Bonjour à tous,
Il se trouve que pendant son service militaire mon grand père maternel, Victor B., fut affecté à la défense mobile de Tunisie pendant près d’un an, du 16 Septembre 1904 au 31 Août 1905. Mécanicien, il était basé à Bizerte. Il devait embarquer de temps à autre sur les torpilleurs affectés à cette défense mobile, ou encore travailler à l’arsenal de Sidi Abdallah. Voici cet arsenal et l’aviso torpilleur FLECHE sur lequel il fit quelques patrouilles.
Il gardera en tous cas un excellent souvenir de son séjour en Tunisie. Il aimait tout particulièrement faire des promenades à bicyclette dans la campagne tunisienne, autour de Bizerte, avec quelques camarades matelots. Lorsqu’il prit sa retraite de chef mécanicien à la Compagnie Générale Transatlantique, en 1935, il aurait même envisagé de s’installer en Tunisie. Mais la famille en décida autrement...
Un évènement l’aura beaucoup marqué lors de ce séjour en Afrique. Ce fut, peu avant son rapatriement en France, le naufrage du sous-marin FARFADET dans le lac de Bizerte. Et ceci d’autant plus qu’il avait un bon camarade embarqué sur le submersible, camarade dont le nom n’a malheureusement pas été conservé dans les mémoires familiales. Il m’en faisait encore le récit avec beaucoup d’émotion un demi-siècle plus tard, à la fin des années cinquante, alors que j’avais une dizaine d’années.
Voici la dernière photo de l’équipage du FARFADET prise le 14 Juin 1905. Le commandant RATIER est assis à droite, en tenue blanche avec un casque sur les genoux. Elle fut éditée en carte postale. Mon GP en avait envoyé une à sa famille.
Et, bien que cet évènement ne concerne pas la Grande Guerre, voici le récit de la catastrophe tel qu’il est rapporté dans les archives et sur divers sites internet. Il correspond tout à fait avec les souvenirs de mon GP.
Le 6 juillet 1905, le Farfadet appareille de la darse de Sidi Abdallah pour effectuer, dans le lac de Bizerte, une sortie d'exercice. Il est accompagné d'une chaloupe à vapeur réglementaire. Dès la sortie de la passe, le Commandant RATIER fait mettre au poste de plongée. Brusquement, l'avant s'enfonce. Le second maître TROADEC et le quartier maître LEJEAN se précipitent pour fermer le capot avant, puis rejoignent le Commandant dans le kiosque en essayant de refermer le capot supérieur de ce dernier derrière eux. L'eau surgissant de l'intérieur du sous-marin pousse les trois hommes à l'extérieur du sous-marin et le capot, qui n'avait pu être fermé à temps, reste ouvert. Le sous-marin pique du nez dans la vase par dix mètres de fond. Les trois rescapés sont immédiatement repêchés par la chaloupe accompagnatrice.
On mouille une bouée repère à l'endroit de la disparition du FARFADET et à toute vitesse la chaloupe fait route vers la terre pour avertir les autorités et demander du secours.
Le sauvetage paraît se présenter dans les conditions les plus favorables dix mètres de profondeur, sept seulement au-dessus du sous-marin, mer d'huile, à quelques centaines de mètres d'un arsenal maritime. Et si les quatorze hommes restant à bord ont pu se réfugier dans des compartiments non envahis par l'eau et fermer derrière eux les portes étanches (particularité nouvelle sur ces sous-marins) ils pourront survivre jusqu'à ce que l'on puisse soulever la partie du submersible où ils se trouvent. Remorqueurs, gabares, pontons-grues, scaphandriers se rendent sur les lieux du naufrage.
Deux messages sont envoyer à Paris : " Sous-marin FARFADET coulé entrée port Sidi Abdallah ", plus tard : " Quatorze hommes restés enfermés dans la partie arrière répondent aux coups frappés sur la coque par les scaphandriers. Tous moyens de relevage sur les lieux ».
