QUILLOTA Trois-mâts barque

olivier 12
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Re: QUILLOTA Trois-mâts barque

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

QUILLOTA Trois-mâts barque

Lancé le 21 Juin 1902 aux chantiers de Normandie-Penhoët de Rouen, c’était à l’origine un trois-mâts carré portant le nom de JEHAN D’HUSTdestiné à la Société des voiliers nazairiens.
Il fut racheté après le lancement par la compagnie Bordes et rebaptisé QUILLOTA (3e du nom). Il fut alors gréé en trois-mâts barque.

Quillota est une petite ville du Chili, située à quelques kilomètres de Valparaiso.

Il succédait au QUILLOTA (1), trois-mâts barque en bois de 1150 tpl, lancé en 1874 au chantier de La Roque. Le 28 Mars 1890, au cours d’une traversée Le Havre-Mobile, sous les ordres du capitaine Cleret, il avait abordé par le travers de la cale arrière le vapeur CONCORDIA, des Chargeurs Réunis. L’accident était survenu au large des iles du Cap Vert et le voilier avait sombré le lendemain, son équipage étant recueilli par le CONCORDIA. Le vapeur, en tort, avait d’ailleurs été condamné pour cet abordage.

Puis au QUILLOTA (2) trois-mâts carré en fer de 2000 tpl construit à Greenock sous le nom de BRAHMIN et racheté par Bordes en Novembre 1893. Le 12 Novembre 1901, au cours d’une traversée Nantes-Shields, QUILLOTA (2), à lège et remorqué par le steamer anglais FLYING DRAGON , fut pris dans une tempête terrible au sud de Sunderland. Largué par son remorqueur, ayant mouillé ses ancres, il finit par s’échouer et, sous l’assaut des vagues disparut complètement, ensevelissant dix sept marins, dont le pilote Sireuil. Cinq hommes, dont le commandant Célestin Delépine, inscrit à Saint Malo, accrochés aux débris de la dunette, parviendront à aborder la plage et seront sauvés.
1901 fut une année noire pour la compagnie Bordes qui avait aussi, perdu le cinq-mâts France.

Caractéristiques du QUILLOTA (3)

Trois mâts barque en fer. Voilier du type NANTES (type D des chantiers nantais, unique navire construit aux chantiers de Normandie à Rouen)
3130 tpl 2559 tx JB 2073 tx JN
Longueur 86,20 m Largeur 13,44 m Creux 6,91 m

Ce n’était pas un navire de grande marche, mais son port en lourd était avantageux par rapport à sa jauge nette.

QUILLOTA navigua normalement jusqu’en 1917. Il eût, entre autres, comme commandants au cours de ces années François Béquet, coulé sur le PERSEVERANCE, et Yves LEFF, coulé sur le MARTHE.

Voici un cliché du QUILLOTA

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Et un tableau représentant ce navire

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La perte du QUILLOTA

Le naufrage de ce voilier fut une tragique méprise. A cette époque, les équipages se méfiaient de tout navire rencontré, de tout objet flottant. En général, les capitaines français ne tiraient pas s’ils n’avaient pas clairement identifié un ennemi.
Mais ce ne fut pas le cas du commandant anglais du croiseur auxiliaire MANTUA, de la Peninsular & Oriental Cy, qui confondit le QUILLOTA avec le corsaire SEEADLER du commandant von Lückner.

Capitaine MAL Auguste CLC né le 30/12/1875 à Plourhan inscrit à Binic
Second ROPARS Louis CLC né le 09/10/1883 à Saint Quay-Perros inscrit à Lannion

Le capitaine Mal venait de débarquer du trois-mâts ADOLPHE. C’est lui qui avait rencontré pour la dernière fois, à Mexillones, le capitaine Pireau, du GENERAL DE BOISDEFFRE, et avait reçu un tableau de ce voilier disparu corps et biens, torpillé par l’UC 70 de Werner Fürbringer.
Auparavant il avait commandé le GERS.

