UC 38
Voici un document assez intéressant sur la guerre sous-marine. C’est un résumé des interrogatoires du commandant de l’UC 38, Hans Hermann Wendlandt, fait prisonnier après le torpillage du CHATEAURENAULT et le naufrage de son sous-marin.
Le récit concernant plusieurs navires français, j’ai préféré l’extraire du seul post CHATEAURENAULT pour en faire un sujet à part entière.
L'UC 38, parti de Kotor le 1er Décembre, avait mouillé des mines dans le golfe de Patras. Le 14 Décembre 1917 au matin, il aperçut le Châteaurenault et lança une première torpille à 08h47, qui explosa entre les deux chaufferies. La plupart des victimes furent donc des mécaniciens, chauffeurs et soutiers. Tandis que les navires de l'escorte recueillaient des naufragés, l'UC 38 fit le tour du Châteaurenault et vint en immersion périscopique. Il fut alors repéré, mais eût le temps de lancer une deuxième torpille. Le Châteaurenault piqua du nez et s'enfonça rapidement dans flots.
Les torpilleurs se lancèrent aussitôt à la chasse, grenadant l'emplacement où ils avaient aperçu l'assaillant. Le sous-marin fût endommagé et vingt minutes plus tard, contraint de faire surface, sous le feu des torpilleurs. Une partie des hommes qui émergeaient du kiosque fut tuée ou blessée, tandis que les autres se jetaient à la mer. Le sous-marin s'engloutit par l'arrière presque instantanément.
Le journaliste de l'Illustration qui rapporte les faits termine son récit en écrivant :
"L'UC 38 rejoignit le Châteaurenault au fond de la mer. Leurs deux coques y demeureront à jamais, l'une gardée par les dix héros qui furent engloutis avec, l'autre autour de laquelle monteront faction ses huit marins tués. Mais l'un pavillon haut comme un loyal combattant, l'autre sans ses couleurs, en vrai pirate qu'il était..."
La réalité est un peu moins brillante que cette affirmation cocardière, bien dans l’esprit de l’époque.
Les sources allemandes donnent un équipage de 34 hommes sur le sous-marin, dont 9 furent tués et 25 sauvés. Un marin blessé donne 28 hommes dont 8 furent tués et 20 sauvés.
L’officier de renseignement français qui mène l’enquête affirme benoitement qu’il y avait 27 hommes et qu’il y eût 5 tués et 20 rescapés. Ce seul décompte fait légèrement douter de la rigueur française et je m’en tiendrai plutôt à la rigueur allemande.
Peut-être Yves pourra-t-il nous confirmer l’effectif d’un sous-marin de type UC.
Toujours est-il qu’une liste de 16 rescapés, manuscrite, figure dans le dossier. La voici :
1. WENDLANT Hans Hermann Oberleutnant zur zee Commandant
2. POCK Alexandre Leutnant zur zee Second (blessé)
3. HEMPEL Paul Marine ingenieur Chef mécanicien
4. BABBE Ober boot mans maat
5. WOTSCHK Boots man maat
6. LINK Steurmann
7. MUNCK Ober FT gast
8. BERGT FT Gast
9. PROELL Matrose
10. PLOTZ Matrose
11. FEUCHLER Machinis maat
12. SCHMIDT „
13. ASMUSSEN „
14. VUKE „
15. VOLK Oberheizer
16. x (blessé)
Sans doute Yves pourra-t-il nous donner les traductions des fonctions (qu’est-ce qu’un « FT gast » ou un « matrose »?)
Le dernier marin blessé peut néanmoins être identifié par une courte note portant sur son interrogatoire. Il devait être assez sérieusement atteint car les seuls renseignements qu’il peut donner sont :
« Je m’appelle Hermann KRUGER. J’appartiens à l’équipage de l’UC 38. Nous étions 28 et il y a 8 disparus. Je reconnais le blessé qui est allongé près de moi. C’est Alexandre Pock, l’officier en second du sous-marin. »
Voici les photos de quelques uns de ces rescapés. Les officiers mariniers :

Et quelques autres. Le commandant Wendlandt est assis au centre

L’officier du renseignement qui va interroger les survivants précise que les marins allemands ont pour consigne expresse, lorsqu’ils sont faits prisonniers, de ne jamais parler de trois choses considérées comme essentielles :
- nombre se sous-marins construits
- nombre de sous-marins détruits
- constructions neuves en cours
Il aura de très nombreuses conversations avec le commandant Hans Wendlandt et avec le steurmann Henri Link, ainsi qu’avec les deux matelots TSF. S’intéressant à eux sur le plan personnel, les assurant qu’il informerait leurs familles de leur sort, il obtiendra une certaine confiance permettant de collecter des renseignements.