On peut lire dans les journaux de toutes les nationalités à peu près la même substance. Voici ce qu'écrit J. de T. dans " La Vie Illustrée " du 14-7-1905 :
« Est-il de tragédie plus effrayante, plus angoissante que celle-ci. Quatorze matelots emprisonnés dans un sous-marin immergé. Ils ne peuvent rien tenter pour se sauver, mais ils entendent, ils savent que des camarades s'occupent d'eux. L'espoir leur est permis… Mais les heures interminables et trop courtes à la fois s'écoulent. Les sauveteurs vont-ils réussir? Dans deux minutes, tout sera fini. Qu'est-ce? Le sous-marin remue, on l'arrache à l'étreinte de la vase. L'espoir! Mais soudain, un choc, le navire est retombé. Et c'est la fin, la mort atroce, après une lutte héroïque. »
Revenons aux sauveteurs. Un sentiment d'impuissance gagne les plus optimistes. L'avant du navire est profondément enfoncé dans la vase, les scaphandriers ont toutes les peines du monde à placer des châssis et des aussières d'acier sous cette coque circulaire et lisse, sans aucun point d'accrochage.
Voici une image des tentatives effectuées par les scaphandriers.
Le 7, un petit espoir : la gabare KEBIR et le ponton-grue de la Compagnie du Port réussissent à soulever et à faire apparaître l'arrière du FARFADET. Un contact avec les naufragés a été pris, on a même réussi à renouveler un peu l'air dans le compartiment. On a entendu les naufragés crier « Dépêchez-vous, nous avons de l’eau jusqu’à la ceinture ». C'est alors que la grue de la Compagnie du Port s'abat et le sous-marin glisse de nouveau au fond.
Le 8 juillet, les efforts continuent sans succès. On n'entend plus les hommes prisonniers taper contre la coque.
L'arsenal de Bizerte adapte un dock flottant de quatre cents tonnes pour soulever le sous-marin et pour l'emmener ensuite dans un bassin de radoub. Monsieur Gaston THOMPSON, Ministre de la Marine, débarque du croiseur DESAIX, à Bizerte, le 9 juillet à 13 heures. Il interroge les rescapés et constate tous les moyens mis en œuvre, suit avec anxiété tous les efforts tentés. Les 10, 11, et 12 juillet, les travaux continuent, aidés par le navire de sauvetage allemand BERGER WILHELM qui, avec ses puissantes pompes refoulantes, arrive à enlever la vase de sous la coque du sous-marin.
Le 12 au soir, une chaîne et deux aussières sont amarrées autour de la coque et attachées sous le dock. Le Ministre effectue une plongée dans le lac de Bizerte à bord du " Korrigan " pour comprendre les différentes manœuvres et la vie à bord d'un sous-marin, puis il repart pour Paris. Le 13 juillet, le dock s'est enfoncé de cinq mètres et toutes les attaches avec le sous-marin sont raidies. Le 14, on commence à vider les ballasts. Le 15, le remorqueur de haute mer CYCLOPE remorque l'ensemble dock et sous-marin dans un bassin de radoub.
Le sous-marin se pose sur le fond, le dock ressort et on commence à vider le bassin.
Neuf jours après la catastrophe, le FARFADET apparaît couché sur bâbord. Une ouverture est pratiquée au-dessus du compartiment arrière pour sortir les corps de ceux qui avaient espéré jusqu'au 7 juillet, date de la rechute.
Voici le sous-marin reposant dans la forme.
Le 18 juillet, à Sidi Abdallah, des obsèques solennelles ont lieu. Puis le remorqueur CYCLOPE transporte les cercueils à Bizerte. Un dernier hommage est rendu aux marins disparus. Les contre-torpilleurs de l'Escadre et les torpilleurs de Tunisie les escortent.
Voici deux images des obsèques.
Dix jours plus tard, on rapatrie les corps par le paquebot VILLE DE NAPLES.
Quant au FARFADET, après l'avoir mis en condition d'effectuer une traversée à la remorque, il regagne Toulon en octobre, tiré par le CYCLOPE. Il reprendra du service pendant quelques années à Toulon sous le nom de FOLLET.
A Bizerte, le 18 juillet 1905, un dernier hommage est rendu aux marins décédés.
Cdlt