Louis Ropars était aussi un vétéran de chez Bordes et avait connu l’épreuve du feu. Il était second capitaine du CAMBRONNE quand celui-ci avait été arraisonné, justement par le SEEADLER de von Lückner, puis coulé par l’UC 72 d’Ernst Voigt.
J’ai d’ailleurs été contacté sur ce forum (MP) par le petit-fils de Louis Ropars et ne peux que l’inciter à nous rapporter les souvenirs que son grand-père a pu lui raconter. Ces marins étaient vraiment des hommes hors du commun, d’une extraordinaire modestie, et il est juste de leur rendre hommage en gardant le souvenir de leurs actions, de leurs souffrances, de leur courage. Et s'il possède une photo de Louis Ropars ...elle sera bienvenue sur le site !

Voici une photo du capitaine Mal. Après la perte du QUILLOTA il repartira sur le SEINE.
(Source : "Les cap-horniers français, souvenirs des marins de la Compagnie Bordes" par Brigitte et Yvonnick Le Coat)

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Récit du naufrage

Le 6 Octobre 1917 à 08h50 le QUILLOTA, qui a quitté Saint Nazaire pour Freemantle le 24 Septembre est au large du Portugal quand un très grand vapeur est aperçu sur l’arrière, approchant rapidement. Le capitaine Mal observe le navire qui lui parait de plus en plus suspect sous son camouflage. Du voilier français on ne distingue aucun signal, bien que l’officier de quart croit apercevoir sur l’inconnu un pavillon à hauteur de la vigie. Il en fait part au capitaine Mal qui pense lui aussi apercevoir quelque chose. Mais la distance et le roulis sont tels qu’il pense qu’il s’agit en fait de la vigie du vapeur. Il rentre dans la chambre de veille pour terminer ses écritures.

Soudain, l’officier de quart lui crie que l’on tire sur le QUILLOTA. Le capitaine Mal cherche à distinguer un signal quelconque, mais sans succès. Le vapeur était à 8000 ou 9000 m et l’observation très difficile en raison du vent arrière, d’une mer grosse et d’un très violent roulis. Il est convaincu qu’il s’agit d’un corsaire allemand, d’autant plus qu’il ne distingue aucun pavillon national. Il se résout alors à la défense et met chacun au poste de combat. Tandis que le pointeur approvisionne sa pièce, un second obus tombe, perçant le grand cacatois. Il donne l’ordre d’ouvrir le feu mais, par suite du roulis, le coup tombe trop court.Le quartier-maitre canonnier lui annonce alors que le vapeur vient de tirer un coup à blanc. Pensant à une méprise d’un navire allié, le capitaine Mal fait aussitôt cesser le feu et hisser le pavillon français.
Questionné, le télégraphiste confirme n’avoir reçu aucun message. Il reçoit l’ordre d’envoyer un SOS dans le but de demander du secours et de signaler le nom de trois-mâts au vapeur inconnu. Le message reste sans réponse et les obus recommencent à pleuvoir. Alors que nos couleurs flottent au vent, le vapeur continue à tirer. Aucun doute, c’est bien un corsaire allemand.
Le capitaine Mal fait venir sur bâbord pour mettre les deux pièces dans le champ de tir, réglé entre 7000 et 7500 m. Le tir se poursuit pendant trente minutes, avec la seule pièce de tribord qui ne risque pas de masquer les voiles. Toutefois, coque et gréement sont gravement endommagés et un incendie se déclare à l’avant du voilier. L’issue du combat apparait évidente pour tous.
Le capitaine Mal fait alors cesser le tir et évacuer le navire. C’est au cours de cet abandon que le mécanicien Le Mentec est tué, écrasé le long du bord par la baleinière. Le QUILLOTA s’enfonce dans les flots tout de suite après l’abandon.
Les rescapés sont alors recueillis par le navire assaillant qui, à leur grande surprise, se révèle être le paquebot britannique MANTUA, armé en croiseur auxiliaire.
Lorsque le voilier français avait hissé son pavillon, il avait cru à une ruse d’Allemands. Le commandant anglais exprime tous ses regrets au capitaine Mal.
Sur le MANTUA, six marins avaient été blessés, dont un très grièvement.