Hans Wendlandt, enseigne de vaisseau de 1ère classe né en 1887, était entré dans la marine de guerre en 1913. Il venait de la marine marchande et naviguait auparavant sur des navires de la Norddeutscher Lloyd. Trouvant l’avancement trop lent, il s’était engagé dans la marine de guerre. Il était resté très peu de temps sur les bâtiments de surface, entrant dès le début de la guerre à l’école des sous-mariniers.
Selon l’officier de renseignement, les renseignements obtenus dès le lendemain du naufrage sont les plus fiables car Hans Wendlandt était très fatigué, très abattu par la perte de plusieurs hommes, inquiet sur le sort qu’on lui réservait. De plus, il était très préoccupé par des problèmes de famille. Juste avant de quitter Cattaro, il avait été informé d’une maladie très grave de son père ; en outre, sa femme devait donner naissance à un enfant dans les jours à venir. Au retour de patrouille, son sous-marin devait être immobilisé pour une longue période et il avait espéré pouvoir rentrer en permission en Allemagne. Bref, son moral n’était pas brillant.
Mais dès le lendemain, remis de ses émotions et de ses craintes, il s’était complètement ressaisi, ne donnant plus que des informations probablement sujettes à caution.
Formation des sous-mariniers
Wendlandt est sorti de l’école de Kiel. Il y avait peu d’élèves officiers quand il y était, mais ils sont beaucoup plus nombreux maintenant. Il ne donne toutefois aucun chiffre. C’est une école mixte officiers-équipage. Le stage est de trois mois, à l’issue desquels on obtient un brevet provisoire. Les hommes sont alors embarqués en surnombre sur les sous-marins.Le brevet définitif est obtenu après une ou deux patrouilles. Wendlandt fut tout d’abord second sur l’U 38, puis prit le commandement de l’UC 38 le 1er Août 1917.
(Nota : il succédait à ce poste à l’OL Alfred Klatt. Mais il y a une omission de taille de la part de Wendlandt. Il avait tout d’abord succédé à l’OL Wolfgang Steinbauer comme commandant de l’UB 47 du 1er Avril au 21 Juillet 1917. Nous en reparlerons plus loin)
Organisation à bord des sous-marins
Les quarts s’effectuent par tiers. De retour à la base, les marins sont mis au repos. Tous les travaux sont effectués par du personnel des arsenaux. Cattaro ne fait que les réparations courantes, les grosses réparations s’effectuant à Pola.
Les instructions reçues au départ concernant les mouillages de mines sont impératives. Mais le commandant a ensuite grande latitude pour effectuer sa patrouille de torpillage. Il n’y a pas de date fixée pour le retour. Mais il y a ordre impératif de prévenir par TSF Cattaro 15 heures avant le retour. Les 150 derniers milles sont effectués en surface. Cela permet l’envoi d’un torpilleur pour escorter le sous-marin et éviter toute méprise avec un sous-marin ennemi.
Le sous-marin navigue et croise en surface de jour et de nuit chaque fois qu’il le peut. Certains commandants posent leur sous-marin sur des petits fonds la nuit, pour laisser reposer leurs équipages.
Wendlandt fait toutefois remarquer que l’on ne peut procéder ainsi que si l’on est sûr de pouvoir vivre en surface le lendemain car il devient impératif de recharger les batteries et de ventiler le sous-marin. Le produit employé pour régénérer l’air donne satisfaction. La vie normale la nuit est donc une croisière en surface, à petite vitesse, en ayant soin de s’éloigner des endroits où patrouille l’ennemi et qui sont parfaitement connus.
Ravitaillement
L’UC 38 s’est ravitaillé une fois en mazout à proximité des Dardanelles, sur la côte d’Asie mineure, à partir d’un caïque turc. Wendlandt ne donne pas le point exact. Le caïque, dont tout l’armement était coiffé d’un fez, s’est approché et l’a ravitaillé en deux heures. A l'exception du mécanicien vissant les manches, aucun homme du sous-marin n’a été autorisé à monter sur le pont. Le caïque mesurait une dizaine de mètres de longueur et transportait du pétrole en caisses.
Secteurs de patrouilles
L’UC 38 a patrouillé partout, en mer Egée pour la pose de mines et vers Malte et Messine pour les torpillages. Messine, assure Wendlandt, est un excellent secteur à tous points de vue. Un grand nombre de navires alliés y passe et la mer n’y est pas trop dure. On peut facilement s’abriter sous la terre sans être gêné. En revanche, le secteur de Malte est détesté par tous à cause du gros mauvais temps. De même le secteur Sapienza-Cerrigato-Matapan. Mais dans ce dernier secteur passent beaucoup de navires et les attaques sont faciles. L’UC 38 a aussi croisé en mer ionienne pour le mouillage de mines.
