affouiller profondement le terrain.
L'essai a été fait l'après-midi du 26 Mars par temps de pluie et sur terrain très détrempé."
Ce rapport manuscrit du capitaine Henri Lefebvre comprend un dessin du char dans le trou d'obus, dessin qui permet de penser que ce CA 2 n'est qu'un CA 1 modifié. Le char qui n'a plus de bec avant, est équipé d'une tourelle en position central.

Dessin du CA 2 du rapport du Cne Lefebvre (source SHD - Vincennes)
Sur la base de ce dessin, il semble possible de se faire une idée de ce qu'a pu être ce protype.
Le point principal a été la supression du bec avant pour rendre les chenilles "prenantes à l'avant".
La tourelle semble placée au milieu, probablement à l'aplomb de la fosse de plancher du CA1, pour obtenir la hauteur suffisante pour un homme debout.
La suppression du bec avant a visiblement provoqué le déplacement du pilote. Sur le dessin du Capitaine Lefebvre, un volet a été dessiné qui peut correspondre à la place du pilote . . . .


Ce char CA 2 de commandement est probablement arrivé à Champlieu dans le courant du mois de Mars 17. Aucune explication n'est donnée sur la commande et la conception de ce char et aucune photo de ce char ne semble avoir été prise à Champlieu, Marly ou Cercottes. Le CA 2 est-il un prototype réalisé par la société Schneider ou un CA 1 modifié dans les camps de l'artillerie Spéciale ?
Il semble bien que la société Schneider ait travaillé sur le sujet puisqu'il existe un rapport de visite au Creusot et une demande de modification de la hauteur d'une tourelle pour permettre de bien placer la tête. En l'absence de plus de document il est très difficile de faire la part de l'Artillerie d'Assaut et de la socité Schneider dans cette affaire.
Visiblement, les essais du CA 2 à Champlieu, en dépit de la durée du séjour de ce char à Champlieu n'ont pas été très poussés et cette solution semble avoir été bien vite condamnée.
Dans un rapport du Général Estienne, succédant à celui du Capitaine Lefebvre, il est bien expliqué que la suppression du bec avant a finalement diminué la largeur franchissable par le char et qu'il serait souhaitable, sur le futur Schneider, d'allonger de 40 cm la longueur de la chenille.
C'est ce qui sera fait sur le projet CA 3 dont la chenille est rallongée de 37 cm (soit 3 patins de chenilles en plus).
Si finalement aucun Schneider CA 3 n'a été construit, il existe un matériel qui permet de bien se représenter son train de roulement, il s'agit du tracteur d'artillerie Schneider CD. Ce matériel a en effet été construit avec les 200 chassis de Schneider CA 3 déjà usinés au moment de l'abandon du programme CA 3.
Les photos de schneider CD montrent bien le train de roulement allongé. Les 2 chariots du train sont équipés de 4 galets de roulement, alors que sur le Schneider CA 1 un chariot est à trois galets et l'autre à quatre galets.
Une note du Général Estienne au Général Cdt en Chef (n° 2174 du 23 Mai 1917) demandant le renvoi de ce CA 2 au camp de Marly comme char d'instruction, il est donc effectivement possible que ce char n'ait pas été un modèle développé par Schneider.
L'AS disposait de chars d'instruction (en acier doux) qui étaient inaptes au combat. C'est peut-être un char de ce type qui a été modifié. S'il n'a pas été remis au standard CA 1 à Marly, il a sans doute fini sa carrière comme stocks de pièces de rechange pour les chars Schneider opérationnels. . . .
Il est probable qu'un prototype réalisé par la société Schneider serait retourné à l'usine. C'est en tout cas ce qui s'est passé avec la première présentation du Schneider, puis du St Chamond à Marly le Roi et plus tard à Champlieu, avec le prototype du char léger Renault.
Si le concept de char de Commandement date donc bien de la fin 1916, c'est en février 1917 (note n° 4153/SA 3 du 170205) qu'Albert Thomas, ministre de l'Armement et des Fabrications de Guerre, informe le Général en Chef de l'ajournement provisoire de la commande à la société Schneider des chars de commandement. . . . . Il manque donc, pour l'instant, de nombreuses correspondances sur ce char.
Dans les premiers mois de l'année 17 un certain nombre de projet commençait à se télescoper. La fin de production du Schneider CA 1 modèle 1916, étant prévue pour l'été 1917, la société Schneider envisageait déjà la poursuite de ce programme avec le projet CA 3 modèle 1917.
(Plusieurs documents officiels parlent alors bien du Schneider modèle 16 et du Schneider modèle 17).
Par ailleurs, le programme char léger Renault commençait aussi à prendre forme et ce char correspondait aussi assez bien au besoin "Char de commandement". Même si ce char n'est finalement arrivé aux Armées qu'en Mai 1918, le Renault est très rapidement mentionné comme char de commandement dans les tableaux d'effectifs des unités de Schneider et de St Chamond.
Toutes ces raisons expliquent probablement pourquoi le CA 2, testé à Champlieu le 26 Mars 1917, n'a finalement pas vu le jour.
En Mars 1917, l'Artillerie Spéciale n'avait pas encore eu l'occasion de vérifier la validité des idées développées par le Général Estienne. Une note d'Etat-Major du 7 Mars 1917 traduisait bien cette idée : " . . ./ . . . il importe d'être réservé sur l'importance quantitative de ces commandes, tant que l'expérience de la bataille n'aura pas permis d'établir un jugement définif sur la valeur des différents modèles français et anglais et sur les améliorations à y apporter."
Il reste très clair que, dès la fin 1916, les officiers de l'AS avaient bien analysé le besoin d'un char spécifique pour les commandants de Batterie de chars.
A Juvincourt, en Avril 17, le commandant Bossut avait alors réglé lui même ce problème en utilisant un char Schneider hors rang pour commander son Groupement.
La place attribuée à son char au moment ou il fut tué montre bien combien il avait compris que ce char devait lui donner la possibilité de s'extraire de la masse des chars de son Groupement pour disposer du recul nécessaire à l'exercice de son commandement.
Bonne chasse aux photos du CA 2 et à plus sur le CA 3 . . .
michel