Une entreprise de ma localité (Neuilly-Plaisance) a tourné une petite quantité d'obus en début de guerre, et j'avais commencé à regrouper des notes sur les 75 tournés, plus spécialement les "biblocs" :
La genèse :
Pour pallier à la pénurie menaçante d'obus de 75, sous l'impulsion du ministre de la Guerre Millerand, une réunion tenue 20 septembre 1914 confie la fabrication d'obus à l'industrie privée. Des groupes sont constitués, comprenant des compagnies de chemin de fer, les arsenaux de la marine et les chantiers maritimes, le groupe de Paris avec des constructeurs automobiles comme Renault, Panhard & Levassor, de Dion-Bouton, Delahaye, Delage, Delaunay, Brasier, Unic, Clément-Bayard, Chenard & Walker (Groupe Renault).
Faute de matériel pour la construction par emboutissage, « on dut modifier le procédé habituel de fabrication et admettre que les obus pourraient être obtenus par forage de barres d'acier rondes. » - gal Baquet, Souvenir d'un Directeur de l'Artillerie, 1921.
Un tracé spécial est étudié pour conserver le même poids et la même capacité que l'obus réglementaire. Cet obus explosif, à ogive vissée, est aussi dénommé «bibloc ».
Des accidents de tir semblent lui être imputables, toujours selon le général Baquet:
"Dans les obus à ogive vissée, il est à craindre que des ogives mal bloquées tournent par inertie [surblocage] quand le projectile commence sa rotation ; ce mouvement peut alors déterminer l'inflammation de parcelles d'explosif qui se seraient introduites dans les filets de vis qui réunissent l'ogive au corps d'obus. ( )"
Plus loin :
"en outre certaines constatations ne permettaient pas de douter que la résistance des corps d'obus ne fut parfois insuffisante, surtout lorsqu'ils n'étaient pas forgés."
Robert Pinot, secrétaire général du comité des Forges de France, confirme au sujet des obus forés : « il faut remarquer que, dans ce procédé, le métal, une fois livré en barres, ne subit plus aucun travail de forge ; il doit donc posséder immédiatement toutes les qualités nécessaires, au point de vue de la résistance ».
conférence à l'Ecole des Sciences politiques, 20 mars 1916.
Un article du Parc de Chargement de Clermont Ferrand (cdt Gutton) déniché par Pierre Lamy :
"on avait fait venir des barres d'amérique, on les avait tronçonnées à la longueur convenable, et tout ouvrier muni d'un tour avait pu faire un obus de 75. Mais la barre ronde avait été laminée dans le sens de la longueur. Si une bulle d'air, si petite soit-elle est restée dans le métal, au laminage elle s'est allongée, elle a pu devenir un canal minuscule, mais ouvert à ses deux bouts par le tronçonnage d'un côté et de l'autre par l'évidement fait au tour. Si ce canal microscopique a bien ainsi été ouvert, les gaz provenant de la combustion de la poudre de la cartouche peuvent forcer le canal microscopique percé au travers du culot de l'obus et enflammer l'explosif"
pages1418/Pages-d-Histoire-Artillerie/A ... et_5_1.htm
Le contrôle est donc accru, la construction est modifiée par le gal Ste Claire Deville et le cdt Gutton:
« les ogives furent fixées par des tenons et les culots pourvus de plaques d'obturation » gal Baquet
"il suffirait de boucher ces canaux par une plaquette de fer blanc qui laminée dans le sens transversal du culot ne pourrait pas présenter les mêmes petits canaux infiniment étroits. La plaquette serait facilement soudée avec de l'étain fondu...2 jours de réflexion et voici le général et le cdt. en route pour Bourges et l'école de pyrotechnie. Huit jours plus tard, on commençait à souder des plaquettes au culot de tous les obus" source P. Lamy
Outre ces défauts, le coût du procédé par forage est considérable : perte de matière, temps d'usinage très long, plus de 4h heures selon l'Arsenal de Brest.
La fabrication en est abandonnée en mars 1915 :
« il fut décidé qu'à partir du 1er mars on ne recevrait plus que des obus monoblocs" (note du gal Baquet : "En réalité, il fallut faire fléchir un peu cette règle) ». gal Baquet
Le tracé du bibloc :
le site http://louisrenault.com/ présente la coupe d'un bibloc sorti de ses usines :

ce qui donne le tracé d'ogive suivant :

A noter également les deux ressauts du profil interne, spécifiques à ce type d'obus à fond fraisé.

L'arsenal de Brest donne une évolution des tracés :

A : 1900 N
B1 : foré à ogive rapportée (« bibloc »)
B2 : foré monobloc
C : 1915 FN (à culot renforcé)
La production totale des biblocs :
Les Ateliers de Brest produisent 11 000 « biblocs » jusqu'à l'arrêt en janvier 1915.
Production totale : plus d'une centaine de millier ?
Il me reste des questions :
1 - sur le nombre total usiné ?
2 - sur la liste des établissements fournisseurs : je j'ai vu passer mais, où ??
Merci à ceux qui pourront m'apporter des pistes pour ces deux questions.
Bien cordialement,
Régis