Le 5 Décembre 1917, des excuses officielles furent présentées au ministre des Affaires Etrangères par le Foreign Office.

Cdlt

Olivier
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Re: QUILLOTA Trois-mâts barque

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

Complément

Rapport de mer du capitaine MAL


Est conforme au récit ci-dessus.
Il précise que QUILLOTA avait quitté Saint Nazaire pour Fremantle d’Australie le 28 Septembre 1917 à 12h30 et mouillé vers 16h00 sur rade des Charpentiers. Il avait appareillé à 15h00 le lendemain 29 Octobre, en compagnie d’A.D. BORDES et SAINT SULIAC, escorté par le convoyeur CHEVRETTE jusqu’à 60 milles au large de Belle Ile.

Le Mardi 2 Octobre dans l’après midi, il avait entendu une violente canonnade dans le NE, qui l’avait incité à infléchir sa route au SSW.

(nota : par recoupement, on peut penser qu’il s’agit de la canonnade entre A.D. BORDES et U 89 du KL Auguste Mildenberger, qui s’est produite ce jour-là à 16h30 dans les parages, ou à la rigueur entre U 89 et TRAFARIA qui a du se produire un peu plus tôt dans l’après midi, peut-être vers 13h30.)

Concernant le décès du 2e mécanicien LE MENTEC, le capitaine Mal précise que l’embarcation bâbord fut amenée trop rapidement avec deux hommes à bord. L’un sauta à la mer et l’autre, le 2e mécanicien, voulut remonter à bord par les garants. Mais il fut coincé entre le canot et la coque, blessé, et disparut.
Tout l’équipage embarqua alors dans le canot tribord qui, surchargé, eut beaucoup de mal à atteindre le MANTUA dans une grosse houle.

Rapport de mer du Captain A.F.B. DAWSON commandant du MANTUA

J’ai le regret de vous faire connaître que le 6 Octobre, le voilier français QUILLOTA a été coulé par le MANTUA dans les circonstances suivantes :

Le 6 Octobre à 08h20, par 40°13 N et 17°25 W le MANTUA aperçut un trois-mâts barque sur bâbord avant. Ce grand voilier filait vent arrière avec brise de nord, sous toutes les voiles de misaine et du grand mât, mais sans focs ni brigantine. Il paraissait muni d’une chaudière auxiliaire entre les deux mâts. Sa coque était gris terne au dessus de la flottaison et rouge en dessous. Il était muni d’une antenne TSF sur l’avant de l’artimon et aucun canon n’était visible.

09h30
Hissé signal « NC » du code international (What ship ?) Pas de réponse bien que le signal soit resté flottant pendant tout le combat.

10h20
Tiré un obus de 152 mm pour attirer l’attention du voilier sur le signal battant. Le projectile tombe à 300 m sur l’avant du voilier qui ouvre immédiatement le feu avec deux canons au moins et hisse le pavillon français. Le MANTUA appelle aux postes de combat quand les deux projectiles tombent et ouvre le feu avec ses pièces bâbord. Un de nos marin est atteint par un éclat d’obus.

10h30
Un obus tombe au milieu du croiseur et quatre hommes sont blessés.

11h12
Grande explosion observée sur l’avant du voilier qui amène le pavillon français.

11h15
Le MANTUA cesse le feu.

11h17
Le voilier tire deux coups de canon. Le MANTUA évolue et ouvre à nouveau le feu avec ses pièces de tribord.

11h35
Le MANTUA cesse le feu et fait une giration d’un demi cercle.

11h40
Le MANTUA recommence le feu avec ses pièces de bâbord

11h45
Le MANTUA cesse le feu en apercevant le voilier en feu sur l’arrière et donnant une forte bande sur tribord.

11h55
Le voilier coule

12h15
Le MANTUA évolue au milieu des épaves du voilier

12h25
Aperçu un canot du voilier portant des survivants.

12h35
Recueilli 29 survivants du canot. Le capitaine du voilier nous dit qu’il a quitté son navire environ 30 minutes après le début du combat.
J’estime que cet événement si regrettable n’a pas eu lieu par ma faute puisque nos signaux, clairement visibles, restèrent sans réponse. Le pavillon français, hissé après l’ouverture du feu, ne pouvait être une garantie de sa nationalité. S’il avait été un corsaire, il m’aurait mis hors service et j’aurais perdu mon bâtiment par une négligence évidente dans mon devoir.

