Bonsoir à tous,
Lloyd [II] — Remorqueur de 676,69 tx jb et de 296,32 tx jn construit en 1913~1914 par les chantiers de construction navale Nüske & C°, Schitfswerke, Kesselschniede und Maschinen-bau Anstalt A.G., de Stettin (Allemagne).
□ A la suite d’une délibération du conseil d’administration de la société Norddeutscher Lloyd Paris-Office du 4 novembre 1912, un sieur Guillaume Huret, citoyen français domicilié à Boulogne-sur-Mer, adressa, le 21 décembre 1912, aux chantiers Nüske & C°, de Stettin (Allemagne), une lettre de commande ainsi rédigée :
« Me référant à votre offre modifiée du 12 décembre, par laquelle vous avez fixé à 615.000 marks le prix du tender à construire pour mon compte, je me déclare d’accord avec les propositions contenues dans la lettre précitée et vous confie la construction de mon remorqueur, me réservant toutefois expressément de vous faire des prescriptions précises et détaillées pour la construction du navire, prescriptions qui seront basées sur la courte description que je vous ai envoyée lors de nos premiers pourparlers. »
Le 26 février 1914, le sieur Huret donna à un sieur Le Briand, capitaine de la marine marchande à Cherbourg, une procuration par laquelle il se déclarait « propriétaire du bateau Lloyd, construit à Stettin dans les chantiers de la maison Nüske et Cie, Akt. Ges. » et lui conférait en conséquence pouvoir d’accomplir en son nom, auprès du Consul de France à Berlin, toutes démarches et formalités aux fins d’obtenir un congé provisoire autorisant le navire à porter pavillon français depuis son départ de Stettin jusqu’à son arrivée à Cherbourg, où toutes formalités devaient être faites pour sa francisation définitive.
Sur la présentation de ces pièces, le sieur Huret obtint le 3 avril 1914 du Consul de France à Berlin la francisation provisoire du Lloyd, ainsi que le congé provisoire pour le faire venir de Stettin à Cherbourg. Livré le 5 mai 1914, le navire appareilla le 7 de Stettin pour Cherbourg, avec relâche à Boulogne-sur-Mer. Le sieur Huret sollicita alors à Cherbourg sa francisation définitive, mais celle-ci ne fut pas poursuivie en raison de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 août 1914.
Le 10 mai 1915, le Lloyd fut capturé à Cherbourg comme navire allemand par les autorités navales du port, agissant sur ordre du Ministre de la Marine, suivant une dépêche du 3 mai 1915, au motif que ce navire était dépourvu d’une francisation régulière lui permettant de naviguer sous pavillon français. A cette date, en effet, il était à quai dans ce port depuis plus d’un an et le congé provisoire délivré par le Consul de France à Berlin se trouvait, dès lors, dépourvu de toute valeur légale. Mais le Ministre considérait surtout que le Lloyd était en réalité la propriété de la société de droit allemand Norddeutscher Lloyd, de Brême, et que le sieur Huret n’en était que le propriétaire apparent et fictif.
Par une décision du 18 janvier 1917, le Conseil des prises déclara la prise « bonne et valable » après avoir constaté, à partir des pièces produites par le ministre :
— Que la société Norddeutscher Lloyd Paris-Office, filiale française de la compagnie de navigation Norddeutscher Lloyd de Brême, était propriétaire en 1911 d’un remorqueur dénommé Lloyd ; que le 6 mars 1911, ce remorqueur avait été, avec un autre bâtiment dénommé Wilkommen, cédé fictivement par cette société au sieur Huret ; que par une contre-lettre datée du lendemain, ce dernier avait promis de rétrocéder à la société et à toute réquisition de celle-ci les 51 centièmes dont il s’était ainsi rendu acquéreur ;
— Que, par une délibération de son conseil d’administration en date du 4 novembre 1912, la société Norddeutscher Lloyd Paris-Office avait décidé de faire procéder à la construction d’un nouveau remorqueur du nom de Lloyd, destiné à remplacer le précédent, employé par la société mère à Cherbourg ; que cette délibération devait être rapprochée de la lettre de commande signée le 21 décembre 1912 par le sieur Huret, qui apparaissait en être l’exécution ;
— Qu’il ressortait de la comptabilité de la société Norddeutscher Lloyd Paris-Office pour les années 1913 et 1914 que la Norddeutscher Lloyd, sa société mère, avait payé le prix du nouveau remorqueur, ainsi que toutes les dépenses accessoires entraînées par sa construction, son armement et sa traversée de Stettin à Cherbourg, y compris l’assurance, les frais de relâche à Boulogne-sur-Mer et la gratification au capitaine ; qu’en outre, à la date du 15 avril 1914, y figurait une somme de 1.060 marks destinée à couvrir les frais de francisation définitive ;
— Enfin, qu’il apparaissait que c’était la Norddeutscher Lloyd de Brême qui avait fourni les fonds nécessaires à tous ces paiements.
A partir de ce faisceau d’indices convergents, le juge des prises a considéré :
— Que le sieur Huret « [avait] sciemment déclaré comme vrais des faits faux, que les actes par lesquels il avait affirmé sa propriété sur le remorqueur Lloyd et par lesquels il [avait] obtenu de l’autorité française une francisation provisoire, puis sollicité une francisation définitive, [avaient] énoncé comme vrais des faits manifestement contraires à la vérité » ;
— Que « la propriété du remorqueur Lloyd n’avait pas cessé d’appartenir à des allemands » ;
— Que « les manœuvres de Huret n’avaient d’autre but que de faire bénéficier un navire allemand des droits et privilèges réservés aux navires français. »
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• Conseil des prises, 23 septembre 1915 — sursis à statuer de 2 mois sur la validité de la prise jusqu’à la production de tous documents propres à établir à qui appartient en réalité le navire (J.O. 4 nov. 1915, p. 7.935).
• Conseil des prises, 28 février 1916 — nouveau sursis à statuer invitant le ministre et le réclamant à produire tous les documents nécessaires au conseil pour rendre sa décision (J.O. 29 mars 1916, p. 2.523).
• Conseil des prises, 18 janvier 1917 — décision au fond (J.O. 24 févr. 1917, p. 1.495).