Naufrage de l’UC 38
Wendlandt a voulu torpillé le CHATEAURENAULT avec une seule torpille lancée en plein milieu. Dès la torpille lancée, il s’est immergé à 35 m. Plus tard, il est remonté en immersion périscopique et a vu que le croiseur n’avait pas coulé. Il a voulu lancer une 2e torpille.
C’est alors qu’il a été grenadé. Le personnel du sous-marin très calme jusque là, presque indifférent dit-il même, semble avoir manqué de sang-froid lorsqu’une explosion proche a provoqué une légère voie d’eau. Wendlandt a voulu se mettre en immersion profonde, mais n’a pu exécuter les manœuvres. C’est la manœuvre inverse qui a été effectuée par l’équipage et le sous-marin est remonté à 12 m. Wendlandt a alors repris en main son équipage et a tenté de replonger. Mais une 2e explosion de grenade a provoqué une grosse voie d’eau. Il a alors été contraint de faire surface en catastrophe et d’ordonner l’évacuation.
Cette évacuation s’est faite avec calme par les deux panneaux et le commandant a quitté le sous-marin le dernier.
L’officier français ne s’étend pas sur la suite de la scène qui, dit-il, a été vue depuis les torpilleurs.
Mais Wendlandt déplore l’intensité du feu dirigé contre les marins qui évacuaient le submersible et sautaient à la mer, seule cause des pertes.
D’après l’équipage, le sous-marin aurait coulé à cause de l’explosion de trois torpilles restées à bord et touchées par les obus.
L’officier de renseignement déclare que c’est peu vraisemblable, mais ne justifie pas son point de vue.
L’UC 38 devait rentrer à Cattaro le 20 pour une longue période d’indisponibilité, et l’équipage au complet devait regagner l’Allemagne.
Enfin, passage fort intéressant, Wendlandt apporte quelques éclaircissements sur des torpillages antérieurs.
PROVENCE II
(coulé par l’U 35 du KL Lothar von Arnauld de la Perière le 26 Février 1916)
Le commandant qui a torpillé le croiseur auxiliaire PROVENCE 2 est persuadé que la perte est due au non-fonctionnement de la soupape de submersion de la torpille. Il était trop loin du but quand il a tiré à tout hasard. Mais il a continué à observer le bâtiment au périscope. Il a soudain vu l’explosion se produire une demi minute après l’intervalle de temps correspondant à la durée maximum du trajet de la torpille. Il pense donc que le paquebot a déclenché une torpille stoppée, qui flottait inerte. Ceci s’accorde avec les nombreux témoignages de rescapés qui n’ont aperçu aucun sillage malgré une veille attentive.
SUFFREN
(torpillé par l’U 52 du KL Hans Walther – voir son KTB à la fiche Suffren)
Le SUFFREN a été torpillé au large de la côte du Portugal un soir, vers 18h00, à la tombée de la nuit, par très grosse mer et temps assez bouché. Le commandant du sous-marin qui l’a attaqué savait qu’en l’attaquant avec une si grosse houle, il ne manquerait pas d’être vu par le cuirassé. Mais il comptait sur cette idée très accréditée que le cuirassé, par un temps aussi mauvais, devait se croire en état de sécurité complète, que forcément, vu l’état de la mer, les roulis et tangages violents, l’état du ciel et la nuit approchant, la veille ne pouvait guère être sérieuse. Wendlandt m’a développé ces considérations sans aucune question de ma part.
La torpille lancée a du entrer dans la soute à munitions car une explosion formidable a suivi. Le SUFFREN s’est englouti par l’avant en moins de deux minutes, ses hélices tournant encore. Le sous-marin s’est aussitôt rendu sur les lieux, mais n’a trouvé que quelques débris flottant.
(nota : si Hans Walther ne donne pas autant de détails dans son KTB –dont le milieu est illisible- tout semble bien conforme au déroulement des évènements)
AMIRAL CHARNER
(torpillé par l’U 21 du KL Otto Hersing au large de Beyrouth le 8 Février 1916)
Ce bâtiment aurait été torpillé par un sous-marin appartenant au contrôle de Constantinople. Wendlandt ne donne aucun renseignement précis, sinon que ce centre de Constantinople, officiellement turc, est en fait entièrement allemand et autonome et que son secteur d’action est la mer Egée et accessoirement la côte de Syrie.