Mon signal, formé de pavillons de première grandeur, flotta pendant 50 minutes, à angle droit avec le voilier, lequel, à mon avis, devait posséder d’excellentes jumelles prismatiques.

Il semble que le capitaine, convaincu que j’étais allemand, ait résolu de ne pas répondre à mes signaux et de ne pas hisser ses couleurs.

Dans ces circonstances, tout en regrettant profondément sa méprise quand il a ouvert le feu sur moi, provoquant ma riposte, il m’est impossible de ne pas signaler le courage avec lequel il a subi un feu très nourri pendant une demi-heure entière. Le sauvetage de l’équipage français est dû entièrement à la vigilance du lieutenant R.N.R. KNIGHT, qui aperçut le canot à grande distance, alors que j’étais décidé à renoncer à la recherche de survivants.

Note de l’Amirauté britannique

Monsieur le Ministre

Le Secrétaire d’Etat de Sa Majesté aux Affaires Etrangères m’a chargé d’exprimer au gouvernement de la République le grand regret qu’ont éprouvé les Lords de l’Amirauté à la nouvelle que la barque française QUILLOTA avait été coulée le 6 Octobre par le navire de Sa Majesté MANTUA, et de faire part en même temps au Gouvernement Français de l’admiration de Leurs Seigneuries pour la bravoure du patron et de l’équipage du QUILLOTA qui révélèrent un grand courage à l’occasion de ce malheureux accident.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Ministre, avec la plus haute considération de Votre Excellence, le très humble et….

Signé BERTIE OF THAME

Rapport de la Commission d’enquête réunie à Dakar le 12 Octobre 1917

Les nombreuse contradictions relevées de part et d’autres les dépositions sur les points principaux n’ont pas permis d’établir les responsabilités de façon précise.
Il apparaît clairement que de part et d’autre, sur le MANTUA comme sur le QUILLOTA, la conviction s’est nettement établie, avant toute action, que chacun d’eux se trouvait en présence d’un ennemi.
La Commission d’enquête a cru devoir infliger un blâme aux deux bâtiments. Tous deux ont commis des erreurs. Néanmoins, les torts du QUILLOTA semblent moindres que ceux du croiseur britannique et une note a été adressée à l’Amirauté.

Le Captain Dawson ne s’est pas rendu compte que son premier coup de canon tiré à obus de combat et son deuxième tiré à faible distance du QUILLOTA pouvaient induire en erreur le voilier sur sa véritable signification. Sa supériorité de marche et ses moyens défensifs lui permettaient de faire face à toute éventualité. Il lui appartenait donc d’examiner la situation avec moins de précipitation et de mettre en œuvre tous les moyens d’investigation dont il disposait pour identifier le voilier et éviter la méprise.

L’Amiral SHEPPARD, Président de la Commission tient à exprimer son appréciation sur l’attitude du capitaine du QUILLOTA qui, croyant avoir à faire à un ennemi, n’a pas hésité à engager le combat contre un navire très supérieur et sur la justesse de son tir.

Deux vues du MANTUA

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Cdlt
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Memgam
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Re: QUILLOTA Trois-mâts barque

Message par Memgam »

Le tableau représentant Quillota ci-dessus est l'oeuvre de Roger Chapelet (Versailles, 1903- Montpon, 1995), peintre officiel de la Marine en 1936. On trouve une reproduction de ce tableau dans le livre d'Henri Picard, La fin des cap-horniers, les dernières aventures des long-courriers français, Edito-Vila 1976. Cinq autres oeuvres l'accompagnent, représentant : Seeadler, Fennia, Crillon, France II, Noemi.
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Re: QUILLOTA Trois-mâts barque

Message par Memgam »

Bonjour,

Pour en savoir plus sur le capitaine Auguste Mal, voire le sujet du forum : Adolphe - voilier de la compagnie Bordes.

Cordialement.
Memgam
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