DANTON
(Torpillé le 19 Mars 1917 par l’U 64 du KL Robert Morath)
Ce fut une attaque heureuse et très réussie déclare Wendlandt. Ce bâtiment n’était pas attendu et a été croisé par hasard. Le commandant qui l’a torpillé n’a appris le nom du navire qu’à son retour. Lui-même n’avait eu aucune avarie par grenadage.
GAULOIS
Ce cuirassé a été torpillé par l’UC 47 selon Wendlandt qui ne donne aucun autre renseignement.
(nota : pourtant, Hans Wendlandt devait avoir des renseignements de toute première main puisqu’il avait remplacé le 1er Avril 17, soit 20 jours après le torpillage, le commandant qui avait torpillé le GAULOIS, Wolfgang Steinbauer.
Au passage, il induit en erreur l'officier du renseignement car le sous-marin n'est pas l'UC 47, mais l'UB 47.
Steinbauer était un vieux routier des mers. Il avait pris l’U 35 au neuvage, comme second de Waldemar Kophamel, puis de Lothar von Arnauld de la Perière. C’était donc un sous-marinier particulièrement bien entraîné. Quand il débarqua de l’U 35, il fut remplacé en tant qu’officier en second par l’OL Otto Launburg, encore une vieille connaissance puisque c’est lui qui torpilla le SAINT SIMON, de la Navale de l’Ouest le 3 Avril 17.)
Voici un superbe cliché pris sans doute début 1916 à Cattaro, sur le bâtiment base GÄA, nous montrant côte à côte Steinbauer et Launburg.

GOLO 2
Wendlandt dit qu’il ignore tout de ce torpillage. Mais l’officier de renseignement fait remarquer qu’il dit avoir torpillé 4 bâtiments de guerre et ne veut absolument pas parler du 4e.
D’autre part, parlant d’officiers de la marine française prisonniers en Autriche, il dit qu’il connaît un enseigne de vaisseau de réserve qui était second d’un bâtiment récemment coulé.
L’officier de renseignement se demande donc si ce n’est pas Wendlandt qui a coulé le GOLO II.
(Nota : ici, l’officier met à côté de la plaque puisque le GOLO 2 a été torpillé le 22 Août 1917 par l’UC 22 de l’OL Erich Wiessenbach. Mais Wenlandt avait effectivement torpillé 4 navires de guerre.
Les trois identifiés étaient les anglais M 15 et STAUNCH, ainsi bien sûr que le CHATEAURENAULT. Si WENDLANDT ne voulait pas parler du 4e, c’est sans doute parce qu’il était français. C’était le chalutier patrouilleur TUBEREUSE, coulé le 6 Décembre 1917 dans le golfe de Patras. C’était 8 jours seulement avant sa capture. Se doutant qu’il s’agissait d’un navire français et sachant qu’il avait patrouillé dans ce golfe, l’officier de renseignement aurait peut-être pu identifier ce 4e navire. Il serait intéressant de savoir qui était l’EV ® embarqué sur ce patrouilleur)
Pour terminer, Wendlandt parle des adversaires que rencontrent les sous-mariniers.
Destroyers
La crainte du mouillage rapide des grenades par les destroyers d’escorte après les torpillages influence énormément le personnel.
Chalutiers
Wendlandt reconnaît que les chalutiers les gênent de plus en plus par leur nombre et leur rendent très pénible la vie en plongée et les mouillages de mines. Le tir des chalutiers est souvent précis. Il considère toutefois qu’il est inutile de s’attaquer aux petits chalutiers, mais seulement à ceux dont l’armement est supérieur au sien.
Sous-marin ennemi
Affirmation très nette que la présence de sous-marins ennemis en plongée dans les zones où ils opèrent eux-mêmes leur cause une réelle appréhension quand ils sont en surface. Il y a là un facteur moral dont l’importance paraît très sérieuse sur les équipages.
Dirigeable
Aucune déclaration à ce sujet
Avion
A redouter car il arrive à l’improviste, mais son attaque est comme une piqure de mouche.
L’officier de renseignement note qu’il s’agit d’une réponse stéréotypée imposée d’avance. Toutefois la bombe d’avion est bien moins redoutée que la grenade du destroyer.
Filet d’arrêt
Une seule information relative au barrage de Papas dans lequel l’UC 38 s’est pris malgré lui.
Barrage de mines
Wendlandt dit qu’il passe toujours les barrages de mines à très grande immersion. Il dit cela avec un sourire qui montre qu’il connaît parfaitement les positions de ces barrages.
En résumé, malgré quelques omissions ou imprécisions volontaires, Wendlandt semble dire à peu près la vérité quand celle ci ne concerne pas des données classées secrêtes ou confidentielles. Ses réponses donnent une assez bonne idée de la vie et des appréhensions des sous-mariniers.
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